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Date: 20191031


Dossier: IMM-1784-19

Référence: 2019 CF 1369

Montréal (Québec), le 31 octobre 2019

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

Louinet LAINÉ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  M. Louinet Lainé demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] du 26 février 2019 qui rejette son appel, confirme la décision de la Section de la protection des Réfugiés [SPR] et conclut qu’il n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle d’une personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

II.  CONTEXTE

[2]  M. Lainé est citoyen d’Haïti. Le 11 mai 2017, il quitte Haïti pour les États-Unis et le 15 juillet 2017, il entre au Canada et y demande l’asile. M. Lainé fonde sa demande sur le fait qu’il a été visé par des bandits parce qu’il réussissait dans ses affaires, dans son commerce et parce qu’il voyageait aux États-Unis.

[3]  Le 2 août 2017, M. Lainé signe le formulaire de Fondement de demande d’asile [Formulaire de fondement] et y allègue, essentiellement, que (1) le 23 mars 2017, il a été attaqué dans son magasin à Pétion-Ville par trois bandits avec des armes à feu; (2) «après cela» il a porté plainte au Commissariat de police; (3) il a de nouveau été menacé deux ou trois jours plus tard; et (4) environ un mois et demi plus tard, sa famille a été menacée.

[4]  Le 23 avril 2018, la SPR conclut que M. Lainé n’a pas établi qu’il y a une possibilité sérieuse de persécution pour un motif prévu dans la Convention, ou que, selon la prépondérance des probabilités, il serait personnellement exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait en Haïti, essentiellement parce qu’elle ne croit pas son histoire de risques.

[5]  En effet, la SPR est satisfaite de la preuve d’identité de M. Lainé, mais soulève des problèmes de crédibilité. Elle note que les enfants de M. Lainé sortent en public et vont à l’école sans problème en Haïti, sans toutefois en tirer de conclusion négative sur la crédibilité de M. Lainé. Ultimement, la SPR juge que le fait d’être ciblé par les bandits parce qu’il réussit bien en affaires est un risque généralisé qui n’est pas différent du risque encouru par les autres Haïtiens dans le pays, et conséquemment, la SPR rejette la demande d’asile de M. Lainé. La SPR n’accorde pas de force probante au document de plainte présenté par M. Lainé et elle tire des conclusions négatives sur la crédibilité de ce dernier en raison d’omissions et de contradictions entre son témoignage et les informations consignées à son [Formulaire].

III.  LA DÉCISION DE LA SAR

[6]  La SAR procède à sa propre analyse du dossier, en appliquant la norme de la décision correcte. La question déterminante demeure la crédibilité de M. Lainé.

[7]  La SAR juge que la SPR a erré en tirant une conclusion négative de la crédibilité de M. Lainé à partir de la contradiction quant à la date de son arrêt de travail et confirme que la SPR n’a par ailleurs tiré aucune inférence négative à partir du fait que les enfants sortent de la maison en Haïti. Par contre, la SAR juge que la SPR n’a pas erré quant aux autres éléments, soit (1) le fait que la plainte au Commissariat de police porte la date du 24 mars 2017 plutôt que celle du 23 mars 2017, et qu’elle consigne avoir été reçue à 13h plutôt qu’en soirée entachent la fiabilité du document et ne constitue pas une contradiction mineure; (2) les irrégularités quant au numéro d’identification consigné sur la plainte et le fait que le document se limite à répéter les déclarations sans vérification ni enquête entachent aussi la fiabilité du document et sa valeur probante; et (3) le délai d’un mois et demi encouru par M. Lainé pour quitter son domicile constitue une incohérence face à la crainte alléguée et affaiblit la crédibilité des menaces; et (4) le fait que l’identité de la personne qui a cogné à la porte de la maison de M. Lainé après son départ ne soit pas connue ne permet pas d’établir, au regard de la balance des probabilités, que sa vie ait été menacée. Enfin la SAR confirme que la SPR n’a pas commis d’erreur en jugeant que le risque invoqué par M. Lainé est généralisé et n’est pas différent de celui des Haïtiens dans la même situation professionnelle.

[8]  La SAR confirme donc la décision de la SPR et conclut que M. Lainé n’a pas établi, par prépondérance des probabilités, qu’il serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner en Haïti.

IV.  POSITION DES PARTIES

A.  Position de M. Lainé

[9]  M. Lainé soumet à la Cour que la SAR (1) a erré en fait et en droit en ce que les raisons invoquées sont déraisonnables et non fondées sur la preuve; (2) s’est fondée sur des éléments de preuve non pertinents et non déterminants pour l’issue des droits revendiqués; (3) a tiré des inférences négatives sur des éléments non déterminants et non pertinents; (4) ne semble pas clairement établir quels éléments sont pertinents et quelle est la valeur probante à leur accorder, surtout qu’elle reconnaît elle-même la situation grave en Haïti; et(5) n’a pas clairement établi de quelle façon elle conclut à un risque généralisé et à l’absence de risques personnalisés .

[10]  Plus spécifiquement, M. Lainé soumet que son témoignage ne présente pas de contradiction sur des faits cruciaux qui seraient au fondement de sa demande d’asile. Il ajoute que ses explications sont plausibles et vraisemblables et qu’il n’y a pas d’accumulation de contradictions. M. Lainé ajoute que la SAR n’aurait pas dû rejeter un pan complet de la preuve en se basant uniquement sur le manque de crédibilité. Selon lui, la cohérence du récit et la prépondérance des probabilités des faits allégués doivent l’emporter sur des faits non pertinents et non déterminants à l’issue du droit revendiqué (Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration) c Dan-Ash, [1988] FCJ no. 571 (CA)).

[11]  Citant Kulasekaram c Canada, 2013 CF 388, M. Lainé reproche également à la SAR de se pencher exclusivement sur des incohérences mineures et de négliger de prendre en compte les points pertinents, tels que la situation objective en Haïti. Enfin, M. Lainé ajoute que les éléments de son récit qui ne sont pas contestés suffisent à établir un risque personnalisé compte tenu de la preuve documentaire.

[12]  M. Lainé soumet finalement que la décision de la SAR est inintelligible et déraisonnable (Dunsmuir c Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

B.  Position du Ministre

[13]  Le Ministre répond que la décision de la SAR est bien fondée en fait et en droit et ne contient aucune erreur qui justifierait l’intervention judiciaire. La SAR a raisonnablement conclu en soulignant une incohérence dans le comportement de M. Lainé et en n’accordant aucune valeur probante à la plainte vu les irrégularités qu’elle contient. Le Ministre ajoute que tous les éléments relatifs à la demande d’asile ont été considérés. Il ajoute aussi que la SPR a bien soulevé les problématiques dans l’histoire de M. Lainé au cours de l’audience et lui a donné l’opportunité de fournir les explications. Le Ministre ajoute enfin que la possibilité que M. Lainé ait été victime d’un acte criminel en Haïti ne constitue pas un risque personnalisé.

[14]  En conclusion, le Ministre soumet que la décision de la SAR est raisonnable et qu’il n’appartient pas à cette Cour de substituer son opinion à celle de la SAR.

V.  ANALYSE

[15]  La Cour est d’accord avec les parties qu’il convient d’évaluer la décision de la SAR à l’aune de la norme du caractère raisonnable de la décision (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa]). La tâche de la Cour est d’évaluer la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que de déterminer si la décision appartient «aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit» (Dunsmuir au para 47). Ainsi, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable. Il ne rentre pas non plus dans les attributions de la cour de révision de soupeser de nouveau les éléments de preuve (Khosa au para 59).

[16]  Je ne souscris pas à la position de M. Lainé, étant au contraire convaincue qu’il était raisonnable pour la SAR, compte tenu de la preuve devant elle; (1) de conclure que le témoignage de M. Lainé présente des contradictions sur des faits cruciaux qui vicient le fondement de sa demande d’asile; (2) de ne pas accorder de force probante à la plainte vu les irrégularités qu’elle présente; (3) de conclure que les explications que M. Lainé a fournies quant à ces incohérences et contradictions sont insuffisantes; et (4) de conclure que les incohérences sur lesquelles la SAR s’est penchée ne sont pas mineures, puisqu’elles sont au contraire centrales à la demande de protection.

[17]  Au surplus, rien n’indique que la SAR a négligé de prendre en compte les points pertinents, tels que la situation objective en Haïti. M. Lainé ne m’a pas convaincue que le risque qu’il invoque, basé sur son statut de commerçant qui voyage aux États-Unis, au surplus dépouillé des allégations minées par les conclusions sur sa crédibilité, n’est pas un risque généralisé et que la conclusion de la SAR à cet égard est déraisonnable.

[18]  M. Lainé exprime son désaccord quant aux conclusions tirées par la SAR, mais n’a pas réussi à démontrer qu’elles sont déraisonnables au regard des faits et du droit et qu’elles ne font pas partie des issues possibles compte tenu du dossier.


JUGEMENT au dossier IMM-1784-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1784-19

 

INTITULÉ :

LOUINET LAINE c. LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 OCTOBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

SABINE VENTURELLI

Pour le demandeur

CHANTAL CHATMAJIAN

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sabine Venturelli - Avocat(e)

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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