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Date : 20041122

Dossier : T-36-04

Référence : 2004 CF 1638

ENTRE :

                                                                 DENISE BLAIS,

                                            AVOCATE, MINISTÈRE DE LA JUSTICE

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Il s'agit d'une affaire mettant en cause une employée mécontente travaillant pour un employeur mécontent. Mécontents à un point tel qu'ils en ont fait une cause judiciaire. Notre Cour est le dernier endroit auquel les deux parties voulaient se retrouver.

[2]                En droit, il s'agit d'un litige relatif au salaire et à la prétendue attitude répréhensible de la gestion dans ses tentatives de règlement du litige. Il s'agit en réalité de l'analyse d'un échec en matière de relations humaines.

[3]                Le tout a commencé sur une note positive. Denise Blais est avocate au ministère de la Justice. À la suite d'un concours, elle a obtenu une promotion. On lui a fait une offre écrite. Suivant cette offre, son salaire devait être calculé sur la base d'une échelle établie conformément aux normes du ministère. La personne que maître Blais devait contacter lui a remis une feuille de calcul qui établissait un salaire précis. Elle a accepté et elle a été payée en conséquence. Plusieurs mois plus tard, alors qu'elle était en train de négocier le paiement d'arrérages de salaire, un fonctionnaire du ministère a pensé qu'une erreur avait été commise dans le calcul de son salaire. Son salaire a été réduit, mais personne n'a pris la peine de l'en informer. Il va sans dire que lorsqu'elle s'en est rendu compte, elle a été quelque peu contrariée, pour ne pas dire davantage.

[4]                Maître Blais s'est donc mise à faire des demandes de renseignements un peu partout. Le ministère a jugé son comportement inapproprié et a délivré une ordonnance imposant le secret. Cela a amené maître Blais à déposer un grief. Sa relation avec l'employeur a continué de se détériorer et, au moment où la Cour a été saisie de l'affaire, elle avait déposé six griefs relativement à ce qu'on peut appeler l'attitude de la gestion, et elle avait déposé plus de 45 demandes d'accès à l'information.


[5]                Malgré l'existence d'une procédure de grief à plusieurs paliers, des fonctionnaires du ministère ont jugé que puisque le litige relatif au salaire portait sur des questions de politique, le grief devait être déféré directement au dernier palier, soit à la sous-ministre déléguée Mary Dawson. Il a été proposé que Mme Dawson traite également des griefs relatifs à l'attitude de la gestion.

[6]                Mme Dawson a rendu deux décisions. En ce qui concerne le litige relatif au salaire, elle a conclu que le ministère avait commis une erreur dans le calcul de l'augmentation initiale de salaire de maître Blais et qu'il était autorisé à réduire son salaire en conséquence. Dans sa deuxième décision, elle a refusé d'entendre les griefs relatifs à l'attitude de la gestion. Elle était d'avis qu'il n'y avait aucune raison de ne pas suivre la procédure normale de grief, et elle a renvoyé l'affaire au premier palier. Elle a également laissé entendre que maître Blais s'était désistée de l'un des griefs.

[7]                Maître Blais a présenté une demande de contrôle judiciaire de ces décisions. Elle est maintenant d'avis que Mme Dawson ne pouvait se prononcer sur le litige relatif au salaire. Seul le sous-ministre de la Justice avait ce pouvoir. D'un autre côté, elle affirme que Mme Dawson avait non seulement le pouvoir de se prononcer sur les autres griefs, mais également l'obligation de le faire.

[8]                Bien qu'en vertu de l'article 302 des Règles de la Cour fédérale, une demande de contrôle judiciaire ne peut porter, « [s]auf ordonnance contraire de la Cour » , que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée, le procureur général n'a pas formulé d'objection à cet égard. J'approuve donc cette irrégularité.


QUESTIONS EN LITIGE                                        

[9]                Les parties ont disséqué les questions de façon trop poussée. À mon sens, les questions se divisent en deux parties : le grief relatif au salaire et les griefs relatifs à l' « attitude de la gestion » .

[10]            Pour ce qui est du grief relatif au salaire, les questions suivantes se posent :

a)         Mme Dawson était-elle autorisée en droit à se prononcer sur ce grief?

b)         Dans l'affirmative, quelle est la norme de contrôle applicable à cette décision?

c)         Si la décision est susceptible de contrôle, quelle réparation convient-il d'accorder?

[11]            Pour ce qui est des autres griefs qu'elle a refusé d'entendre (sous réserve d'une exception possible), les questions suivantes se posent :

a)          Quelle est la norme de contrôle applicable?

b)          Si la décision est susceptible de contrôle, quelle réparation convient-il d'accorder?

c)          Vu qu'aucune décision n'a été rendue, les allégations suivant lesquelles les règles de justice naturelle n'ont pas été respectées sont-elles pertinentes?


DÉCISION

[12]            En ce qui a trait au litige relatif au salaire, je conclus que Mme Dawson avait le pouvoir de se prononcer sur celui-ci, que sa décision portait sur des questions de droit, que la norme de contrôle applicable est la décision correcte et que la décision rendue était erronée parce que maître Blais avait accepté une offre pour un salaire précis et que, de toute façon, son salaire avait été correctement calculé. L'affaire est renvoyée à Mme Dawson pour qu'elle statue sur celle-ci en conséquence.

[13]            Le refus d'entendre les autres griefs relevait de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. La norme de contrôle applicable est vraisemblablement la décision raisonnable simpliciter; il ne s'agit certainement pas de la décision correcte. La décision de Mme Dawson n'était pas déraisonnable, de sorte que sa directive suivant laquelle les griefs devaient dans un premier temps être tranchés à un palier inférieur est maintenue. Les questions relatives à la justice naturelle ne sont pas pertinentes, parce qu'elles sont prématurées.

LE POUVOIR DE MARY DAWSON


[14]            Mary Dawson est l'une des deux sous-ministres délégués de la Justice. Elle peut exercer les pouvoirs du sous-ministre et elle est autorisée à entendre tous les griefs des employés et à statuer sur ceux-ci. En vertu du paragraphe 3(3) de la Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. 1985, ch. J-2, les sous-ministres délégués exercent, à titre de représentants du ministre, les pouvoirs et fonctions que celui-ci leur attribue. De plus, le paragraphe 24(4) de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, prévoit que la mention d'un fonctionnaire public par son titre ou dans le cadre de ses attributions vaut mention de son délégué ou adjoint. En conséquence, le sous-ministre délégué peut faire tout ce que peut faire le sous-ministre. Le ministère de la Justice jouit également d'un instrument de délégation intitulé « Instrument de délégation en ressources humaines » , qui délègue le pouvoir de statuer sur les griefs de dernier palier au sous-ministre délégué. En plus de cela, il y a la procédure de règlement des griefs du ministère de la Justice, sur laquelle se fonde maître Blais. Cette procédure prévoit que les griefs de dernier palier peuvent être entendus par « le sous-ministre ou son représentant autorisé lorsque permis par la convention collective » . Maître Blais n'est pas régie par une convention collective et prétend donc que seul le sous-ministre est autorisé à prendre les décisions relatives aux griefs de dernier palier.

[15]            Ce point de vue est erroné. Lorsqu'il y a une convention collective, il peut y avoir d'autres décideurs autorisés que le sous-ministre délégué. Le groupe de décideurs s'en trouve élargi, et non pas réduit.


LITIGE RELATIF AU SALAIRE - NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[16]            La décision de Mme Dawson est susceptible de contrôle judiciaire en application des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. Des arrêts tels que Dr Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, et Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan , [2003] 1 R.C.S. 247, énoncent trois normes de contrôle : la décision manifestement déraisonnable, la décision raisonnable simpliciter et la décision correcte. Plus la question est d'ordre juridique, plus il est probable que ce soit la norme de la décision correcte qui s'applique. Le litige relatif au salaire repose sur l'analyse classique de négociations contractuelles du point de vue des offres et des acceptations, et sur les lignes directrices ministérielles écrites régissant la détermination des salaires. Il s'agit là de questions de droit et la norme de contrôle applicable est la décision correcte.

DÉCISION ERRONÉE RENDUE SUR LE LITIGE RELATIF AU SALAIRE


[17]            En 1994, Denise Blais a été engagée pour la première fois au ministère de la Justice comme employée contractuelle à court terme. Elle a alors obtenu un poste d'avocate de niveau LA-1, un poste de niveau d'entrée. Elle n'est pas restée au service du ministère après la fin de son contrat. Toutefois, l'année suivante, elle a de nouveau été engagée par le ministère, encore une fois au niveau LA-1, et elle est restée au service du ministère depuis lors. Elle a fait la plupart de ces années de service aux services juridiques du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

[18]            Son salaire a été déterminé en partie en fonction de l'année de son admission au barreau, soit 1993, et de ce qui a été considéré comme des diplômes d'études supérieures en rédaction législative et en maîtrise. Chacun d'eux lui donnait 1 000 $, de sorte que son salaire initial de base était de 2 000 $ plus élevé que si elle était entrée au service du ministère munie d'un simple diplôme en droit.

[19]            En novembre 1998, maître Blais s'est vu offrir un poste temporaire de niveau LA-2A aux services juridiques de Santé Canada. Le détachement devait durer deux ans, mais en janvier 2001, elle a été réintégrée dans son poste de niveau LA-1 au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

[20]            Lorsqu'on l'a contre-interrogée quant aux raisons pour lesquelles on avait mis fin à son détachement, elle a refusé de répondre. Elle a nié que cela ait été attribuable à un manque de compétence ou à un comportement inacceptable. Elle a eu tout à fait raison de ne pas répondre à ces questions, qui n'avaient rien à voir avec la présente affaire.


[21]            Enfin, en 2002, elle a réussi un concours et elle a été promue et nommée à un poste de niveau LA-2A à durée indéterminée à compter du 25 février de la même année. Cette promotion comportait de nombreuses formalités. Le 20 mars 2002, elle a reçu une offre écrite qui devait être acceptée par écrit. Les parties pertinentes de cette offre se lisent comme suit :

Votre nomination se fera au groupe et niveau LA-2A. L'échelle de traitement applicable à ce groupe commence à 66 520.00$ et se termine à 91 255.00$ par année. Cette nomination sera régie par les Règlements sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique et le Régime d'administration des traitements - Groupe du droit.

Étant donné que vous répondez aux exigences linguistiques applicables à ce poste, vous êtes admissible à la prime de bilinguisme de 800$ par année.

[...]

Auriez-vous l'obligeance de confirmer votre acceptation ou refus de cette offre en signant et en retournant l'original de la présente lettre dès que possible. Une enveloppe est incluse à cet effet.

[...]

Pour obtenir tout renseignement concernant la présente offre, n'hésitez pas à communiquer avec Normand Couture au 941-4060.

[22]            Le document-clé en cause s'intitule « Lignes directrices concernant la détermination du salaire des LA au moment de leur nomination initiale au ministère de la Justice à des postes de niveau LA-1 et LA-2A » . Il est nécessaire de citer un long extrait de ce document :



Les taux de recrutement sont fondés sur ce qui suit:

· le salaire des avocats de l'extérieur (secteur)     public et secteur privé, y compris d'autres     organismes fédéraux), et

· le salaire versé aux avocats du ministère de la     Justice qui occupent un poste de niveau LA-1     et LA-2A.

L'avocat qui exerce le droit sans interruption depuis son admission au barreau reçoit un taux de rémunération pouvant atteindre le taux établi pour l'année de son admission.

Les lignes directrices suivantes doivent servir à déterminer le nombre d'années d'expérience juridique pour la détermination du salaire au moment de la nomination initiale, et l'année d'admission au barreau de l'employé aux fins de la détermination du salaire sera fixée en conséquence.

[...]

2. L'avocat qui, le jour de sa nomination ou avant cette date, satisfait à toutes les exigences requises pour l'obtention d'un diplôme d'études supérieures en droit ou d'un certificat en rédaction législative a droit à une année additionnelle d'expérience juridique. Un diplôme d'études supérieures dans un domaine autre que le droit, mais lié au poste auquel on envisage de nommer le candidat, donne aussi droit à une année additionnelle d'expérience juridique.

[...]

6. Le taux de rémunération accordé au moment de la nomination d'un employé muté ou promu au sein de la fonction publique est établi conformément aux règles sur la mutation et la promotion. Cependant, si à la suite de l'application de ces règles, le taux de rémunération de l'employé est inférieur au taux de recrutement applicable à l'expérience pertinente qu'il a acquise entre l'année de son admission au barreau ou au taux auquel son rendement antérieur lui donne droit, son taux de rémunération sera rajusté en conséquence.

Recruitment rates were established by taking into consideration the following:

· salaries paid to lawyers in the outside sector      (private and public sectors including other      federal organizations), and

· salaries paid to lawyers at the LA-1 and LA-2A levels in the Department of Justice.

Lawyers who have practiced law continuously since their call to the Bar will receive a rate of pay up to the rate established for their year of call to the Bar.

The following guidelines are to be used to establish the amount of legal experience for the determination of salary on initial appointment, and an employee's Year of Call to Bar for salary purposes will be established accordingly.

...

2. Lawyers who have completed all of the requirements necessary to obtain a post-graduate degree in law or a certificate in legislative drafting on or before the date of appointment will be credited with an additional year of legal experience. A post-graduate degree which is not in law but which is relevant to the position for which the lawyer is being considered will also be credited with one additional year of legal experience.

...

6. The rate of pay on appointment of a lawyer who transfers or is promoted within the federal public service will be established in accordance with the relevant transfer/promotion rules. However, if as a result of that application, the lawyer's rate of pay would be less than the applicable recruiting rates for his/her relevant work experience from the year of call to the Bar and/or past performance, the lawyer's rate of pay will be adjusted accordingly.


[23]            Le lendemain, M. Couture a préparé une « Explication du salaire à la nomination (Groupe LA) » , qui traitait de questions telles que son salaire d'alors en tant qu'avocate de niveau LA-1, son salaire après promotion, l'année de son admission au barreau, le taux de recrutement selon l'année de son admission au barreau et l'année de son admission au barreau utilisée à des fins administratives. M. Couture a noté qu'elle avait été admise au barreau en 1993, mais qu'à des fins administratives, elle serait considérée comme ayant été admise au barreau en 1992. Le lendemain, après avoir discuté de ses études supérieures, il a modifié ce document afin d'indiquer qu'à des fins administratives, elle devait être considérée comme ayant été admise au barreau en 1991. Vu que son salaire d'alors était de 65 480 $, que son salaire normal après promotion serait de 70 043 $, que le taux de recrutement pour une personne ayant été admise au barreau en 1993 était de 71 745 $ et que le taux de recrutement pour une personne ayant été admise au barreau en 1991 était de 75 375 $, il a décidé que son salaire serait de 75 375 $, sans tenir compte de questions accessoires comme la prime au bilinguisme.

[24]            Ce n'est que le 22 mars, après que M. Couture eut recalculé son salaire, que maître Blais a accepté. Non seulement a-t-elle accepté, mais sa paye a été calculée en fonction d'un salaire de 75 375 $ pendant plusieurs mois. Puisque son salaire était rétroactif au 25 février, elle a reçu un chèque supplémentaire et on lui a confirmé par écrit que le chèque [traduction] « avait été établi d'après son salaire exact, soit 75 375 $ » .

[25]            M. Couture avait un mandat apparent. Comme l'a affirmé le juge Pigeon dans l'arrêt J.E. Verreault & Fils Ltée. c. Québec (Procureur général), [1977] 1 R.C.S. 41, à la page 46 :

Sa Majesté est évidemment une personne physique, et je cherche en vain le principe d'après lequel les règles générales du mandat, y compris celles du mandat apparent, ne lui seraient pas applicables.


[26]            S'il y a quelque doute que ce soit, il faut examiner la conduite de l'employeur. Autrement dit, si l'acceptation de maître Blais était réellement une contre-offre, la conduite de l'employeur, qui l'a non seulement payée, mais qui lui a aussi confirmé par écrit que son salaire avait été correctement calculé, constituerait une acceptation continue de cette offre, donnant lieu à un contrat obligatoire (Saint John Tugboat Co. Ltd. v. Irving Refining Ltd., [1964] S.C.R. 614). Voir aussi l'arrêt de la Chambre des lords dans Brogden v. Metropolitan Railway Co. (1877), 2 App. Cas. 666, qui a été commenté par Fridman dans l'ouvrage The Law of Contract in Canada (4th ed.), aux pages 57 et suivantes.

[27]            Cependant, une interprétation des lignes directrices ministérielles ne peut être évitée. Cette conclusion s'appuie sur deux motifs. Ce n'est pas parce que M. Couture a mal appliqué les lignes directrices dans la détermination du salaire que toucherait maître Blais à compter du 25 février 2002 que le ministère doit payer pour cette erreur pendant le reste de la carrière de maître Blais. Je pense que la rectification d'une erreur serait une considération valable dans la détermination des augmentations salariales annuelles. En outre, le grief vise également son détachement auprès de Santé Canada auquel on a mis fin. Elle a prétendu qu'elle aurait dû conserver son salaire temporaire de LA-2 lorsqu'elle est retournée au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien en janvier 2001. Ces négociations se sont par la suite réduites à une offre et à une acceptation, ou peut-être à une offre et à une contre-offre.


[28]            Le procureur général soutient que maître Blais ne peut bénéficier qu'une fois de ses études supérieures aux fins du calcul de son salaire. Cela a été fait lorsqu'elle est entrée au service du ministère. Son salaire de base était de 2 000 $ plus élevé que celui qu'elle aurait obtenu si elle n'avait eu qu'un simple diplôme en droit. Il affirme que M. Couture, par inadvertance, lui a fait bénéficier deux fois de ses études supérieures.

[29]            Je ne puis voir la logique de cet argument. Immédiatement avant sa promotion, son salaire de base était de 65 480 $. Si on ne lui avait pas fait bénéficier de ses études supérieures, son salaire de base aurait été de 63 480 $ (en fait, un peu moins, puisque les augmentations salariales annuelles étaient déterminées en fonction d'un pourcentage). Son salaire normal après promotion aurait été approximativement de 68 043 $, au lieu de 70 043 $. Quel que soit l'angle sous lequel on examine la question, son salaire après promotion aurait été inférieur à 75 375 $. Étant donné que le taux de rémunération de maître Blais « [était] inférieur au taux de recrutement applicable à l'expérience pertinente qu'[elle] a[vait] acquise entre l'année de son admission au barreau » , M. Couture devait rajuster son salaire en conséquence.

RÉPARATION POUR LE LITIGE RELATIF AU SALAIRE

[30]            Ce grief est renvoyé à Mme Dawson pour qu'elle statue sur celui-ci en tenant pour acquis que le salaire convenu de maître Blais était de 75 375 $ à compter du 20 février 2002. Pour ce qui est des augmentations salariales annuelles, et autres questions connexes, il faut, à des fins administratives, considérer maître Blais comme ayant été admise au barreau en 1991. La présente décision ne limite aucunement le pouvoir discrétionnaire qu'a le ministère relativement aux augmentations salariales annuelles.


LE LITIGE RELATIF AUX ARRÉRAGES DE SALAIRE

[31]            Au cours de l'année 2002, comme nous l'avons mentionné précédemment, maître Blais était en négociation relativement au paiement d'arrérages de salaire. Elle pensait qu'elle avait droit à un salaire de LA-2 rétroactivement au 18 janvier 2001. En novembre 2002, une entente avait été conclue, entente suivant laquelle son statut de LA-2 était rétroactif au 31 mars 2001.

[32]            Cela a donné lieu à une offre écrite, offre prenant essentiellement la même forme que celle faite par M. Couture. Je dis « essentiellement » parce qu'aucune échelle salariale n'a été mentionnée.

[33]            En acceptant, maître Blais a ajouté :

[...] et je comprends que cette nomination me donnera droit au même salaire que celui accordé le 25 février 2002, soit 75 375$, pour la période en cause, plus l'augmentation économique.

[34]            Cela a donné lieu à un autre échange de lettres, ce qui pourrait signifier que l'acceptation de maître Blais était en fait une contre-offre, laquelle avait pu être ou ne pas être acceptée. M. Couture n'a jamais confirmé que les arrérages de salaire seraient calculés en fonction d'un salaire annuel de 75 375 $ et maître Blais n'a pas été payée en fonction d'un tel salaire. Toutefois, il n'est pas nécessaire de tirer de conclusion sur ce point.

[35]            Il vaut mieux considérer que son salaire pour la période du 31 mars 2001 au 25 février 2002 devrait être calculé en tenant pour acquis qu'à des fins administratives, elle a été admise au barreau en 1991.

[36]            À l'insu de maître Blais, le ministère, au mois d'août 2002, avait décidé que M. Couture avait commis une erreur. Il a réduit le salaire de maître Blais en conséquence, mais, déplorablement, n'a pas pris la peine de l'en informer. Ce n'est que quelques mois plus tard qu'elle s'est rendu compte de ce qui s'était passé. Bien que j'aie conclu que Mme Dawson avait commis une erreur dans son analyse du droit, celle-ci s'est excusée pour cette attitude regrettable du ministère. Je considère cette excuse comme un geste très important et j'espère uniquement que maître Blais en fasse autant.

GRIEFS RELATIFS À L'ATTITUDE DE LA GESTION


[37]            Il va sans dire que maître Blais était furieuse lorsqu'elle s'est rendu compte de ce qui s'était passé. Elle s'est mise à faire des demandes de renseignements partout où elle le pouvait. Ses demandes étaient très vastes. Certains ont pensé qu'elle était trop agressive. Le ministère a délivré une ordonnance imposant le secret, laquelle limitait le nombre de personnes avec qui elle pouvait communiquer en ce qui concerne le litige relatif au salaire. Elle a intenté une procédure de grief. Elle a sollicité des délais supplémentaires. Ces délais ne lui ont pas été accordés. L'une de ses demandes visait l'obtention d'une prorogation des délais qu'elle avait pour compléter son dossier. Cette demande a été rejetée. Cela l'a amenée à déposer un autre grief. Toutefois, les délais applicables avaient été respectés, ce qui pourrait porter à croire que ce grief est maintenant sans objet. Lorsque les parties ont convenu que tous les griefs seraient déférés directement à Mme Dawson, maître Blais avait déposé six griefs en tout.

[38]            Mme Dawson a fini par refuser de statuer sur ces griefs et les a renvoyés au premier palier de la procédure de règlement des griefs. L'approche adoptée par maître Blais relativement à cette décision est quelque peu contradictoire. Elle dit que Mme Dawson aurait dû entendre ces griefs, mais que le processus comportait un vice fatal parce que les règles de justice naturelle n'avaient pas été respectées. Notamment, souligne-t-elle, Mme Dawson avait reçu une note d'information pour la gestion, laquelle n'a pas été divulguée, et disposait également d'une copie de l'entente « confidentielle » conclue en novembre 2002 pour la période du 31 mars 2001 au 25 février 2002 en ce qui touche le litige relatif au salaire. Selon maître Blais, la divulgation de l'entente « confidentielle » fait craindre qu'aucun des 4 500 avocats au ministère de la Justice ne soit en mesure de lui accorder une audience équitable. Enfin, soutient-elle, si Mme Dawson a à bon droit renvoyé l'affaire à un palier inférieur, elle aurait dû la renvoyer au deuxième palier parce qu'elle met en cause des questions de harcèlement, lesquelles, conformément aux lignes directrices, doivent être tranchées à ce palier.


[39]            Mme Dawson pouvait entendre ces griefs, mais elle avait le pouvoir discrétionnaire de refuser de les entendre. Cette décision n'a rien de déraisonnable. Comme on l'a affirmé dans l'arrêt Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin, [2003] 2 R.C.S. 504, les conclusions de fait d'un tribunal administratif et le dossier qu'il établit, de même que la perception éclairée qu'il a, à titre d'organisme spécialisé, seront souvent extrêmement utiles à la cour qui procède au contrôle judiciaire. Le même principe s'applique en l'espèce. Mme Dawson a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a décidé qu'il serait mieux que les griefs suivent la procédure normale, c'est-à-dire qu'ils soient entendus tout d'abord au premier palier. Je ne vois pas de questions de « harcèlement » proprement dites, lesquelles exigeraient que les griefs soient déposés directement au deuxième palier. Cependant, rien n'empêche les parties de s'entendre pour que les griefs soient entendus directement à ce palier, si cela est nécessaire.

[40]            Maître Blais connaît bien la Loi sur l'accès à l'information, ayant fait au moins 45 demandes d'information relativement aux litiges en cause en l'espèce. À titre d'exemple, elle a obtenu une ébauche de l'une des décisions de Mme Dawson. Cette ébauche, qui a été adoucie dans sa version définitive, n'aurait pas dû être déposée au dossier de la Cour. Toutefois, le procureur général et son avocat, versés dans le domaine du droit administratif, ne s'y sont pas opposés.


[41]            Maître Blais a également obtenu copie d'une note d'information remise à Mme Dawson quelques jours avant l'audience. Elle dit que ce document est inexact et hautement préjudiciable, et qu'on aurait dû lui donner la possibilité d'y répondre. Le document en question ne traite pas véritablement du litige relatif au salaire et n'est clairement pas pertinent quant à la décision rendue par Mme Dawson à cet égard. Ce document fait le procès de maître Blais plutôt que celui du ministère. Il vise à justifier ce qui à première vue semble être une attitude plutôt dure du ministère lorsque celui-ci a délivré une ordonnance imposant le secret. Vu qu'aucune décision n'a été rendue sur le fond, il n'est pas nécessaire de déterminer si maître Blais aurait dû voir une possibilité de répondre et bénéficier d'une telle possibilité. Toutefois, il faut garder à l'esprit que Mme Dawson fait partie de la gestion et que c'est contre la gestion qu'ont été déposées les plaintes. Dans sa sagesse, le législateur, lorsqu'il a édicté l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, a créé un mécanisme global de règlement des litiges relatifs au salaire. La règle de justice naturelle suivant laquelle un litige doit être tranché par un décideur impartial peut ne pas s'appliquer, à tout le moins à ce litige en particulier (Vaughan c. Canada, [2003] 3 C.F. 645; nouvelle audience ordonnée [2003] S.C.C.A. No. 165).

[42]            En ce qui concerne la divulgation de l'entente « confidentielle » , c'est maître Blais qui en a initialement révélé une partie. En l'absence d'ordonnance judiciaire, une divulgation partielle est impossible. On ne peut choisir les parties d'un document qui seront divulguées. Il faut tout divulguer ou ne rien divulguer du tout. Maître Blais ne peut prétendre qu'en raison de cette divulgation, personne au ministère de la Justice n'a qualité pour agir à titre d'agent des griefs.

[43]            Pour ce qui est du grief relatif au refus du ministère de proroger les délais qu'avait maître Blais pour déposer ses documents étant donné qu'elle avait de toute façon respecté les délais normaux applicables, je suis d'accord avec Mme Dawson pour dire que le grief semble maintenant être devenu sans objet. Cependant, à l'audience, maître Blais a refusé de se désister de ce grief. Elle affirme qu'il s'agit tout simplement d'un autre exemple du mauvais traitement dont elle a fait l'objet. Sans lui attribuer plus de valeur qu'il n'en a, j'estime que le grief existe toujours. Je ne crois pas qu'il était loisible à Mme Dawson d'entendre et de rejeter l'un des griefs relatifs aux pratiques de gestion et de renvoyer les autres au premier palier. En fait, je ne crois pas que c'est ce qu'elle a fait. Elle a dit ce qui suit : « [...] Étant donné que vous n'avez pas fait référence au grief 675-3-19 dans le document que vous m'avez remis le 24 novembre 2003, je comprends que ce grief est maintenant sans objet » . Le fait qu'il n'ait été l'objet d'aucun débat particulier au cours de leur rencontre ne peut être considéré comme un désistement.

[44]            J'ai dit au début qu'il s'agissait de l'analyse d'un échec en matière de relations humaines. J'espère uniquement que les deux parties vont réexaminer l'affaire, tourner la page et reprendre leur vie normale.

[45]            Étant donné que chaque partie obtient en partie gain de cause, il n'y aura aucune ordonnance quant aux dépens.

« Sean Harrington »

Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 22 novembre 2004

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-36-04

INTITULÉ :                                                    DENISE BLAIS,

AVOCATE, MINISTÈRE DE LA JUSTICE

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 19 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 22 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Denise Blais                                                       POUR SON PROPRE COMPTE

Alexandre Kaufman                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Denise Blais                                                       POUR SON PROPRE COMPTE

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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