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Date : 20190917


Dossier : IMM‑5634‑18

Référence : 2019 CF 1175

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

NEMIKA OZGE OZBILEN BELEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La demanderesse est une citoyenne de la Turquie qui a présenté une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs autonomes. Elle prévoit travailler comme designer d’intérieurs à Toronto et est actuellement inscrite à un programme d’études supérieures en gestion de la conception au George Brown College, à Toronto. Elle a déposé à l’appui de sa demande des renseignements détaillés sur ses études et sur son expérience professionnelle pertinente.

[2]  Sa demande a été rejetée le 20 octobre 2018 parce que l’agent des visas (l’agent) a conclu qu’elle n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour démontrer qu’elle avait l’intention d’être une travailleuse autonome au Canada et qu’elle avait la capacité à le faire.

[3]  Pour les motifs exposés ci‑après, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Dispositions législatives pertinentes

[4]  Le paragraphe 12(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 précise ce qui suit :

(2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

(2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.

[5]  Le paragraphe 100(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [RIPR] dispose ce qui suit :

100 (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs autonomes est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et qui sont des travailleurs autonomes au sens du paragraphe 88(1).

100 (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the self-employed persons class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who are self-employed persons within the meaning of subsection 88(1).

[6]  Le paragraphe 88(1) du RIPR prévoit ce qui suit :

a) S’agissant d’un travailleur autonome autre qu’un travailleur autonome sélectionné par une province, s’entend de l’expérience d’une durée d’au moins deux ans au cours de la période commençant cinq ans avant la date où la demande de visa de résident permanent est faite et prenant fin à la date […]

(a) a self-employed person, other than a self-employed person selected by a province, means a minimum of two years of experience, during the period beginning five years before the date of application for a permanent resident visa and ending on the day a determination is made in respect of the application…

Question en litige et norme de contrôle

[7]  La demanderesse soulève un certain nombre de questions au sujet de la décision, mais la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie uniquement au motif qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Je me refuse donc à aborder les autres questions.

[8]  La question de savoir si la demanderesse a bénéficié de l’équité procédurale et, plus particulièrement, si l’agent était tenu de lui donner la possibilité de répondre au cours d’une entrevue ou dans une lettre d’équité procédurale, est contrôlée selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 43).

Analyse

[9]  La demanderesse soutient que l’agent des visas a bafoué son droit à l’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de répondre à ses préoccupations évidentes. Elle renvoie aux instructions et aux lignes directrices opérationnelles d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada qu’on retrouve au point 5.14 du document OP 8 : Entrepreneurs et travailleurs autonomes :

Lorsque l’agent s’interroge sur la recevabilité de la demande ou l’admissibilité du demandeur, il doit donner au demandeur la possibilité de corriger ou de contredire ses interrogations. Le demandeur doit avoir la possibilité de réfuter le contenu de toute évaluation provinciale négative qui pourrait influer sur la décision finale. L’agent est tenu de procéder à une évaluation juste et approfondie conformément au libellé et à l’esprit de la législation applicable et selon les exigences de l’équité procédurale.

[10]  Ces instructions et lignes directrices concordent avec la décision Yazdanian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 170 FTR 129, dans laquelle la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 18 :

Je conviens avec le défendeur qu’il appartenait au demandeur de fournir à l’agente des visas suffisamment d’éléments pour étayer sa demande, mais lorsque l’agent des visas éprouve une préoccupation particulière susceptible d’aboutir au rejet d’une demande, l’équité exige de fournir au demandeur la possibilité de réagir à cette préoccupation.

[11]  Les tribunaux ont établi que l’obligation d’équité procédurale dont doivent s’acquitter les agents des visas se trouve à l’extrémité inférieure du spectre et qu’il incombe aux demandeurs d’établir qu’ils répondent aux exigences prévues par la loi en fournissant des éléments de preuve suffisants à l’appui de leur demande (Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264, aux par. 22 et 23 [Hamza]).

[12]  Dans la présente affaire, après avoir souligné les dispositions législatives pertinentes, l’agent a tiré la conclusion suivante sans jamais faire référence à un élément de preuve en particulier :

[traduction]

Je ne suis pas convaincu que vous répondiez à la définition d’un travailleur autonome au sens du paragraphe 88(1) du RIPR; en effet, compte tenu des éléments de preuve que vous avez présentés, je ne puis conclure que vous avez la capacité à devenir une travailleuse autonome au Canada ni que vous en avez l’intention.

[13]  Compte tenu de cette constatation sommaire faite par l’agent, il m’est impossible, même en faisant une interprétation libérale de sa décision, de déterminer si les éléments de preuve présentés par la demanderesse ont été pris en compte. Dans sa décision, l’agent ne fait nulle mention des éléments de preuve produits par la demanderesse relativement à ses études, à son expérience professionnelle et à ses capacités — sur le plan des finances — à devenir une travailleuse autonome au Canada. Il est difficile de savoir quel aspect des éléments de preuve de la demanderesse était insuffisant selon l’agent.

[14]  En outre, si l’agent avait des préoccupations liées à la crédibilité en raison des éléments de preuve produits par la demanderesse, il était tenu de lui donner la chance de répondre à ses préoccupations (décision Hamza, au par. 25).

[15]  Le défendeur s’appuie sur un certain nombre de décisions pour soutenir qu’on n’avait pas à l’égard de la demanderesse une obligation d’équité procédurale plus rigoureuse, et qu’il incombait à cette dernière de présenter des éléments de preuve suffisants à l’appui de sa demande. Cependant, les faits dans les affaires qu’invoque le défendeur sont différents de ceux en l’espèce. Par exemple, dans l’affaire Nima Jafari c Canada (Citoyenneté et Immigration) (24 juillet 2019, IMM‑6099‑18, Cour fédérale), on avait demandé au demandeur de présenter un plan d’affaires détaillé. Dans l’affaire Tollerene c Canada (2015 CF 538), le demandeur avait eu la possibilité de présenter des renseignements supplémentaires. Qui plus est, dans l’affaire Wei c Canada (Citoyenneté et Immigration), (2019 CF 982), le demandeur avait obtenu la possibilité de passer une entrevue.

[16]  Dans la présente affaire, on n’a pas demandé à la demanderesse de présenter un plan d’affaires ni de déposer des documents supplémentaires ou de participer à une entrevue pour dissiper toute préoccupation en matière de crédibilité. En fait, au vu de la décision, il est impossible de savoir quelles parties des éléments de preuve de la demanderesse étaient insuffisantes.

[17]  Bien que le défendeur exhorte la Cour à donner à la décision de l’agent une interprétation qui suppose que l’ensemble des éléments de preuve produits par la demanderesse a été pris en compte, cela m’est impossible en l’espèce. Même s’il est approprié de faire preuve de retenue dans certaines circonstances, il n’y a tout simplement rien dans la présente affaire qui indique que l’agent s’est penché sur les éléments de preuve et qu’il en a fait une appréciation appropriée, le cas échéant.

[18]  Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5634‑18

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de novembre 2019.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5634‑18

 

INTITULÉ :

NEMIKA OZGE OZBILEN BELEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 AOÛT 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 17 SeptembRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Mario D. Bellissimo

 

POUR LA DEMANDERESSE

Rachel Hepburn Craig

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellissimo Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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