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Date : 20191029


Dossier : T-1661-17

Référence : 2019 CF 1355

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

 

JANSSEN INC. et

JANSSEN ONCOLOGY, INC.,

BTG INTERNATIONAL LTD.

 

demanderesses

 

et

 

APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

Défenderesses

 

MOTIFS DU JUGEMENT

TABLE DES MATIÈRES

 

 

 

 

SECTIONS :

Nos DES PARAGRAPHES

 

I.  Introduction

[1] - [6]

 

II.  Le contexte

[7]

 

A.  L’historique de l’instance

[7] - [11]

 

B.  Les faits

[12]

 

(1)  Les témoins

[12] - [14]

 

(2)  Le contexte scientifique

[15]

 

a)  Le traitement du cancer de la prostate

[16] - [20]

 

b)  Les essais cliniques

[21]

 

c)  La synthèse des hormones stéroïdes

[22] - [29]

 

(3)  Le brevet 422 et les revendications invoquées

[30] - [38]

 

(4)  Les essais réalisés par Cougar

[39] - [44]

 

(5)  Les produits APO-ABIRATERONE et ZYTIGA

[45] - [50]

 

III.  Les questions en litige

[51]

 

IV.  L’analyse

[52]

 

A.  La preuve d’expert

[52] - [59]

 

B.  Le fardeau de la preuve

[60] - [63]

 

C.  L’interprétation des revendications

[64]

 

(1)  La personne versée dans l’art

[64] - [71]

 

(2)  Les connaissances générales courantes qui existaient à la date de dépôt et la date de publication

[72] - [80]

 

a)  Apotex

[81] - [92]

 

b)  Les conclusions de la Cour sur les connaissances générales faisant l’objet d’un débat 

[93] - [115]

 

(3)  L’analyse de l’interprétation des revendications

[116] - [127]

 

D.  L’objet brevetable

[128] - [142]

 

E.  L’évidence

[143] - [145]

 

(1)  La personne versée dans l’art/les connaissances générales courantes

[146]

 

(2)  L’idée originale

[147]

 

(3)  La différence entre l’état de la technique et l’idée originale

[148] - [152]

 

(4)  L’évidence/l’inventivité

[153] - [159]

 

(5)  Les conclusions de la Cour au sujet de l’évidence

[160]

 

a)  Le premier volet : la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes

[160]

 

b)  Le deuxième volet : l’idée originale ou l’interprétation des revendications

[161] - [163]

 

c)  Le troisième volet : les différences entre l’état de la technique et l’idée originale

[164]

 

(i)  L’état de la technique

[165] - [168]

 

(ii)  L’art antérieur sur l’effet anticancéreux des glucocorticoïdes

[169] - [177]

 

(iii)  Les différences entre l’état de la technique et l’invention

[178]

 

d)  Le quatrième volet : l’évidence/l’inventivité

[179] - [181]

 

e)  L’évidence dans l’art antérieur et les connaissances générales courantes 

[182] - [193]

 

f)  Les éléments du critère de l’essai allant de soi

[194] - [203]

 

F.  L’inutilité

[204] - [224]

 

G.  La contrefaçon

[225] - [246]

 

H.  L’admissibilité à l’inscription au registre

[247] - [259]

 

V.  Conclusion

[260] - [261]

LE JUGE PHELAN

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande, présentée sur le fondement du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4 [la Loi], et du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, dans sa version du 20 septembre 2017 [le Règlement ou le Règlement AC], visant à interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc [Apotex].

[2]  La version du Règlement antérieure aux modifications apportées en 2017 s’applique, car la défenderesse, Apotex, a signifié son avis d’allégation à la demanderesse, Janssen Inc [Janssen], le 19 septembre 2017, soit deux jours avant l’entrée en vigueur du nouveau Règlement, le 21 septembre 2017. D’après les dispositions transitoires prévues au paragraphe 9(1) du Règlement de 2017 modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/2017-166, la version antérieure du Règlement continue de s’appliquer à l’égard de toute question relative à un avis d’allégation signifié à une première personne avant la date d’entrée en vigueur des modifications.

[3]  L’utilisation de la prednisone [PN] comme agent anticancéreux ou comme moyen de traiter les effets secondaires causés par l’acétate d’abiratérone [AA] se situe au cœur du litige.

[4]  Les demanderesses [collectivement, Janssen] soutiennent que le brevet canadien no 2 661 422 [le brevet 422 ou le brevet] revendique l’invention de l’association de l’AA et de la PN pour le traitement du cancer de la prostate, c’est-à-dire que les deux composés se combinent pour produire un effet anticancéreux. La défenderesse, Apotex, affirme que Janssen ne fait qu’associer deux substances connues pour leurs effets anticancéreux et qu’elles n’agissent pas en synergie. Apotex soutient également que les médicaments contenant de l’AA fabriqués par Janssen et Apotex ne sont pas proposés pour l’utilisation décrite dans les revendications du brevet 422, car dans le cas des médicaments d’Apotex, l’AA est l’agent anticancéreux, et la PN est prescrite uniquement pour traiter les effets secondaires indésirables.

[5]  L’un des problèmes importants en l’espèce tient au fait que le rôle anticancéreux de la PN qui est revendiqué dans le brevet 422 lorsque la substance est combinée avec l’AA ne semble plus être considéré comme le rôle principal que joue la PN dans le traitement du cancer. La PN est plutôt, dans ce cas, principalement considérée comme une substance qui atténue les effets secondaires causés par l’AA. L’interprétation de la façon dont la combinaison est revendiquée dans le brevet 422 – l’interprétation des revendications – a une incidence importante sur les conclusions de la Cour.

[6]  La mesure de réparation sollicitée est une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex pour son médicament APO-ABIRATERONE. L’autre mesure de réparation demandée – un jugement déclaratoire – a été abandonnée.

II.  LE CONTEXTE

A.  L’historique de l’instance

[7]  le 23 août 2007, Cougar Biotechnology Inc [Cougar] a présenté une demande pour le brevet canadien no 2 661 422, lequel a été publié le 28 février 2008 et délivré le 27 juin 2017. Sa date de priorité, fondée sur le dépôt du brevet américain, était le 25 août 2006. Cougar a été renommée Janssen Oncology Inc (l’une des demanderesses) en 2012. Le brevet 422 associé au produit de Janssen contenant de l’AA, lequel porte la marque nominative ZYTIGA, figure sous le nom de Janssen Inc dans le registre des brevets. Le premier avis de conformité pour ZYTIGA semble avoir été délivré le 27 juillet 2011. Le brevet 422 était associé à ZYTIGA dans le registre des brevets lorsque le brevet a été délivré le 27 juin 2017.

[8]  Le 28 juillet 2017, Apotex a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle auprès du ministre de la Santé afin d’obtenir un avis de conformité pour le produit APO-ABIRATERONE (comprimés oraux de 250 mg contenant de l’AA), utilisant ZYTIGA comme produit de référence canadien.

[9]  Le 18 septembre 2017, Apotex a envoyé son avis d’allégation à Janssen, dans lequel elle alléguait que le brevet 422 était invalide, que le produit APO-ABIRATERONE ne constituerait pas une contrefaçon du brevet, et que le brevet est inadmissible à l’inscription au registre. Janssen a reçu l’avis d’allégation le 19 septembre 2017.

[10]  Le nouveau Règlement est entré en vigueur le 21 septembre 2017.

[11]  Janssen a déposé son avis de demande auprès de la Cour le 1er novembre 2017. Par conséquent, la Cour a jusqu’au 1er novembre 2019 pour décider si elle interdit la délivrance d’un avis de conformité à Apotex.

B.  Les faits

(1)  Les témoins

[12]  Les témoins des faits de Janssen sont les suivants :

  • Le Dr Ian Judson est médecin et ancien chercheur ayant travaillé à la mise au point de la monothérapie par l’AA. Il a expliqué la recherche initiale, objet de l’article de O’Donnell publié en 2004 [O’Donnell (2004)], un important document d’antériorité en l’espèce.

  • Le Dr Johann de Bono, qui, même s’il n’en est pas l’inventeur, croit avoir contribué à l’invention du brevet. Le Dr de Bono est un médecin qui concentre sa recherche sur le cancer de la prostate.

  • La Dre Gloria Lee est médecin et ancienne vice-présidente de la clinique de recherche et de développement de Cougar, qui a financé les essais cliniques ayant mené à l’invention revendiquée dans le brevet 422.

  • Monsieur Robert Charnas, Ph. D., était responsable de la réglementation mondiale à Cougar relativement au projet concernant l’AA et la PN à compter de 2008.

[13]  Les témoins experts de Janssen sont les suivants :

  • Le Dr Matthew Rettig (oncologue médical).

  • Le Dr Richard Auchus (endocrinologue).

  • Le Dr Alan So (urologue).

  • Madame Jan Sedgeworth, Ph. D. (conseillère œuvrant dans le domaine des affaires réglementaires).

[14]  Les témoins experts d’Apotex sont le Dr Robert Nam (uro-oncologue) et Mme Gail Prins, Ph. D. (endocrinologue). Des aspects importants de leurs rapports d’experts sont abordés dans les présents motifs.

(2)  Le contexte scientifique

[15]  Le contexte scientifique général sur lequel se sont entendus les experts et qui facilitera la compréhension de la présente affaire est énoncé dans les paragraphes suivants. Ces renseignements font partie des connaissances générales courantes qui existaient à la date du dépôt et à la date de la publication.

a)  Le traitement du cancer de la prostate

[16]  Le cancer de la prostate est le cancer le plus souvent diagnostiqué chez les hommes et il représente la troisième cause de décès par cancer chez les hommes au Canada. Le cancer de la prostate se caractérise par une prolifération incontrôlée des cellules de la prostate. Au cours des premiers stades, le cancer est localisé dans la prostate. Il est alors possible de ne pas traiter le cancer et d’effectuer plutôt une surveillance active. Si le cancer de la prostate se propage à d’autres parties du corps, on parle de cancer de la prostate métastatique.

[17]  Il est établi depuis longtemps que les hormones mâles (androgènes), en particulier la testostérone, favorisent l’apparition du cancer de la prostate. Par conséquent, la principale option thérapeutique en cas de cancer de la prostate métastatique consiste en un traitement antiandrogénique, qui permet d’inhiber la production d’androgènes dans les testicules par castration médicale ou chirurgicale. Il est à noter que les patients qui reçoivent un traitement antiandrogénique ont tout de même des taux résiduels d’androgènes dans leur organisme parce que la glande surrénale produit environ 10 p. 100 des androgènes chez l’homme. Après un certain temps, en moyenne 12 à 33 mois, le cancer de la prostate des patients ayant reçu un traitement antiandrogénique recommence à progresser. Lorsque le cancer de la prostate progresse après un traitement antiandrogénique, on parle de cancer de la prostate hormonorésistant [CPHR]. S’il s’agit également d’un cancer métastatique, on parle de cancer de la prostate métastatique hormonorésistant. Le CPHR a déjà aussi été appelé « cancer de la prostate hormonoréfractaire » et « cancer de la prostate androgéno‑indépendant », entre autres.

[18]  En 2007, on ne savait pas exactement pourquoi un cancer de la prostate devenait hormonorésistant. L’un des principaux points de désaccord entre les experts était l’importance du rôle des androgènes résiduels produits par la glande surrénale dans le cancer de la prostate métastatique hormonorésistant.

[19]  En 2007, on mesurait les taux de l’antigène prostatique spécifique [l’APS], une protéine sécrétée par la prostate, pour détecter le cancer de la prostate et pour déterminer la réponse du cancer aux traitements. La réponse de l’APS était utilisée comme une mesure de substitution de l’efficacité des traitements contre le cancer de la prostate, même si elle n’était pas parfaitement corrélée avec d’autres indicateurs de réussite du traitement, comme l’amélioration de la survie. En 2007, une réponse importante de l’APS était définie comme une réduction de 50 p. 100 ou plus des taux d’APS, résultat qui devait être confirmé par un deuxième test quatre semaines plus tard.

[20]  En 2007, il avait été établi qu’un nouveau type de médicaments chimiothérapeutiques appelés taxanes, et plus précisément le docétaxel, entraînait une légère amélioration de la survie chez les patients atteints d’un cancer de la prostate métastatique hormonorésistant. Toutefois, le docétaxel entraînait une toxicité et des effets secondaires importants.

b)  Les essais cliniques

[21]  Il existe trois types d’essais cliniques liés aux traitements contre le cancer. Les essais de phase I sont de faible envergure et de courte durée; ils permettent de déterminer l’innocuité du médicament et la posologie à administrer. Les essais de phase II permettent d’évaluer l’efficacité et les effets secondaires du médicament; ils durent de quelques mois à quelques années, et plusieurs centaines de patients y participent. Les essais de phase III permettent d’évaluer l’innocuité et l’efficacité du médicament, ainsi que de déterminer si l’équilibre entre les coûts et les avantages du médicament est acceptable; entre 300 et 3 000 patients y participent.

c)  La synthèse des hormones stéroïdes

[22]  L’un des experts de Janssen, le Dr Auchus, a fourni un bon aperçu de la synthèse des hormones stéroïdes. Les hormones stéroïdes régulent de nombreux processus dans l’organisme selon le récepteur auquel elles se lient. Toutes les hormones stéroïdes sont synthétisées à partir du cholestérol. Il existe trois types d’hormones stéroïdes : les minéralocorticoïdes, les glucocorticoïdes et les hormones stéroïdes sexuelles. Étant donné leur structure similaire et les voies de synthèse qui se recoupent, les catégories d’hormones stéroïdes ne sont pas toujours divisées de manière absolue : certaines hormones stéroïdes peuvent avoir plusieurs fonctions qui se recoupent. La formation des hormones stéroïdes fait intervenir des voies de synthèse complexes, et des enzymes sont nécessaires à chacune des étapes.

[23]  Chez les hommes, les testicules produisent des hormones stéroïdes sexuelles, aussi appelées androgènes, qui sont principalement la testostérone, la dihydrotestostérone, la déhydroépiandrostérone et l’androstènedione. Les testicules sécrètent la majeure partie de la testostérone chez les hommes.

[24]  La glande surrénale sécrète également des androgènes, ainsi que des glucocorticoïdes et des minéralocorticoïdes. Les glucocorticoïdes sont nécessaires pour que l’organisme réagisse au stress. Chez les humains, le principal glucocorticoïde est le cortisol, suivi de la corticostérone. Les minéralocorticoïdes, principalement l’aldostérone, régulent la rétention d’eau et de sel.

[25]  L’inhibition d’une enzyme dans la voie de synthèse des hormones stéroïdes pourrait avoir des effets sur plusieurs hormones stéroïdes en aval. L’enzyme qui assure le clivage de la chaîne latérale du cholestérol, soit la desmolase, est nécessaire dans la production de toutes les hormones stéroïdes surrénales. Ainsi, l’inhibition de la desmolase empêcherait la sécrétion de toutes les hormones stéroïdes surrénales.

[26]  L’enzyme 17α‑hydroxylase/C17,20‑lyase [l’enzyme CYP17] a deux activités dans la synthèse des hormones stéroïdes surrénales : une activité 17α‑hydroxylase et une activité 17,20‑lyase. L’activité 17α‑hydroxylase est nécessaire à la production du cortisol et des androgènes, tandis que l’activité 17,20‑lyase ne touche que la production des androgènes.

[27]  L’hormone adrénocorticotrope, qui est contrôlée par l’hypothalamus et l’hypophyse, régule la sécrétion des glucocorticoïdes et des androgènes par la glande surrénale. En ce qui concerne les minéralocorticoïdes, leur sécrétion est régulée par le système rénine‑angiotensine II‑aldostérone et l’hormone adrénocorticotrope.

[28]  Un état que l’on appelle insuffisance surrénale peut survenir lorsque la capacité de la glande surrénale à produire des glucocorticoïdes et des minéralocorticoïdes est réduite ou lorsque l’organisme ne produit pas une quantité suffisante de l’hormone adrénocorticotrope. Voici certains symptômes d’une insuffisance surrénale : hypotension artérielle, fatigue, anorexie, perte de poids, douleur abdominale, hypoglycémie, faibles taux de sodium dans le sang et hyperpigmentation. Une crise aiguë d’insuffisance surrénale est une affection potentiellement mortelle qui survient lorsque l’organisme est incapable de produire suffisamment de stéroïdes pour réagir à un facteur de stress grave. Un excès de minéralocorticoïdes survient lorsqu’une trop grande quantité de minéralocorticoïdes est produite, ce qui cause des symptômes comme une hypertension artérielle, de faibles taux de potassium dans le sang et une rétention liquidienne. La fonction surrénale peut être évaluée au moyen d’un test à la cosyntrophine; ce test provoque une réaction de stress artificielle qui permet de vérifier si les taux de cortisol varient adéquatement en fonction du stress.

[29]  Les glucocorticoïdes synthétiques, comme l’hydrocortisone, la PN et la dexaméthasone, peuvent être utilisés pour traiter une insuffisance surrénale et un excès de minéralocorticoïdes; il s’agit d’un traitement substitutif par glucocorticoïdes. Ce traitement est associé à des risques et à des effets secondaires. Cependant, les experts ont exprimé des opinions divergentes sur la question de savoir si le traitement substitutif par glucocorticoïdes synthétiques était préférable à d’autres options.

(3)  Le brevet 422 et les revendications invoquées

[30]  Selon la divulgation du brevet 422, le domaine de l’invention concerne des procédés servant à traiter un cancer par l’administration d’un inhibiteur de l’enzyme CYP17, comme l’AA, « en association avec au moins un agent thérapeutique supplémentaire tel qu’un agent anticancéreux ou un stéroïde ». Le brevet divulgue plusieurs agents thérapeutiques potentiels, dont des médicaments chimiothérapeutiques cytotoxiques et des glucocorticoïdes, qui pourraient être utilisés en association avec un inhibiteur de l’enzyme CYP17. Une des réalisations décrites est une quantité d’environ 50 à 2 000 mg d’AA par jour et une quantité d’environ 0,01 à 500 mg de glucocorticoïde par jour, comme de l’hydrocortisone, de la PN ou de la dexaméthasone.

[31]  La plage des quantités de PN visée par le brevet est très vaste. Elle comprend les quantités qu’Apotex propose pour le traitement des effets secondaires. Les quantités indiquées par Apotex se situent à la limite inférieure (10 mg) de la plage des quantités de Janssen.

[32]  Plusieurs termes sont définis dans la divulgation du brevet 422, dont les suivants :

[Traduction]

[…] les termes « traiter » et « traitement » comprennent l’éradication, l’ablation, la modification, la prise en charge et le contrôle d’une tumeur ou de cellules ou tissus cancéreux primitifs, localisés ou métastatiques, ainsi que la réduction ou le ralentissement de la propagation du cancer.

[…] l’expression « quantité thérapeutiquement efficace », lorsqu’elle est utilisée relativement à un inhibiteur de l’enzyme 17α‑hydroxylase/C17,20‑lyase ou à un agent thérapeutique, signifie une quantité d’inhibiteur de l’enzyme 17α­hydroxylase/C17,20‑lyase ou d’agent thérapeutique qui permet de traiter efficacement une maladie ou une affection divulguée dans la présente, comme le cancer.

[…] l’expression « cancer réfractaire » signifie un cancer qui ne réagit pas, ou qui ne réagit pas suffisamment, à un traitement anticancéreux. Les cancers réfractaires peuvent également comprendre les cancers récurrents ou récidivants.

[33]  Trois brevets américains, dont le brevet no 5 604 213 daté du 18 février 1997 [le brevet 213], sont cités dans la divulgation du brevet 422 relativement à la méthode de fabrication de l’AA et d’autres inhibiteurs de l’enzyme CYP17. Selon la description du brevet 422, le brevet 213 appuie l’utilisation d’inhibiteurs de l’enzyme CYP17 dans le traitement du cancer de la prostate.

[34]  Il est précisé dans la divulgation que la quantité de glucocorticoïde à utiliser avec un inhibiteur de l’enzyme CYP17 est [TRADUCTION] « une quantité suffisante pour traiter le cancer, que le glucocorticoïde soit administré seul ou en association avec un inhibiteur de l’enzyme 17α‑hydroxylase/C17,20‑lyase ». La quantité d’inhibiteur de l’enzyme CYP17 est aussi décrite comme étant une quantité suffisante pour traiter le cancer, que l’inhibiteur soit administré seul ou en association avec un traitement anticancéreux supplémentaire.

[35]  Selon la divulgation du brevet 422, l’inhibiteur de l’enzyme CYP17 et l’agent thérapeutique supplémentaire peuvent être administrés en tant que compositions distinctes ou en tant qu’association médicamenteuse.

[36]  La description du brevet 422 indique que la posologie quotidienne appropriée d’un inhibiteur de l’enzyme CYP17 dépend de plusieurs facteurs, dont la gravité de la maladie, l’inhibiteur choisi, la méthode d’administration, ainsi que l’âge, le poids et la réponse du patient. Les posologies appropriées varient généralement de 0,0001 à 1 000 mg/kg/jour. La gamme de posologies recommandée pour le traitement d’un cancer par l’association d’un inhibiteur de l’enzyme CYP17 et de PN est de 50 à 2 000 mg d’AA par jour et de 0,01 à 500 mg de PN par jour, ou de 500 à 1 500 mg d’AA par jour et de 10 à 250 mg de PN par jour.

[37]  Les revendications 3, 6, 7, 14 et 15 [les revendications invoquées] sont en litige dans la présente instance. Toutes les revendications invoquées portent sur l’utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace d’AA et d’une quantité thérapeutiquement efficace de PN pour traiter le cancer de la prostate, le cancer de la prostate réfractaire et le cancer de la prostate réfractaire qui résiste à un ou à plusieurs agents anticancéreux.

[38]  Voici le libellé de ces revendications invoquées, lesquelles renvoient aux définitions susmentionnées :

[traduction]

3.  Utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace d’acétate d’abiratérone ou de l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables et d’une quantité thérapeutiquement efficace de prednisone pour le traitement d’un humain atteint d’un cancer de la prostate.

6.  Utilisation selon l’une des revendications 1 à 3, où la quantité thérapeutiquement efficace d’acétate d’abiratérone ou de l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables est de 1 000 mg/jour.

7.  Utilisation selon l’une des revendications 1 à 3, où la quantité thérapeutiquement efficace d’acétate d’abiratérone ou de l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables est contenue dans au moins une forme pharmaceutique orale renfermant environ 250 mg d’acétate d’abiratérone ou de l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables.

14.  Utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace d’acétate d’abiratérone ou de l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables et d’une quantité thérapeutiquement efficace de prednisone pour le traitement d’un humain atteint d’un cancer de la prostate réfractaire.

15.  Utilisation selon l’une des revendications 12 à  4, où le cancer de la prostate réfractaire ne réagit pas à au moins un agent anticancéreux.

(4)  Les essais réalisés par Cougar

[39]  En 2004, la société Cougar a reçu une licence l’autorisant à mettre au point et à commercialiser l’AA. Les premiers essais cliniques relatifs à l’AA réalisés par Cougar ont commencé en décembre 2005.

[40]  Le premier essai (COU‑AA‑001) a été mené par le Dr de Bono et a été conçu pour évaluer le traitement par AA du cancer de la prostate métastatique hormonorésistant chez des hommes n’ayant pas reçu de chimiothérapie. L’hypothèse du Dr de Bono était que l’ajout d’un glucocorticoïde, comme la PN ou la dexaméthasone, pourrait entraîner une réduction de la production des précurseurs des hormones stéroïdes surrénales, neutraliser la résistance à l’AA et ainsi produire une activité anticancéreuse.

[41]  Selon les résultats de l’étude, l’unique participant a répondu positivement au traitement par AA et dexaméthasone. Les résultats ont été présentés lors de la séance de réflexion scientifique de la Fondation du cancer de la prostate le 11 octobre 2007 et ont été publiés dans l’article de Attard (2008) [(Attard (2008)], paru dans le Journal of Clinical Oncology le 1er octobre 2008.

[42]  Selon le rapport d’étude clinique terminé en 2010, la progression des taux d’APS était survenue environ trois mois plus tard chez les patients traités par AA puis par l’association d’AA et de dexaméthasone. Le Dr de Bono a estimé que ces résultats étaient surprenants et inattendus.

[43]  Un autre essai de phase II (COU‑AA‑004) a débuté en juin 2007, dont l’objectif était d’évaluer le traitement par association d’AA et de PN chez les patients atteints d’un cancer de la prostate métastatique hormonorésistant. Cet essai a permis de confirmer l’efficacité de ce traitement par association.

[44]  Les résultats définitifs de l’essai ont été présentés dans l’article de Danila (2010) [Danila (2010)], paru dans le Journal of Clinical Oncology. Selon les auteurs de cet article, des travaux antérieurs avaient indiqué que la prise de stéroïdes à faibles doses pouvait neutraliser la résistance clinique à l’AA et réduire la production des précurseurs des hormones stéroïdes en amont de l’enzyme CYP17. Dans des essais ultérieurs de phase III, on a constaté une amélioration inattendue de la survie des patients ayant reçu un traitement par association d’AA et de PN; il s’agissait de la première hormonothérapie non cytotoxique de deuxième intention qui montrait une amélioration de la survie. Ces résultats ont été publiés entre 2011 et 2015.

(5)  Les produits APO‑ABIRATERONE et ZYTIGA

[45]  ZYTIGA est un produit de Janssen contenant de l’AA qui est offert sous forme de comprimés oraux non enrobés de 250 mg et de comprimés oraux pelliculés de 500 mg. La première phrase de la section intitulée Indications et utilisation clinique, dans la monographie de produit, mentionne que ZYTIGA est « indiqué en association avec la prednisone pour le traitement du cancer de la prostate métastatique (cancer de la prostate résistant à la castration)... ». La posologie quotidienne recommandée est de 1 000 mg de ZYTIGA avec 10 mg de PN. Le mode d’action et la pharmacologie clinique de l’AA (mais pas de la PN) sont expliqués dans la section intitulée Mode d’action et pharmacologie clinique.

[46]  Dans la section intitulée Mises en garde et précautions, il est précisé que les glucocorticoïdes aident à prévenir un excès de minéralocorticoïdes et une insuffisance surrénale pouvant découler de l’administration d’AA. Dans la section intitulée Renseignements pour le consommateur de la monographie de produit, on précise que ZYTIGA est utilisé en association avec la PN pour traiter le cancer de la prostate métastatique. On explique dans cette section comment ZYTIGA agit afin d’empêcher la production des androgènes. La seule explication concernant le fonctionnement de la PN est présentée dans la section intitulée Renseignements pour le consommateur, sous la rubrique intitulée Utilisation appropriée de ce médicament, où l’on indique que ZYTIGA se prend avec la PN, qui aide à la prise en charge des effets secondaires potentiels.

[47]  La monographie de produit de ZYTIGA cite les études suivantes dans lesquelles l’association d’AA et de glucocorticoïdes a été examinée :

  1. Attard (2008) : Les auteurs concluent dans cette étude que l’association de corticostéroïdes et d’AA aide à prévenir un excès de minéralocorticoïdes et pourrait maximiser l’efficacité.

  2. Attard (2009) : Les auteurs de cet article concluent que l’association d’AA et de corticostéroïdes à faibles doses peut maximiser l’efficacité et réduire au minimum la toxicité.

  3. Ryan (2010) : Les auteurs de cet article concluent que les effets de la prise concomitante de PN sur la réaction au traitement et sur la toxicité à long terme ne sont pas connus.

  4. Attard (2010) : Ce document est une lettre au rédacteur en chef en réponse à l’article de Ryan (2010). Selon la lettre, des études indiquent que l’utilisation concomitante de glucocorticoïdes et d’AA pourrait entraîner une réponse tumorale à plus long terme que l’AA pris seul.

  5. Danila (2010) : Les auteurs de cet article présentent les résultats définitifs de l’essai COU‑AA‑004. Ils concluent que l’association d’AA et de PN est bien tolérée et montre une activité antitumorale prometteuse. La conclusion de l’étude est axée sur les bienfaits de la PN quant à la réduction de l’excès de minéralocorticoïdes.

  6. De Bono (2011) : Les auteurs de cet article présentent l’essai de phase III COU‑AA‑301, lequel a permis de conclure que l’association d’AA et de PN entraîne une amélioration de la survie des patients atteints d’un cancer de la prostate métastatique hormonorésistant. Les auteurs de cette étude ne précisent pas si la PN a aussi eu un effet anticancéreux; ils s’en sont tenus au rôle de la PN dans la réduction de l’excès de minéralocorticoïdes.

  7. Ryan (2013) : Les auteurs de cette étude présentent les résultats provisoires de l’essai de phase III COU‑AA‑302, selon lesquels l’association d’AA et de PN entraîne une amélioration de la survie. Ils concluent que la PN a également une activité antitumorale.

[48]  APO‑ABIRATERONE est un produit proposé par Apotex qui contient de l’AA et qui est offert sous forme de comprimés non enrobés de 250 mg. Comme la monographie de produit de ZYTIGA, la monographie de produit d’APO‑ABIRATERONE mentionne que le médicament est « indiqué en association avec la prednisone pour le traitement du cancer de la prostate métastatique (cancer de la prostate résistant à la castration) chez les patients … ». La posologie quotidienne recommandée est de 1 000 mg d’APO‑ABIRATERONE avec 10 mg de PN. Le mode d’action de l’AA en tant qu’inhibiteur de l’enzyme CYP17 est décrit. Aucun effet anticancéreux de la PN n’est décrit.

[49]  La section intitulée Renseignements pour le consommateur présentée dans la monographie de produit d’APO‑ABIRATERONE contient essentiellement les mêmes renseignements que la monographie de produit de ZYTIGA. On y précise qu’APO-ABIRATERONE est utilisé en association avec la PN pour traiter le cancer de la prostate métastatique. On explique dans cette section comment l’AA agit afin de diminuer les taux d’androgènes, mais on ne mentionne pas que la PN a un effet anticancéreux. Sous la rubrique intitulée Utilisation appropriée de ce médicament, on indique que la PN est un médicament qui se prend avec l’AA pour aider à la prise en charge des effets secondaires potentiels.

[50]  La monographie de produit d’APO-ABIRATERONE cite la monographie de produit de ZYTIGA, ainsi que les mêmes études que celles qui sont nommées dans la monographie de produit de ZYTIGA.

III.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[51]  Les points à examiner en l’espèce sont les suivants :

  1. La preuve d’expert des parties (les éléments à retenir et le poids accordé).

  2. Le fardeau de preuve applicable à l’allégation d’invalidité du brevet 422 formulée par Apotex.

  3. L’interprétation des revendications, notamment les personnes compétentes versées dans l’art, les connaissances générales courantes applicables et l’interprétation juste des revendications.

  4. La validité du brevet 422 par rapport à l’allégation d’objet non brevetable.

  5. Le caractère évident de l’objet du brevet 422.

  6. L’inutilité de l’objet du brevet (Apotex a renoncé à faire valoir son argument d’insuffisance et de portée excessive, ainsi que le démontrent ses observations écrites).

  7. La contrefaçon du brevet 422.

  8. La question de savoir si l’admissibilité du brevet 422 à l’inscription au registre peut justifier la délivrance d’une ordonnance d’interdiction.

IV.  L’Analyse

A.  La preuve d’expert

[52]  Le premier point visé par la présente partie concerne l’argument de Janssen selon lequel les experts pouvaient tous aider la Cour, sauf Mme Prins, la spécialiste en endocrinologie qu’a fait entendre Apotex. Contrairement à Apotex, qui estime qu’un endocrinologue ne pourrait être considéré comme une personne versée l’art, Janssen, qui prétend qu’il le pourrait, a donc fait entendre le Dr Auchus.

[53]  Janssen s’oppose au témoignage de Mme Prins, parce qu’elle a présenté des éléments contradictoires sur des points d’importance capitale concernant les effets possibles d’une carence congénitale de l’enzyme CYP17 sur les niveaux d’aldostérone, et parce qu’elle ne possède pas de connaissances particulières pouvant aider la Cour.

[54]  Conformément aux enseignements de la Cour suprême dans R c J-LJ, 2000 CSC 51, au paragraphe 56, [2000] 2 RCS 600, et R c Mohan, [1994] 2 RCS 9, à la page 24, 114 DLR (4th) 419, la Cour ne peut admettre les conclusions d’un expert sans former, avec l’aide de la preuve d’expert, sa propre opinion quant aux éléments de preuve. Chacun des experts a fourni à la Cour des éléments de preuve utiles. La Cour doit évaluer leur opinion sur chacun des points en litige, de manière distincte, et en tenir compte.

[55]  Aucune raison ne justifie d’écarter le témoignage de Mme Prins. Malgré la présence d’incohérences et de confusion dans certains éléments de son témoignage, ces problèmes touchent à la crédibilité et au poids à accorder et non à l’admissibilité. Madame Prins est, à tous autres égards, compétente pour témoigner sur les traitements endocriniens du cancer de la prostate. Le fait qu’elle ne soit pas médecin, mais plutôt titulaire d’un doctorat, ne signifie pas qu’elle n’a pas les compétences voulues pour être qualifiée de témoin expert.

Il se peut que son témoignage permette de penser que l’invention n’était pas aussi évidente que l’affirme Apotex.

[56]  Il est plus important de chercher à savoir si l’endocrinologie est utile en l’espèce et si un endocrinologue pourrait être considéré comme une personne versée dans l’art. Je traiterai de cette question plus loin, mais je conclus que la personne versée dans l’art n’est pas un endocrinologue.

[57]  Le second point visé par la présente partie concerne l’importance qui doit être donnée au fait que certains renseignements n’ont pas été portés à la connaissance des experts d’Apotex : ils n’étaient pas au courant de l’invention lorsqu’ils ont témoigné au sujet de « l’état de la technique » et de « l’évidence et des connaissances générales courantes ».

[58]  Dans certaines de ses décisions, la Cour privilégie les témoins qui n’ont pas été mis au courant de l’invention. Toutefois, j’estime qu’une trop grande importance est peut-être accordée au fait de soustraire l’invention à la connaissance des témoins. Il peut s’agir d’un facteur à prendre en considération pour décider du poids à accorder à un témoignage, mais la Cour s’intéresse davantage à l’essence de l’opinion et du raisonnement qui sous-tendent les conclusions. À cet égard, ma conclusion est semblable à celle que la Cour a tirée dans Shire Canada Inc c Apotex Inc, 2016 CF 382, 265 ACWS (3d) 456.

[59]  Dans certains cas, il peut s’avérer inutile de soustraire l’invention à la connaissance du témoin, puisque l’opinion de celui-ci n’est pas mise en contexte. Dans d’autres, le fait de ne pas porter l’invention à la connaissance de l’expert lui évitera de témoigner dans tous les sens possibles. En l’espèce, je ne privilégie pas les experts d’Apotex simplement parce que l’invention a été soustraite à leur connaissance. Je suis favorable aux opinions qu’ils ont exprimées quant aux personnes versées dans l’art et aux connaissances générales courantes parce que leurs positions étaient plus solidement justifiées. Certains témoins d’Apotex, comme le Dr Nam, ont fait des déclarations portant à confusion, et parfois contradictoires, lorsqu’ils se sont exprimés sur l’utilité et l’absence de contrefaçon.

B.  Le fardeau de la preuve

[60]  Le critère juridique ne fait pas l’objet d’un débat sérieux entre les parties : c’est plutôt sur la question de savoir si ce critère est respecté qu’elles ne s’entendent pas.

[61]  Janssen fait valoir que, conformément à la Loi, le brevet 422 est réputé être valide en l’absence d’éléments de preuve contraires. Il incombe à Apotex de donner à ses allégations un semblant de réalité au moyen d’éléments de preuve qui ne sont pas clairement inaptes à établir ces allégations (voir Leo Pharma Inc c Teva Canada Limited, 2015 CF 1237, 262 ACWS (3d) 1024, conf. par 2017 CAF 50).

Une fois qu’Apotex s’acquitte de ce fardeau, Janssen doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations ne sont pas justifiées.

[62]  Il est juste de dire qu’Apotex a, dans une grande mesure, donné à ses allégations ce « semblant de réalité » sur la question de la validité. S’agissant de la contrefaçon, l’exécution d’Apotex n’est pas aussi solide. Toutefois, la présente affaire ne repose pas sur un point aussi difficile à trancher que l’est le fardeau de preuve.

[63]  S’agissant de l’admissibilité du brevet à l’inscription au registre des brevets, le fardeau est différent, étant donné que l’allégation ne fait pas partie des allégations visées au paragraphe 5(1) du Règlement. Par conséquent, il incombe à Apotex de démontrer que le brevet 422 n’est pas admissible à l’inscription au registre des brevets.

C.  L’interprétation des revendications

(1)  La personne versée dans l’art

[64]  L’exercice qui consiste à définir la personne versée dans l’art est simple, mais celui qui consiste à l’identifier est plus difficile. Comme l’a précisé la Cour suprême dans Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, au paragraphe 44, [2000] 2 RCS 1024 [Free World], cette personne est « un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée ». La question à laquelle il nous faut répondre est celle de savoir qui effectue réellement les travaux visés par le brevet.

[65]  D’après les experts de Janssen – les Drs Auchus, Rettig et So –, la personne versée dans l’art pour les besoins du brevet 422 est un médecin spécialisé en urologie ou en oncologie médicale qui possède une vaste expérience pratique dans le traitement des patients atteints d’un cancer de la prostate. Elle travaillerait soit au sein d’une équipe composée de spécialistes en endocrinologie, en biochimie, en pharmacologie et/ou en biologie moléculaire ou d’un domaine scientifique connexe qui possèdent de l’expérience dans le traitement du cancer de la prostate ou dans le domaine de la synthèse des androgènes et de ses modes d’action, soit en collaboration avec eux.

[66]  Apotex reconnaît que la personne versée dans l’art est une personne fictive compétente dans l’art auquel se rapporte le brevet, et que le brevet 422 s’adresse de manière générale à des médecins, comme des urologues et des oncologues médicaux, dont le travail consiste à traiter des patients atteints du cancer de la prostate. Toutefois, Apotex n’est pas d’accord pour dire que la personne versée dans l’art collaborerait normalement avec des spécialistes en endocrinologie.

[67]  Rien n’indique que les urologues ou les oncologues consultent les endocrinologues pour choisir un traitement contre le cancer de la prostate. Le Dr Nam a affirmé qu’il n’avait jamais, dans les faits, consulté un endocrinologue. Le Dr So a également dit qu’il considère que lui-même et les autres urologues et oncologues médicaux qui traitent des cancers de la prostate sont des endocrinologues et que, par conséquent, ils n’ont pas besoin de consulter un endocrinologue détenteur d’un certificat de spécialiste.

[68]  Le fait qu’un urologue ou qu’un oncologue puisse à l’occasion consulter un endocrinologue n’oblige pas la personne versée dans l’art à avoir cette spécialité pour comprendre et utiliser le brevet. Rien n’établit l’obligation pour la personne versée dans l’art de connaître dans les moindres détails la façon dont le médicament agit lorsqu’elle traite un patient.

[69]  J’estime que la personne versée dans l’art est un médecin fictif spécialisé en urologie ou en oncologie médicale qui possède une vaste expérience pratique dans le traitement des patients atteints du cancer de la prostate. Je suis d’accord avec Apotex pour dire que peu d’éléments de preuve permettent d’affirmer qu’un urologue ou un oncologue médical consulterait un endocrinologue avant de prendre une décision relative à un traitement. Selon la déclaration faite par le Dr So lors de son contre-interrogatoire, les urologues et les oncologues médicaux possèdent suffisamment de connaissances dans le domaine de l’endocrinologie pour interpréter et appliquer le brevet 422. Puisque le brevet 422 porte sur l’utilisation de médicaments pour traiter le cancer, il est logique que la personne versée dans l’art soit un médecin qui décide des plans de traitement pour le cancer de la prostate.

[70]  La personne versée dans l’art aurait lu les nouvelles publications scientifiques dans le domaine, elle aurait assisté à des conférences et à des réunions scientifiques, et elle se serait entretenue de nouvelles avancées et idées avec des collègues.

[71]  La Cour n’est pas pour autant privée de la possibilité de tenir compte des témoignages du Dr Auchus et de Mme Prins. La preuve d’expert concernant l’état de la technique ne doit pas nécessairement être présentée par la personne versée dans l’art, pourvu que les éléments de preuve fournis par les témoins soient des renseignements qu’aurait su et compris au moment pertinent la personne versée dans l’art (Halford c Seed Hawk Inc, 2006 CAF 275, au par. 17, 54 CPR (4th) 130). Le Dr Auchus et Mme Prins ont tous deux fourni des renseignements sur la synthèse hormonale utiles à la compréhension de la Cour, et qui ne semblent pas dépasser les connaissances de la personne versée dans l’art. Par conséquent, je rejette l’argument d’Apotex selon lequel la Cour devrait écarter le témoignage du Dr Auchus.

(2)  Les connaissances générales courantes qui existaient à la date de dépôt et à la date de publication

[72]  Le contexte scientifique décrit au début des présents motifs semble être fondé sur les connaissances générales courantes acceptées en 2007, d’après la preuve d’expert. Les parties ont également convenu qu’il y avait peu de différence entre les connaissances générales courantes et l’état de la technique. La présente section expose les éléments des connaissances générales courantes qui prêtent à débat en l’espèce.

[73]  Janssen soutient que les 59 documents présentés par Apotex qui portent sur les inhibiteurs de l’enzyme CYP17 et leur capacité à bloquer la production d’androgènes ne sont pas représentatifs de l’état de la technique, car ils ne représentent qu’un petit sous‑ensemble des quelque 20 000 résultats que l’on obtient en effectuant une recherche avec les termes « treatment » [traitement] et « prostate cancer » [cancer de la prostate] dans PubMed. Les experts d’Apotex n’ont pas été en mesure d’expliquer en détail comment les 59 documents ont été obtenus ni pourquoi la personne versée dans l’art aurait fait une recherche avec le mot‑clé « abiraterone acetate » [acétate d’abiratérone]. Rien ne distinguait l’AA des autres composés à l’étude en 2007. Un certain nombre de composés ayant un effet inhibiteur supérieur à l’égard de l’enzyme CYP17 ont été divulgués dans le brevet 213.

[74]  Janssen fait valoir qu’en 2007, on ignorait comment et pourquoi apparaissait un CPHR, mais que selon l’opinion dominante, le CPHR était devenu indépendant des androgènes, de sorte que la maîtrise des taux d’androgènes résiduels n’était pas une priorité. Les chercheurs s’étaient éloignés des agents hormonaux de deuxième intention pour le traitement du cancer de la prostate métastatique hormonorésistant parce qu’il n’y avait aucune preuve d’amélioration des résultats cliniques; un chercheur a même affirmé que d’autres manipulations hormonales étaient inutiles. Les témoignages des Drs Rettig et Auchus étayent ces éléments. Il existait plusieurs théories sur la façon dont le CPHR apparaissait, notamment des mutations touchant les récepteurs des androgènes, la surexpression des récepteurs des androgènes, l’activation des récepteurs par des composés non androgéniques, et l’indépendance des cellules cancéreuses à l’égard du récepteur des androgènes. En 2007, plus de 200 composés expérimentaux étaient en cours de mise au point.

[75]  Bien que le kétoconazole [le KC] et l’aminoglutéthimide [l’AG] aient été étudiés à titre de traitements potentiels contre le cancer de la prostate, ils ne montraient pas d’amélioration de la survie ni de résultats probants, et ils n’avaient pas été autorisés pour le traitement du cancer de la prostate. Ces deux agents inhibent la production de toutes les hormones stéroïdes surrénales et de l’enzyme responsable de la production de tous les glucocorticoïdes. Par conséquent, le KC est parfois utilisé hors indication pour gérer la surproduction de glucocorticoïdes et de minéralocorticoïdes. Le KC inhibe l’enzyme CYP17, mais ce n’est pas le cas de l’AG.

[76]  En 2007, on savait que le KC et l’AG causaient des effets secondaires liés à une diminution de la production des glucocorticoïdes. Par conséquent, des glucocorticoïdes étaient parfois administrés en association avec le KC ou l’AG. Cependant, selon O’Donnell (2004), le KC et l’AG pouvaient être administrés efficacement et en toute sécurité sans glucocorticoïdes.

[77]  En 2007, la PN était parfois utilisée, en raison de ses effets palliatifs, pour soulager la douleur et l’inflammation causées par le cancer ou pour soulager les effets secondaires de la chimiothérapie cytotoxique. La PN n’était approuvée pour aucun traitement du cancer et n’entraînait aucune amélioration de la survie chez les patients atteints d’un cancer de la prostate. Des glucocorticoïdes n’étaient administrés qu’en dernier recours chez des patients atteints d’un cancer pour un soulagement palliatif ou lorsqu’il était médicalement indiqué de le faire en raison d’une affection clinique. Les glucocorticoïdes étaient associés à des effets graves, notamment une réduction de la capacité des glandes surrénales à produire des glucocorticoïdes.

[78]  Un excès de minéralocorticoïdes n’était généralement pas traité par des glucocorticoïdes. Dans un tel cas, le traitement consistait plutôt en l’administration d’un antagoniste des récepteurs des minéralocorticoïdes, comme l’éplérénone, un antihypertenseur, un diurétique ou des suppléments de potassium.

[79]  Janssen affirme que rien ne permet de distinguer l’AA des autres composés à l’étude dans le traitement du cancer de la prostate. De plus, bon nombre d’inhibiteurs de l’enzyme CYP17 ayant une efficacité supérieure à celle de l’AA ont été divulgués dans le brevet 213.

[80]  L’AA avait fait l’objet d’essais cliniques de phase I liés au traitement du cancer de la prostate, mais son efficacité n’avait pas été testée. Son mode d’action est différent des modes d’action du KC et de l’AG, car l’AA inhibe uniquement l’enzyme CYP17. L’AA inhibe préférentiellement l’activité 17,20‑lyase de l’enzyme CYP17, ce qui permet à la production du cortisol de se poursuivre, tout comme la production de la corticostérone. On ne s’attendait pas à ce que l’AA cause les mêmes effets secondaires que le KC et l’AG, et on ne s’attendait pas non plus à ce que l’AA cause un excès de minéralocorticoïdes, une insuffisance surrénale ou une faible réserve surrénalienne. Il est important de souligner qu’en 2007, il n’y avait aucune raison de croire que le traitement par AA devrait être associé à un traitement substitutif par glucocorticoïdes.

a)  Apotex

[81]  Apotex avance que selon l’état de la technique et les connaissances générales courantes en 2007, le traitement du CPHR nécessitait une hormonothérapie de deuxième intention afin de réduire les androgènes résiduels produits par la glande surrénale. Les médicaments utilisés pour inhiber les androgènes surrénaliens résiduels causaient des effets secondaires importants et nécessitaient un traitement substitutif par glucocorticoïdes. Selon O’Donnell (2004), l’inhibition de la sécrétion de testostérone découlant du traitement par AA justifiait la réalisation d’autres études cliniques sur ce traitement en tant qu’hormonothérapie de deuxième intention contre le cancer de la prostate. En outre, il n’est pas indiqué dans le brevet 422 qu’il s’agit de la première fois que l’on observe un lien entre les androgènes et le cancer de la prostate métastatique hormonorésistant.

[82]  De nombreuses études indiquaient que la diminution des taux d’androgènes résiduels serait bénéfique sur le plan clinique. Le Dr Rettig a remis en question cette notion, mais n’a cité qu’un article obscur, de Lara et Meyers (1999), pour appuyer sa prétention. En revanche, l’article de Lam (2006) [Lam (2006)], dont l’un des auteurs est aussi l’un des inventeurs du brevet 422, a révélé que l’utilisation d’une hormonothérapie de deuxième intention pour réduire les taux d’androgènes était considérée comme une pierre angulaire de la prise en charge du cancer de la prostate à un stade avancé. Les auteurs ont exprimé l’espoir que d’autres études montrent une réponse clinique.

[83]  Apotex soutient que l’utilisation du KC et de l’AG dans le traitement du cancer de la prostate a mené à la mise au point de l’AA. La prise d’AG était associée à une amélioration de la survie de courte durée et à un soulagement de la douleur lorsque l’AG était administré avec des glucocorticoïdes. Il était indiqué dans l’article de Kruit (2004) que les taux d’APS diminuaient lorsque les patients étaient traités par AG. Les effets secondaires de l’AG limitaient toutefois son efficacité. Le KC était largement utilisé pour traiter le CPHR au début des années 2000, car il inhibait l’enzyme CYP17 et inhibait donc aussi la sécrétion de testostérone. Selon Lam (2006), le KC était l’hormonothérapie de deuxième intention la plus active. Des essais cliniques de phase III ont montré que le KC procurait des bienfaits sur le plan clinique et qu’il entraînait une réponse de l’APS. De même, le KC causait une insuffisance surrénale comme effet secondaire, laquelle pouvait être traitée en partie au moyen d’un glucocorticoïde.

[84]  Apotex s’appuie sur le fait que le Dr Rettig a reconnu lors de son contre‑interrogatoire avoir prescrit du KC avec de la PN pour traiter des patients atteints d’un cancer de la prostate avant 2007. En 2007, les lignes directrices de pratique clinique utilisées par les oncologues proposaient la prise de KC chez les patients atteints d’un cancer de la prostate métastatique hormonorésistant. Le KC et l’AG étaient largement utilisés hors indication pour traiter des patients atteints d’un cancer de la prostate. Toutefois, le contexte dans lequel s’inscrit cette utilisation rapportée par le Dr Rettig – à savoir, un traitement de dernier recours – mine la valeur probante qu’Apotex aurait souhaité voir accordée à cette déclaration.

[85]  Les inventeurs du brevet 213 ont décrit l’activité et les effets secondaires du traitement par KC et ont conclu qu’il était nécessaire de concevoir un médicament comme l’AA, qui inhibe plus spécifiquement l’enzyme CYP17. Selon O’Donnell (2004), les effets secondaires du KC et de l’AG appuyaient également la mise au point de l’AA en tant qu’inhibiteur sélectif.

[86]  En ce qui concerne l’utilisation de la PN et des glucocorticoïdes pour traiter un cancer de la prostate, la PN était connue en tant qu’agent anticancéreux en août 2007; on l’utilisait également pour le traitement substitutif par glucocorticoïdes et pour le traitement palliatif du cancer de la prostate au stade terminal. La PN et d’autres glucocorticoïdes étaient décrits comme ayant une activité anticancéreuse, comme faisant baisser les taux d’APS de plus de 50 p. 100 chez certains patients et comme réduisant les taux d’androgènes surrénaliens. La PN était incluse dans plusieurs essais de phase III en association avec d’autres médicaments parce qu’elle était utile pour le soulagement de la douleur et qu’elle présentait une activité anticancéreuse.

[87]  La PN était également utilisée en association avec le KC et l’AG, pour remplacer les glucocorticoïdes qui étaient inhibés en raison des effets secondaires du KC et de l’AG. De plus, la PN était le traitement palliatif standard chez les patients atteints d’un cancer de la prostate au stade terminal. Apotex soutient, en conséquence, que la PN servait de témoin dans les études évaluant de nouveaux médicaments.

[88]  En outre, Apotex soutient que la PN était un glucocorticoïde couramment utilisé et qu’il était logique de choisir ce médicament pour traiter les patients atteints d’un cancer de la prostate en raison de ses effets palliatifs et anticancéreux. Des études sur la PN ont montré une diminution des taux d’APS de plus de 50 p. 100, bien qu’aucune amélioration de la survie n’ait été observée.

[89]  Quant à l’utilisation de l’AA pour traiter un cancer de la prostate, Apotex affirme que l’AA a été mis au point dans le cadre des travaux liés au KC et à l’AG. L’AA inhibait l’enzyme CYP17 de façon plus sélective que l’AG ou le KC. Selon Attard (2005), l’inhibition de l’enzyme CYP17 était la cible logique du traitement du CPHR. On s’attendait à ce que l’AA ait des effets secondaires même s’il était plus sélectif que l’AG ou le KC. Selon O’Donnell (2004), l’administration d’AA chez des hommes atteints d’un cancer de la prostate récurrent pouvait entraîner l’inhibition prolongée de la sécrétion de testostérone. Les auteurs de ce même article ont fait remarquer que l’AA était possiblement utile comme hormonothérapie de deuxième intention contre le cancer de la prostate et que les effets secondaires de l’AA pouvaient nécessiter un traitement substitutif par glucocorticoïdes. Dans un commentaire ultérieur concernant l’étude de O’Donnell (2004) avant 2007, le traitement par AA a été décrit comme étant en cours de mise au point dont les résultats d’essais cliniques axés sur l’insuffisance en glucocorticoïdes étaient très attendus.

[90]  L’AA était différent des autres options thérapeutiques contre le CPHR. Dans Attard (2005), l’AA a été décrit comme ayant un mode d’action particulièrement attrayant pour le traitement du CPHR. Bien que d’autres composés aient pu avoir une meilleure activité inhibitrice à l’égard de l’enzyme CYP17, seul l’AA avait fait l’objet d’essais chez l’humain, comme il a été mentionné dans O’Donnell (2004).

[91]  Apotex soutient que le brevet 422 ne revendiquait pas l’invention de l’AA pour le traitement du cancer de la prostate. La divulgation du brevet 422 citait plutôt, au paragraphe 35, le brevet 213 pour indiquer que les inhibiteurs de l’enzyme CYP17 étaient utiles dans le traitement des cancers hormonodépendants, comme le cancer de la prostate. Aucune antériorité ou aucun témoin n’a indiqué que l’AA était considéré comme un échec par les experts du domaine.

[92]  L’AA n’était pas connu comme un inhibiteur préférentiel de l’activité 17,20‑lyase de l’enzyme CYP17. Selon O’Donnell (2004), l’AA pouvait avoir un effet sur les taux de cortisol, et on pouvait s’attendre à ce que l’AA entraîne une insuffisance surrénale ou un excès de minéralocorticoïdes, ce qui pourrait nécessiter un traitement substitutif par glucocorticoïdes. Les essais du Dr de Bono ont démontré que l’on s’attendait à des effets secondaires pouvant nécessiter un traitement substitutif par glucocorticoïdes.

b)  Les conclusions de la Cour sur les connaissances générales faisant l’objet d’un débat

[93]  Comme nous l’avons précisé plus tôt, les arguments des parties sur les connaissances générales courantes et les documents d’antériorité ne permettent pas de distinguer clairement l’art antérieur et les connaissances générales courantes. Les parties ont souligné lors des débats que ces deux concepts reviennent essentiellement au même.

[94]  Toutefois, en droit, ces concepts ne sont pas les mêmes. Les « antériorités » comprennent tout enseignement accessible au public, aussi obscur ou peu accepté soit-il (Mylan Pharmaceuticals ULC c Eli Lilly Canada Inc, 2016 CAF 119, au par. 23, [2017] 2 RCF 280 [Mylan]). Les connaissances générales courantes s’entendent des « connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré » (Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, au par. 37, [2008] 3 RCS 265 [Sanofi]).

[95]  Au paragraphe 25 de Mylan, la Cour d’appel fédérale décrit l’utilisation des antériorités et des connaissances générales courantes de la façon suivante :

Les antériorités sont utilisées à des fins précises dans le droit des brevets, notamment pour étayer une allégation selon laquelle les antériorités ont prédit l’invention ou l’ont rendue évidente. Les connaissances générales courantes déterminent la manière d’interpréter les revendications et les mémoires descriptifs, car le brevet vise la personne versée dans l’art. Toute analyse liée au droit des brevets menée du point de vue d’une personne versée dans l’art doit tenir compte des connaissances générales courantes.

[96]  La conclusion de la Cour sur les connaissances générales courantes est énoncée ci‑après. Les antériorités pertinentes sont abordées dans l’analyse sur l’évidence qui suit plus loin dans les présents motifs.

[97]  La date pertinente à laquelle sont évaluées les connaissances générales communes aux fins de l’interprétation des revendications est la date de publication, soit le 28 février 2008 (voir Free World, au par. 54). La date pertinente à laquelle sont évaluées l’évidence et l’utilité est la date de dépôt, soit le 23 août 2007, et ce sont les connaissances générales courantes à cette date qui s’appliquent. Les parties n’ont pas mentionné que les connaissances générales communes n’étaient pas les mêmes à la date de dépôt qu’à la date de publication. L’expert de Janssen, le Dr So, a donné son opinion sur les connaissances générales communes et l’interprétation des revendications à la date de publication. Il n’a pas mentionné dans son témoignage que les connaissances générales courantes avaient changé entre août 2007 et février 2008. Par conséquent, la Cour estime que les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art seraient essentiellement les mêmes aux deux dates.

[98]  La Cour ne retient pas la méthode proposée par Janssen pour établir les connaissances générales courantes, qui consiste à se reporter aux quelque 20 000 articles sur le traitement du cancer de la prostate qui pouvaient être consultés dans PubMed en 2007 et qui s’appuie sur le fait que la personne versée dans l’art n’aurait pu s’en tenir aux inhibiteurs des androgènes surrénaliens. L’idée selon laquelle la personne versée dans l’art aurait simplement cherché les termes « prostate cancer » et « treatment » pour rester à l’affût des dernières recherches sur le traitement du cancer de la prostate au stade terminal n’est pas réaliste.

En revanche, si le témoignage du Dr Nam selon lequel la personne versée dans l’art aurait concentré ses recherches sur l’AA précisément à titre de traitement potentiel est également difficile à admettre, il n’en demeure pas moins que O’Donnell (2004) était manifestement un document d’antériorité. Il n’est pas établi que O’Donnell (2004) était considéré comme faisant partie des connaissances générales courantes. Les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour démontrer que l’AA était généralement accepté comme traitement pour le cancer de la prostate en 2007.

[99]  Cependant, la Cour conclut qu’en 2007, la personne versée dans l’art aurait su que l’inhibition des androgènes surrénaliens résiduels pouvait être utile dans le traitement du cancer de la prostate métastatique hormonorésistant et constituait un domaine de recherche actif. Je reconnais que les mécanismes associés à l’apparition du cancer de la prostate métastatique hormonorésistant n’étaient pas entièrement connus, mais on croyait que les androgènes surrénaliens résiduels jouaient probablement un rôle.

[100]  Bien qu’aucun essai clinique n’ait montré d’amélioration de la survie et que les médicaments utilisés aient entraîné des effets secondaires importants, le fait que les chercheurs ont continué d’étudier les androgènes résiduels et l’hormonothérapie de deuxième intention pour le traitement du cancer de la prostate entre les années 1990 et 2000 indique que les chercheurs n’avaient pas abandonné cette théorie.

[101]  Selon Lam (2006), un article de synthèse cité par les Drs Rettig et Nam, l’hormonothérapie de deuxième intention était un domaine de recherche actif, et le résumé de cet article mentionne que l’hormonothérapie de deuxième intention était une excellente option thérapeutique pour les patients atteints d’un CPHR chez qui une hormonothérapie de première intention avait échoué. Dans cet article, on souligne également que le KC, en tant qu’inhibiteur des androgènes surrénaliens, était l’hormonothérapie de deuxième intention la plus active, malgré ses effets secondaires importants.

[102]  La Cour estime en outre que la personne versée dans l’art aurait su, en 2007, que les inhibiteurs des androgènes surrénaliens comme le KC et l’AG pouvaient avoir des effets anticancéreux à court terme chez les patients atteints d’un cancer de la prostate à un stade avancé, malgré des effets secondaires importants. La personne versée dans l’art aurait notamment envisagé le KC comme option thérapeutique de dernier recours puisque son mode d’action semblait mieux compris que celui de l’AG.

[103]  Cette conclusion est essentiellement conforme au témoignage du Dr Nam, qui a cité plusieurs études ainsi que les recommandations du National Cancer Care Network des États‑Unis pour montrer que le KC était un traitement recommandé contre le cancer de la prostate avancé en 2007, même si aucune amélioration de la survie n’avait été démontrée.

[104]  Il était établi que le KC inhibait la desmolase, l’enzyme CYP17 et l’enzyme 11β‑hydroxylase. Il était également établi que l’AG inhibait la desmolase, l’enzyme 11β‑hydroxylase et l’aromatase. Par conséquent, on savait que ces deux médicaments étaient relativement peu sélectifs et qu’ils inhibaient plusieurs hormones stéroïdes surrénales.

[105]  La Cour conclut également que la personne versée dans l’art aurait su qu’il fallait prescrire un glucocorticoïde avec le KC ou l’AG, en raison de l’insuffisance surrénale causée par ces médicaments. Le Dr Rettig a d’abord affirmé qu’il n’était pas établi que le KC et l’AG étaient efficaces sur le plan clinique dans le traitement du cancer de la prostate, mais il a ensuite admis qu’à cette période, il prescrivait du KC avec un glucocorticoïde comme traitement de dernier recours chez ses patients atteints d’un CPHR. Bien que cette admission ne soit pas aussi accablante que le prétend Apotex, elle donne une indication générale des connaissances générales courantes.

[106]  Même s’il faut se garder d’assimiler une personne en particulier à la personne versée dans l’art, la pratique du Dr Rettig appuie l’opinion du Dr Nam selon laquelle la personne versée dans l’art aurait au moins su que le KC était une option thérapeutique pouvant entraîner des effets secondaires importants, lesquels pourraient être traités en partie par l’administration concomitante d’un glucocorticoïde.

[107]  Selon O’Donnell (2004) et diverses études menées entre les années 1980 et 2000 qui sont citées par le Dr Nam, il était de pratique courante d’administrer de l’hydrocortisone en plus du KC ou de l’AG pour traiter le cancer de la prostate. Selon O’Donnell (2004), certaines études antérieures montraient que des glucocorticoïdes n’étaient peut‑être pas nécessaires, mais les connaissances générales courantes en 2007 semblaient indiquer que des glucocorticoïdes devraient être administrés en association avec le KC et l’AG.

[108]  Cependant, je ne puis conclure qu’il était établi dans les connaissances générales courantes que le KC et l’AG causaient un excès de minéralocorticoïdes. Le Dr Auchus a expliqué que l’inhibition de la desmolase par le KC et l’AG entraînait un arrêt de la production de tous les androgènes surrénaliens; par conséquent, on ne s’attendrait pas à ce que ces médicaments causent un excès de minéralocorticoïdes, puisqu’on s’attendrait à ce que la production des minéralocorticoïdes cesse également. En outre, Mme Prins semblait généraliser lorsqu’elle a laissé entendre que le KC et l’AG pouvaient causer un excès de minéralocorticoïdes. Lors de son contre‑interrogatoire, elle a mentionné qu’à faibles doses, le KC inhibait principalement l’enzyme CYP17. Toutefois, il est difficile de savoir ce qu’elle entendait par « faibles doses » et si ces doses étaient comparables à celles administrées pour le traitement du cancer de la prostate. Elle a reconnu que l’AG n’inhibait pas l’enzyme CYP17 et que le KC inhibait également la corticostérone.

[109]  Ces observations semblent concorder avec la conclusion du Dr Auchus selon laquelle on pourrait s’attendre à ce que le KC et l’AG causent une insuffisance surrénale, mais pas nécessairement un excès de minéralocorticoïdes. Selon certaines antériorités, comme l’article de De Coster (1987), le KC pouvait causer un excès de minéralocorticoïdes. Cependant, d’autres articles plus récents, comme ceux de Lam (2006) et de Small (2004), semblaient indiquer de façon générale que le KC inhibait toutes les hormones stéroïdes surrénales et pouvait donc causer une insuffisance surrénale.

[110]  En ce qui concerne l’utilisation de la PN pour traiter un cancer de la prostate, j’estime que la personne versée dans l’art saurait que la PN était utilisée pour ses effets palliatifs et dans le cadre d’un traitement substitutif par glucocorticoïdes. La PN était le traitement palliatif standard en cas de cancer de la prostate terminal, ce qui signifie qu’elle était habituellement administrée aux patients du groupe témoin. La personne versée dans l’art saurait que la PN était un agent anticancéreux potentiel entraînant uniquement des effets modérés à court terme.

[111]  Même s’il était établi que la PN avait des effets palliatifs chez les patients atteints d’un cancer de la prostate et qu’elle permettait de réduire les effets secondaires indésirables de la chimiothérapie, la Cour conclut que l’administration de PN seule pour traiter un cancer de la prostate de manière efficace ne faisait pas partie des connaissances générales courantes aux dates pertinentes.

[112]  Contrairement au KC, à l’AG et à l’AA, il y avait dans la preuve présentée peu d’éléments indiquant que la PN faisait l’objet d’une grande activité de recherche relativement au traitement du cancer en 2007. Selon Lam (2006), un article de synthèse sur l’hormonothérapie de deuxième intention, les effets anticancéreux des glucocorticoïdes n’avaient pas été étudiés séparément parce que ces médicaments étaient généralement administrés au groupe témoin dans d’autres essais. Selon l’article, les glucocorticoïdes devraient être considérés comme des agents hormonaux actifs contre le cancer de la prostate. De nombreuses études citées par le Dr Nam portaient principalement sur l’administration de PN en association avec d’autres médicaments, et des effets anticancéreux étaient parfois attribués aux glucocorticoïdes.

[113]  De plus, j’estime que la personne versée dans l’art en 2007 ne se serait pas trop souciée des effets secondaires ou cancérogènes découlant de l’administration de glucocorticoïdes, comme la PN, aux patients atteints d’un cancer de la prostate métastatique hormonorésistant. Les Drs Rettig et Auchus n’ont cité aucun article récent indiquant des préoccupations quant à l’utilisation de la PN pour le traitement du cancer de la prostate. En outre, le Dr Rettig a admis que la PN était utilisée pour ses effets palliatifs chez les patients atteints d’un cancer de la prostate et pour la réduction des effets secondaires de la chimiothérapie. Comme l’a indiqué le Dr Nam, il semble logique que la personne versée dans l’art se soucie moins des effets potentiels à long terme de la PN lorsqu’elle traite un patient atteint d’un cancer de la prostate au stade terminal que lorsqu’elle traite un patient aux prises avec une autre maladie.

[114]  En ce qui concerne l’utilisation d’AA pour traiter un cancer de la prostate, Apotex n’a pas démontré que O’Donnell (2004) faisait partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art en 2007. Même si cet article a été cité dans quelques articles de synthèse entre 2004 et 2006, l’AA n’était pas généralement accepté comme médicament anticancéreux par les personnes versées dans l’art. Aucun élément de preuve n’établit que les urologues ou les oncologues médicaux utilisaient l’AA comme traitement contre le cancer de la prostate, hormis l’article publié par O’Donnell et les essais réalisés par Cougar.

[115]  Le fait qu’un inhibiteur des androgènes surrénaliens plus sélectif que le KC et l’AG s’avérerait plus efficace pour traiter le cancer de la prostate et entraînerait moins d’effets secondaires faisait partie des connaissances générales courantes.

(3)  L’analyse de l’interprétation des revendications

[116]  Comme il est indiqué au paragraphe 38, les revendications 3, 6, 7, 14 et 15 sont en litige dans la présente instance. Chaque revendication fait mention de l’utilisation d’une quantité thérapeutiquement efficace d’AA (ou de l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables) et d’une quantité thérapeutiquement efficace de PN pour le traitement d’un cancer de la prostate chez l’humain [non souligné dans l’original].

[117]  Le litige entre les parties tient à la question de savoir si chacune des quantités d’AA et de PN doit être thérapeutiquement efficace pour le traitement, comme l’a fait valoir Apotex, ou si l’association des deux médicaments pour traiter le cancer de la prostate constitue la juste interprétation.

[118]  Un brevet doit être lu délibérément avec la connaissance d’une personne versée dans l’art ayant un esprit désireux de comprendre, qui va tenter de réussir et non pas rechercher les difficultés ou viser l’échec. L’interprétation des revendications est une question de droit (Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67, aux par. 43, 49-50 et 61, [2000] 2 RCS 1067).

[119]  Il est essentiel de se reporter aux termes définis dans le brevet :

  [traduction]

  • a) […] les expressions « quantité thérapeutiquement efficace d’AA » et « quantité thérapeutiquement efficace de PN » signifient une quantité d’AA qui permet de traiter efficacement le cancer de la prostate et une quantité de PN qui permet de traiter efficacement le cancer de la prostate.

  • b) […] les termes « traiter » et « traitement » comprennent l’éradication, l’ablation, la modification, la prise en charge et le contrôle d’une tumeur ou de cellules ou tissus cancéreux primitifs, localisés ou métastatiques, ainsi que la réduction ou le ralentissement de la propagation du cancer.

  • c) […] l’expression « cancer de la prostate réfractaire » signifie un cancer de la prostate qui ne réagit pas, ou qui ne réagit pas suffisamment, à un traitement anticancéreux, ce qui peut également comprendre les cancers de la prostate récurrents ou récidivants.

[120]  Il appartient aux juges d’interpréter les revendications, qui peuvent certes s’appuyer sur la preuve d’expert. Or en l’espèce, les experts compétents ne s’entendent pas.

[121]  Le libellé des revendications indique clairement que les quantités d’AA et de PN sont qualifiées par l’expression adjectivale « quantité thérapeutiquement efficace ». Selon l’interprétation du Dr Nam, il faut comprendre qu’il s’agit d’une quantité thérapeutiquement efficace de « chacune » de ces substances. Janssen croit qu’il s’agit d’une erreur d’interprétation préjudiciable, mais j’estime qu’il s’agit d’une interprétation raisonnable.

[122]  Les inventeurs ont choisi de circonscrire la quantité de chaque substance au moyen du descripteur. Selon l’interprétation de Janssen, il faudrait faire abstraction de l’expression « quantité thérapeutiquement efficace », c’est-à-dire que l’association de n’importe quelle quantité de ces médicaments dans le but de traiter un cancer serait suffisante pour être visée par les revendications.

[123]  Étant donné que, aux dates pertinentes, la personne versée dans l’art savait que la PN avait des effets palliatifs, le fait de préciser, dans le libellé, que le rôle de la PN (et de l’AA) était de s’attaquer efficacement au cancer donne un sens et une importance au descripteur.

[124]  Il est évident que ce sont les caractéristiques anticancéreuses du PN qui sont revendiquées, et non ses effets palliatifs.

[125]  À mon avis, l’interprétation d’Apotex est la bonne. Même si une certaine confusion ou ambiguïté était présente, la divulgation du brevet confirme que le point de référence est une quantité d’inhibiteurs ou de stéroïdes suffisante pour traiter le cancer, qu’ils soient administrés seuls ou en association. Il n’est toutefois pas nécessaire de se reporter à la divulgation.

[126]  Les revendications invoquées portent sur l’utilisation de quantités thérapeutiquement efficaces d’AA et de PN en association pour traiter le cancer de la prostate.

[127]  La question qui se pose est donc celle de savoir si le brevet 422 revendique une association d’AA et de PN dont l’effet va au-delà des effets connus de ses éléments constitutifs. Même s’il s’agit d’une question d’interprétation des revendications, elle est abordée distinctement plus loin.

D.  L’objet brevetable

[128]  Selon Janssen, les revendications invoquées décrivent un objet brevetable, puisque l’association de l’AA et de la PN donnait lieu à un effet anticancéreux qui n’a pas été observé lorsque l’un des médicaments était administré seul. L’association est brevetable, puisque les éléments s’associaient d’une manière inattendue, ou bien ils s’associaient d’une manière connue pour donner un résultat inattendu.

[129]  Gilead Sciences Canada Inc c Canada (Santé), 2012 CF 2, 403 FTR 86, donne un fondement juridique à cet argument. La décision invoquée par Janssen, Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188, 191 ACWS (3d) 235 [Bridgeview], concerne plus l’évidence que l’objet brevetable.

[130]  Apotex fait valoir que les revendications invoquées décrivent un objet non brevetable, puisque l’objet de ces revendications est l’association de deux agents anticancéreux connus. Le brevet 422 revendique l’utilisation de deux agents anticancéreux ensemble sans indiquer qu’il en résulte un effet synergique. Comme l’a mentionné Apotex, pour être considéré comme un objet brevetable, l’association de deux médicaments doit être plus efficace que le simple fait de jumeler deux médicaments.

[131]  Je conclus que le brevet 422 revendique un objet brevetable et qu’en conséquence, l’allégation d’Apotex selon laquelle l’objet n’est pas brevetable n’est pas justifiée.

[132]  Les parties semblent avoir confondu leurs arguments concernant l’objet brevetable et la question de savoir si l’utilité de l’association a été démontrée. Pour que l’association soit brevetable, le brevet 422 doit revendiquer une association dont les effets sont différents de la somme des effets de chacun des éléments (R c American Optical Co, [1950] Ex CR 344, 13 CPR 87, aux p. 98 et 99; Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2018 CF 736, aux par. 71 et 72, 156 CPR (4th) 387 [Eli Lilly]). La question qui se pose concernant la brevetabilité de l’objet est celle de savoir si, à la lecture du brevet 422, la personne versée comprendrait qu’il revendique une association ayant un effet synergique ou un effet qui va au-delà de celui de chacun des médicaments. La question de savoir si l’efficacité de l’association a été démontrée ou prédite de façon valable sera abordée distinctement dans l’analyse de l’utilité.

[133]  Pour que l’association revendiquée soit brevetable, la personne versée dans l’art qui lirait la divulgation du brevet 422 devrait être d’avis que les revendications invoquées indiquent que l’AA et la PN sont plus efficaces lorsqu’ils sont associés qu’utilisés seuls.

[134]  Contrairement à l’affaire Eli Lilly, le brevet 422 ne divulgue aucune donnée d’essai portant à croire qu’il y a un effet synergique ou une interaction entre un inhibiteur de l’enzyme CYP17 comme l’AA et l’autre agent thérapeutique, comme la PN. Toutefois, dans l’affaire Eli Lilly, l’un des composants de l’association était déjà utilisé en monothérapie, et l’autre composant faisait partie d’une classe de médicaments habituellement utilisés en monothérapie pour traiter le même problème de santé.

[135]  En revanche, il n’était pas établi dans les connaissances générales courantes que l’AA ou la PN étaient des monothérapies efficaces contre le cancer de la prostate, même si des inhibiteurs des précurseurs des androgènes surrénaliens étaient utilisés pour traiter le cancer de la prostate en association avec des glucocorticoïdes afin d’atténuer les effets secondaires. Le paragraphe 35 du brevet 422 décrit que les inhibiteurs de l’enzyme CYP17, par exemple l’AA, sont utiles au traitement du cancer de la prostate, comme il est indiqué dans le brevet 213. En outre, le fait que la PN avait des effets anticancéreux modérés à court terme faisait partie des connaissances générales courantes, mais cette molécule n’était pas couramment utilisée en monothérapie pour ses effets anticancéreux.

[136]  Les experts ne s’entendaient pas sur la question de savoir si le brevet 422 divulguait un effet synergique ou un effet amplifié lorsque l’AA était associé à la PN. Selon le Dr Rettig, étant donné que la personne versée dans l’art comprendrait que ni l’AA ni la PN n’étaient efficaces ou utilisés en monothérapie pour traiter le cancer de la prostate, le fait qu’il soit question d’associer l’AA et la PN signifiait que l’effet anticancéreux découlait de l’utilisation concomitante de ces substances. Le Dr Rettig n’a pas expressément conclu que le libellé du brevet 422 divulguait l’existence d’un effet synergique attribuable à ces deux composés, mais selon lui, à la lumière des connaissances générales courantes, il serait entendu que ni l’AA ni la PN ne seraient efficaces pour traiter le cancer de la prostate en tant que monothérapie. Ne partageant pas ce point de vue, le Dr Nam a conclu qu’il n’y avait, dans le brevet 422, aucune divulgation ni revendication de l’existence d’un quelconque effet synergique entre l’AA et la PN. Selon lui, comme il était établi que ces deux médicaments étaient utiles en tant qu’agents anticancéreux, l’effet découlant de l’association de ces deux substances ne pourrait être qu’additif.

[137]  Le brevet 422 revendique un effet amplifié lorsque l’AA et la PN sont associés pour le traitement du cancer de la prostate. Bien que la quantité d’inhibiteur de l’enzyme CYP17 et la quantité de glucocorticoïde décrites respectivement aux paragraphes 43 et 54 indiquent que chacun de ces agents a des effets anticancéreux, les revendications invoquées décrivent uniquement l’association de l’AA et de la PN. Plus précisément, la revendication 15 décrit l’association de ces médicaments pour traiter un cancer de la prostate qui ne réagit pas à au moins un agent anticancéreux. Selon la définition d’agent anticancéreux énoncée dans le brevet 422, cela pourrait comprendre l’utilisation de n’importe quel agent ayant un effet anticancéreux, dont l’AA et, possiblement, la PN.

[138]  Les paragraphes 6 et 7 du brevet 422 précisent que les patients traités par hormonothérapie répondaient de façon variable et pouvaient présenter une récidive de cancer. D’après le paragraphe 8 du brevet 422, l’association d’un inhibiteur de l’enzyme CYP17 et d’un autre agent thérapeutique anticancéreux pourrait être utilisée pour traiter les cancers réfractaires, ce qui comprend les cancers qui ne réagissent pas suffisamment à un traitement anticancéreux.

[139]  Dans la mesure où un traitement anticancéreux peut comprendre l’administration d’AA seul ou de PN seule, la personne versée dans l’art comprendrait que le brevet 422 revendique que l’association de PN et d’AA permet de traiter le cancer de la prostate d’une manière qui déjoue la résistance à d’autres traitements anticancéreux, notamment la résistance à l’AA ou à la PN utilisés seuls.

[140]  Je tiens à souligner la conclusion du Dr Nam selon laquelle le fait de simplement associer deux médicaments ayant possiblement des effets anticancéreux entraînerait manifestement un effet anticancéreux additif. Comme les experts l’ont indiqué dans leurs témoignages, la PN et l’AA agissent tous deux sur la voie de synthèse des androgènes surrénaliens, mais les effets et les interactions de ces substances dans cette voie de synthèse n’étaient pas entièrement connus en 2007.

[141]  Dans la présente instance, il est suffisant que le brevet 422 revendique un effet anticancéreux amélioré par rapport à l’administration seule d’AA ou de PN. Étant donné qu’il n’avait pas été démontré que l’AA et la PN avaient des effets anticancéreux à long terme, il ne serait pas réaliste de s’attendre à ce qu’un brevet prédise les effets de l’AA et de la PN et différencie un effet additif d’un effet synergique.

[142]  Au paragraphe 91 de Eli Lilly, la Cour conclut qu’il n’est pas nécessaire que l’association revendiquée produise une synergie, dans la mesure où la revendication divulgue une association qui est plus efficace que la somme des effets isolés de chacun des agents. En l’espèce, l’effet des agents utilisés seuls n’avait pas été bien établi avant la date de dépôt. Il est revendiqué que l’association est plus efficace et, en l’absence d’autres éléments de preuve, l’allégation d’Apotex selon laquelle l’objet n’est pas brevetable n’a pas été justifiée.

E.  L’évidence

[143]  Janssen fait valoir que l’allégation d’Apotex selon laquelle les revendications invoquées n’auraient pas été évidentes pour la personne versée dans l’art à la date de la revendication (23 août 2007) n’est pas justifiée. L’objet n’est pas évident conformément à l’article 28.3 de la Loi.

[144]  L’application du critère tel qu’énoncé dans Sanofi, au paragraphe 37, n’est pas contestée. Pour apprécier le caractère évident, il faut se demander si, à la lumière de l’état de la technique et des connaissances générales courantes et sans aucune connaissance de l’invention revendiquée, la personne versée dans l’art en serait arrivée directement et sans difficulté à la solution contenue dans le brevet. Le critère de l’évidence est énoncé aux paragraphes 67 à 69 de Sanofi :

  1. Qui est la personne versée dans l’art?

Quelles sont les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne?

  1. Quelle est l’idée originale de la revendication en cause, ou son interprétation?

  2. Quelles sont les différences entre l’état de la technique et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation?

  3. Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

Pour les inventions d’association, le défaut de définir l’idée originale peut faire porter à tort l’examen sur chacun des éléments constitutifs (Bridgeview, aux par. 51 et 52).

[145]  Pour évaluer si l’invention revendiquée constituait un essai allant de soi, la Cour peut prendre en compte un certain nombre de facteurs pour établir s’il était « très clair » ou si « cela allait de soi » que l’invention allait fonctionner (Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CAF 8, au par. 29, [2009] 4 RCF 223).

(1)  La personne versée dans l’art/les connaissances générales courantes

[146]  Les arguments des parties au sujet de la personne versée dans l’art et des connaissances générales courantes ont déjà été énoncés.

(2)  L’idée originale

[147]  S’agissant de l’idée originale, les parties se sont essentiellement entendues pour dire que l’idée originale contenue dans les revendications invoquées est l’utilisation de l’AA et de la PN, en quantités thérapeutiquement efficaces, pour traiter le cancer de la prostate, y compris le cancer de la prostate réfractaire. Toutefois, comme elle l’a fait valoir relativement à l’interprétation des revendications, Apotex affirme qu’une « quantité thérapeutiquement efficace » correspond à la quantité d’AA ou de PN, chacune efficace pour traiter le cancer de la prostate, plutôt qu’à la quantité efficace lorsque les deux médicaments sont combinés.

(3)  La différence entre l’état de la technique et l’idée originale

[148]  Les parties ont des points de vue très divergents quant aux différences qui existent entre l’état de la technique et l’idée originale. Comme il a été précisé plus tôt, Janssen rejette l’affirmation d’Apotex selon laquelle les 59 documents axés sur les composés ayant un effet inhibiteur à l’égard de l’enzyme CYP17 et bloquant la production d’androgènes étaient représentatifs de l’état de la technique.

[149]  À cet égard, Janssen expose les différences suivantes entre l’état de la technique en 2007 et l’idée originale :

  • Le rôle des androgènes surrénaliens résiduels dans le CPHR était inconnu, et il n’y avait aucun avantage connu au fait de réduire les taux d’androgènes sous les taux associés à une castration.

  • Le KC et l’AG n’avaient pas d’effet anticancéreux et entraînaient des effets secondaires importants. Ces médicaments étaient administrés aux patients en dernier recours.

  • En 2007, l’AA n’était pas utilisé comme traitement anticancéreux. Des études antérieures sur l’AA ont montré qu’il y avait une réduction à court terme des taux de testostérone, mais il ne semblait pas y avoir d’efficacité clinique en ce qui concerne le traitement du cancer de la prostate.

  • Contrairement au KC et à l’AG, l’on ne s’attendrait pas à ce que l’AA nécessite un traitement substitutif par glucocorticoïdes parce que la production de cortisol est maintenue dans une certaine mesure chez les patients recevant de l’AA et que cette substance n’inhibe aucunement la production de corticostérone.

  • La PN ne contribuait pas à un effet anticancéreux dans le traitement du cancer de la prostate.

  • Il n’était pas établi que l’AA cause un excès de minéralocorticoïdes ou une insuffisance surrénale. L’inhibition partielle de la production de cortisol en période de stress ne causait pas d’insuffisance surrénale ou d’excès de minéralocorticoïdes.

  • D’autres médicaments ou options thérapeutiques seraient préférables à la PN en ce qui concerne le traitement d’un excès de minéralocorticoïdes ou d’une insuffisance surrénale.

  • L’art antérieur n’indiquait pas qu’il fallait administrer un glucocorticoïde, comme la PN, en association avec l’AA.

[150]  Apotex fait valoir que l’évidence n’est pas déterminée par rapport à l’art antérieur de manière générale. Apotex, en tant que deuxième personne, doit renvoyer à une ou plusieurs pièces d’art antérieur qui rendent l’invention visée par le brevet 422 évidente. Le choix de ces pièces d’art antérieur n’est limité que par le fait qu’elles doivent être devenues accessibles au public avant la date de la revendication, conformément à l’alinéa 28.3b) de la Loi. S’il y a un écart entre l’objet revendiqué et les antériorités, il faut évaluer si la personne versée dans l’art pourrait le combler en ayant recours à ses connaissances générales courantes ainsi qu’à l’art antérieur qui peut être repéré lors d’une recherche raisonnablement diligente (Ciba Specialty Chemicals Water Treatments Limited c SNF Inc, 2017 CAF 225, au par. 62, 152 CPR (4th) 239 [Ciba]).

[151]  Apotex soutient que la seule différence qui existe entre l’état de la technique et l’objet/l’idée originale du brevet 422 est le fait que l’AA et la PN n’avaient pas réellement été combinés et administrés dans le traitement du cancer de la prostate. L’AA et la PN étaient déjà connus comme des agents anticancéreux pour le traitement du cancer de la prostate ainsi que du cancer de la prostate réfractaire.

[152]  Les éléments suivants étaient déjà connus dans l’art antérieur :

  • L’AA a réduit les taux de testostérone chez les patients atteints d’un cancer de la prostate et pouvait être utile dans le cadre d’une hormonothérapie de deuxième intention chez les patients atteints d’un cancer de la prostate réfractaire; d’autres essais cliniques étaient prévus (O’Donnell (2004)).

  • Le KC et l’AG étaient bénéfiques dans le traitement du cancer de la prostate. Comme l’AA était un inhibiteur plus sélectif que le KC et l’AG, on s’attendait à ce que l’AA soit aussi efficace, sinon plus efficace, que ces deux médicaments (Potter (1995); O’Donnell (2004); brevet 213).

  • La PN et d’autres glucocorticoïdes présentaient une activité anticancéreuse; ils entraînaient notamment une réponse de l’APS chez des patients atteints d’un CPHR lorsqu’ils étaient administrés seuls ou en association avec d’autres médicaments, notamment le KC (Sartor (1998); Fossa (2001); Berry (2002); Harris (2002); Small (2004); Lam (2006); Yano (2006)).

(4)  L’évidence/l’inventivité

[153]  Janssen résume ce point en présentant les observations suivantes :

  • Aucun élément de l’art antérieur n’indiquait que l’association d’AA et de PN serait utile dans le traitement du cancer de la prostate, particulièrement lorsque le cancer avait progressé après l’administration individuelle de chacun de ces médicaments.

  • En 2007, l’art antérieur indiquait que des centaines de traitements potentiels, ayant tous des modes d’action différents, étaient à l’étude en vue d’une utilisation chez des patients atteints d’un cancer de la prostate. Il n’y avait aucune motivation à mettre au point une hormonothérapie de deuxième intention pour le traitement du cancer de la prostate. Aucun des travaux de recherche réalisés au cours des dernières décennies n’avait montré que l’hormonothérapie de deuxième intention pouvait améliorer la survie. Peu de données indiquaient que les androgènes résiduels jouaient un rôle important dans la stimulation de la croissance des cellules cancéreuses de la prostate chez les patients atteints d’un cancer de la prostate métastatique hormonorésistant. Par conséquent, la personne versée dans l’art n’aurait pas administré de la PN ou un autre glucocorticoïde à un patient, à moins qu’il y ait un besoin clinique manifeste.

  • La ligne de conduite des inventeurs était difficile à suivre et contre‑intuitive. Les essais cliniques étaient onéreux, longs et incertains. Il aurait été difficile d’obtenir une approbation pour étudier une association de deux médicaments qui n’étaient pas efficaces lorsqu’ils étaient administrés seuls.

  • Le fait d’associer deux traitements inefficaces dans l’espoir qu’ils aient conjointement un effet thérapeutique n’allait pas de soi. L’étude du Dr de Bono a été la première à indiquer que l’association d’un glucocorticoïde et de l’AA pouvait neutraliser la résistance et entraîner une réponse prolongée.

[154]  En revanche, Apotex fait valoir que, contrairement à l’article 28.3 de la Loi, l’objet des revendications invoquées dans le brevet 422 aurait été évident à la date de la revendication pour la personne versée dans l’art.

[155]  Dans son analyse du critère énoncé dans Sanofi, Apotex soulève les points suivants :

  • Au moment de déterminer l’art antérieur, la personne qui allègue l’évidence peut choisir les documents d’art antérieur qui rendent l’invention contestée évidente, sous réserve de l’article 28.3 de la Loi (Ciba, au par. 60).

  • S’agissant du deuxième volet du critère énoncé dans Sanofi, la Cour d’appel fédérale a mentionné, dans Ciba, que la Cour devrait normalement se concentrer sur l’interprétation de la revendication plutôt que de tenter de définir l’idée originale générale qui sous-tend les revendications.

  • Le quatrième volet du critère énoncé dans Sanofi consiste à examiner si la personne versée dans l’art ayant recours uniquement à ses connaissances générales courantes et à d’autres renseignements qu’elle aurait pu repérer lors d’une recherche raisonnablement diligente peut combler les écarts entre l’idée originale (ou l’interprétation de la revendication) et l’art antérieur.

  • Au moment de décider si l’invention constituait un essai allant de soi, la Cour devrait établir si la personne versée dans l’art considérerait qu’il va plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention, notamment en appréciant les efforts – leur nature et leur ampleur –requis pour réaliser l’invention et en examinant s’il existe un motif de rechercher la solution fournie par le brevet. Pour conclure qu’une invention constitue un essai allant de soi, la personne versée dans l’art doit simplement croire qu’il y a une chance raisonnable de réussite, mais elle n’est pas tenue de prédire avec certitude l’existence de cette réussite (AstraZeneca Canada Inc c Teva Canada Ltd, 2013 CF 245, au par. 43, 428 FTR 269).

[156]  Apotex fait valoir que la différence entre l’état de la technique et l’idée originale constituait une étape évidente ou allant de soi, puisque l’utilisation de deux médicaments connus pour leurs effets anticancéreux en tant qu’agents anticancéreux dans le traitement du cancer de la prostate n’était pas le fruit de l’ingéniosité de l’inventeur. Il n’y avait aucune raison de croire que les effets anticancéreux connus de la PN et de l’AA seraient diminués lorsque les deux médicaments seraient associés. La personne versée dans l’art comprendrait que l’AA et la PN possèdent des mécanismes de suppression de la testostérone différents.

[157]  Apotex s’oppose au témoignage du Dr Rettig selon lequel les 20 000 articles obtenus au moyen d’une recherche dans PubMed sur le cancer de la prostate et son traitement sont représentatifs de ce qu’aurait trouvé la personne versée dans l’art en faisant une recherche. La Cour est d’accord avec Apotex pour dire que la personne versée dans l’art aurait effectué une recherche plus restreinte qui l’aurait menée à des résultats portant sur l’AA en raison de l’article de Attard (2005). De façon générale, Apotex s’oppose au témoignage du Dr Rettig au sujet de l’art antérieur et des connaissances générales courantes parce que celui-ci s’est appuyé sur des documents fournis par les avocats.

[158]  Apotex fait valoir que les essais cliniques réalisés par le Dr de Bono concernant l’AA et la PN étaient des essais courants du même type que ceux menés à l’égard de l’AG et du KC. La personne versée dans l’art souhaitant ardemment en arriver à la solution énoncée dans le brevet 422 aurait combiné l’AA et la PN pour atténuer les effets secondaires prévisibles de l’AA. La solution consistant à associer l’AA et la PN pour traiter le cancer de la prostate faisait partie d’un nombre limité de solutions à la suite de l’expérience avec le KC et l’AG.

[159]  Enfin, dans le même ordre d’idées, Apotex fait valoir que, pour établir que l’AA et la PN seraient utiles pour le traitement du cancer de la prostate, il aurait fallu réaliser les mêmes travaux courants qui ont déjà été faits relativement au KC et à l’AG en association avec un glucocorticoïde. Les essais cliniques réalisés par le Dr de Bono étaient courants et ne dénotaient aucune inventivité.

(5)  Les conclusions de la Cour au sujet de l’évidence

a)  Le premier volet : la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes

[160]  Comme il a été mentionné précédemment, la personne versée dans l’art est un médecin, comme un urologue ou un oncologue médical, qui a une vaste expérience du traitement du cancer de la prostate. Elle serait au fait des nouveautés liées au traitement du cancer et saurait que l’hormonothérapie de deuxième intention était un domaine de recherche actif. La personne versée dans l’art saurait que le KC, qui était utilisé en dernier recours, devait être pris avec un glucocorticoïde pour prévenir une insuffisance surrénale. De plus, elle saurait qu’un inhibiteur spécifique de l’enzyme CYP17 serait probablement efficace pour réduire les taux d’androgènes surrénaliens et qu’il entraînerait moins d’effets secondaires.

b)  Le deuxième volet : l’idée originale ou l’interprétation des revendications

[161]  Malgré l’argument d’Apotex selon lequel la Cour d’appel fédérale a recommandé, au paragraphe 77 de Ciba, que notre Cour évite de se servir de « l’idée originale » lorsqu’elle applique le second volet du critère énoncé dans Sanofi, la Cour d’appel fédérale ne peut annuler ou modifier le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans Sanofi.

[162]  Comme l’a mentionné le juge Fothergill dans Apotex Inc c Shire LLC, 2018 CF 637, aux paragraphes 115 à 117, 294 ACWS (3d) 606 [LDX], la Cour devrait tout de même chercher à définir l’idée originale d’un brevet, particulièrement lorsqu’il concerne des composés pharmaceutiques comme dans Sanofi. En l’espèce, tout comme elle l’a fait dans LDX, la Cour peut identifier l’idée originale dans les revendications invoquées sans perdre de temps ni s’engager dans un débat périphérique superflu.

[163]  L’idée originale a déjà été analysée.

c)  Le troisième volet : les différences entre l’état de la technique et l’idée originale

[164]  La Cour conclut qu’Apotex a bien exposé le droit applicable pour déterminer l’état de la technique. Aux paragraphes 60 et 62 de Ciba, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’Apotex peut choisir les pièces d’art antérieur qui rendent le brevet 422 évident, pourvu qu’elles aient été rendues publiques avant le 23 août 2007. Même si les 59 documents choisis par Apotex ne peuvent être considérés comme des connaissances générales courantes sans preuve d’acceptation générale de part de la personne versée dans l’art, ils semblent tous faire partie de l’art antérieur.

(i)  L’état de la technique

[165]  Il n’est pas nécessaire d’énumérer les 59 documents de l’art antérieur qu’oppose Apotex. Voici une brève description des importantes pièces d’art antérieur et de ce qu’elles représentent.

  • a) Études sur l’AA réalisées dans les années 1990

Les articles de Barrie (1994) et de Potter (1995) ainsi que le brevet américain no 5 604 213 [le brevet 213] délivré en 1997 ont divulgué l’utilisation de l’AA dans le traitement de cancers hormonodépendants, comme le cancer de la prostate. L’AA a été mis à l’essai in vitro et chez la souris, ce qui a permis de montrer que l’AA n’inhibait pas la production de corticostérone et qu’il entraînait moins d’effets toxiques que le KC. L’article de Potter (1995) a montré que l’AA avait un effet légèrement plus prononcé sur l’activité 17,20‑lyase que sur l’activité 17α‑hydroxylase, mais la différence n’était si importante. Le brevet 213 est cité dans la divulgation du brevet 422.

  • b) O’Donnell (2004) – document crucial dans la présente instance

    1. O’Donnell (2004) faisait état du seul essai concernant le traitement du cancer de la prostate au moyen de l’AA chez l’humain avant 2007. Dans l’introduction de cet article, il est expliqué que des études antérieures avaient montré que les androgènes résiduels provenant des glandes surrénales constituaient une autre source importante de testostérone chez les patients atteints d’un cancer de la prostate ayant subi une castration médicale ou chirurgicale. L’article indique aussi que le KC et l’AG ont été évalués en tant qu’inhibiteurs des androgènes surrénaliens et que, même s’ils étaient prometteurs, ces inhibiteurs étaient relativement peu sélectifs. Les effets observés du KC et de l’AG appuyaient les travaux de recherche visant à trouver un inhibiteur plus sélectif de l’enzyme CYP17, comme l’AA.

    2. Les essais rapportés dans O’Donnell (2004) ont été conçus pour évaluer la dose d’AA qui réduirait les taux de testostérone chez les patients castrés ou non castrés et pour obtenir des données concernant l’innocuité, la pharmacocinétique et les taux d’hormones. Trois essais de phase I ont été décrits dans O’Donnell (2004). L’étude A était une étude à dose unique menée chez des hommes ayant subi une castration médicale ou chirurgicale. L’étude B était une étude à dose unique menée chez des hommes non castrés. L’étude C était une étude à doses multiples menée chez des hommes non castrés sur une période de 12 jours. Les cohortes au sein de chaque étude avaient reçu des doses différentes.

    3. Les études ont montré que l’AA pouvait ramener les taux de testostérone chez les hommes castrés et non castrés sous les taux associés à une castration, ce qui appuyait le mode d’action proposé du médicament sur les taux de testostérone. L’étude n’a pas évalué l’effet de l’AA sur le cancer de la prostate, et O’Donnell (2004) n’a indiqué aucune preuve d’efficacité. Les patients participant aux études étaient atteints d’un cancer de la prostate asymptomatique; il était donc impossible de rendre compte des effets du traitement sur les symptômes.

    4. Les études décrites dans O’Donnell ont également montré que l’AA était très bien toléré et qu’aucun effet indésirable grave lié au traitement n’avait été signalé : seuls des effets secondaires légers avaient été observés. Aucun patient n’était autorisé à prendre des stéroïdes en concomitance. Les taux de cortisol de départ se situaient dans les limites normales. Les taux de cortisol d’un patient de l’étude A ont chuté, mais cette diminution n’était pas considérée comme étant liée à l’AA puisqu’elle est survenue le premier jour de l’essai. Dans l’étude C, soit l’étude à doses multiples, des patients présentaient une sécrétion de cortisol plus faible le jour 11 lorsqu’on leur a administré un test à la cosyntrophine, qui simule une réaction de stress. Les chercheurs n’ont pas considéré qu’il s’agissait d’une réduction importante des taux de cortisol, et ce n’était donc pas une préoccupation majeure. En outre, dans l’étude C, les trois patients ayant reçu la dose la plus élevée d’AA (800 mg) ont présenté des taux de cortisol plus faibles le soir, mais les autres éléments évalués sont demeurés normaux.

    5. Dans la partie de l’article de O’Donnell qui traite de l’analyse, les auteurs ont conclu que l’AA inhibait la production de testostérone. Ils ont également conclu qu’une dose d’au moins 800 mg était nécessaire à la suppression continue de la production de testostérone et que des doses plus élevées pourraient s’avérer nécessaires. Selon l’étude, l’inhibition de l’activité 17α‑hydroxylase découlant d’un traitement par AA était compensée par des mécanismes de rétroaction du cortisol. Cette compensation n’a pas empêché l’inhibition de l’activité 17,20‑lyase, ce qui a bloqué la synthèse des androgènes surrénaliens.

    6. Les auteurs ont conclu que même si les taux de cortisol de départ se situaient dans les limites normales, une réponse anormale au test à la cosyntrophine n’était pas inattendue, car des répercussions sur la réserve surrénalienne étaient prévisibles compte tenu de la voie de synthèse des stéroïdes.

    7. Les chercheurs n’ont pas conclu que le traitement par AA nécessitait la coadministration d’un glucocorticoïde, mais ont conclu que d’autres études étaient nécessaires afin de déterminer si le traitement par AA nécessitait un type de traitement aux glucocorticoïdes. Les chercheurs ont indiqué que les patients recevant de l’AA pourraient nécessiter un traitement aux glucocorticoïdes de façon continue, seulement en présence de symptômes ou en période de stress, ou qu’ils pourraient ne pas nécessiter un tel traitement. Selon le témoignage du Dr Judson, si un glucocorticoïde était nécessaire en période de stress, les patients recevaient une carte d’avertissement avec des comprimés d’hydrocortisone d’urgence à prendre en cas d’infection ou de traumatisme. Les chercheurs ont également recommandé que le traitement par AA soit interrompu en cas de stress physiologique extrême. Selon O’Donnell (2004), l’hydrocortisone était couramment utilisée comme traitement substitutif par glucocorticoïdes chez les patients recevant du KC ou de l’AG. Toutefois, l’article indiquait aussi que le traitement par KC ou AG sans glucocorticoïdes était sûr.

[166]  Les essais se sont terminés en 1999, mais l’article n’a pas été publié avant 2004. Selon le Dr Judson, c’est parce que les auteurs se sont heurtés à un certain scepticisme, comme il a été exprimé dans une lettre mentionnée plus tôt. En outre, le Dr Judson a précisé qu’il avait été difficile de trouver un partenaire commercial pour développer le traitement à base d’AA après que Boehringer Ingelheim a mis un terme à sa participation. J’ai examiné la lettre et tout comme le Dr Nam, je n’y vois pas le scepticisme qu’elle est censée exprimer.

[167]  En me fondant sur O’Donnell (2004), j’estime que la personne versée dans l’art considérerait que l’AA est une hormonothérapie de deuxième intention prometteuse, mais non encore éprouvée, pour le traitement du cancer de la prostate en raison de sa capacité à réduire les taux de testostérone résiduelle avec moins d’effets secondaires que le KC. La personne versée dans l’art interpréterait O’Donnell (2004) comme indiquant que l’AA inhibe probablement les deux activités de l’enzyme CYP17 et s’attendrait donc à ce que l’AA entraîne possiblement une réduction des taux de cortisol.

Cependant, la personne versée dans l’art ne saurait pas si cette réduction de cortisol nécessiterait vraisemblablement la coadministration de glucocorticoïdes et d’AA, car il n’y avait aucune manifestation clinique de symptômes.

[168]  De façon générale, ces conclusions appuient l’interprétation du Dr Nam plutôt que celle des Drs Rettig et Auchus. Les Drs Rettig et Auchus auraient conclu que l’AA inhibait seulement l’activité 17,20‑lyase de l’enzyme CYP17. Selon O’Donnell (2004) et l’article de synthèse (Attard (2005)), les deux activités sont perturbées, mais des mécanismes de rétroaction peuvent compenser les diminutions des taux de cortisol. Je ne retiens pas la conclusion du Dr Nam, selon laquelle la personne versée dans l’art s’attendrait à ce que le traitement substitutif par glucocorticoïdes soit nécessaire avec le traitement par AA, étant donné que selon O’Donnell (2004) et Attard (2005), les chercheurs devraient surveiller l’insuffisance en glucocorticoïdes plutôt que de fournir un traitement substitutif par glucocorticoïdes.

(ii)  L’art antérieur sur l’effet anticancéreux des glucocorticoïdes

[169]  Je conclus qu’en 2007, on savait que les glucocorticoïdes (et particulièrement la PN) avaient des effets anticancéreux modérés à court terme, mais que le mécanisme de ces effets était inconnu. Le Dr Nam a cité les études suivantes, lesquelles, à son avis, montrent que la PN était déjà utilisée en tant qu’agent anticancéreux dans l’art antérieur : Tannock (1989); Sartor (1998); Fossa (2001); Berry (2002); Harris (2002); Small (2004); Lam (2006); et Yano (2006). Le Dr Rettig a critiqué les conclusions de chacune de ces études en raison de leur conception et de leur incapacité à montrer une amélioration de la survie.

[170]  Dans Tannock (1989), les auteurs se sont penchés sur la capacité de la PN à freiner la production des androgènes surrénaliens en examinant le dossier médical de neuf hommes qui avaient déjà reçu une hormonothérapie de première intention contre le cancer de la prostate. L’étude a permis d’évaluer la douleur et la qualité de vie, et les auteurs ont conclu que la PN pouvait faire diminuer les taux d’androgènes surrénaliens. Ni les effets anticancéreux ni l’amélioration de la survie n’y ont été évalués.

[171]  Dans Sartor (1998), les auteurs ont évalué les effets de la PN sur les taux d’APS chez les patients atteints d’un CPHR. Une légère baisse de 33 p. 100 a été observée en ce qui concerne les taux moyens d’APS dans une étude comptant 29 patients, et la survie moyenne sans progression était d’environ 2,8 mois, tout au plus. Dans le cadre de cette étude, les auteurs n’ont pas été en mesure de déterminer pourquoi la PN avait entraîné une diminution des taux d’APS. Le Dr Rettig a remarqué que les auteurs de cette étude avaient conclu, en 2007, que les glucocorticoïdes n’entraînaient aucune amélioration de la survie.

[172]  Dans Fossa (2001), les auteurs ont comparé les effets de la PN avec ceux d’un antiandrogène non stéroïdien. Selon cette étude, il était établi que la PN freinait la production des androgènes surrénaliens. L’étude a révélé que les deux médicaments avaient un effet similaire, mais que la PN était associée à une meilleure qualité de vie. Selon le Dr Rettig, cette étude ne montrait pas que la PN avait un potentiel d’activité anticancéreuse.

[173]  Dans Berry (2002), les auteurs ont comparé l’efficacité de la PN associée à un médicament chimiothérapeutique avec l’efficacité de la PN administrée seule. Selon cette étude, même si l’association de la chimiothérapie et de la PN était plus efficace, la PN administrée seule pouvait également être utile chez certains patients atteints d’un CPHR, en raison de ses effets sur les taux d’APS. Selon le Dr Rettig, cette étude n’indiquait pas que la PN était utile dans le traitement du CPHR puisqu’aucune amélioration de la survie n’avait été démontrée.

[174]  Les études de Harris (2002) et de Small (2004) ne portaient pas sur la PN, mais examinaient plutôt l’association de l’hydrocortisone et du KC. Selon ces études, les effets anticancéreux observés étaient en partie attribuables à l’hydrocortisone. L’hydrocortisone était principalement ajoutée au KC pour la prise en charge des effets secondaires.

[175]  Selon Lam (2006), un article de synthèse, les glucocorticoïdes avaient possiblement une activité anticancéreuse modérée, mais la meilleure posologie et le meilleur type de corticostéroïde n’étaient pas connus au moment de la publication de l’article.

[176]  Dans Yano (2006), les auteurs ont examiné les effets de la dexaméthasone sur la croissance des cellules cancéreuses de la prostate in vitro et in vivo. Selon cette étude, les effets anticancéreux des glucocorticoïdes étaient vraisemblablement liés aux effets sur la croissance des vaisseaux sanguins des tumeurs et aux effets directs sur les récepteurs des androgènes. Les auteurs de l’article ont proposé d’associer des glucocorticoïdes avec des agents anticancéreux, comme le docétaxel (agent de chimiothérapie cytotoxique).

[177]  Me fondant sur ces pièces d’art antérieur, je conclus que la personne versée dans l’art saurait que les glucocorticoïdes, notamment la PN, pouvaient avoir un effet anticancéreux, même si le mécanisme de cet effet n’était pas entièrement connu. La personne versée dans l’art saurait également qu’on avait proposé d’utiliser des glucocorticoïdes en association avec des médicaments chimiothérapeutiques cytotoxiques et du KC. L’association de la PN avec le KC avait surtout été utilisée pour traiter les effets secondaires, mais il était entendu que la PN avait aussi potentiellement un effet anticancéreux.

(iii)  Les différences entre l’état de la technique et l’invention

[178]  Voici les différences que j’ai relevées entre l’état de la technique et l’invention, après les avoir comparés :

  • En 2007, il n’était pas établi que l’AA était un traitement efficace contre le cancer de la prostate, même s’il était considéré comme un traitement probable dans l’art antérieur. On n’avait observé aucune réponse de l’APS, aucune réponse tumorale, ni aucune amélioration de la survie chez les humains. L’art antérieur faisait état d’autres études cliniques portant sur l’AA en tant que traitement potentiel du cancer de la prostate.

  • On n’avait pas observé d’insuffisance surrénale ou d’excès de minéralocorticoïdes comme effets secondaires du traitement par AA. La personne versée dans l’art qui lirait l’article de O’Donnell (2004) serait d’avis que ses auteurs affirment que l’AA devait être étudié davantage afin qu’il soit possible de déterminer si un traitement aux glucocorticoïdes était nécessaire.

  • Il n’avait pas été établi que la PN améliorait la survie lorsqu’elle était administrée seule pour traiter le cancer de la prostate; il n’existait pas non plus de mécanisme bien compris sur la façon dont elle pouvait avoir un effet anticancéreux. Cependant, selon l’art antérieur, la PN avait une activité anticancéreuse modérée à court terme. Des antériorités, notamment Yano (2006), indiquaient que les glucocorticoïdes pouvaient amplifier l’effet thérapeutique d’agents anticancéreux, comme le docétaxel.

  • Le fait que l’AA et les glucocorticoïdes, dont la PN, n’avaient pas été associés pour traiter le cancer de la prostate constitue la principale différence entre l’état de la technique et l’idée originale. En ce qui concerne le traitement du cancer, aucune pièce d’art antérieur n’indiquait que l’efficacité de l’AA pourrait être accrue s’il était utilisé en association avec un autre médicament. L’hypothèse selon laquelle les glucocorticoïdes pouvaient prévenir l’apparition de la résistance au traitement par AA n’avait été proposée dans aucun document de l’art antérieur.

d)  Le quatrième volet : l’évidence/l’inventivité

[179]  La personne versée dans l’art devrait pouvoir combler les différences que j’ai relevées entre l’état de la technique et l’idée originale en ayant recours à ses connaissances générales courantes et aux renseignements qu’elle aurait pu repérer lors d’une recherche raisonnablement diligente pour que l’invention soit considérée comme évidente. Je conclus que l’invention ne serait pas évidente pour la personne versée dans l’art.

[180]  L’idée originale du brevet 422 suppose non seulement l’association de l’AA et de la PN, mais aussi leur association à des fins de traitement du cancer de la prostate, dans la mesure où chaque médicament possède un effet anticancéreux. Les experts s’entendent pour dire que le brevet ne comporte aucune revendication selon laquelle l’un des médicaments de cette association sert à traiter les effets secondaires causés par l’autre. Les arguments d’Apotex quant à l’absence de contrefaçon et à l’inadmissibilité du brevet 422 reposent entièrement sur cette différence entre l’invention revendiquée et l’utilisation proposée de la PN uniquement comme moyen de traiter les effets secondaires causés par l’AA.

[181]  Pour en arriver à l’idée originale, il faudrait que la personne versée dans l’art soit d’avis que l’AA devrait faire l’objet d’autres essais liés au traitement du cancer de la prostate, et qu’elle décide ensuite d’associer l’AA et la PN pour traiter le cancer de la prostate.

e)  L’évidence dans l’art antérieur et les connaissances générales courantes

[182]  Après avoir examiné les pièces d’art antérieur, je conclus que la personne versée dans l’art souhaitant mettre au point une hormonothérapie de deuxième intention pour le traitement du cancer de la prostate choisirait probablement d’étudier l’AA, étant donné sa sélectivité par rapport au KC et la probabilité que l’AA ait moins d’effets secondaires que le KC. En 2007, la personne versée dans l’art aurait probablement compris que l’AA présentait un bon potentiel pour le traitement du cancer de la prostate.

[183]  Le mode d’action proposé de l’AA, selon lequel il cible l’enzyme CYP17, aurait été compris par la personne versée dans l’art comme étant un mode d’action fondé sur les connaissances acquises grâce à l’utilisation du KC et de l’AG. Les auteurs de l’article de O’Donnell (2004) reconnaissent qu’il s’agit de la première étude sur des inhibiteurs de l’enzyme CYP17 à être menée sur des sujets humains et que les résultats de l’étude montrent que l’AA était bien toléré. Il semble probable que la personne versée dans l’art aurait choisi d’étudier l’AA plutôt que d’autres molécules pour inhiber l’enzyme CYP17 dans le traitement du cancer de la prostate.

[184]  Si l’invention revendiquait simplement l’utilisation d’AA dans le traitement du cancer de la prostate, elle aurait probablement été évidente dans l’art antérieur compte tenu de l’article de O’Donnell (2004). Toutefois, rien dans les connaissances générales courantes n’indique que l’association d’AA et de PN aurait un effet anticancéreux.

[185]  Les documents de l’art antérieur indiquaient que la PN avait un effet anticancéreux, mais que le mécanisme de cet effet était inconnu. Même si ces documents appuyaient l’association des glucocorticoïdes avec le docétaxel et le KC, la personne versée dans l’art ne prédirait pas que l’association d’AA et de PN aurait un effet anticancéreux en se fondant uniquement sur le fait que chacun de ces deux médicaments présentait un potentiel anticancéreux. Par exemple, il serait impossible pour la personne versée dans l’art de savoir si chacun de ces deux médicaments rendrait l’autre inefficace.

[186]  S’agissant des effets secondaires, la personne versée dans l’art comprendrait à partir de l’art antérieur qu’un inhibiteur sélectif de l’enzyme CYP17, comme l’AA, pouvait entraîner une réduction des taux de cortisol. En 2007, la personne versée dans l’art ne saurait pas exactement quels effets secondaires pourraient en découler, car les effets secondaires n’avaient pas été présentés dans O’Donnell (2004), mais elle s’inquiéterait de la survenue possible d’une insuffisance surrénale ou d’un excès de minéralocorticoïdes. Compte tenu de l’importance accordée à la surveillance de l’insuffisance en glucocorticoïdes dans O’Donnell (2004) et Attard (2005), l’état de la technique montrait qu’une insuffisance surrénale ou un excès de minéralocorticoïdes pouvaient survenir lors d’un traitement par AA.

[187]  À la lecture des documents de l’art antérieur, la personne versée dans l’art comprendrait que l’AA inhibait probablement les deux activités de l’enzyme CYP17. Je n’accorde pas beaucoup de poids aux témoignages des Drs Auchus et Rettig, selon lesquels la personne versée dans l’art aurait compris, en 2007, que l’AA inhibait préférentiellement l’activité 17,20‑lyase et ne devrait donc pas inhiber l’activité 17α‑hydroxylase.

[188]  Comme l’a admis le Dr Auchus, les tests in vitro de l’AA ont indiqué une différence minime de suppression entre les deux activités de l’enzyme CYP17. En outre, les tests réalisés sur des souris auxquels a renvoyé le Dr Auchus ont établi que l’AA n’évaluait pas la suppression du cortisol, car le cortisol n’est pas le principal glucocorticoïde chez les souris (contrairement aux humains).

[189]  Selon O’Donnell (2004) et selon la description de la conception de l’essai réalisé par Cougar, fournie par le Dr de Bono, la personne versée dans l’art comprendrait qu’il y avait un risque de diminution des taux de cortisol, et possiblement d’insuffisance surrénale ou d’excès de minéralocorticoïdes, à la suite d’un traitement par AA.

[190]  La Cour observe que le Dr Auchus et Mme Prins, experts en endocrinologie, ont présenté des arguments sur la façon dont la personne versée dans l’art comprendrait les effets secondaires probables de l’AA après avoir examiné des personnes présentant divers troubles congénitaux liés à l’enzyme CYP17. J’estime que cet élément de leurs témoignages n’est pas très révélateur, compte tenu de ma conclusion selon laquelle la personne versée dans l’art ne consulterait probablement pas un endocrinologue, et du fait que les experts ont convenu que les effets des troubles liés à l’enzyme CYP17 variaient de façon importante. De plus, ces effets ont été observés tout au long de la vie chez des personnes qui présentaient une inhibition congénitale de l’enzyme CYP17, ce qui ne serait pas directement comparable au traitement du CPHR, étant donné qu’il s’agit d’une maladie qui survient habituellement chez des hommes d’un certain âge.

[191]  Selon les experts, le KC, l’AG et l’AA entravaient tous la production d’hormones stéroïdes surrénales, mais le KC et l’AG inhibaient la production de corticostérone et de cortisol, tandis que l’AA n’inhibait pas la production de corticostérone. Par conséquent, je conclus que la personne versée dans l’art ne tiendrait pas pour acquis que les effets secondaires du KC et de l’AG s’appliqueraient à l’AA.

[192]  Je conclus qu’il n’était pas établi dans l’art antérieur que l’AA avait des effets secondaires, mais que la personne versée dans l’art s’en méfierait étant donné les effets, quoique légers, observés à court terme sur les taux de cortisol dans O’Donnell (2004). Compte tenu de cette incertitude au sujet des effets secondaires de l’AA, il n’irait pas de soi d’associer l’AA avec un glucocorticoïde simplement pour prévenir la survenue possible d’effets secondaires n’ayant pas encore été observés.

[193]  Par conséquent, je conclus que l’allégation d’évidence d’Apotex n’est pas justifiée.

f)  Les éléments du critère de l’essai allant de soi

[194]  L’application du critère de « l’essai allant de soi » est justifiée en l’espèce, puisque la présente affaire est propre au domaine pharmaceutique dont il est question dans Sanofi, aux paragraphes 68 à 71, où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation et où de nombreuses variables interdépendantes peuvent influer sur le résultat voulu.

[195]  Par conséquent, la Cour doit en outre se demander s’il était plus ou moins évident que l’association de l’AA et de la PN serait fructueuse, en évaluant les efforts – leur nature et leur ampleur –requis pour réaliser l’invention, le motif fourni par les antériorités de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet ainsi que les mesures concrètes prises par les inventeurs (Sanofi, AstraZeneca Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2017 CF 142, aux par. 41 et 42, 145 CPR (4th) 371 [Naproxen-Esomeprazole]).

J’ai examiné ensemble les efforts requis pour réaliser l’invention et les mesures concrètes prises par les inventeurs.

[196]  L’association de l’AA et de la PN pour traiter le cancer de la prostate n’allait pas de soi. Il n’était pas plus ou moins évident que l’AA et la PN, une fois associés, auraient des effets anticancéreux. L’association de l’AA et de la PN faisait partie d’un petit nombre de solutions possibles en ce qui a trait à l’élaboration d’une hormonothérapie secondaire efficace. L’utilisation de l’AA et de la PN ensemble pour traiter le cancer de la prostate n’était pas connue ni prédite dans l’art antérieur.

[197]  Cela n’allait pas de soi d’associer l’AA et la PN pour traiter les effets secondaires de l’AA, puisque les effets secondaires causés par l’AA n’étaient pas connus à l’époque. La personne versée dans l’art aurait pu prévoir que l’AA entraînerait une réduction des taux de cortisol, mais elle n’aurait pas nécessairement prévu que la réduction de ces taux nécessiterait un traitement substitutif par glucocorticoïdes.

[198]  S’agissant des efforts, de leur nature et de leur ampleur, les parties semblent les exagérer ou les minimiser, selon ce qui leur convient. Toutefois, l’AA faisait l’objet de recherches, et la PN était utilisée pour le traitement du cancer de la prostate au stade terminal. Ces médicaments ne pouvaient donc pas, comme l’affirme Janssen, être considérés comme [traduction] « n’étant pas efficaces ».

[199]  Toutefois, les essais de Cougar décrits par le Dr de Bono ne font pas que comporter des essais « courants ». Par exemple, le projet du Dr de Bono visant à entreprendre une étude supplémentaire durant laquelle la dexaméthasone et l’AA seraient associés chez des patients ayant développé une résistance à l’AA ne montre pas qu’il s’agit d’un essai courant où les inventeurs ne faisaient que traiter les patients avec des glucocorticoïdes pour atténuer les effets secondaires. Les inventeurs n’ont pas commencé par traiter les patients avec une association d’AA et de glucocorticoïdes; ils ont plutôt commencé par administrer de l’AA, puis ont ajouté de la dexaméthasone, selon l’étude supplémentaire. Les inventeurs ont établi une distinction entre l’étude supplémentaire et le traitement de tout effet secondaire. Les effets secondaires possibles ont été pris en charge en administrant aux patients des comprimés d’hydrocortisone d’urgence, plutôt qu’en leur coadministrant des glucocorticoïdes.

[200]  La preuve démontre que les efforts requis ont été et seraient importants, ce qui va à l’encontre des principes qui sous-tendent « l’essai allant de soi ».

[201]  Je reconnais que la personne versée dans l’art aurait été grandement motivée à élaborer des hormonothérapies secondaires et particulièrement à mettre à l’essai l’efficacité de l’AA comme traitement du cancer de la prostate. Dans O’Donnell (2004) et des articles de synthèse subséquents, les auteurs font référence à la nécessité d’effectuer d’autres essais et de confirmer le potentiel de l’AA comme traitement pour le cancer de la prostate métastatique hormonorésistant.

[202]  En conclusion, j’estime qu’il y avait vraisemblablement des motifs pour mettre à l’essai l’efficacité de l’AA comme traitement du cancer de la prostate, mais j’estime que l’association de l’AA et de la PN pour tenter de traiter le cancer de la prostate n’allait pas de soi. Même si l’association de la PN avec l’AA pouvait être perçue comme quelque chose « valant d’être tenté » afin de prévenir les effets secondaires théoriques, cela ne suffit pas, à moins que l’invention aille plus ou moins de soi (comme l’a conclu la Cour dans Naproxen-Esomeprazole, au par. 163, citant Alcon Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Co, 2014 CF 462, au par. 129, 454 FTR 265).

[203]  Je conclus que l’allégation selon laquelle l’idée originale dans le brevet 422 est évidente n’est pas justifiée. Le fait que quelque chose découle d’un « essai allant de soi » n’est qu’un des éléments à prendre en considération au moment d’établir s’il fallait de l’inventivité pour combler l’écart entre l’art antérieur et l’idée originale. Dans l’ensemble, j’estime qu’une certaine ingéniosité était nécessaire pour associer l’AA et la PN en vue de traiter le cancer de la prostate et que l’application du principe sous-tendant l’essai allant de soi n’a pas été démontrée.

F.  L’inutilité

[204]  Le critère de l’utilité est énoncé dans AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2017 CSC 36, au par. 54, [2017] 1 RCS 943 [AstraZeneca] :

  1. Les tribunaux doivent cerner l’objet de l’invention suivant le libellé du brevet.

  2. Ils doivent se demander si cet objet est utile, c’est-à-dire s’il peut donner un résultat concret.

[205]  Janssen fait valoir que l’utilité des revendications invoquées a été démontrée le 23 août 2007, et que leur utilité est réelle.

[206]  Comme l’a précisé la Cour suprême du Canada dans AstraZeneca, au paragraphe 55, Janssen doit seulement établir qu’il y avait une « parcelle d’utilité » liée à l’objet de l’invention, laquelle doit être établie au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable à la date de dépôt.

[207]  L’objet des revendications invoquées est l’utilisation de quantités thérapeutiquement efficaces d’AA et de PN pour traiter le cancer de la prostate, le cancer de la prostate réfractaire et le cancer de la prostate réfractaire qui a été traité avec au moins un agent anticancéreux.

[208]  Janssen fait valoir qu’il y a eu démonstration de l’utilité dans les quatre essais de Cougar et qu’il en a été question sur l’affiche de conférence publiée par Cougar. Les données issues des essais ont montré qu’une réduction du taux d’APS a été observée chez un patient à qui a été administrée une association d’AA et de dexaméthasone, en comparaison des niveaux suivant l’administration de chaque médicament. D’autres données ont montré une diminution de la tumeur lorsque l’AA était administré seul, et on a observé une réduction du taux d’APS chez six patients atteints du cancer de la prostate métastatique hormonorésistant après qu’ils ont reçu une association d’AA et de PN.

[209]  Janssen fait aussi valoir que l’allégation selon laquelle l’invention contenue dans le brevet 422 est dénuée d’utilité réelle n’est pas justifiée, car Apotex n’a présenté aucun élément de preuve. En outre, Janssen a cité un certain nombre d’études publiées après la date de dépôt qui confirmaient que l’invention était utile pour traiter le cancer de la prostate.

[210]  Apotex affirme que l’utilité de l’objet de l’invention suivant le libellé du brevet 422 n’avait pas été établie au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable à la date de dépôt. Apotex reconnaît que le critère relatif à l’utilité est énoncé dans Astrazeneca, aux paragraphes 49 à 56, et que l’objet de l’invention doit avoir une utilisation pertinente réelle et un objectif utile. En outre, la description par Apotex de l’objet des revendications invoquées est semblable à celle de Janssen.

[211]  Apotex est d’avis que les essais de Cougar n’ont pas démontré l’utilité parce que de la dexaméthasone a été utilisée et non de la PN. La référence aux six patients ne tenait pas compte des données provenant des 16 autres patients visés par l’étude. Apotex s’oppose aussi à la preuve d’expert des Drs Nam et Rettig parce qu’ils ont appliqué le mauvais critère pour l’utilité.

En outre, Apotex fait valoir que l’utilité du brevet n’a pas été établie au moyen d’une prédiction valable, puisqu’aucune donnée ni aucune référence à des données ou à des études n’a été divulguée dans le brevet.

[212]  J’estime que Janssen a vraisemblablement démontré l’utilité de son brevet compte tenu des résultats des deux essais de Cougar antérieurs au 23 août 2007. Elle n’a pas prouvé qu’elle satisfaisait à la règle de la prédiction valable, car le brevet ne comportait pas de fondement factuel ni de raisonnement anticipé.

[213]  Le critère pour démontrer l’utilité est énoncé dans AstraZeneca, au paragraphe 54. Premièrement, les tribunaux doivent cerner l’objet de l’invention à la suite de l’interprétation des revendications. Deuxièmement, les tribunaux doivent se demander si cet objet est utile, c’est-à-dire s’il peut donner un résultat concret. L’élément qui n’a pas été mentionné par Apotex, et qui n’a apparemment pas été évalué par l’expert d’Apotex, le Dr Nam, tient au fait que seule une « parcelle d’utilité » doit être établie au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable à la date de dépôt (voir AstraZeneca, au par. 55).

[214]  L’objet de l’invention est l’association de quantités thérapeutiquement efficaces d’AA et de PN pour traiter le cancer de la prostate. Les résultats des essais COU‑AA‑001 et COU‑AA‑004 doivent être interprétés à la lumière de l’ensemble des résultats, à moins qu’un seul essai ne montre de façon concluante que le composé n’avait aucune utilité (Teva Canada Ltd c. Novartis AG, 2013 CF 141, aux par. 215 et 216, 428 FTR 1).

[215]  Les Drs Nam et Rettig ont tous deux convenu que le 23 août 2007, l’essai COU‑AA‑001 montrait que l’AA utilisé seul était efficace contre le cancer de la prostate, parce qu’il entraînait une réduction de la taille de la tumeur et provoquait une régression de la maladie osseuse. Ils ont toutefois exprimé des opinions divergentes sur la question de savoir si l’un ou l’autre des essais réalisés par Cougar pouvait montrer que l’association d’AA et de PN était utile pour le traitement du cancer de la prostate.

[216]  Je me rallie à l’opinion du Dr Nam salon laquelle l’essai COU‑AA‑001 ne pouvait à lui seul montrer l’utilité des revendications invoquées. En date du 23 août 2007, les inventeurs disposaient seulement des résultats d’un patient dont le cancer de la prostate avait progressé après l’administration d’AA seul et de dexaméthasone seule, mais qui avait répondu à une association de dexaméthasone et d’AA, ce qui appuyait les revendications invoquées et fournissait un fondement factuel à l’hypothèse du Dr de Bono, mais ne montrait pas l’utilité en soi.

[217]  Je n’accorde pas beaucoup de poids à l’argument d’Apotex selon lequel la dexaméthasone a été évaluée dans le cadre de l’essai COU‑AA‑001 et selon lequel les revendications invoquées visent la PN comme glucocorticoïde à utiliser en association avec l’AA. Même le Dr Nam a reconnu que la posologie équivalente de la dexaméthasone et de la PN était déjà connue. L’hypothèse du Dr de Bono concernant l’efficacité de l’association de l’AA et d’un glucocorticoïde contre le cancer de la prostate reposait sur les effets des glucocorticoïdes en tant que catégorie plutôt que sur les effets de la PN ou de la dexaméthasone en particulier.

[218]  Les résultats préliminaires de l’essai COU‑AA‑004 ont montré l’utilité de l’association des substances pour le traitement du cancer de la prostate. Le Dr Nam a reconnu que les résultats de l’essai COU‑AA‑004 étaient encourageants et que la réponse de l’APS indiquait que le traitement entraînait un effet biologique contre le cancer de la prostate. Le fait que six patients sur 22 aient présenté une diminution de plus de 50 p. 100 des taux d’APS au cours d’une période de seulement deux mois montre l’utilité de l’association de l’AA et de la PN.

[219]  Ces résultats appuient l’utilité de l’association de l’AA et de la PN pour le traitement du cancer de la prostate. Toutefois, les résultats préliminaires de l’essai COU‑AA‑004 n’ont pas montré que l’association de ces substances avait un effet plus important que la PN ou l’AA administrés seuls.

[220]  La principale question à laquelle il nous faut répondre est celle de savoir si ces études suffisent pour démontrer l’utilité de l’association des médicaments, puisqu’aucune étude ne présente une comparaison claire qui permettrait d’établir que leur association était plus efficace que si l’un ou l’autre avait été administré seul.

[221]  Cependant, compte tenu de l’essai COU‑AA‑001 et des études antérieures sur les effets anticancéreux modérés de la PN, je conclus qu’une parcelle d’utilité avait été établie en ce qui concerne l’association de l’AA et de la PN par rapport aux effets anticancéreux de l’AA ou de la PN administrés seuls.

[222]  Comme je l’ai mentionné plus tôt, je suis d’accord avec Apotex pour dire que l’utilité des revendications invoquées n’a vraisemblablement pas été établie au moyen d’une prédiction valable, puisque le fondement factuel et le raisonnement n’ont pas été divulgués dans le brevet 422. Au paragraphe 70 de l’arrêt Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, [2002] 4 RCS 153, la Cour suprême du Canada a énoncé que la prédiction valable nécessite un fondement factuel, un raisonnement et une divulgation de la prédiction dans le brevet. Malgré que certains auteurs aient pu affirmer que la Cour suprême du Canada était peut‑être revenue sur cet énoncé, la Cour d’appel fédérale a confirmé aux paragraphes 152 à 155 de Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219, 120 CPR (4th) 394, que dans les cas où le fondement factuel et le raisonnement reposent sur des données qui ne font pas partie des connaissances générales courantes, la divulgation est probablement requise pour étayer la prédiction valable

[223]  Janssen serait vraisemblablement en mesure d’établir que les revendications ont été prédites de manière valable, n’eût été l’exigence de divulgation. Le protocole de l’étude COU-AA-001 énonce clairement le fondement factuel et le raisonnement du Dr de Bono quant à la raison pour laquelle l’association d’AA et d’un glucocorticoïde pourrait empêcher un patient de développer une résistance au traitement par AA et avoir un effet anticancéreux. Toutefois, aucune partie de l’hypothèse du Dr de Bono ou des études de Cougar n’a été divulguée dans le brevet 422 et, par conséquent, Janssen ne peut s’appuyer sur la prédiction valable.

[224]  Comme il a été mentionné plus tôt, l’allégation d’inutilité d’Apotex n’est pas justifiée parce qu’elle n’a pu présenter aucun élément en lien avec l’utilité réelle.

G.  La contrefaçon

[225]  Le critère qui permet de vérifier s’il y a incitation à la contrefaçon est énoncé dans Corlac Inc c Weatherford Canada Ltd, 2011 CAF 228, au paragraphe 162, 204 ACWS (3d) 888 [Weatherford] :

  1. L’acte de contrefaçon sera exécuté par le contrefacteur direct.

  2. L’exécution de l’acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les agissements du « contrefacteur » de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu.

  3. Le « contrefacteur » doit savoir que son influence entraînera l’exécution de l’acte de contrefaçon.

[226]  Janssen affirme que, comme Apotex offrira un produit destiné à la vente assorti d’instructions qui permettront aux membres du public de contrefaire les revendications d’un brevet, Apotex est coupable d’incitation à la contrefaçon.

[227]  Janssen soutient que l’examen de la monographie proposée pour le produit APO‑ABIRATERONE révèle la preuve de la contrefaçon. Dans les monographies de produit d’APO‑ABIRATERONE et de ZYTIGA (Janssen), le libellé de la section intitulée Indications et utilisation clinique est essentiellement identique; il est indiqué dans le cas des deux produits que l’AA et la PN sont utilisés pour le traitement du cancer de la prostate métastatique hormonorésistant. Les études à l’appui de cette indication fournissent des données concernant l’innocuité et l’efficacité de l’association d’AA et de PN pour le traitement du cancer de la prostate. Les médecins prescriront l’association d’APO‑ABIRATERONE et de PN aux doses recommandées parce qu’ils prescrivent actuellement ZYTIGA à ces doses et que les deux monographies de produit comportent la même indication et la même posologie recommandée.

[228]  Les notes d’Apotex dans la section intitulée Mises en garde et précautions de la monographie de produit d’APO‑ABIRATERONE, selon lesquelles la PN est utilisée pour le traitement palliatif des effets indésirables plutôt que pour le traitement du cancer de la prostate, n’invalident pas la section intitulée Indications et utilisation clinique, qui prescrit l’utilisation de l’AA et de la PN pour le traitement du cancer de la prostate.

[229]  Selon Apotex, son produit APO‑ABIRATERONE n’incitera pas à la contrefaçon du brevet 422 parce qu’un élément essentiel de ce brevet est absent des indications de la monographie de produit d’APO‑ABIRATERONE. Pour qu’il y ait contrefaçon, il faut que le contrefacteur présumé reprenne tous les éléments essentiels d’une revendication, puisque la contrefaçon s’entend de tout acte qui nuit à la pleine jouissance du monopole conféré au titulaire du brevet (Free World, au par. 64; Monsanto Canada Inc c. Schmeiser, 2004 CSC 34, aux par. 34 et 35, [2004] 1 RCS 902.

[230]  Apotex insiste sur le fait que Janssen doit démontrer que, sans les activités d’Apotex, la contrefaçon directe n’aurait pas lieu. Si Apotex ne cherche pas à ce que son produit soit indiqué pour l’utilisation revendiquée et que les éléments de preuve ne permettent pas d’établir que le fabricant de médicaments génériques incitera d’autres personnes à prescrire ou à utiliser le produit générique pour l’utilisation revendiquée, il n’y a donc pas d’incitation à la contrefaçon.

Il ne peut être établi qu’il y a incitation à la contrefaçon à partir d’une simple mention de l’utilisation revendiquée dans la monographie, que cette mention soit faite dans les explications relatives aux contre‑indications où à l’interaction médicamenteuse ou encore dans une bibliographie scientifique (Sanofi-Aventis Canada Inc c Novopharm Ltd, 2007 CAF 167, au par. 11, 59 CPR (4th) 24 [Ramipril]).

[231]  Invoquant Bristol-Myers Squibb Canada c Apotex Inc, 2017 CF 1061, au par. 33, 286 ACWS (3d) 732, Apotex soutient que la Cour conclura qu’il y a eu incitation uniquement dans les cas de chevauchement de l’utilisation du médicament et de l’utilisation revendiquée dans le brevet. Une conclusion d’incitation ne doit pas être interprétée de manière à conférer au titulaire du brevet un monopole absolu sur le médicament qui comprend d’autres utilisations que celles qui sont indiquées dans le brevet. Cela est d’autant plus vrai lorsque le médicament compte plus d’une utilisation, comme en l’espèce où il est utilisé pour le traitement du cancer et pour ses effets palliatifs/la réduction d’effets secondaires.

[232]  Malgré le caractère très rigoureux du critère relatif à l’incitation à la contrefaçon, je conclus que l’allégation d’absence de contrefaçon du brevet 422 formulée par Apotex n’est pas justifiée. Il est évident dans le cas présent qu’Apotex a l’intention d’utiliser les mêmes médicaments, aux mêmes quantités, et ce, pour les mêmes objectifs généraux que ceux énoncés dans le brevet.

[233]  Les parties s’entendent pour dire qu’il est difficile de satisfaire au critère relatif à l’incitation à la contrefaçon énoncé au paragraphe 162 de Weatherford. Je tiens à faire remarquer que, dans une partie de son argumentation, Janssen compare à tort les monographies de produit de ZYTIGA et d’APO-ABIRATERONE. La question qui doit être posée est celle de savoir si Apotex incitera à la contrefaçon des revendications invoquées dans le brevet 422, et non celle de savoir si APO‑ABIRATERONE est semblable à ZYTIGA de Janssen. ZYTIGA chevauche suffisamment les revendications du brevet 422, comme nous l’avons vu dans la section des présentes relative à l’historique.

[234]  Des trois volets du critère énoncé dans Weatherford, le point de savoir si la contrefaçon directe du brevet 422 n’aurait pas eu lieu, sans les agissements d’Apotex pour influencer le contrefacteur direct est particulièrement important en l’espèce. En outre, l’incitation d’Apotex à la contrefaçon doit se rapporter à tous les éléments essentiels des revendications invoquées.

[235]  Pour déterminer l’existence de contrefaçon par incitation, la Cour peut tirer des inférences raisonnables à partir de la monographie de produit ou des éléments de preuve se rapportant à la posologie d’APO-ABIRATERONE ou à son étiquetage et à sa mise en marché (Ramipril, au par. 11). La simple mention de l’utilisation brevetée dans des explications relatives aux contre-indications ou dans une bibliographie scientifique ne suffit pas à établir qu’il y a incitation.

[236]  Bien que la bibliographie scientifique figurant dans la monographie de produit renvoie également aux utilisations revendiquées dans le brevet 422, le contenu de la monographie de produit d’APO-ABIRATERONE fournit en soi suffisamment de renseignements pour qu’il soit permis de conclure qu’Apotex incitera vraisemblablement à la contrefaçon du brevet 422.

[237]  Les experts de Janssen ont tous insisté sur la première section de la monographie de produit d’APO-ABIRATERONE, intitulée « Indications et utilisation clinique », qui mentionne qu’APO‑ABIRATERONE est indiqué en association avec la PN pour le traitement du cancer de la prostate métastatique hormonorésistant chez les patients. D’après le Dr So, un médecin comprendrait, à la lecture de cette section, que l’association est indiquée pour le traitement du cancer de la prostate, et qu’elle aurait donc un effet anticancéreux.

[238]  Le Dr Nam a insisté sur le fait que cette indication ne mentionne pas de « quantité thérapeutiquement efficace » de PN, ce qui selon lui signifie que la PN n’est pas désignée comme ayant un effet anticancéreux dans la monographie de produit d’APO-ABIRATERONE. Il a aussi fait observer que les cliniciens ne consulteraient pas la section intitulée Indications et utilisation clinique, mais qu’ils liraient principalement la section intitulée Mises en garde et précautions, laquelle décrit l’utilisation de glucocorticoïdes pour traiter les effets secondaires causés par l’AA, en raison de la possibilité d’utiliser des médicaments hors indication.

[239]  Je ne suis pas d’accord pour dire que la première section d’une monographie de produit, qui décrit l’indication d’un médicament et la façon dont il doit être utilisé, n’aurait pas d’importance pour un médecin appelé à déterminer comment utiliser un nouveau médicament. Pour déterminer s’il y a incitation à la contrefaçon, la question centrale consiste plutôt à se demander si Apotex cherche à ce que son produit soit indiqué pour l’utilisation revendiquée (Ramipril, au par. 11).

[240]  Sauf si le terme « traitement » dans la monographie de produit vise à inclure la prise en charge des effets secondaires, contrairement au terme « traitement » défini dans le brevet 422, l’indication dans la monographie de produit est presque exactement la même que l’utilisation revendiquée dans les revendications invoquées. Rien n’indique que le terme « traitement » est utilisé pour évoquer la prise en charge des effets secondaires.

[241]  L’expression « quantité thérapeutiquement efficace de prednisone » ne figure pas dans la monographie de produit, mais l’expression « quantité thérapeutiquement efficace » d’APO‑ABIRATERONE n’y figure pas non plus. Apotex ne peut chercher à faire valoir qu’elle prescrit l’utilisation d’une quantité d’APO‑ABIRATERONE qui serait inefficace contre le cancer de la prostate.

[242]  Il est important de souligner que même si l’expression « quantité thérapeutiquement efficace » n’est pas utilisée, la posologie quotidienne recommandée est de 1 000 mg d’APO‑ABIRATERONE avec 10 mg de PN. Il s’agit de la même posologie que celle de l’AA dans la revendication 6, associée à une quantité de PN qui se situe dans la plage recommandée au paragraphe 73 du brevet 422 (10 à 250 mg de PN par jour). Dans le contexte de l’ensemble du brevet 422, la quantité de 10 mg est revendiquée comme une « quantité thérapeutiquement efficace » de PN. Apotex n’a pas établi que sa posologie concernant la PN n’était pas une « quantité thérapeutiquement efficace » ou que la PN servait uniquement à une autre fin.

[243]  Contrairement aux affaires citées par Apotex, la présente espèce ne porte pas sur une utilisation hors indication qui pourrait contrefaire les revendications du brevet 422. L’utilisation indiquée d’APO‑ABIRATERONE et de PN vise plutôt le traitement du cancer de la prostate métastatique hormonorésistant, et il s’agit de la même utilisation que celle qui est présentée dans les revendications invoquées.

[244]  Apotex a admis dans ses observations écrites que la PN avait un effet anticancéreux. Par conséquent, Apotex incitera inévitablement à la contrefaçon en recommandant l’utilisation d’APO‑ABIRATERONE et de PN pour traiter le cancer de la prostate métastatique hormonorésistant dans sa monographie de produit. Les effets de la PN ne sont pas dissociables : si elle traite les effets secondaires de l’AA et a un effet anticancéreux, alors elle aura aussi ces effets dans l’organisme.

[245]  La présente affaire ne vise pas une situation où Janssen tente d’élargir son monopole de manière générale à toutes les utilisations d’AA. Toutefois, les troubles ciblés, les posologies et l’association de médicaments sont les mêmes que dans les revendications invoquées. Il ne s’agit pas non plus d’une affaire où Apotex allègue que les revendications ont une portée excessive, particulièrement en ce qui a trait aux posologies concernant la PN.

[246]  Par conséquent, en demandant aux médecins de prescrire APO-ABIRATERONE et de la PN en association pour le traitement du cancer de la prostate métastatique hormonorésistant, Apotex les incitera à contrefaire le brevet 422.

H.  L’admissibilité à l’inscription au registre

[247]  La question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si le brevet 422 peut justifier la délivrance d’une ordonnance d’interdiction au titre du Règlement. Selon Janssen, Apotex ne peut soulever la question de savoir si les revendications invoquées sont non pertinentes ou inadmissibles à l’inscription au registre sans avoir formulé les allégations voulues par voie de requête, conformément aux exigences prévues au paragraphe 6(5) du Règlement.

[248]  Janssen fait aussi valoir que, même si la Cour peut examiner la question sans requête, contrairement aux allégations d’invalidité, il incombe à Apotex d’établir que le brevet 422 n’est pas admissible à l’inscription au registre. Apotex a fait intervenir l’application du Règlement en comparant directement son produit à ZYTIGA. Le brevet 422 est régulièrement inscrit au registre et il est pertinent par rapport à ZYTIGA. ZYTIGA est indiqué pour une utilisation en association avec la PN pour le traitement du cancer de la prostate; il s’agit du même objet que celui des revendications invoquées.

[249]  Apotex affirme qu’elle n’était pas tenue de présenter une requête au titre du paragraphe 6(5) du Règlement pour pouvoir soulever durant l’audience des questions au sujet de l’admissibilité à l’inscription au registre du brevet 422.

[250]  Selon Apotex, les revendications du brevet 422 qui ne se rattachent pas à l’utilisation de ZYTIGA ne sont pas pertinentes et ne peuvent justifier la délivrance d’une ordonnance d’interdiction au titre du Règlement, selon le paragraphe 4(2) du Règlement. La délivrance d’une telle ordonnance exige un degré élevé de concordance précise et spécifique entre les revendications du brevet et les ingrédients de ZYTIGA ainsi que l’utilisation et les formes posologiques du produit à l’égard duquel l’avis de conformité a été délivré (ViiV Healthcare ULC c Teva Canada Ltd, 2014 CF 893, au par. 48, 464 FTR 66; Gilead Sciences Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2012 CAF 254, aux par. 37 et 40, 222 ACWS (3d) 500).

[251]  Apotex affirme que ZYTIGA, comme APO‑ABIRATERONE, est indiqué en association avec la PN (où le rôle de la PN est d’atténuer les effets secondaires de l’AA) pour le traitement du cancer de la prostate métastatique hormonorésistant. C’est ainsi que l’utilisation de la PN avec ZYTIGA est expliquée dans la monographie de produit de ZYTIGA et les documents relatifs à sa commercialisation, dans les documents de la Food and Drug Administration des États‑Unis et dans les présentations faites par des urologues au nom de Janssen. En revanche, le brevet 422 concerne l’utilisation de la PN en tant qu’agent anticancéreux en association avec l’AA. Par conséquent, l’utilisation de la PN avec ZYTIGA et l’utilisation qui est présentée dans les revendications du brevet 422 ne concordent pas, ce qui rend le brevet 422 inadmissible à l’inscription au registre au titre du paragraphe 4(2) du Règlement.

[252]  Compte tenu des conclusions précédentes de la Cour, la question est peut‑être théorique. D’après le principal argument d’Apotex, il n’y a pas de lien entre ZYTIGA et le brevet 422; par conséquent, le brevet ne peut être inscrit au registre parce que le rôle de la PN est non pas de traiter le cancer, mais bien d’atténuer les effets secondaires.

[253]  Sur le plan procédural, il faut se demander si l’inscription au registre des brevets peut être soulevée dans l’avis de conformité ou si une requête doit être présentée pour que la question puisse être soulevée dans la présente instance.

[254]  Dans Bayer Inc c Apotex Inc, 2014 CF 436, 454 FTR 48, le juge Hughes a estimé que, sur le plan procédural, la question de l’inscription au registre pourrait être abordée au moyen d’une requête ou dans le cadre de l’instance relative à l’avis de conformité. D’autres juges de la Cour ont affirmé la même chose.

[255]  Les instances relatives à l’avis de conformité sont déjà suffisamment lourdes, et comme rien ne m’interdit clairement de procéder d’une autre manière, j’estime que, conformément aux articles 3 et 4 des Règles, la question peut être soulevée d’une manière ou de l’autre.

[256]  Les parties n’ont pas soulevé d’argument important quant à la question de fond de l’inscription au registre. À la lumière des conclusions déjà tirées, lesquelles montrent le lien entre ZYTIGA et le brevet, même si le rôle approuvé de la PN consiste essentiellement à prendre en charge des effets secondaires, la PN contribue au traitement du cancer en soi.

[257]  Selon l’alinéa 4(2.1)c) du Règlement, une seule des utilisations revendiquées dans la présentation doit correspondre à l’utilisation revendiquée dans un brevet.

[258]  La monographie de produit de ZYTIGA souligne que le rôle de la PN associée à l’AA consiste essentiellement à atténuer les effets secondaires, mais ses effets anticancéreux sont reconnus.

[259]  Le brevet 422 peut justifier une interdiction fondée sur le Règlement AC.


 

V.  Conclusion

[260]  Pour tous ces motifs, la Cour délivrera une ordonnance au ministre de la Santé lui interdisant de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc pour son produit proposé à base d’abiratérone acétate [APO-ABIRATERONE] jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 2 661 422.

[261]  Les dépens sont adjugés à Janssen Inc, au tarif habituel.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

29 octobre 2019

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de janvier 2020.

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-1661-17

 

INTITULÉ :

JANSSEN INC. et JANSSEN ONCOLOGY, INC., BTG INTERNATIONAL LTD. c APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 29 ET 30 AVRIL; LES 1er et 29 mai 2019

 

motifs de JUGEMENT :

le juge PHELAN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 29 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Peter Wilcox

Stephanie Anderson

Bohdana Tkachuk

Tracey Doyle

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Andrew Brodkin

Jenene Roberts

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

APOTEX INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Belmore Neidrauer LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour les demanderesses

 

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour la défenderesse,

APOTEX INC.

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour la défenderesse,

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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