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Date : 20010831

Dossier : T-1299-00

Ottawa (Ontario), le 31 août 2001

En présence de M. le juge Muldoon

Entre :

                          JANE HEDGES-MCKINNON et RICHARD MCKINNON

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                         - et -

                  LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

                                                                                                                                      défenderesse

                                                          O R D O N N A N C E

Le juge Muldoon

VU les demandes de contrôle judiciaire et d'annulation de deux décisions de la Commission canadienne des droits de la personne datées du 26 juin 2000 rejetant la plainte de chacun des demandeurs contre l'Agence des douanes et du revenu du Canada déposée sur le fondement de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6;


ET L'AUDITION de l'affaire par la Cour le 18 juin 2001 en présence des demandeurs et de l'avocat de la défenderesse.

LA COUR ORDONNE le rejet des demandes, sans dépens.

                    F. C. MULDOON                       

                              Juge

Traduction certifiée conforme

Claire Vallée, LL.B.


                                                                                                                               Date : 20010831

                                                                                                                          Dossier : T-1299-00

                                                                                                      Citation neutre : 2001 CFPI 979

Entre :

                          JANE HEDGES-MCKINNON et RICHARD MCKINNON

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                         - et -

                  LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

                                                                                                                                      défenderesse

                                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Muldoon

1. Introduction

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant deux décisions de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission » ) datées du 26 juin 2000 rejetant la plainte de chacun des demandeurs déposée contre l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l' « Agence » ) sur le fondement de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « LCDP » ). Le 18 juillet 2000, le juge Teitelbaum a réuni les demandes aux fins du contrôle judiciaire et, le 18 juin 2001, la Cour les a entendues.


2. Les faits

[2]                 Le 19 juillet 1999, les demandeurs ont chacun saisi la Commission d'une plainte. Jane Hedges-Mckinnon prétendait avoir été victime de discrimination fondée sur l'état matrimonial et le sexe, contrairement à l'article 5 de la LCDP. Richard Mckinnon alléguait la discrimination fondée sur l'état matrimonial. Les demandeurs sont mariés depuis 1989.

[3]                 Pendant toute la période considérée, Jane Hedges-Mckinnon était golfeuse professionnelle et instructrice à une école de golf appartenant en copropriété aux demandeurs. En 1985, les demandeurs ont signé un accord de commandite dans lequel Richard Mckinnon s'engageait à défrayer Jane Hedges-Mckinnon des dépenses engagées en tant que golfeuse professionnelle. Dans une lettre datée du 18 septembre 1997, l'Agence a informé Richard Mckinnon que les dépenses engagées dans le cadre de la commandite ne pouvaient être déduites à titre de dépenses d'entreprise, parce que la commandite ne justifiait aucune attente raisonnable de profit.

[4]                 En octobre 1997, l'Agence a établi de nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 de Richard Mckinnon. Jane Hedges-Mckinnon a également fait l'objet d'une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1996. Dans une lettre datée du 29 avril 1998, l'Agence a rejeté l'opposition de Richard Mckinnon :

[traduction] Nous avons terminé l'examen de l'avis d'opposition que vous avez déposé pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996. Nous avons analysé les pertes que vous avez déclarées relativement à la commandite de votre épouse. De telles pertes ne sont déductibles qu'en liaison avec l'exploitation d'une entreprise suscitant une attente raisonnable de profit. Il s'agit d'une question de fait qui ne peut être tranchée qu'après un examen détaillé des faits de l'espèce.

Voici quelques-uns des critères dont il est tenu compte pour déterminer s'il y a « attente raisonnable de profit » :

-              l'importance et la croissance du revenu

-              le montant du capital investi dans l'entreprise


-              les motifs pour lesquels des pertes ont été subies jusqu'à ce jour et les mesures prises pour redresser la situation

-              le plan d'action

-              les bénéfices réalisés et les pertes subies au cours des années précédentes

Nous nous sommes penchés sur les circonstances propres à la commandite de votre épouse et nous avons conclu qu'aucune attente raisonnable de profit ne s'y rattachait. Les principaux facteurs ayant influencé notre décision sont les suivants :

-              des pertes importantes s'élevant en moyenne à 14 300 $ par année ont été subies pendant une période de dix ans

-              le revenu brut est demeuré relativement le même pendant la période de dix ans, se situant entre 1 000 $ et 3 000 $, sauf pour les années 1993 et 1995, où il a atteint 4 200 $ et 4 900 $ respectivement.

-              les motifs personnels et étrangers à une entreprise pour lesquels les pertes ont été déduites, c.-à-d. la réduction de votre revenu aux fins de l'impôt et votre intérêt personnel pour le golf.

...

En concluant à l'absence d'attente raisonnable de profit découlant de la commandite de votre épouse en tant que golfeuse professionnelle, nous ne nous prononçons pas sur l'aptitude de votre épouse à jouer au golf, mais bien sur la déductibilité des pertes résultant de la commandite suivant la Loi de l'impôt sur le revenu.

[5]                 Les demandeurs ont interjeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt. Le 9 novembre 1999, le juge Brulé a statué que les pertes étaient déductibles à titre de dépenses d'entreprise.

[6]                 Chacun des demandeurs a déposé une plainte de discrimination fondée sur l'état matrimonial. Jane Hedges-Mckinnon a également prétendu avoir été victime de discrimination fondée sur le sexe, l'Agence n'ayant pas tenu compte du fait qu'il était plus difficile pour une golfeuse professionnelle que pour un golfeur professionnel de réussir sur le plan financier. S'il tel est le cas, il faudrait savoir pourquoi.


[7]                 Le 29 février 2000, une enquêtrice de la Commission a recommandé le rejet des deux plaintes. La Commission a accepté la recommandation, et les demandeurs en ont été informés par lettre le 26 juin 2000. Il convient de signaler que dans le dossier produit le 14 septembre 2000, Jane Hedges-McKinnon dit [traduction] « être privée de son locus standi » , mais cette allégation n'a pas été reprise en plaidoirie.

[8]                 L'enquêtrice a dit ce qui suit au sujet de la plainte de Richard Mckinnon alléguant la discrimination fondée sur l'état matrimonial :

[traduction]

Résumé de la plainte

1.             Le plaignant allègue que, en 1997, la mise en cause a fait preuve à son égard de discrimination imputable au fait qu'il était marié en concluant que son entreprise, qu'il exploitait en association avec son épouse, n'avait pas d'attente raisonnable de profit et en refusant par la suite la déduction des dépenses d'entreprise engagées de 1994 à 1996.

2.             La mise en cause a contesté la plainte au motif qu'elle échappait à la compétence de la Commission.

Faits

3.             Le 1er janvier 1985, le plaignant a signéun accord de commandite dans lequel il s'engageait à défrayer Jane Hedges de la totalité des dépenses liées à l'entraînement et au développement de sa carrière en tant que golfeuse professionnelle. Le nom commercial utilisé était « Jane Hedges-Mckinnon » . L'entreprise consistait dans l'enseignement du golf et la participation de Jane Hedges-Mckinnon à des tournois de golf.

4.             En 1989, le plaignant et Mme Hedges se sont épousés.

5.             En 1997, la mise en cause a informé le plaignant qu'elle était arrivée à la conclusion que l'entreprise n'avait pas d'attente raisonnable de profit et que la totalité des dépenses engagées de 1994 à 1996 étaient des dépenses « personnelles » et, par conséquent, non déductibles de son revenu.

6.             Vers le 9 décembre 1997, le plaignant a déposé un avis d'opposition. Dans une lettre datée du 29 avril 1998, la mise en cause a fait mention de l'accord de commandite intervenu en 1985 comme étant une « commandite de votre épouse » et a décidé qu' « il n'y a pas d'attente raisonnable de profit découlant de la commandite de votre épouse » . Selon le plaignant, la mise en cause a considéré que l'accord de commandite n'établissait pas une véritable relation d'affaires.

Compétence


7.             La mise en cause a contesté la plainte en soutenant que la Commission canadienne des droits de la personne n'avait pas compétence pour examiner une cotisation fiscale au fond. Elle soutient que la cotisation initiale de 1996, dont est issue la plainte, s'appuie sur des considérations fiscales de fond concernant l'admissibilité de pertes d'entreprise, et non sur l'état matrimonial du plaignant.

8.             Le plaignant fait valoir que la mise en cause a réduit l'accord de commandite à la « commandite d'un conjoint » , refusant d'y voir un véritable accord commercial. Il soutient qu'un golfeur professionnel pourrait déduire à titre de dépenses d'entreprise les dépenses engagées relativement à la pratique du golf. Il ajoute que la mise en cause refuse de reconnaître qu'il existe une disparitéentre les prix offerts aux golfeurs et aux golfeuses et qu'il faut environ treize ans pour qu'une golfeuse réalise un profit.

Allégation concernant les cotisations fiscales

9.             Il appert que la mise en cause a fondé les cotisations établies pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 sur des principes d'application générale clairs. Ces principes sont exposés dans les lettres que la mise en cause a fait parvenir au plaignant. Dans la première, datée du 18 septembre 1997, la mise en cause dit que le plaignant « déduit des pertes d'entreprise depuis 1988 et qu'elle a permis la déduction des pertes les années précédentes afin que le plaignant puisse dégager un profit après avoir essuyédes pertes pendant plusieurs années consécutives.

10.           Une autre lettre, datée du 29 avril 1998, énonce les principaux facteurs ayant influencé la décision de la mise en cause (concernant l'absence d'attente raisonnable de profit découlant de la commandite de l'épouse du plaignant) : [traduction] « des pertes importantes ont été subies pendant une période de dix ans [...]; le revenu brut est relativement invariable pendant la même période [...]; les pertes ont été déduites pour des motifs personnels et étrangers à une entreprise, soit la diminution du revenu [du plaignant] aux fins de l'impôt et son intérêt personnel pour le golf » .

11.           De 1985 à 1993, la mise en cause a accepté la déduction des pertes d'entreprise du plaignant, mais après huit ans, elle a décidé que leur déduction devait cesser à cause de l'absence d'attente raisonnable de profit. Il ne semble pas que la décision de la mise en cause, savoir que l'entreprise n'avait aucune attente raisonnable de profit, se fondait sur l'état matrimonial du plaignant. Comme je l'ai dit précédemment, le plaignant a épousé Jane Hedges-Mckinnon en 1989, et les déductions ont été autorisées de 1985 à 1993. (Non souligné dans l'original.)

12.           Le plaignant en a appelé devant la Cour canadienne de l'impôt des cotisations établies pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996. Ce tribunal indépendant a compétence pour régler tout différend qui oppose la mise en cause et un contribuable. L'appel a été entendu en août 1999. Dans une décision datée du 8 novembre 1999, la Cour canadienne de l'impôt a accueilli l'appel, et les cotisations ont été renvoyées à la mise en cause pour réexamen et établissement de nouvelles cotisations.

13.           La mise en cause a signifié son intention de se conformer à la décision de la Cour canadienne de l'impôt.

14.           Il appert que la disparité des prix offerts aux golfeurs et aux golfeuses professionnels soit imputable à la différence des revenus touchés par les associations de golf masculin et les associations de golf féminin, et non à quelque discrimination exercée par l'Agence dans l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu.


Recommandation

15.           En application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, j'estime que l'examen de celle-ci n'est pas justifié parce que :

- la plainte a fait l'objet d'un examen conformément à une procédure établie par une autre loi, c.-à -d. celle régissant la Cour canadienne de l'impôt et

- cette dernière a ordonnéla mesure qui s'imposait en l'espèce, soit l'établissement de nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996.

[9]                 Dans son rapport, l'enquêtrice a dit ce qui suit au sujet de la plainte de Jane Hedges-Mckinnon alléguant la discrimination fondée sur l'état matrimonial et le sexe :

[traduction]

Résumé de la plainte

1.             La plaignante allègue que, en 1997, la mise en cause a fait preuve à son égard de discrimination imputable au fait qu'elle était une femme et qu'elle était mariée en décidant que l'entreprise qu'elle exploitait en association avec son mari n'avait pas d'attente raisonnable de profit et en refusant par la suite la déduction des dépenses d'entreprise engagées de 1994 à 1996.

2.             Le 1er janvier 1985, la plaignante a signéun accord de commandite dans lequel Richard McKinnon s'engageait à la défrayer de la totalitédes dépenses liées à l'entraînement et au développement de sa carrière de golfeuse professionnelle. En retour, elle s'engageait à lui verser 25 % de ses revenus de golfeuse professionnelle. Le nom commercial utiliséétait « Jane Hedges-Mckinnon » . L'entreprise consistait dans l'enseignement du golf et la participation de Jane Hedges-Mckinnon à des tournois de golf.

3.             La plaignante et M. Mckinnon se sont épousés en 1989.

4.             En 1997, la mise en cause a informé M. Mckinnon qu'elle était arrivée à la conclusion que l'entreprise n'avait pas d'attente raisonnable de profit et que la totalité des dépenses engagées de 1994 à 1996 étaient des dépenses « personnelles » et, par conséquent, non déductibles de son revenu.

5.             Vers le 9 décembre 1997, le mari de la plaignante a déposé un avis d'opposition. Dans une lettre datée du 29 avril 1998, la mise en cause a fait mention de l'accord de commandite intervenu en 1985 comme étant une « commandite de votre épouse » et a décidé qu' « il n'y a pas d'attente raisonnable de profit découlant de la commandite de votre épouse » . Selon la plaignante, la mise en cause a considéré que l'accord de commandite n'établissait pas une véritable relation d'affaires et elle n'a pas reconnu que les golfeuses professionnelles avaient un revenu inférieur à celui des golfeurs professionnels.


Compétence

6.             La mise en cause a contesté la plainte en soutenant que la Commission canadienne des droits de la personne n'avait pas compétence pour examiner une cotisation fiscale au fond. Elle soutient que la cotisation initiale de 1996, dont est issue la plainte, s'appuie sur des considérations fiscales de fond concernant l'admissibilité de pertes d'entreprise, et non sur l'état matrimonial de la plaignante.

7.             Les questions relatives à la déductibilité des dépenses touchent Richard Mckinnon, le commanditaire, et non la plaignante, car c'est Richard Mckinnon qui a déduit les dépenses de la plaignante dans sa déclaration de revenus. La plaignante n'a pas déduit ses dépenses dans sa propre déclaration de revenus. Par conséquent, tout différend relatif à la déductibilité des dépenses de la plaignante devrait opposer Richard Mckinnon et la mise en cause. La plaignante n'a donc pas de cause d'action vis-à -vis de la mise en cause pour ce qui concerne ses dépenses d'entreprise.

8.             Il appert que la disparité des prix offerts aux golfeurs et aux golfeuses professionnels soit imputable à la différence des revenus touchés par les associations de golf masculin et les associations de golf féminin, et non à quelque discrimination exercée par l'Agence dans l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Données complémentaires

9.             En 1997, dans le cadre d'un examen de la déclaration de revenus produite par la plaignante pour l'année d'imposition 1996, la mise en cause a conclu que la plaignante n'avait pas droit au crédit pour la taxe sur les produits et services (TPS) et que la somme qui lui avait déjà été versée constituait un paiement en trop.

10.           La plaignante a interjeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt pour la cotisation établie relativement à l'année d'imposition 1996. Ce tribunal indépendant a compétence pour régler tout différend qui oppose la mise en cause et un contribuable. L'appel a été entendu en août 1999. Dans une décision datée du 8 novembre 1999, la Cour canadienne de l'impôt a accueilli l'appel, et les cotisations ont été renvoyées à la mise en cause pour réexamen et établissement d'une nouvelle cotisation.

11.           La mise en cause a signifié son intention de se conformer à la décision de la Cour canadienne de l'impôt.

Analyse

12.           La plaignante n'a pas déduit ses dépenses dans sa déclaration de revenus. C'est son époux qui les a déduites dans sa propre déclaration de revenus. Tout différend relatif aux dépenses devrait donc opposer le mari de la plaignante et la mise en cause. La mesure appropriée concernant la cotisation établie pour l'année d'imposition 1996 de la plaignante, soit l'établissement d'une nouvelle cotisation, a été ordonnée par la Cour canadienne de l'impôt.


Recommandation

13.          Il est recommandé, conformément à l'alinéa 41(l)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la Commission n'examine pas la plainte parce qu'elle n'est pas de sa compétence, les faits allégués par la plaignante n'équivalant pas à un acte discriminatoire.

3. Question en litige

[10]            La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant la plainte de Jane Hedges-Mckinnon sur le fondement de l'alinéa 41(l)c) de la LCDP et celle de Richard Mckinnon en application du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP?

4. Analyse

Dispositions législatives applicables

Irrecevabilité

41(1)       Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

...

c)             la plainte n'est pas de sa compétence;

...

Nomination de l'enquêteur

43(1)       La Commission peut charger une personne, appelée, dans la présente loi, « l'enquêteur » , d'enquêter sur une plainte.

...

Rapport

44(1)        L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.

...

(3)           Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

...

b)             rejette la plainte, si elle est convaincue :


(i)            soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

(ii)           soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

...

La norme de contrôle

[11]            Selon l'article 43 de la LCDP, la Commission peut nommer un enquêteur pour examiner une plainte. Même si, lorsqu'il fait enquête, l'enquêteur est le prolongement de la Commission, cette dernière peut faire siennes ou non les conclusions et les recommandations de l'enquêteur. Le sous-alinéa 44(3)b)(i) de la LCDP dispose que, après réception du rapport de l'enquêteur, la Commission peut rejeter la plainte si elle est convaincue que, « compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié » . Le sous-alinéa 44(3)b)(ii) prévoit que la Commission peut rejeter la plainte pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

[12]            Dans Holmes c. Canada (Procureur général) (1999), 242 N.R. 148 (C.A.F.), le juge Décary a énoncé de nouveau la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission fondée sur l'article 44 de la LCDP (à la page 149) :

[4] À notre avis, la Commission est investie d'un large pouvoir d'appréciation souveraine en matière d'instruction préliminaire. Cette règle de longue date a été récemment réitérée par notre Cour dans Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, en ces termes :

[35] Il est établi en droit que, lorsqu'elle décide de déférer ou non une plainte à un tribunal à des fins d'enquête en vertu des articles 44 et 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a « des fonctions d'administration et d'examen préalable » (Cooper c. Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, à la page 893, le juge La Forest) et ne se prononce pas sur son bien-fondé (voir Northwest Territories v. Public Service Alliance of Canada (1997), 208 N.R. 385 (C.A.F.)). Il suffit que la Commission soit « convaincue que compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié » (paragraphes 44(3) et 49(1)). Il s'agit d'un seuil peu élevé et les faits de l'espèce font en sorte que la Commission pouvait, à tort ou à raison, en venir à la conclusion qu'il y avait « une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante » (Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), précité, par. 30, à la page 899, le juge Sopinka, approuvé par le juge La Forest dans Cooper, précité, à la page 891).


[...]

[38] La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l'exécution de sa fonction d'examen préalable au moment de la réception d'un rapport d'enquête. Les paragraphes 40(2) et 40(4), et les articles 41 et 44 regorgent d'expressions comme « à son avis » , « devrait » , « normalement ouverts » , « pourrait avantageusement être instruite » , « des circonstances » , « estime indiqué dans les circonstances » , qui ne laissent aucun doute quant à l'intention du législateur. Les motifs de renvoi à une autre autorité (paragraphe 44(2)), de renvoi au président du Comité du Tribunal des droits de la personne (alinéa 44(3)a)) ou, carrément, de rejet (alinéa 44(3)b)) comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d'opinion (voir Latif c. Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 687, à la page 698 (C.A.F.), le juge Le Dain.), mais on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cet égard.

[5] La question dont était saisie la Commission à l'étape en question était de savoir si, compte tenu de toutes les circonstances de la cause, il y avait lieu d'ouvrir une enquête. Elle y a répondu par la négative. Il y a divers motifs légitimes ou raisonnables par lesquels la Commission était fondée à décider comme elle l'a fait. Pour tirer une conclusion, elle a le droit et l'obligation de prendre en considération tous les faits et allégations soumis à son examen. En l'espèce, elle avait en main suffisamment de preuves pour conclure qu'il n'y avait pas lieu à poursuite de l'affaire devant un tribunal. Ainsi que l'a fait observé le juge La Forest dans Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne) :

Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l'ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L'aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s'il existe une preuve suffisante.

[13]            La décision de la Commission de rejeter une plainte en application du paragraphe 44(3) est une décision administrative assujettie aux exigences de l'équité procédurale, mais pas à toutes les règles de justice naturelle. Pour décider s'il y a lieu ou non qu'un tribunal examine la plainte, la Commission a l'obligation de tenir compte des faits, de la LCDP et du caractère suffisant de la preuve qui lui est présentée. Son pouvoir de rejeter une plainte est discrétionnaire, et ses décisions justifient une grande retenue. Lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour n'intervient que lorsque la décision se fonde sur des facteurs non pertinents ou extrinsèques ou que le pouvoir discrétionnaire a été exercé de manière discriminatoire, injuste, arbitraire ou déraisonnable.


Décision de la Commission

[14]            Les décisions de la Commission rejetant les plaintes des demandeurs étaient raisonnables compte tenu de la preuve. La Commission était saisie des éléments suivants concernant Jane Hedges-Mckinnon :

a.         Richard Mckinnon avait pris à sa charge les dépenses engagées pour lui permettre de prendre part à des tournois de golf professionnel;

b.         Jane Hedges-Mckinnon n'a pas déduit ces dépenses à titre de dépenses d'entreprise; elles ne figurent pas dans ses déclarations de revenus;

c.         Richard Mckinnon a déduit ces dépenses dans ses propres déclarations de revenus.

[15]            La Commission disposait des éléments de preuve suivants concernant Richard Mckinnon :

a.         il avait pris à sa charge les dépenses engagées par Jane Hedges-Mckinnon pour participer à des tournois de golf professionnel;

b.         il a déduit ces dépenses à titre de dépenses d'entreprise dans ses déclarations de revenus;

c.        à partir de ces déclarations, l'Agence a établi des cotisations en tenant pour acquis que l'entreprise de commandite de Jane Hedges Mckinnon n'avait aucune attente raisonnable de profit; elle a confirmé cette décision après le dépôt d'un avis d'opposition;

d.         la décision a été portée en appel devant la Cour canadienne de l'impôt, qui a infirmé les décisions de l'Agence et a ordonné l'établissement de nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 de Richard Mckinnon.


[16]            Les demandeurs ont invoqué l'arrêt Procureur général du Canada c. Druken, [1989] 2 C.F. 24 (C.A.) à l'appui de leur thèse. Dans cet arrêt, la Cour d'appel fédérale a confirmé une ordonnance du tribunal canadien des droits de la personne ayant pour effet de rendre inopérantes certaines dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage. Des prestations d'assurance-chômage avaient été refusées à des plaignantes employées par leur mari ou par des sociétés dont plus de 40 % des actions conférant droit de vote appartenaient à leur mari. Dans la présente affaire, le fait que les demandeurs étaient mariés l'un avec l'autre n'est pas en cause dans la décision de l'Agence, et les conclusions de l'enquêtrice sont raisonnables.

[17]            Jane Hedges-Mckinnon soutient que la Commission a commis une erreur en refusant de nommer un tribunal appelé à examiner sa plainte selon laquelle l'Agence a fait preuve à son endroit de discrimination fondée sur le sexe en omettant de reconnaître qu'une golfeuse professionnelle gagne moins qu'un golfeur professionnel lorsqu'elle participe à un tournoi. À cet égard, la Cour convient avec l'enquêtrice que Jane Hedges-Mckinnon n'a aucune cause d'action, parce que c'est son mari qui a déduit les dépenses dans sa déclaration de revenus. Partant, le différend oppose le mari et l'Agence. Le rapport de l'enquêtrice est raisonnable.

[18]            La Cour comprend très bien la situation des demandeurs, mais l'on ne saurait dire que la Commission a fondé sa décision sur des facteurs non pertinents ou extrinsèques et qu'elle a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière discriminatoire, injuste, arbitraire ou déraisonnable. Par conséquent, rien ne justifie la Cour d'annuler sa décision.

5. Autres arguments invoqués

Équitéprocé durale


[19]            Les demandeurs font valoir que la Commission n'a pas fait preuve d'équité procédurale, bien que cet élément n'ait pas été repris en plaidoirie. La Commission s'est en tous points conformée aux exigences de l'équité procédurale. Des exemplaires du rapport d'enquête ont été transmis aux demandeurs, et ces derniers y ont répondu. La Commission a tenu compte des réponses des demandeurs pour rendre sa décision de rejeter les plaintes.

Comportement du personnel

[20]            Les demandeurs prétendent que la Commission et son personnel ont été négligents dans le traitement de leurs plaintes. Aucun élément de preuve n'a été présenté à l'appui de cette allégation, qui n'a pas non plus été reprise en plaidoirie. La Cour refuse donc de se prononcer sur ce prétendu motif.

6. Conclusion

[21]            La demande est rejetée. La Cour n'adjuge aucuns dépens, même si, habituellement, elle le fait en fonction de l'issue de la cause. La décision est plus serrée que le soupçonne l'avocat de la Commission, mais une décision finale devait évidemment être rendue. La Cour ne fait aucun reproche à l'avocat de la Commission en formulant cette observation. Même si, en fin de compte, leurs arguments ont fondu comme neige au soleil, il n'était pas entièrement déraisonnable que les demandeurs engagent l'instance. La réparation appropriée a été accordée par la Cour canadienne de l'impôt; je déplore qu'ils ne l'aient pas compris. La Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de dépens, tout en précisant qu'aucun reproche ne peut être adressé à la défenderesse.

             F. C. MULDOON                

Juge

Ottawa (Ontario)

31 août 2001

Traduction certifiée conforme

Claire Vallée, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-1299-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             JANE HEDGES MCKINNON ET AUTRES c. LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 18 juin 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : LE JUGE MULDOON

DATES DES MOTIFS :                      31 août 2001

ONT COMPARU:

Richard McKinnon                                               POUR SON PROPRE COMPTE

Jane Hedges-Mckinnon                                       POUR SON PROPRE COMPTE

Goeffrey Lester                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Richard McKinnon                                               POUR SON PROPRE COMPTE

Ottawa (Ontario)

Jane Hedges-Mckinnon                                       POUR SON PROPRE COMPTE

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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