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     Date : 19990421

     Dossiers : T-1440-98 et T-459-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 21 AVRIL 1999.

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE EVANS

ENTRE :

     SANDE LAZAR,

     demanderesse,

     et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES,

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

     défendeurs.

     ORDONNANCE

     Les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

     John M. Evans

    

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme :

Jacques Deschênes


Date : 19990421


Dossiers : T-459-98 et T-1440-98

ENTRE :

     SANDE LAZAR,

     demanderesse,

     et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA,

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS :

A.      Introduction

[1]      En 1987, Sande Lazar s'est vu octroyer une pension pour invalidité prolongée sous le Régime de pensions du Canada. En 1995, Développement des ressources humaines Canada, le ministère responsable de gérer la partie du Régime de pensions du Canada en cause ici, l'a informée que son dossier faisait l'objet d'un réexamen aux fins de déterminer si elle avait toujours droit à des prestations d'invalidité.

[2]      Ce réexamen semble avoir été déclenché lorsque Revenu Canada a informé Ressources humaines que Mme Lazar faisait état de revenus de diverses sources dans ses déclarations d'impôt depuis 1989. Les Ressources humaines ont demandé des renseignements additionnels à Mme Lazar au sujet de ces revenus, notamment s'ils étaient des revenus d'emploi. Ses versements de pension ont été suspendus jusqu'à ce que le réexamen ait été fait.

[3]      En février 1998, Mme Lazar a reçu une autre lettre de Ressources humaines, dans laquelle on l'informait que le réexamen de son dossier était terminé. Sur la base de ce réexamen, on a déterminé qu'elle avait cessé d'avoir droit à une pension d'invalidité en 1989, peu de temps après avoir accepté l'emploi dont elle dérivait ses autres revenus.

[4]      Lors de l'octroi de sa pension d'invalidité, Mme Lazar s'était engagée à informer Ressources humaines si elle retournait au travail, engagement qu'elle n'a pas tenu. La lettre de décision déclarait que Mme Lazar, au vu de son emploi durant la période de 1989 à 1995, ne pouvait plus être considérée comme une personne souffrant d'une invalidité " grave et prolongée " qui l'empêchait de travailler. En conséquence, elle n'avait plus droit aux prestations d'invalidité prolongée en vertu du Régime de pensions du Canada .

[5]      Finalement, la lettre lui annonçait aussi qu'elle aurait à repayer la plus grande partie des prestations reçues alors qu'elle n'était plus invalide selon les critères du régime. Ces sommes reçues en trop représentaient au total plus de 50 000 $.

[6]      M. Galati, l'avocat de Mme Lazar, a écrit à Ressources humaines au nom de sa cliente. Dans sa lettre, il contestait la compétence du ministre de réformer la décision par laquelle l'intéressée avait reçu une pension d'invalidité. Il ajoutait que sa cliente allait se prévaloir de tous ses recours légaux et qu'une demande de contrôle judiciaire serait présentée à la Cour aux fins d'une invalidation de la décision du ministre, ainsi que de sa directive portant qu'elle devait repayer la plus grande partie des prestations reçues.

[7]      En juin 1998, un agent de la Division des appels et du réexamen des décisions de Ressources humaines a écrit à Mme Lazar l'informant que son dossier avait fait l'objet d'un nouvel examen. En conséquence, la décision initiale était confirmée, savoir que l'état de santé de Mme Lazar ne l'avait pas empêchée de travailler depuis 1989 et qu'elle n'était donc plus invalide au sens du Régime de pensions du Canada.

[8]      M. Galati a présenté deux demandes de contrôle judiciaire. La première contestait la décision voulant que Mme Lazar n'avait plus droit aux prestations d'invalidité prolongée, et la deuxième contestait le réexamen ministériel de cette décision. Comme ces demandes soulèvent des questions de droit qui sont semblables pour l'essentiel, j'ai ordonné qu'elles soient jointes à l'audience. Les motifs de mon ordonnance s'appliqueront aux deux demandes.

B.      Les questions en cause

[9]      M. Galati fait état de motifs constitutionnels et légaux pour faire annuler les décisions. Bien qu'il ait déclaré que la décision du ministre portant que l'emploi de Mme Lazar la rendait non admissible aux prestations d'invalidité était contestable au fond, en l'instance il a surtout fait porter ses arguments sur la légalité du processus décisionnel.

[10]      M. Galati a plaidé que, contrairement au point de vue du ministre, le paragraphe 60(7) du Régime de pensions du Canada n'autorise pas le ministre à décider qu'une personne qui reçoit déjà des prestations n'y a plus droit. Il affirme que la disposition pertinente est le paragraphe 84(2), qui autorise explicitement le ministre à " annuler ou modifier une décision rendue conformément à la présente loi [...] en se fondant sur des faits nouveaux ".

[11]      Il semble que le raisonnement soit le suivant : si le ministre peut décider en vertu du paragraphe 60(7) qu'une personne n'est plus invalide au sens de la loi, celle-ci peut demander une révision de cette décision par le ministre (alinéa 81(1)b)). Cette révision est susceptible d'appel devant deux tribunaux indépendants, d'abord le tribunal de révision (paragraphe 82(1)), et ensuite à la Commission d'appel des pensions (paragraphe 83(1)). Par contre, la décision prise en vertu du paragraphe 84(2) doit être portée en appel directement au tribunal de révision, et ensuite à la Commission d'appel des pensions. Il n'y a pas en ce cas de révision par le ministre.

[12]      L'importance potentielle de cette distinction pour une personne qui a été jugée non admissible par Ressources humaines est que l'intervention du ministre, qui s'impose lorsque les décisions sont prises en vertu du paragraphe 60(7), retarde d'autant le recours aux tribunaux indépendants pour faire trancher les droits en cause. De plus, M. Galati a plaidé que si la disposition pertinente est le paragraphe 84(2), les versements continueront d'être versés à la personne en cause jusqu'à ce que le tribunal de révision décide qu'elle n'y avait plus droit.

[13]      Subsidiairement, M. Galati plaide que le cadre de la loi privait en fait une personne dans la situation de Mme Lazar du bénéfice d'une évaluation indépendante et impartiale du droit que la loi lui reconnaît de recevoir la pension d'invalidité pour laquelle elle avait été déclarée admissible. À l'appui de ce point de vue, il a invoqué l'obligation d'équité de la common law, ainsi que l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[14]      En plus de contester les arguments susmentionnés, M. Roussy, l'avocat du Ministre, a plaidé que la demande de contrôle judiciaire était prématurée. Il a demandé à la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas trancher les questions soulevées par Mme Lazar en l'instance, puisqu'elle avait une autre voie de recours en exerçant ses droits d'appel au tribunal de révision et à la Commission d'appel des pensions. Les décisions de cette Commission sont soumises au contrôle de la Cour d'appel fédérale : Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [tel que modifié], alinéa 28(1)d).

C.      Analyse

[15]      Je traiterai d'abord de la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée parce que prématurée. Si c'était le cas, il ne serait ni nécessaire, ni approprié, que je me penche sur les motifs invoqués par la demanderesse pour attaquer la validité de la décision du ministre et de la révision qu'il en a faite.

[16]      Sur cette question, M. Galati a présenté deux arguments. Il a d'abord prétendu que Mme Lazar ne pouvait plus se pourvoir auprès du tribunal de révision pour contester la révision faite par le ministre. Il fonde cet argument sur le fait qu'un avis d'appel doit être déposé dans les 90 jours après que la personne visée a reçu les résultats de la reconsidération : paragraphe 82(1) du Régime de pensions du Canada. À l'expiration de ce délai en septembre 1998, aucun avis d'appel n'avait été déposé. Par conséquent, ce droit d'appel prévu dans la loi ne serait plus un recours disponible dans le cas de Mme Lazar.

[17]      Cet argument ne me convainc pas. Premièrement, le paragraphe 82(1) donne un pouvoir discrétionnaire au commissaire des tribunaux de révision d'autoriser une personne à déposer un avis d'appel après l'expiration de la période normale de 90 jours. En l'instance, la demanderesse n'a pas demandé au commissaire d'exercer ce pouvoir en sa faveur.

[18]      Deuxièmement, le fait qu'un demandeur soit hors délai pour l'exercice que la loi prévoit d'un droit d'appel à un tribunal administratif ou à une Cour ne le prive pas nécessairement du recours en question : Adams v. British Columbia (Workers' Compensation Board) (1989), 42 BCLR (2d) 228 (C.A.C.-B.). Ce serait une anomalie qu'un demandeur puisse éviter d'exercer un droit d'appel prévu par la loi et s'adresser directement aux tribunaux pour obtenir un contrôle judiciaire du simple fait qu'il a négligé de procéder à temps.

[19]      Deuxièmement, M. Galati prétend qu'on ne peut en appeler aux tribunaux créés par la loi de l'obligation de rembourser les versements auxquels une personne n'avait jamais eu droit. Cette question ne peut être traitée qu'en Cour fédérale. En conséquence, le fait que la loi prévoit un droit d'appel ne serait pas un recours adéquat et une demande de contrôle judiciaire s'imposerait.

[20]      M. Galati a peut-être raison, sur le plan technique, d'affirmer que le tribunal de révision et la Commission d'appel des pensions n'ont pas compétence pour ordonner la remise de la dette de Mme Lazar à la Couronne, même s'ils devaient conclure que celle-ci n'avait jamais cessé d'avoir droit à la pension pour invalidité de longue durée. Il semble toutefois assez farfelu d'imaginer que le ministère des Ressources humaines chercherait à percevoir de la demanderesse une somme à laquelle elle avait droit aux dires d'un tribunal d'appel. De fait, M. Roussy a déclaré que Ressources humaines n'avait pris aucune mesure pour percevoir les sommes dues par Mme Lazar, et que rien ne serait fait tant que tous les appels, y compris la demande de contrôle judiciaire, n'auraient pas été exercés.

[21]      En conséquence, j'en conclus que cette limite posée à la compétence des tribunaux créés par la loi ne suffit pas à transformer le droit d'en appeler à eux en un recours inopérant qui justifierait les demandes de contrôle judiciaire qui me sont présentées.

[22]      Lorsque le Parlement a prévu dans la loi des voies de recours et des institutions dont le rôle précis est de permettre aux personnes s'estimant lésées par une décision administrative prise dans le cadre d'un régime donné d'être entendues, la Cour ne devrait pas s'ingérer dans le processus avant que ces recours prévus par la loi n'aient été exercés. Dans la plupart des cas, les facteurs d'efficience, de rapidité et de connaissances spécialisées viendront dicter une certaine retenue judiciaire.

[23]      Comme les questions d'interprétation soulevées par M. Galati sont clairement dans le champ de compétence spécialisée des tribunaux en cause, le contrôle judiciaire ne sera généralement pas approprié avant que le tribunal de révision et la Commission d'appel des pensions n'aient eu l'occasion de les examiner.

[24]      Il me semble clair aussi que la compétence conférée par la loi au tribunal de révision et à la Commission d'appel des pensions " pour décider des questions de droit " quant à savoir si une prestation est payable (paragraphe 84(1)) est assez large pour qu'ils puissent entendre et trancher toute contestation fondée sur la Charte portant sur la validité de la législation habilitante, ou toute question de common law portant sur l'équité procédurale du processus de décision, qui portent sur le droit d'un demandeur à une pension.

[25]      Même si le litige devait se retrouver éventuellement devant la présente Cour, la capacité des tribunaux d'appel d'établir les faits et leur expérience dans la gestion de ce régime complexe ne peuvent que faciliter la recherche d'une réponse adéquate à la question constitutionnelle soulevée par la demanderesse.

D.      Conclusion

[26]      Pour ces motifs, les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées.

OTTAWA (ONTARIO)      John M. Evans

    

Le 21 avril 1999.      J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme :

Jacques Deschênes

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


NOM DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Nos DU GREFFE :              T-459-98 ET T-1440-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      SANDE LAZAR

                     c.

                     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
                     LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES, SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA                         
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 7 AVRIL 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE EVANS

EN DATE DU :              21 AVRIL 1999

ONT COMPARU :

M. Rocco Galati                      pour la demanderesse

M. Daniel Roussy                      pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Rocco Galati

637, rue College, pièce 203

Toronto (Ontario)

M6G 1B5                          pour la demanderesse

M. Morris Rosenberg                  pour les défendeurs

Sous-procureur général du Canada

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