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Date : 20050516

Dossier : IMM-4945-04

Référence : 2005 CF 695

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY                          

ENTRE :

                                                               MARIE BESSEM

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Mme Marie Bessem a fui le Cameroun, son pays natal, par crainte de persécution politique. Elle a présenté une demande d'asile au Canada. Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a admis que Mme Bessem était membre du Conseil national du Cameroun méridional (SCNC), une organisation séparatiste, et que les membres de ce groupe étaient parfois arrêtés et harcelés par les autorités nationales. La Commission n'a toutefois pas cru l'allégation de Mme Bessem voulant qu'elle avait été arrêtée en octobre 2002 et ensuite recherchée par les autorités. Mme Bessem prétend que la Commission a commis plusieurs erreurs de fait dans son jugement et me demande d'ordonner la tenue d'une nouvelle audience.


[2]                Je conviens avec Mme Bessem que la décision de la Commission ne cadrait pas avec la preuve dont elle avait été saisie et je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

I. Question en litige

[3]                La Commission a-t-elle commis de graves erreurs lorsqu'elle a conclu que Mme Bessem n'avait pas été arrêtée ou poursuivie par les autorité du Cameroun en octobre 2002?

II. Analyse

[4]                Voici les motifs qui ont poussé la Commission à ne pas croire Mme Bessem :

1.          Le témoignage de Mme Bessem au sujet d'une manifestation ayant eu lieu le 1er octobre 2002 n'était pas suffisamment détaillé.

2.          L'affirmation de Mme Bessem selon laquelle elle a été arrêtée pendant qu'elle prenait une bouchée avec ses collègues après la manifestation était invraisemblable.

3.          Le 4 octobre 2002, l'Agence France Presse a publié un article sur les arrestations de plusieurs dirigeants du SCNC à la fin de septembre 2002, mais l'article ne faisait pas état d'arrestations effectuées le 1er octobre 2002.

4.          L'article de l'Agence France Presse a été confirmé par un rapport d'Amnistie Internationale qui, lui aussi, ne fait pas état d'autres arrestations.


5.          Il n'y avait aucune raison pour les autorités de rechercher Mme Bessem, compte tenu en particulier du fait qu'elle n'était qu'un membre ordinaire parmi un million de membres du SCNC et non pas une représentante ou une dirigeante du parti.

6.          Mme Bessem n'a décrit ses conditions de détention que lorsqu'on l'a interrogée précisément sur ce point à l'audience.

7.          Bien que Mme Bessem eut présenté une lettre du SCNC qui corroborait sa version des faits, la lettre n'avait aucune valeur probante puisque la Commission ne croyait pas Mme Bessem.

[5]                Il ne m'appartient assurément pas de faire une nouvelle appréciation de la preuve dont disposait la Commission. Je ne peux qu'annuler la décision de la Commission si j'estime qu'elle contredisait la preuve. J'ai examiné le dossier dont la Commission a été saisie, y compris la transcription du témoignage de Mme Bessem, et j'estime que la conclusion de la Commission, à savoir que Mme Bessem n'avait été ni arrêtée ni recherchée, n'est pas étayée par la preuve mentionnée par la Commission. J'aborderai successivement chacune des conclusions énoncées plus haut. Je souligne qu'aucune de ces conclusions n'est suffisamment importante en soi pour justifier l'annulation de la décision de la Commission; c'est plutôt leur effet cumulatif qui exige l'intervention de la Cour.


1.          Le témoignage de Mme Bessem au sujet d'une manifestation ayant eu lieu le 1er octobre 2002 n'était pas suffisamment détaillé.

[6]                La Commission peut certes tirer une conclusion défavorable de l'omission d'une personne de faire un compte rendu raisonnablement détaillé de ce qu'elle a vécu. Mme Bessem a été interrogée par un agent de protection des réfugiés ainsi que par le président de l'audience sur son expérience et sa situation. Rien ne permet de conclure, à la lecture de la transcription du témoignage, que l'agent ou le président n'était pas satisfait des réponses obtenues. De plus, rien n'a amené l'avocat de la demanderesse, qui l'a interrogée en dernier lieu, à croire qu'il aurait dû l'inviter à approfondir son témoignage.

2.          L'affirmation de Mme Bessem selon laquelle elle a été arrêtée lorsqu'elle prenait une bouchée avec ses collègues après la manifestation était invraisemblable.

[7]                La Commission a indiqué qu'elle trouvait étrange que Mme Bessem ait été arrêtée pendant qu'elle [traduction] « ne faisait rien sortant de l'ordinaire ou qu'elle ne faisait rien de mal » . La demanderesse a dit qu'elle se restaurait avec ses collègues après la manifestation lorsque les policiers les ont rejoints.


[8]                La Commission est autorisée à conclure que le récit d'un demandeur est invraisemblable. Toutefois, la Cour est souvent tout aussi bien placée pour évaluer la vraisemblance de la version des faits soumise à la Commission : Divsalar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 875 (1re inst.) (QL), Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1131 (1re inst.) (QL).

[9]                La Commission n'a pas expliqué pourquoi elle jugeait invraisemblable l'arrestation de Mme Bessem après la manifestation. Je ne vois pas en quoi le récit de Mme Bessem était invraisemblable au point d'être fondamentalement douteux.

3.          Le 4 octobre 2002, l'Agence France Presse a publié un article sur les arrestations de plusieurs dirigeants du SCNC à la fin de septembre 2002, mais l'article ne faisaitpas état d'arrestations effectuées le 1er octobre 2002.

[10]            La Commission peut tenir compte du fait que les médias n'ont pas rapporté des événements qui auraient probablement attiré leur attention. Seulement, dans ce cas-ci, l'article de l'Agence France Presse ne portait que sur l'arrestation de dirigeants du SCNC comme moyen d'empêcher les manifestations du 1er octobre. Mme Bessem n'a jamais prétendu être une dirigeante de l'organisation (bien qu'elle ait été un membre exécutif). Il est possible que l'arrestation de dirigeants du parti ait soulevé davantage l'intérêt des médias que l'arrestation d'autres personnes. De plus, l'article confirme le témoignage de Mme Bessem selon lequel des manifestations étaient envisagées pour le 1er octobre 2002. Il appuie également son allégation générale que les autorités auraient très mal réagi à ces manifestations et auraient probablement arrêté les participants. La Commission n'a pas examiné l'article sous cet angle.


4.          L'article de l'Agence France Presse a été confirmé par un rapport d'Amnistie Internationale qui, lui aussi, ne fait pas état d'autres arrestations.

[11]            Un rapport d'Amnistie Internationale en date du 24 octobre 2002 mentionne l'arrestation de dirigeants du SCNC à la fin de septembre 2002. Il indique : « Il se peut que d'autres membres du SCNC aient également été arrêtés ces dernières semaines pour les mêmes raisons, dans d'autres régions du Cameroun. »

[12]            Bien qu'il soit exact que le rapport d'Amnistie Internationale ne mentionne pas explicitement l'arrestation de Mme Bessem, il évoque la possibilité que plusieurs membres du SCNC aient été arrêtés pendant cette période. Par conséquent, loin de contredire le témoignage de Mme Bessem, le rapport le confirmait.

5.          Il n'y avait aucune raison pour les autorités de rechercher Mme Bessem, compte tenu en particulier du fait qu'elle n'était qu'un membre ordinaire parmi un million de membres du SCNC et non pas une représentante ou une dirigeante du parti.


[13]            Mme Bessem a déclaré qu'elle était la secrétaire de la publicité du SCNC dans sa région. La Commission a accepté ce fait, mais a indiqué à plusieurs reprises dans sa décision que Mme Bessem n'était ni une représentante ni un membre exécutif du parti. De plus, Mme Bessem a affirmé qu'elle avait été relâchée après avoir signé un engagement précisant qu'elle ne participerait plus aux activités du parti. Cependant, elle a assisté à une assemblée le 22 octobre 2002, rompant ainsi sa engagement. La Commission n'a pas examiné la possibilité qu'on savait qu'elle était une représentante du SCNC ou qu'elle était recherchée pour avoir rompu son engagement.

6.          Mme Bessem n'a décrit ses conditions de détention que lorsqu'on l'a interrogée précisément sur ce point à l'audience.

[14]            Mme Bessem a mentionné son arrestation dans son exposé circonstancié, mais elle n'a pas décrit les conditions dans la prison. Elle a toutefois présenté à la Commission une preuve documentaire qui qualifiait les conditions dans les prisons camerounaises de [traduction] « pénibles au point de mettre la vie des détenus en danger » . Elle a fourni des détails sur sa propre expérience lorsqu'on l'a interrogée sur ce point à l'audience.

[15]            Les conditions qu'a dû supporter Mme Bessem lors de sa détention n'étaient pas un élément crucial dans son allégation de persécution politique. Dans les circonstances, le fait de ne pas en avoir fait spécifiquement mention avant l'audience n'était pas un motif valable pour mettre en doute sa version des principaux éléments de sa demande.


7.          Bien que Mme Bessem eut présenté une lettre du SCNC qui corroborait sa version des faits, la lettre n'avait aucune valeur probante puisque la Commission ne croyait pas Mme Bessem.

[16]            À un moment, la Commission a affirmé que Mme Bessem n'avait produit aucune preuve de son arrestation. Or, en plus de son exposé circonstancié, de sa preuve documentaire et de son témoignage oral, elle avait remis à la Commission une lettre signée du président du SCNC qui indiquait qu'elle avait été [traduction] « emprisonnée le 1er octobre 2002 pour avoir participé aux activités de commémoration du SCNC et qu'elle avait été libérée le 9 octobre 2002 après avoir été forcée de signer un engagement » .

[17]            Plus loin dans ses motifs, la Commission a minimisé l'importance de la lettre parce qu'elle avait déjà déterminé que Mme Bessem n'avait pas été arrêtée et qu'elle n'était pas recherchée par la police. La Commission pouvait décider de ne pas accorder de poids à la lettre, mais elle était tenue de fournir certains motifs pour expliquer sa décision. À l'évidence, la lettre corroborait le témoignage de Mme Bessem. La Commission estimait peut-être que la lettre était falsifiée, fausse ou simplement peu digne de foi. Dans un tel cas, elle était tenue de l'indiquer.

[18]            Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que la décision de la Commission ne cadrait pas avec la preuve dont elle avait été saisie et je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties ne m'a proposé de question de portée générale aux fins de sa certification, et aucune question n'est formulée.


                                                                   JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la tenue d'une nouvelle audience est ordonnée.

2.          Aucune question de portée générale n'est formulée.

                                                                                                                          « James W. O'Reilly »       

                                                                                                                                                     Juge                      

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4945-04

INTITULÉ :                                                    MARIE BESSEM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 11 MAI 2005

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 16 MAI 2005

COMPARUTIONS:

Chris Opoka-Okumu                                         POUR LA DEMANDERESSE

A. Leena Jaakkimainen                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

CHRIS OPOKA-OKUMU

Avocat

Toronto (Ontario)                                             POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada                   

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DÉFENDEUR


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