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Date : 20191112


Dossier : IMM-1078-19

Référence : 2019 CF 1386

Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2019

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

SAEID MIRKARIMI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  M. Saeid Mirkarimi demande le contrôle judiciaire de la décision de l’agent principal d’immigration (l’Agent), qui a, le 1er février 2019, rejeté sa demande d’Examen des risques avant renvoi (ERAR).

[2]  L’Agent détermine notamment, que M. Mirkarimi n’a pas démontré que les autorités en Iran connaissent son implication passée avec l’Organisation des moudjahidines du peuple iranien (OMPI) et il conclut que M. Mirkarimi fait défaut de démontrer, par balance des probabilités, qu’il fera face à des risques de torture, des risques à sa vie et des risques de traitements cruels et inusités, advenant son retour en Iran. Dans un addendum en lien avec des allégations additionnelles de risques liés à ses activités politiques au Canada depuis son arrivée, l’Agent ajoute que M. Mirkarimi n’a toujours pas démontré qu’il présente le profil d’une personne connue pour son activisme politique et anti-gouvernemental ou d’une personne d’intérêt pour les autorités iraniennes. 

[3]  Pour les motifs exposés ci-après, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

II.  CONTEXTE

[4]  M. Mirkarimi est citoyen iranien. Le 7 octobre 2013, il quitte l’Iran et le 26 décembre 2013, il entre au Canada et y demande l’asile. Dans le formulaire de Fondement de la demande d’asile (Formulaire de fondement) qu’il signe le 12 janvier 2014, M. Mirkarimi indique croire qu’il subirait un préjudice, des mauvais traitements ou des menaces s’il retournait dans son pays, puisque « les personnes qui ont, comme moi des antécédents auprès des autorités iraniennes ainsi que des sympathisants que je connaissais ont été arrêtés. Je risque d’être arrêté, torturé ou tué par les autorités pour mes idées politiques ». Dans le récit joint à son Formulaire de fondement, M. Mirkarimi relate notamment avoir été emprisonné trois fois par le régime iranien, à la plus récente occasion vers juillet 2011.Il est libéré aux termes de 6 mois de détention, et tenu de se présenter à tous les mois pendant deux ans pour signer une feuille de présence. Lors de cette détention, il est accusé d’être un sympathisant de l’Organisation des moudjahidines du peuple iranien (OMPI).

[5]  Le 2 juillet 2014, un rapport d’interdiction de territoire est émis à l’endroit de M. Mirkarimi selon l’alinéa 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Le 8 juillet 2014, le délégué du ministre défère l’affaire à la Section de l’immigration (SI) pour enquête aux termes de l’alinéa 44(2) de la Loi et le même jour, la Section de la protection des réfugiés (SPR) suspend le traitement de la demande d’asile de M. Mirkarimi. Le 15 septembre 2015, la SI déclare M. Mirkarimi interdit de territoire sous les alinéas 34(1)(c) et (f) de la Loi et une mesure de renvoi, sous la forme d’expulsion, est prononcée contre lui. Dans sa décision, la SI conclut qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’OMPI est une organisation aux fins de l’alinéa 34(1)(c) de la Loi et qu’il y a des motifs raisonnables de croire que M. Mirkarimi était un membre de l’OMPI. Le 12 janvier 2016, la Cour rejette la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de M. Mirkarimi à l’encontre de la décision de la SI. Tel que le prévoit le paragraphe 101(1)(f) de la Loi, la demande d’asile de M. Mirkarimi devient alors irrecevable et ne peut plus être examinée.

[6]  Le 26 octobre 2016, CIC avise M. Mirkarimi qu’il peut présenter une demande d’ERAR. M. Mirkarimi ayant été jugé interdit de territoire pour raison de sécurité en vertu des alinéas 34(1)(c) et (f) de la Loi, sa demande d’ERAR ne peut être évaluée que sur la base des éléments mentionnés à l’article 97, conformément à ce qui est prévu à l’article 113(d) de la Loi.

[7]  Le 29 octobre 2018, l’Agent rend sa décision. L’Agent précise que l’évaluation du risque allégué est limitée à celui décrit l’article 97 de la Loi, accepte la conclusion de la SI que M. Mirkarimi était un membre de l’OMPI et note que M. Mirkarimi n’a déposé que son Formulaire de fondement de janvier 2014 pour appuyer ses allégations de crainte. L’Agent note aussi que M. Mirkarimi y décrit avoir été arrêté trois fois en Iran, avoir été accusé d’être un sympathisant de l’OMPI à la troisième occasion, et ne pas avoir démontré avoir été inculpé ou déclaré coupable d’un crime. L’Agent indique aussi que M. Mirkarimi s’est vu offrir, lors de sa troisième arrestation et après 3 mois de détention, une libération en échange d’une somme d’argent, que sa famille a versé l’argent et qu’il a été libéré au terme de six mois de détention. L’Agent conclut que M. Mirkarimi n’a pas démontré qu’il demeurait une personne d’intérêt pour les autorités iraniennes depuis sa libération et n’accorde conséquemment pas de poids au Formulaire de fondement pour soutenir ses allégations de risque.

[8]  L’Agent analyse ensuite la preuve documentaire du cartable national et conclut par ailleurs que M. Mirkarimi n’a pas démontré, par de la preuve objective, (1) qu’il présente le profil décrit dans la documentation; (2) que l’Iran connait sa participation passée aux activités de l’OMPI; et (3) ni que l’Iran demeure intéressé à ses activités et ses déplacements depuis sa détention de 2011. L’Agent conclut que M. Mirkarimi n’a pas soumis suffisamment de preuve pour démontrer, par balance des probabilités, qu’il subira un danger de torture, risque à sa vie ou risque de traitements cruels et inusités tel que prévu à l’alinéa 97(1)(a) ou (b) de la Loi.

[9]  Enfin, l’Agent conclut aussi qu’une audience n’est pas requise dans le dossier puisque M. Mirkarimi ne rencontre pas tous les facteurs prévus à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

[10]  Cette décision n’est cependant pas communiquée à M. Mirkarimi et le 28 janvier 2019, l’avocate de M. Mirkarimi transmet une autre lettre à CIC afin de mettre à jour la demande d’ERAR. Elle réitère que M. Mirkarimi n’a jamais eu d’audience devant la SPR, que sa crédibilité n’a pas été évaluée et soumet qu’il devrait être entendu en audience si des questions de crédibilité sont soulevées dans ce dossier. L’avocate de M. Mirkarimi ajoute un nouvel élément de risque, soit que M. Mirkarimi a, au Canada, été très impliqué dans les activités de contestations du régime iranien et qu’il participe fréquemment à des activités publiques visant à dénoncer les violations commises par le régime iranien, et elle indique joindre à sa lettre des photos du demandeur, trouvées sur internet. Elle soumet qu’il est clair que les autorités surveillent les activités des opposants à l’étranger, que M. Mirkarimi est connu et identifié des autorités iraniennes et qu’à ce titre, il est en danger advenant un retour en Iran. Elle réfère à cet égard à deux documents de la preuve documentaire sur l’Iran.

[11]  Le 1er février 2019, l’Agent ajoute un addendum à sa décision afin de traiter des éléments additionnels soumis par l’avocate de M. Mirkarimi. L’Agent note les allégations additionnelles de M. Mirkarimi, examine ensuite chacun des éléments de preuve soumis par l’avocate de M. Mirkarimi avec sa lettre du 28 janvier 2018 et conclut que M. Mirkarimi n’a toujours pas démontré qu’il présente le profil d’une personne connue pour ses activités politiques ou antigouvernementales ni qui serait d’intérêt pour les autorités iraniennes, et que M. Mirkarimi n’a pas démontré qu’il encourt un risque personnalisé tel que décrit à l’alinéa 97(1)(a) ou (b) de Loi. Le 14 mars 2019, la Cour sursoit au renvoi de M. Mirkarimi en Iran.

III.  QUESTIONS EN LITIGE

[12]  Selon le mémoire de M. Mirkarimi, la Cour doit déterminer (1) si l’Agent a violé les règles d’équité procédurale en rendant sa décision sans audience; et (2) si l’Agent a rendu une décision déraisonnable en ne prenant pas en considération la preuve au dossier. Cependant, une seule question permet de disposer de la demande.

IV.  LE CARACTÈRE DÉRAISONNABLE DE LA DÉCISION

[13]  Il convient d’évaluer la décision de l’Agent selon la norme de la décision raisonnable. Ainsi, la Cour doit examiner si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité (Dunsmuir c Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9). Or, la décision de l’Agent est déraisonnable.

[14]  M. Mirkarimi soumet que l’Agent a refusé sa demande sans prendre en considération toute la preuve au dossier. Ainsi, il soumet que (1) l’Agent devait reconnaitre l’implication du demandeur dans l’organisation et les problèmes qu’il a eus avec les autorités iraniennes; (2) l’Agent a ignoré un aspect important de la preuve soit que le demandeur a été libéré après paiement d’une importante caution sous conditions de se présenter à chaque mois pendant deux ans aux autorités; (3) le témoignage de M. Mirkarimi déposé dans son Formulaire de fondement, devant la section de l’immigration et dans le dossier ERAR ne pouvait être ignoré; (4) l’Agent n’avait aucun motif pour rejeter les photos; (5) l’Agent a refusé de retenir ses déclarations et les preuves que les Iraniens surveillent ce genre d’évènements.

[15]  Le Ministre soumet que la décision de l’agent d’ERAR est raisonnable. Il cite Zdraviak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 305 à l’effet que l’agent d’ERAR peut décider d’accorder peu ou pas de poids à la preuve et conclure que la norme de preuve est satisfaisante. La présomption de véracité ou de fiabilité des déclarations faites par les demandeurs d’asile ne peut être considérée comme une présomption que la preuve est satisfaisante. Le Ministre ajoute que l’Agent a examiné le Formulaire de fondement. Il a constaté que M. Mirkarimi a été incarcéré à trois reprises et a été libéré après six mois de détention en 2011, mais que M. Mirkarimi a fait défaut d’établir qu’il est toujours une personne d’intérêt pour les autorités iraniennes huit ans plus tard. Le Ministre soumet que l’Agent a raison de ne pas accorder de poids à ces allégations. Le Ministre soumet que l’Agent a agi raisonnablement en n’accordant aucun poids au récit non daté ni signé, les photos, la lettre du NCRI, les messages et les messages textes.

[16]  En l’instance, je souscris à la position de M. Mirkarimi. En effet, l’Agent a spécifiquement reconnu l’implication du demandeur dans l’OMPI en Iran, et son arrestation pour ce motif, mais il a néanmoins conclu que les autorités iraniennes ne connaissent pas ses activités passées. Cette position est inintelligible et constitue une erreur fatale.


JUGEMENT dans IMM-1078-19

LA COUR STATUE QUE :

  • 1) La demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier est retourné à un autre agent pour une nouvelle détermination;

  • 2) Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1078-19

INTITULÉ :

SAEID MIRKARIMI c MINISTRE DE LA CITOYENNET É ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal, Québec

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 octobre 2019

JUGEMENT ET motifs:

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 12 novembre 2019

COMPARUTIONS :

ME STÉPHANIE VALOIS

Pour le demandeur

ME JESSICA PIZZONI

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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