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Date : 20191025


Dossier : IMM-4603-18

Référence : 2019 CF 1332

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Fothergill

 

ENTRE :

GLORIA SANTOS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Gloria Santos demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’elle avait présentée au Canada.

[2]  Je suis convaincu que la décision de l’agent était raisonnable et équitable sur le plan procédural. La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

II.  Le contexte

[3]  Mme Santos est citoyenne des Philippines. Elle a 42 ans.

[4]  En 2000, Mme Santos et son ancien époux se sont mariés aux Philippines. Leur fils est né deux ans plus tard. Mme Santos affirme que son ancien époux ne contribuait pas aux dépenses de la famille et qu’ils ont divorcé en 2015.

[5]  Mme Santos et son frère aîné aident leur mère à subvenir à ses besoins aux Philippines depuis leur adolescence. Mme Santos a occupé de nombreux emplois aux Philippines jusqu’en 2005, date à laquelle elle a déménagé à Taïwan à la recherche d’un nouvel emploi. Sa famille et son fils sont restés aux Philippines.

[6]  Mme Santos trouvait la vie difficile à Taïwan. En 2011, elle a eu recours à une agence pour l’aider à s’installer au Canada, ce qui lui a coûté toutes ses économies. Depuis ce moment, elle réside au Canada. Jusqu’en décembre 2014, elle a occupé divers emplois en toute légalité au titre de plusieurs permis de travail. Elle a envoyé la majorité de son salaire à sa mère pour payer ses dépenses et celles de son fils.

[7]  En décembre 2014, l’employeur de Mme Santos a refusé de lui donner un exemplaire de sa demande d’avis relatif au marché du travail, même si elle l’avait payé 1 000 $ pour qu’il l’aide à obtenir un permis de travail. Elle a quitté son emploi et n’a pas travaillé de janvier à mars 2015.

[8]  En mars 2015, un avocat spécialisé en droit de l’immigration a embauché Mme Santos comme aide familiale résidante et lui a promis de l’aider à obtenir un permis de travail. Toutefois, en janvier 2016, la demande de Mme Santos a été refusée en application de l’alinéa 200(3)g) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. L’alinéa 200(3)g), maintenant abrogé, interdisait la délivrance d’un permis de travail à un travailleur étranger temporaire qui avait travaillé au Canada pendant une période totalisant quatre ans.

[9]  Mme Santos a de nouveau quitté son emploi et est demeurée sans emploi jusqu’en mai 2016, lorsqu’elle a déménagé à Hamilton pour vivre avec son conjoint de fait. Elle a gagné de l’argent grâce à des petits boulots jusqu’en août 2016, lorsqu’elle a déménagé à Toronto pour vivre avec la sœur de son conjoint.

[10]  Mme Santos a trouvé du travail à Toronto, dans une ferme agricole produisant des champignons. Elle était très mal payée. Son employeur lui avait promis d’obtenir un permis de travail pour elle, mais il n’a jamais tenu sa promesse. Mme Santos est retournée travailler pour un ancien employeur dans le domaine de l’emballage.

[11]  Le 13 novembre 2017, Mme Santos a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le 13 juillet 2018, cette demande a été refusée.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[12]  L’agent a accordé un poids favorable à l’établissement de Mme Santos au Canada, en soulignant qu’elle avait trouvé un emploi, s’était fait des amis, payait des impôts et participait à des activités communautaires. Cela dit, il a jugé que son degré d’établissement n’était pas exceptionnel. Il a fait observer qu’il s’agissait du degré attendu de toute personne ayant vécu au Canada pour un séjour de la même durée.

[13]  L’agent a conclu que les éléments de preuve ne suffisaient pas à démontrer que Mme Santos avait tissé des relations importantes, notamment avec son conjoint de fait. Il n’y avait pas non plus de motifs suffisants pour conclure que son retour aux Philippines compromettrait ces relations.

[14]  L’agent n’était pas convaincu que Mme Santos serait réduite à la pauvreté si elle retournait aux Philippines. Il a jugé que, malgré l’âge de Mme Santos, ses compétences professionnelles acquises au Canada, à Taïwan et aux Philippines étaient transférables. Il a conclu que son niveau d’instruction et son expérience professionnelle lui permettraient de continuer à subvenir aux besoins de sa famille aux Philippines. Il n’était pas convaincu que la discrimination fondée sur l’âge nuirait à Mme Santos dans sa recherche d’emploi dans son pays.

[15]  Prenant acte des liens étroits unissant Mme Santos à sa mère et à son fils adolescent, l’agent a conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur du fils de Mme Santos d’être réuni avec sa mère.

IV.  Les questions en litige

[16]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La décision de l’agent est-elle raisonnable?

  2. La décision de l’agent est-elle conforme à l’équité procédurale?

V.  Analyse

[17]  La décision d’un agent d’immigration d’accueillir ou de rejeter une demande de résidence permanente faite au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire peut faire l’objet d’un contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au par. 44 [Kanthasamy]). La Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

[18]  Pour savoir si l’agent a appliqué le bon critère juridique pour évaluer une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il faut appliquer la norme de la décision correcte (Guxholli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1267, au par. 17). La Cour applique aussi la norme de la décision correcte pour le contrôle des questions d’équité procédurale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43).

[19]  Il est bien établi que l’exercice, par un agent d’immigration, du pouvoir discrétionnaire prévu par le paragraphe 25(1) et l’article 25.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, est une mesure exceptionnelle (Kanthasamy, au par. 19). Il ne s’agit pas d’un processus de rechange à celui de l’immigration et devrait être appliqué avec parcimonie (Kanthasamy, aux par. 14 et 23).

A.  La décision de l’agent est-elle raisonnable?

[20]  Mme Santos affirme que l’agent n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve pertinents et n’a pas suivi les lignes directrices d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada intitulées « IP 5 : Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire ».

[21]  Les lignes directrices IP 5 ont été remplacées par des « Instructions et lignes directrices opérationnelles ». La ligne directrice intitulée « Circonstances d’ordre humanitaire » exige que les agents d’immigration effectuent une évaluation globale des facteurs d’ordre humanitaire.

[22]  Mme Santos fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte d’une grande partie de ses activités au sein de sa communauté religieuse et de la communauté philippine, ni de sa relation avec son conjoint de fait. Elle ajoute que l’agent a examiné les facteurs séparément plutôt que globalement (invoquant le par. 28 de l’arrêt Kanthasamy).

[23]  Dans sa décision, l’agent affirme ce qui suit : [traduction] « [j]’ai examiné l’ensemble des renseignements et des éléments de preuve concernant la présente demande ». L’agent a pris sa décision, selon laquelle l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire était injustifié, [traduction] « [a]près examen des facteurs et des éléments de preuve présentés en l’espèce ». Rien dans sa décision ne suggère que l’agent a, à tort, examiné les facteurs séparément. Mme Santos n’a pas non plus démontré comment une évaluation plus [traduction] « globale » aurait changé l’issue de la décision.

[24]  Mme Santos soutient que l’agent a mal appliqué le critère juridique pour trancher une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, car il a exigé qu’elle démontre que son établissement était [traduction] « exceptionnel ». Le même argument a été présenté au juge Yvan Roy dans l’affaire De Sousa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 818 [De Sousa]. Celui-ci l’a rejeté pour les motifs suivants (au par. 27) :

Les demandeurs font valoir que le décideur a placé très haut la barre lorsqu’il a examiné la question de l’établissement en exigeant qu’il s’agisse d’un établissement [traduction] « exceptionnel » (mémoire des faits et du droit, au paragraphe 31). Je ne crois pas que cette analyse des termes employés reflète la conclusion effective du décideur. Il n’a pas fixé de seuil relevant du caractère exceptionnel. Dans sa décision, il a simplement considéré que l’établissement ne représentait pas un élément exceptionnel. En fait, lorsqu’on lit la phrase intégralement, il est évident que le décideur a simplement indiqué qu’[traduction] “il n’est pas rare que des personnes qui résident au Canada exercent un emploi, s’intègrent à leur collectivité, forgent des amitiés, paient leurs impôts, donnent de leur temps et maintiennent un bon dossier civil”. Cela est certainement vrai. En fait, le décideur a accordé dans une certaine mesure une pondération favorable à l’établissement au Canada. Il ne fait aucun doute que les demandeurs apportent une contribution à leur collectivité et qu’ils n’ont pas vécu au crochet de la société. Mais il demeure que l’établissement n’est pas extraordinaire au point qu’on lui accorde une pondération importante.

[25]  Des considérations semblables s’appliquent en l’espèce. Comme dans l’affaire De Sousa, l’agent a accordé un poids favorable au degré d’établissement de Mme Santos au Canada.

[26]  Mme Santos conteste la conclusion de l’agent selon laquelle sa famille pourrait l’aider à se réinstaller aux Philippines. Elle fait remarquer que sa mère est âgée et qu’elle souffre de diabète et que son fils adolescent est encore à l’école. Tous les deux comptent sur l’aide financière de Mme Santos. Lorsque l’agent évoque le retour de Mme Santos aux Philippines, il fait cependant référence au soutien en général et non pas à l’aide financière. Par ailleurs, Mme Santos a deux frères aux Philippines. L’avocat de Mme Santos a d’abord cherché à présenter à la Cour des éléments de preuve concernant la situation des frères. Il a ensuite reconnu qu’il ne pouvait pas s’appuyer sur ces éléments de preuve dans la présente demande de contrôle judiciaire, car ils n’étaient pas à la disposition de l’agent.

[27]  Mme Santos affirme que l’agent n’était pas « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de son fils (invoquant l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au par. 75, et l’arrêt Kanthasamy, au par. 39). Or, l’agent a tenu compte de la situation du fils et a ajouté que Mme Santos n’avait pas démontré qu’elle serait incapable de trouver du travail aux Philippines, compte tenu de son niveau d’instruction et de son expérience professionnelle. Il a ensuite conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’être réuni avec sa mère aux Philippines. Cette conclusion appartient aux issues possibles acceptables.

[28]  Enfin, Mme Santos affirme que l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a conclu qu’il faudrait refuser la prise de mesures spéciales à son égard pour des motifs d’ordre humanitaire au motif qu’elle ne s’est pas conformée au droit canadien de l’immigration, car elle est demeurée au Canada et y a travaillé sans autorisation. Toutefois, les « Instructions et lignes directrices opérationnelles » permettent à un agent d’immigration de déterminer si le séjour d’un demandeur au Canada est indépendant de sa volonté. La ligne directrice intitulée « Évaluation des considérations d’ordre humanitaire : Établissement au Canada » définit les circonstances qui ne sont pas indépendantes de la volonté du demandeur, notamment le fait que « [l]e demandeur entre dans la clandestinité et demeure illégalement au Canada ». Selon cette ligne directrice, « [d]ans de tels cas, l’incapacité de quitter le Canada ne découle pas de circonstances indépendantes de la volonté du demandeur et pourrait constituer un facteur très défavorable ».

B.  La décision de l’agent est-elle conforme à l’équité procédurale?

[29]  Mme Santos soutient que l’agent a violé son droit à l’équité procédurale, car il a rejeté sa demande en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèques, à savoir des renseignements accessibles au public au sujet de la législation sur la discrimination fondée sur l’âge aux Philippines. Elle avance qu’elle aurait dû être mise au courant de l’intention de l’agent de s’appuyer sur ces renseignements et qu’il aurait fallu lui donner l’occasion d’y répondre.

[30]  Comme l’a expliqué le juge Yves de Montigny dans la décision De Vazquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 530, au paragraphe 28, la nature « extrinsèque » d’une preuve — et l’obligation de la divulguer d’avance à un demandeur — n’est pas établie en fonction du document en soi, mais plutôt de la question de savoir si l’information que renferme le document devrait être connue par le demandeur, compte tenu de la nature des observations présentées. Les renseignements sur lesquels l’agent s’est appuyé, au sujet de la discrimination fondée sur l’âge aux Philippines, sont de nature générale et étaient raisonnablement accessibles par Mme Santos. D’ailleurs, dans ses observations, elle a clairement soulevé la question de la discrimination fondée sur l’âge.

VI.  Conclusion

[31]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de novembre 2019.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4603-18

 

INTITULÉ :

GLORIA SANTOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 octobre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE :

Le 25 octobre 2019

 

COMPARUTIONS :

Roger Rowe

 

Pour la demanderesse

 

Leanne Briscoe

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Offices of Roger Rowe

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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