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Date : 20050919

Dossier : IMM-235-05

Référence : 2005 CF 1274

Ottawa (Ontario), ce 19ième jour de septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

                                               MAHAMAT SANDA SANDA

                                                                                                                              demandeur

et

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visée au paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et à l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, concernant une décision rendue en date du 21 décembre 2004 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), selon laquelle Mahamat Sanda Sanda (le demandeur) n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]                Le demandeur est un citoyen de la République du Tchad âgé de 22 ans. Il prétend que son père a été emprisonné au Tchad à cause de ses prétendus liens politiques et que la famille se sent menacée par les forces de sécurité depuis. Il dit que son frère aîné, Garba Mahamat Sanda, s'est déjà vu reconnaître le statut de réfugié au Canada pour cette raison, tout comme l'un de ses oncles. (Le FRP de Garba est joint aux pages 44 à 56 des prétentions du demandeur.)

[3]                Le père travaillait pour le ministère des Affaires étrangères du Tchad jusqu'à ce qu'il soit arrêté en 1998 et accusé d'avoir rencontré des membres du Mouvement pour la démocratie et le développement (MDD), un groupe d'opposition, lors d'un séjour en France. Il est toujours en prison.

[4]                Le frère du demandeur était apparemment recherché, et des mesures ont été prises pour le faire entrer clandestinement au Cameroun. Il est ensuite venu au Canada, où il a demandé l'asile. On me dit que sa demande a été accueillie.


[5]                Le demandeur indique que, lorsqu'il a présenté sa demande de passeport le 20 juin 2002, des représentants de l'Agence nationale de sécurité (ANS) lui ont demandé s'il avait l'intention de quitter le pays et d'entrer en contact avec des membres du MDD, comme son père était accusé de l'avoir fait en France. Même s'il a nié avoir cette intention, le demandeur a été roué de coups pendant trois heures. Avant de le relâcher, on lui a dit qu'on allait le tuer s'il essayait de quitter le pays.

[6]                Un oncle du demandeur l'a aidé à obtenir un passeport et un visa pour qu'il puisse rejoindre son frère et son autre oncle au Canada. (Ce passeport était authentique.) Le demandeur a quitté son pays le 17 juillet 2003 et, après être passé par la France et les États-Unis, il est arrivé au Canada le 20 juillet 2003 et a demandé l'asile.

[7]                La Commission a conclu que le demandeur n'était ni un réfugié ni une personne à protéger pour les motifs suivants:

- il n'était pas crédible car son témoignage était incohérent et contradictoire; en particulier, il y avait des contradictions importantes entre ce témoignage et les notes prises au point d'entrée;


- plus particulièrement, le demandeur avait déclaré, en répondant aux questions d'une agente d'immigration, qu'il n'avait peur de rien ni de personne dans son pays et qu'il n'avait pas de problème. Il a expliqué ces réponses en disant qu'il n'avait pas d'interprète, qu'il ne comprenait pas l'accent québécois de l'agente qui posait les questions et qu'il ne savait donc pas comment y répondre correctement. Il affirme en outre que l'agente d'immigration lui a dit, après avoir répété les questions une fois, qu'elle le renverrait et fermerait son dossier s'il lui demandait de les répéter à nouveau;

- lorsque la Commission lui a demandé pourquoi il n'avait pas profité du fait qu'il pouvait demander les services d'un interprète à tout moment, le demandeur a répondu qu'il avait peur et il a commencé à dire tout ce qui lui passait par la tête. La Commission a considéré que le témoignage du demandeur était contradictoire : d'un côté, il disait qu'il ne comprenait pas les questions de l'agente et de l'autre, il disait qu'il répondait tout ce qui lui passait par la tête parce qu'il avait peur;

- la Commission a conclu du fait que le demandeur avait admis avoir étudié le français de 1988 à 2002, qu'il aurait dû avoir un minimum de compréhension de cette langue, que son explication concernant l'agente n'était pas crédible et qu'il avait inventé la menace formulée par celle-ci. Elle a en outre fait remarquer que le demandeur semblait être pleinement capable de répondre correctement à d'autres questions posées par l'agente;

- la Commission a également relevé des contradictions entre le témoignage et les notes prises au point d'entrée en ce qui concerne la date à laquelle l'intention de venir au Canada s'est formée, différentes dates ayant été données à différents moments;


- l'agente d'immigration a demandé au demandeur pourquoi son oncle lui avait conseillé de venir au Canada. Il a répondu que c'était parce qu'il était seul à la maison; il n'a même jamais fait mention de l'incident qui serait survenu le 20 juin 2002 avec les forces de sécurité et qui l'aurait incité à fuir. Cette réponse contredisait en outre son témoignage selon lequel il a un jeune frère qui vit encore à la maison. La Commission a conclu que l'incident du 20 juin 2002 n'avait jamais eu lieu;

- la Commission a constaté également que le témoignage du demandeur sur ce qui s'était passé la nuit où son père a été arrêté ne concordait pas avec le récit fait par son frère dans son FRP, en particulier en ce qui a trait à la manière dont les membres de la famille se sont réveillés et au moment où cela est arrivé, ainsi qu'à leur présence dans la maison pendant l'arrestation. La Commission a relevé une autre incohérence : alors que, selon son frère, son père a été arrêté par des soldats de la Garde présidentielle, le demandeur a parlé d'une menace de l'ANS;


- le demandeur a indiqué dans son témoignage que l'ANS a découvert son projet de quitter le Tchad parce que le commissariat de police était situé dans l'édifice où il a essayé d'obtenir un passeport. Il a cependant dit ensuite qu'il était retourné à cet endroit pour récupérer le passeport - avec lequel il est ensuite sorti du Tchad - et qu'il portait alors des lunettes et un chapeau pour ne pas que la police le reconnaisse. Or, selon la Commission, les empreintes digitales du demandeur auraient dû être prélevées s'il voulait obtenir un passeport, de sorte qu'il aurait inutile de se déguiser si la police surveillait réellement ses allées et venues au bureau des passeports (la Commission a également critiqué le fait que le demandeur semblait ignorer que l'ANS et la police étaient deux entités différentes);

- la Commission a rappelé que le demandeur avait quitté le Tchad plus d'un an après l'incident qui serait survenu avec les forces de sécurité et plus de cinq ans après l'arrestation de son père, ce qui était incompatible avec une crainte fondée de persécution. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il ne pouvait pas s'enfuir dans un pays voisin comme son frère l'avait fait, le demandeur a parlé vaguement de la crainte d'être extradé, sans pouvoir cependant donner plus de détails.

[8]                Le demandeur soutient que la Commission a agi de manière arbitraire en considérant que son témoignage n'était pas crédible et en n'acceptant pas ses explications concernant les soi-disant contradictions.


[9]                L'arrêt Xu Zhe Ru c. Ministre de l'Emploi et l'Immigration, numéro de dossier de la Cour d'appel fédérale : A-666-90, est cité à cet égard dans le mémoire. Or, l'affaire portant ce numéro devrait plutôt être citée de la façon suivante : Xu c. Canada (Ministre de l'Emploi et l'Immigration), [1992] A.C.F. no 810 (QL). L'extrait reproduit au paragraphe 8 des prétentions du demandeur, qui aurait été tiré de cet arrêt, n'y figure pas en fait.

[10]            Le demandeur soutient également que le fait que son frère et lui n'ont pas fait exactement le même récit du même événement ne devrait pas avoir pour effet de miner sa crédibilité car il n'avait que 16 ans à l'époque de l'arrestation de son père. Son frère avait probablement un meilleur souvenir de ce qui s'est passé, et deux personnes ne racontent jamais le même événement exactement de la même manière. Le demandeur ajoute que la Commission ne pouvait pas ne pas tenir compte des explications raisonnables qu'il a données relativement aux incohérences que celle-ci a relevées et examiner la preuve comme si ces explications n'avaient jamais été données. (Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 124)


[11]            Le demandeur soutient que l'agente d'immigration qu'il a rencontrée lors de son entrevue ne lui a pas demandé s'il comprenait le français et ne lui a pas offert les services d'un interprète. Il répète que l'agente d'immigration l'a menacé lorsqu'il lui a demandé de répéter les questions à un trop grand nombre de reprises. Le demandeur fait valoir que l'article 14 de la Charte lui garantit le droit d'employer la langue de son choix et que ce droit a été interprété, dans R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951, comme s'il englobait le droit à l'assistance d'un interprète. Il prétend que l'absence d'un interprète à son entrevue au point d'entrée était contraire aux principes de justice naturelle.

[12]            Le demandeur soutient que sa crainte d'être renvoyé au Tchad à partir d'un pays africain voisin était raisonnable. Il soutient en outre qu'on ne peut conclure du fait qu'il n'a pas demandé l'asile dans le premier pays où il pouvait le faire qu'il ne craint pas d'être persécuté (Gavryushenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1209 (QL)), qu'un délai de 12 mois pour réunir des documents de voyage dans des circonstances difficiles est raisonnable (Dcruze c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), [1999] A.C.F. no 987 (QL)) et que le retard à demander l'asile ne peut être le facteur déterminant du rejet d'une demande (Soueidan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 956).


[13]            De son côté, le défendeur soutient que la Commission a tiré des conclusions relatives à la crédibilité qui relevaient de son expertise et que ces conclusions étaient dûment fondées sur les contradictions et les omissions du demandeur, comme la différence entre l'absence de crainte démontrée lors de l'entrevue au point d'entrée et ses prétentions quant à la persécution. (Zaloshnja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 206; Neame c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 378 (QL); Karikari c. Canada (Ministre de l'Emploi et l'Immigration), [1994] A.C.F. no 586 (QL); Jumriany c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 683)

[14]            Le défendeur soutient également que la Commission a eu raison de rejeter les allégations du demandeur concernant l'agente d'immigration. Il fait remarquer que le demandeur a changé certaines de ses réponses lorsqu'on a attiré son attention sur les incohérences, qu'il n'a pas soulevé la question du manque de compréhension dans les notes prises au point d'entrée, qu'il a répondu alors avec précision à certaines questions malgré son prétendu manque de compréhension et qu'il a étudié le français pendant plusieurs années. Selon lui, la Commission peut vérifier les explications du demandeur concernant les contradictions comme elle le ferait de tout autre élément de preuve. (Mxumalo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), 2003 CFPI 413; Hosseini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), 2002 CFPI 402; Muthuthevar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), [1996] A.C.F. no 207; Kabir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), [2002] CFPI 907) Le défendeur invoque les mêmes arguments à l'encontre des explications données par le demandeur quant à son comportement. (Tofan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), 2001 CFPI 1011; Mxumalo, précitée; Hosseini, précitée; Kabir, précitée; Muthuthevar, précitée)


[15]            Le défendeur ajoute qu'en fait le demandeur a indiqué qu'il n'avait pas besoin d'un interprète au moment de son arrivée, sur le formulaire intitulé « Renseignements au sujet des revendicateurs du statut de réfugié » (joint à l'affidavit de Francine Lauzé).

[16]            Le défendeur soutient que le manque de crédibilité sur un élément important - en l'espèce, le fait que les récits de l'arrestation de leur père faits par le demandeur et par son frère ne concordaient pas - peut justifier le rejet d'une demande. (Obeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), 2004 CF 636; Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), 2002 CAF 89 - demande d'autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée le 21 novembre 2002; Ayub c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), 2004 CF 1411; Nizeyimana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), 2001 CFPI 259)


[17]            Le défendeur prétend en outre que la Commission a eu raison de conclure que le comportement du demandeur n'était pas celui d'une personne ayant une crainte subjective de persécution. (Rahman c. Canada (Ministre de l'Emploi et l'Immigration), [1994] A.C.F. no 562; Parmar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), [1998] A.C.F. no 50; Pan c. Canada (Ministre de l'Emploi et l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1116; Huerta c. Canada (Ministre de l'Emploi et l'Immigration) (1993), 157 N.R. 225 (C.A.F.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration) c. Bueno, 2004 CF 509; Espinosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), 2003 CF 1324; Ayub, précitée)

[18]            Le défendeur fait finalement valoir qu'une demande doit être rejetée s'il n'existe pas une crainte subjective de persécution. (Rivera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), 2003 CF 1292; Kamana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1695; Hazara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), 2002 CFPI 1256; Tabet-Zatla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1778 (QL); Anandasivam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), 2001 CFPI 1106; Gamassi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1841 (QL); Cheema c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), 2002 CFPI 2006; Ayub, précitée)

ANALYSE

[19]            La demande du demandeur a été rejetée à cause de problèmes de crédibilité et de l'absence d'une crainte subjective, et non en raison du retard à demander l'asile. Les principes de droit établis dans la décision Gavryushenko, précitée, qui a été citée par le demandeur, sont toujours valables en l'espèce, mais ils ne s'appliquent pas parce que le retard à demander l'asile n'a pas été l'élément déterminant de la décision de la Commission.


[20]            Le défendeur a soutenu avec raison que non seulement la Commission doit prendre en considération les explications données concernant les incohérences, mais elle peut également les vérifier et les rejeter, comme tout autre élément de preuve. La Commission a tenu compte des tentatives faites par le demandeur pour expliquer les incohérences, mais elle les a expressément jugées non crédibles ou vraisemblables.

[21]            Le défendeur a également souligné que le demandeur avait écrit dans ses formulaires qu'il n'avait pas besoin d'un interprète et qu'il avait rempli ces formulaires en français apparemment sans aucun problème, comme le montrent les pièces jointes à l'affidavit de Mme Lauzé. La Commission disposait non seulement d'un témoignage clair du fait que le demandeur n'avait pas une crainte fondée de persécution, mais également d'une preuve démontrant explicitement qu'il avait rejeté d'emblée la possibilité d'avoir recours aux services d'un interprète, contrairement à ce qu'il a affirmé. Rien ne permet de croire que les conclusions de la Commission sont manifestement déraisonnables.


CONCLUSION ET ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'a été soumise par les parties à des fins de certification.

    « Max M. Teitelbaum »

        Juge

Ottawa (Ontario)

Le 19 septembre 2005


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

DOSSIER :                                                        IMM-235-05

INTITULÉ :                                                       MAHAMAT SANDA SANDA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE 8 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                       LE JUGE TEITELBAUM

DATE DES MOTIFS :                                      LE 19 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Lia Cristinariu                                                   POUR LE DEMANDEUR

Thi My Dung Tran                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lia Cristinariu                                                    POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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