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Date : 20190906


Dossier : T‑538‑19

Référence : 2019 CF 1147

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP

demanderesse

et

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER‑FRASER et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La demanderesse, GCT Canada Limited Partnership (GCT), sollicite une ordonnance déclarant Lawson Lundell LLP (Lawson) inhabile à occuper à titre d’avocat de l’Administration portuaire Vancouver‑Fraser (l’Administration portuaire) relativement aux demandes de contrôle judiciaire que GCT a déposées pour contester plusieurs décisions relatives au développement proposé dans le port de Vancouver, ainsi que dans le processus d’examen environnemental de ce projet qui est en cours devant une commission d’examen établie par l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (l’ACEE).

[2]  GCT n’a jamais été un client de Lawson. Néanmoins, GCT prétend que Lawson est en conflit d’intérêts, parce que le cabinet a eu accès à des renseignements confidentiels concernant ces affaires dans le cadre du contrôle préalable effectué par celui‑ci pour la British Columbia Investment Management Corporation (la BCI) relativement à l’acquisition éventuelle par la BCI d’une participation minoritaire dans GCT. Le conflit d’intérêts découle du fait que Lawson représente l’Administration portuaire dans le processus de la commission d’examen de l’ACEE ainsi que dans les demandes de contrôle judiciaire, et des renseignements confidentiels liés à la position de GCT sur les projets qui sont au cœur de la présente instance.

[3]  Dans la présente requête, GCT prétend que Lawson a obtenu des renseignements confidentiels se rapportant au différend entre GCT et l’Administration portuaire dans le contexte d’une relation avocat‑client, et que Lawson n’a pas pris de mesures adéquates ou opportunes pour empêcher la communication de ces renseignements au sein du cabinet d’avocats. Cela suffit pour déclencher un conflit d’intérêts ainsi que l’inhabilité de Lawson à occuper dans ces affaires.

[4]  L’Administration portuaire fait valoir qu’il s’agit d’une requête purement tactique et que le moment auquel GCT l’a déposée témoigne de son intention de perturber les processus judiciaires actuels. L’Administration portuaire soutient que, puisque GCT n’a jamais été un client de Lawson, les règles doivent être appliquées avec plus de souplesse. L’Administration portuaire fait valoir que ses intérêts juridiques n’étaient pas opposés à ceux de GCT à quelque moment que ce soit avant le début de la procédure de contrôle judiciaire et que, dès que cette procédure a été lancée, Lawson a pris les mesures appropriées pour régler tout conflit d’intérêts potentiel. L’Administration portuaire soutient que GCT ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver que des renseignements confidentiels avaient effectivement été communiqués au cabinet. De plus, les avocats de Lawson qui se sont occupés de ces affaires ont déposé des affidavits sous serment indiquant qu’ils n’ont reçu aucun renseignement confidentiel de GCT. Si Lawson devait être déclarée inhabile à occuper à ce stade‑ci, cela occasionnerait un préjudice important à l’Administration portuaire.

[5]  La présente requête s’inscrit dans le contexte d’un différend entre GCT et l’Administration portuaire et le procureur général du Canada au sujet d’un projet d’augmentation de la capacité d’accueil de conteneurs du port de Vancouver. L’Administration portuaire cumule les rôles au port : elle est propriétaire des installations que louent les entreprises, dont GCT; elle est un des [traduction] « organismes de réglementation » qui contrôlent les activités dans le port et elle est aussi le promoteur du port. Comme il est expliqué ci‑après, la présente instance porte sur les rôles de l’Administration portuaire en tant qu’organisme de réglementation et que promoteur.

[6]  L’Administration portuaire cherche actuellement à obtenir l’approbation de l’ACEE pour son projet d’agrandissement du port, appelé le projet du Terminal 2 à Roberts Bank (le projet du Terminal 2). GCT s’oppose à ce projet et veut aller de l’avant avec son propre projet d’agrandissement. L’Administration portuaire, dans son rôle d’organisme de réglementation, a refusé d’approuver le projet d’agrandissement des installations de conteneurs au port Delta de GCT, connu sous le nom de projet Deltaport 4. Lawson représente l’Administration portuaire dans le processus d’évaluation environnementale du projet du Terminal 2 et a conseillé l’Administration portuaire dans sa décision de refuser l’approbation préliminaire du projet Deltaport 4 de GCT. Il s’agit du cœur du différend sous‑jacent entre GCT et l’Administration portuaire, et il constitue le contexte de la requête dont la Cour est saisie.

[7]  La requête présentée par GCT visant à déclarer Lawson inhabile à occuper pour le compte de l’Administration portuaire est fondée sur l’argument selon lequel Lawson a obtenu des renseignements confidentiels sur la stratégie juridique de GCT concernant le projet du Terminal 2 et le projet Deltaport 4 dans le cadre de son contrôle préalable pour la BCI. GCT prétend que Lawson n’a pas pris de mesures adéquates pour empêcher la communication de ces renseignements aux avocats qui occupent pour le compte de l’Administration portuaire et que, par conséquent, Lawson doit être déclaré inhabile à occuper.

[8]  Pour les motifs qui suivent, j’accueille en partie la présente requête.

II.  Le contexte

[9]  L’Administration portuaire exerce ses activités conformément aux dispositions de la Loi maritime du Canada, LC 1998, c 10, et du Règlement sur l’exploitation des administrations portuaires, DORS/2000‑55, version modifiée, ainsi qu’aux lettres patentes. Celles‑ci autorisent l’Administration portuaire à agir à la fois comme organisme de réglementation et comme propriétaire du port. Par le passé, l’Administration portuaire a également fait la promotion de grands projets de développement et d’agrandissement des infrastructures au port. GCT exploite le terminal à conteneurs Deltaport situé à l’installation portuaire de Roberts Bank, en vertu d’un bail avec l’Administration portuaire.

[10]  L’Administration portuaire soutient l’agrandissement de l’installation portuaire de Roberts Bank depuis 2003. Le projet du Terminal 2 ne s’est pas concrétisé à cette époque; toutefois, il a été soumis à l’approbation de l’ACEE en septembre 2013. L’Administration portuaire a retenu les services de Lawson pour le projet du Terminal 2 le 6 février 2014, et Lawson y a travaillé de façon continue depuis. Le 16 juin 2015, Lawson a établi un mur éthique autour de son travail sur le projet du Terminal 2, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la présente requête. Il s’agissait de veiller à ce que seuls les avocats et les autres membres du personnel travaillant à ce projet aient accès au dossier électronique détenu par Lawson, et à ce que les avocats qui travaillaient à ce projet ne discutent pas de leur travail avec d’autres avocats du cabinet.

[11]  Le processus d’approbation du projet du Terminal 2 a franchi diverses étapes, et les audiences publiques de la commission d’examen de l’ACEE sur ce projet ont eu lieu du 14 mai au 24 juin 2019. Lawson a représenté l’Administration portuaire à ces audiences. GCT y a également participé et s’est opposée à l’approbation du projet. Les mémoires définitifs devaient être soumis à la commission d’examen au plus tard le 16 août 2019.

[12]  En novembre 2017, la BCI a retenu les services de Lawson pour obtenir des conseils fiscaux sur l’éventuelle prise de participation de la BCI dans GCT (l’opération). Lawson a procédé à une vérification des conflits d’intérêts et a décidé qu’il pouvait agir à l’égard de l’opération en question. GCT n’était pas un « client » de Lawson à proprement parler, et le cabinet était d’avis que les intérêts de GCT étaient opposés à ceux de la BCI ou, à tout le moins, que leurs intérêts ne s’harmonisaient pas.

[13]  Au début d’avril 2018, la BCI a communiqué avec Lawson pour discuter de la possibilité de mener un contrôle préalable dans le contexte de sa possible prise de participation dans GCT. Aucun nouvel examen de conflit d’intérêts n’a été entrepris. L’Administration portuaire décrit le point de vue de Lawson à l’époque de la façon suivante :

[traduction]

Pendant son examen de conflit d’intérêts, Lawson avait désigné l’Administration portuaire parmi ses clients existants. Toutefois, étant donné que l’opération comportait une transaction relative aux actions concernant un tiers qui n’était pas un client et que le travail lui‑même avait très peu à voir avec le genre de travail effectué pour l’Administration portuaire, il n’était aucunement prévu que Lawson ait besoin de faire appel à du personnel travaillant pour l’Administration portuaire pour obtenir de l’aide.

[14]  Avant d’accepter le mandat, David Allard, associé principal chargé de ces discussions chez Lawson, a soulevé auprès de la BCI le fait que Lawson représentait l’Administration portuaire et a indiqué que le cabinet n’avait pas fait de travail lié aux baux détenus par GCT ou à toute autre affaire relative à l’opération. En jouant de grande prudence, M. Allard a avisé la BCI que Lawson ne ferait appel à aucun avocat travaillant pour l’Administration portuaire dans le cadre du contrôle préalable. De plus, la BCI ne devait communiquer qu’avec trois avocats de Lawson au sujet de toute affaire relative à l’opération. Ces mesures ont été prises afin d’éviter de faire intervenir des avocats qui travaillaient pour l’Administration portuaire dans le contrôle préalable et était contraire à la pratique habituelle dans les interactions antérieures entre la BCI et Lawson en vertu de laquelle la direction de la BCI pouvait communiquer avec n’importe quel avocat de Lawson pour lui poser une question concernant son mandat général.

[15]  John Smith, président du Comité des conflits d’intérêts et de l’éthique de Lawson, qui a dirigé l’examen de conflit d’intérêts, ne s’est jamais adressé directement à Bradley Armstrong, l’avocat qui dirige l’équipe chargée de l’affaire de l’Administration portuaire. M. Smith a déclaré qu’il n’était pas au courant du projet Deltaport 4. L’avocat principal dans l’affaire de l’Administration portuaire a envoyé une courte réponse à un courriel qui avait été distribué au sein du cabinet au cours l’examen de conflit d’intérêts, indiquant qu’il ne croyait pas qu’il était problématique pour le cabinet de représenter la BCI relativement à l’opération.

[16]  Par la suite, la BCI a retenu les services de Lawson pour entreprendre le contrôle préalable, qui a commencé le 10 mai 2018. Une salle de données matérielles et une salle de données virtuelles ont été établies pour conserver les documents relatifs à ce contrôle. La salle des données virtuelle a été administrée par un tiers qui se spécialise dans ce genre de travail, et un nombre limité d’avocats de Lawson ont reçu l’autorisation de consulter les documents se trouvant dans cette installation.

[17]  Pour sa part, GCT a publié les renseignements relatifs au contrôle préalable, conformément à une entente de confidentialité globale qui s’appliquait à Lawson ainsi qu’à d’autres intervenants prenant part au contrôle. L’entente énonce que les renseignements ne doivent être utilisés qu’aux fins d’évaluation, de négociation ou de mise en œuvre d’une opération d’achat potentielle. Elle prévoit que la divulgation par GCT ne constitue pas une renonciation au secret professionnel de l’avocat qui peut être lié à l’un ou l’autre des renseignements. Elle contient également un addenda obligeant les cabinets d’avocats ou d’autres conseillers professionnels à confirmer que les membres de l’équipe participant à l’opération ne fourniraient aucun autre service à l’Administration portuaire (entre autres), et que le cabinet d’avocats mettrait en place [traduction« les obstacles habituels à l’information » afin d’empêcher la divulgation des renseignements confidentiels à quiconque au sein du cabinet ne participant pas au contrôle préalable. Il s’agissait d’une condition préalable à la communication des renseignements confidentiels et exclusifs qui étaient nécessaires au contrôle préalable. La BCI a conclu l’entente de confidentialité le 24 octobre 2017.

[18]  Au cours du contrôle, il est devenu évident que des conseils au sujet de certaines questions relatives aux enjeux autochtones devaient être donnés, et l’avocat de Lawson qui était le mieux en mesure de donner ces conseils était Keith Bergner, qui faisait partie de l’équipe affectée au projet du Terminal 2 pour l’Administration portuaire. Étant donné le délai limité pour le contrôle préalable, Lawson a jugé qu’il était nécessaire que M. Bergner fournisse les conseils, bien que cela contrevenait à sa règle de dissocier les deux équipes. M. Bergner a eu une conversation avec Mme Wagner, de la BCI, et il l’a informée qu’il pourrait être restreint quant à la nature des conseils qu’il pourrait donner, étant donné son travail pour un autre client. En fin de compte, M. Bergner a déclaré qu’il était en mesure de donner des conseils à la BCI en se fondant uniquement sur les renseignements accessibles au public.

[19]  Le contrôle préalable a pris fin le 30 mai 2018, et un rapport exhaustif a été remis à la BCI.

[20]  En plus du travail qu’il effectuait pour l’Administration portuaire sur le projet du Terminal 2, Lawson a été consulté sur la décision de l’Administration portuaire de ne pas aller de l’avant avec le projet et les processus d’examen environnemental pour Deltaport 4 entrepris par GCT. Lawson déclare qu’il était au courant du projet Deltaport 4 depuis janvier 2017. Le dossier sur la question n’est pas complet, mais des éléments de preuve indiquent que GCT a eu des discussions avec l’Administration portuaire au sujet du projet Deltaport 4 au cours de cette période. GCT a présenté une demande officielle de renseignements préliminaire sur le projet à l’Administration portuaire le 5 février 2019. L’Administration portuaire a répondu à cette demande le 29 [sic] février 2019, déclarant qu’elle ne poursuivrait ses processus d’examen du projet ou d’examen environnemental. La prise en compte de plusieurs facteurs qui ne sont pas pertinents pour la décision relative à la présente requête explique notamment cette réponse. Toutefois, il convient de noter que, dans la lettre de décision, l’Administration portuaire justifie ainsi sa décision :

[traduction]

Nous insistons sur ces points pour que vous sachiez bien que le projet du Terminal 2 est le projet que nous privilégions pour l’augmentation de la capacité à Roberts Bank. Vous devez comprendre que votre proposition de projet Deltaport 4, même si elle est en mesure de recevoir les approbations environnementales et réglementaires nécessaires, ne pourrait être considérée que comme projet ultérieur et supplémentaire au projet du Terminal 2.

[21]  GCT a introduit ses demandes de contrôle judiciaire contre l’Administration portuaire le 28 mars 2019. Plus tôt en mars de la même année, la BCI a communiqué avec Lawson pour l’informer que GCT envisageait de prendre cette mesure et pour lui demander conseil au sujet de sa position en tant qu’actionnaire de GCT. Lawson a assuré à la BCI que les mesures qui avaient été mises en place plus tôt, notamment le cloisonnement des équipes juridiques, étaient demeurées en place.

[22]  Dès l’introduction des demandes de contrôle judiciaire, Lawson a créé des mesures internes pour restreindre l’accès aux renseignements qu’il détenait relativement à l’opération, parce qu’il était alors évident que l’Administration portuaire et GCT avaient des intérêts opposés.

[23]  À mesure que la procédure relative aux demandes de contrôle judiciaire progressait, la BCI et GCT s’inquiétaient du fait que Lawson n’avait pas pris des mesures adéquates et opportunes pour protéger les renseignements confidentiels liés à ces affaires, d’où la présentation par GCT de la présente requête.

III.  Les questions en litige

[24]  La Cour n’est saisie que de deux questions :

  1. GCT a‑t‑elle établi que Lawson est en conflit d’intérêts relativement à ces affaires?
  2. Dans l’affirmative, la réparation consistant à déclarer Lawson inhabile à occuper est‑elle convenable dans le cadre de la procédure de contrôle judiciaire et, dans la même veine, une ordonnance en ce sens devrait‑elle être rendue relativement au processus de l’ACEE également?

IV.  L’analyse

A.  GCT a‑t‑elle établi que Lawson est en conflit d’intérêts relativement à ces affaires?

[25]  GCT allègue que Lawson est en conflit d’intérêts, parce qu’il n’a pas pris les mesures appropriées pour protéger les renseignements confidentiels qu’il avait obtenus dans le contexte d’une relation avocat‑client, et que ces renseignements sont pertinents pour les questions en litige entre GCT et l’Administration portuaire, cette dernière ayant été et demeurant un client de Lawson.

[26]  GCT soutient qu’elle a plus que satisfait aux critères pour que soit déclaré inhabile Lawson pour avoir omis de protéger adéquatement les renseignements confidentiels qu’il avait reçus relativement à ces affaires. GCT fait valoir que l’Administration portuaire et elle‑même avaient des intérêts opposés depuis au moins le début de 2017, bien avant l’introduction de la demande de contrôle judiciaire, et que, malgré les assurances de Lawson à la BCI, plusieurs avocats de ce cabinet qui travaillaient sur l’affaire de l’Administration portuaire avaient accès aux renseignements confidentiels de GCT. De plus, Lawson n’avait pas établi de contrôles adéquats sur ses dossiers papier ou électroniques et, par conséquent, tout avocat du cabinet pouvait avoir accès aux renseignements confidentiels.

[27]  GCT fait valoir qu’un membre du public raisonnablement informé serait convaincu qu’un avocat de Lawson qui travaille pour l’Administration portuaire aurait pu avoir accès à des renseignements confidentiels de GCT sur les questions en litige soumises à la commission d’examen de l’ACEE, et dans la procédure de contrôle judiciaire. Cela suffit pour établir un conflit d’intérêts entraînant l’inhabilité, et Lawson n’a pas réussi à s’acquitter du lourd fardeau qui lui incombait d’établir que le cabinet a pris des mesures opportunes et efficaces pour prévenir une éventuelle utilisation à mauvais escient des renseignements confidentiels.

[28]  L’Administration portuaire soutient que ses intérêts juridiques et ceux de GCT n’étaient pas opposés avant l’introduction des demandes de contrôle judiciaire; elles étaient alors tout au plus des concurrents commerciaux. Puisque GCT n’a jamais été un client de Lawson, les critères juridiques doivent être appliqués avec plus de souplesse. Les avocats de Lawson qui travaillent sur l’affaire de l’Administration portuaire ont déclaré sous serment qu’ils n’avaient pas reçu de documents confidentiels de l’équipe qui travaille à l’opération, et après que les contrôles judiciaires eurent été entrepris, Lawson a pris des mesures opportunes et appropriées pour empêcher l’accès aux renseignements confidentiels.

[29]  L’arrêt faisant autorité en matière de conflits d’intérêts des avocats relativement à l’utilisation à mauvais escient possible de renseignements confidentiels est l’arrêt Succession MacDonald c Martin, [1990] 3 RCS 1235 [Martin]. La Cour suprême du Canada a formulé ainsi les trois valeurs concurrentes en cause dans son examen de la question : (i) « le souci de préserver les normes exigeantes de la profession d’avocat et l’intégrité de notre système judiciaire »; (ii) « en contrepoids, le droit du justiciable de ne pas être privé sans raison valable de son droit de retenir les services de l’avocat de son choix »; (iii) « la mobilité raisonnable qu’il est souhaitable de permettre au sein de la profession ». L’arrêt Martin et les arrêts subséquents montrent clairement que la valeur primordiale qui doit guider l’examen de toutes les affaires de conflits d’intérêts d’avocats est la première, à savoir que la Cour doit être guidée par la volonté de préserver les normes élevées de la profession juridique et de chercher à préserver l’intégrité de notre système judiciaire (voir, notamment, l’arrêt R c Neil, 2002 CSC 70, au par. 12 [Neil]; l’arrêt Ontario c Chartis Insurance Company of Canada, 2017 ONCA 59, au paragraphe 70 [Chartis]; Chapters Inc c Davies, Ward & Beck LLP, 52 OR (3d) 566 (CA), au paragraphe 20 [Chapters Inc.]).

[30]  Afin d’atteindre ces objectifs, un certain nombre de règles ont été établies, mais bon nombre de celles‑ci ne s’appliquent pas en l’espèce parce qu’elles se rapportent à la situation où un avocat ou un cabinet d’avocats représente deux clients ou cherche à travailler contre un ancien client, où un avocat passe d’un cabinet à un autre, ou où deux cabinets d’avocats fusionnent (voir Paul M. Perell, Conflicts of Interest in the Legal Profession (Toronto : Butterworths, 1995) pour une catégorisation utile des cas). Ainsi, les règles de la « ligne de démarcation très nette » établies dans des affaires comme l’arrêt Neil peuvent fournir une orientation générale instructive, mais elles n’ont pas d’application directe en l’espèce dans la mesure où elles se rapportent à la relation entre un avocat et un client.

[31]  Deux décisions plus récentes de la Cour suprême présentent des conseils utiles sur l’application du critère énoncé dans l’arrêt Martin, ainsi que sur sa justification sous‑jacente. Dans l’arrêt Celanese Canada Inc. c Murray Demolition Corp, 2006 CSC 36 [Celanese Canada], la question en litige concernait l’accès à des renseignements confidentiels par des avocats dans le contexte d’une ordonnance Anton Piller. Le juge Binnie a décrit l’affaire de la façon suivante :

2  Il est donc question, en l’espèce, d’un conflit entre deux valeurs opposées : le privilège avocat‑client et le droit à l’avocat de son choix. J’estime que, pour résoudre ce conflit, il faut tenir pour acquis que le droit d’être représenté par un avocat ayant eu accès à des communications pertinentes effectuées à titre confidentiel entre un avocat et son client n’existe pas dans le cas où cet accès aurait dû être prévu et être sans trop de peine évité et où l’avocat en question n’a pas réfuté la présomption de risque de préjudice en résultant pour la partie visée par l’ordonnance Anton Piller.

3  L’arrêt de notre Cour Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235, établit clairement qu’il y a présomption de préjudice lorsqu’une partie adverse a accès à des communications pertinentes effectuées à titre confidentiel entre un avocat et son client […]

[32]  Le juge Binnie présente le résumé suivant du droit relatif à la déclaration d’inhabilité à occuper d’un avocat pour possession de renseignements confidentiels :

42  Dans l’arrêt Succession MacDonald, la Cour a statué que, dans le cas d’un avocat qui change de cabinet, dès qu’il est démontré que le cabinet d’avocats agissant pour la partie adverse a appris « des faits confidentiels, grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client, qui concernent l’objet du litige » (p. 1260), le tribunal présumera « que les avocats qui travaillent ensemble échangent des renseignements confidentiels » (p. 1262) et qu’il y a alors un risque que ces renseignements soient utilisés au préjudice du client, à moins que les avocats qui les ont obtenus ne puissent démontrer que « le public, c’est‑à‑dire une personne raisonnablement informée, [serait convaincu] qu’il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels » (p. 1260). La présomption n’est réfutée que s’il existe une « preuv[e] [contraire] clair[e] et convaincant[e] » (p. 1262). Donc, « [a] fortiori, les simples engagements et affirmations catégoriques contenus dans des affidavits » (p. 1263) ne sont pas suffisants pour réfuter la présomption de diffusion. Pour les besoins de la présente affaire, il importe de souligner que le juge Sopinka n’a pas imposé à la partie requérante l’obligation de produire d’autres éléments de preuve concernant la nature des renseignements confidentiels en plus de ce qui est nécessaire pour établir que, grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client, l’avocat en cause a appris des faits confidentiels qui concernaient l’objet du litige.

[En italique dans l’original.]

[33]  Les types de préjudice visés par les règles en matière de conflits d’intérêts établies dans l’arrêt Martin et les décisions subséquentes ont été examinés par la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c McKercher LLP, 2013 CSC 39 [McKercher] :

c)  Les types de préjudice visés par les règles en matière de conflits d’intérêts

[23]  Le droit relatif aux conflits d’intérêts cible surtout deux types de préjudice : celui découlant de l’utilisation à mauvais escient, par l’avocat, des renseignements confidentiels qu’il a obtenus d’un client; et celui causé lorsque l’avocat « met une sourdine » à la représentation de son client dans ses propres intérêts, ceux d’un autre client ou ceux d’un tiers. Pour ce qui est de ces préoccupations, le droit établit une distinction entre les anciens clients et les clients actuels. Le principal devoir de l’avocat envers un ancien client est de s’abstenir d’utiliser à mauvais escient des renseignements confidentiels. Quant au client actuel qu’il représente toujours, l’avocat ne doit ni utiliser à mauvais escient des renseignements confidentiels, ni se placer dans une situation où sa représentation efficace est compromise. J’examinerai tour à tour chacun de ces aspects de la règle applicable aux conflits d’intérêts.

(d)  Les renseignements confidentiels

[24]  La prévention de l’utilisation à mauvais escient de renseignements confidentiels constitue la première considération importante visée par le devoir d’éviter les conflits d’intérêts. Ce devoir renforce le devoir de confidentialité de l’avocat — un devoir distinct — en prévenant les situations comportant un risque élevé de manquement à la confidentialité. Un avocat ne peut agir dans un dossier dans lequel il peut utiliser des renseignements confidentiels obtenus d’un ancien client ou d’un client actuel au détriment de ce client. On applique un critère à deux volets pour déterminer si le nouveau dossier placera l’avocat en situation de conflit d’intérêts : (1) L’avocat a-t-il appris des faits confidentiels, grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client, qui concernent l’objet du litige? (2) Y a-t-il un risque que ces renseignements soient utilisés au détriment du client? : Martin, p. 1260. L’existence d’une « connexité suffisante » entre le nouveau mandat de l’avocat et les dossiers auxquels il a travaillé pour le compte de l’ancien client fait intervenir une présomption réfutable que l’avocat dispose de renseignements confidentiels susceptibles de causer un préjudice : p. 1260.

[34]  Le fait de trancher la question de savoir s’il existe ou non d’un conflit d’intérêts découle en grande partie d’une enquête factuelle, et chaque affaire doit être examinée en fonction de son bien‑fondé. Étant donné la grande variété de circonstances dans lesquelles un conflit d’intérêts à la source d’une allégation d’inhabilité peut survenir, il est nécessaire d’aborder chaque affaire en gardant à l’esprit la raison d’être fondamentale du principe et l’exigence d’un certain degré de souplesse dans son application aux faits de l’affaire donnée, compte tenu de tous les facteurs contextuels pertinents. Comme l’a indiqué le juge Binnie dans l’arrêt Neil : « Le problème consiste toujours à déterminer quelles règles sont nécessaires et raisonnables et quel est le meilleur moyen d’atteindre un bon équilibre entre des intérêts divergents » (au par. 15). (Voir, dans le même sens, l’arrêt Strother c 3464920 Canada Inc., 2007 CSC 24 [Strother], au par. 51).

[35]  En l’espèce, un certain nombre d’éléments du principe doivent être évalués, notamment :

(1)  Les règles s’appliquent‑elles à une situation où les renseignements proviennent d’une partie qui n’est pas un client du cabinet d’avocats?

[36]  Bien que bon nombre d’affaires où cette question est soulevée mettent en cause une relation directe avocat‑client entre l’avocat ou le cabinet d’avocats et un « client », le critère énoncé dans l’arrêt Martin n’exige pas qu’une telle relation soit établie. La question qui est posée est la suivante : « L’avocat a‑t‑il appris, grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client, des faits confidentiels relatifs à l’objet du litige? »

[37]  Dans l’arrêt Almecon Industries Ltd c Nutron Manufacturing Ltd (1994), 57 CPR (3d) 69, [1994] ACF no 1209 (QL) (CAF) [Almecon Industries], la Cour d’appel fédérale a statué que les règles sur les conflits d’intérêts pouvaient s’appliquer en dehors d’une stricte relation avocat‑client et que la principale considération était de savoir si des renseignements confidentiels avaient été obtenus dans le contexte d’une relation avocat‑client, peu importe si ces renseignements provenaient du « client ». La Cour a souligné au paragraphe 33 que « la question de principe primordiale dans l’affaire Martin résidait dans la volonté d’empêcher l’utilisation de renseignements confidentiels. On a donné préséance à la protection des renseignements confidentiels transmis à l’avocat. » Si une relation confidentielle existait, les règles régissant les conflits d’intérêts s’appliqueraient.

[38]  Cette approche a également été adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Celanese Canada, où le juge Binnie a conclu que l’arrêt Martin est le précédent applicable en matière d’inhabilité d’un avocat à occuper pour possession de renseignements confidentiels, et que les éléments pertinents de l’analyse effectuée dans l’arrêt Martin « ne sont pas tributaires de l’existence préalable de rapports d’avocat à client. En l’espèce, le fond du problème est que les avocats de la partie adverse sont en possession de renseignements confidentiels pertinents qui ont été obtenus grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client et à l’égard desquels ils ne peuvent invoquer aucun droit » (au par. 46).

[39]  J’estime que cela est conforme à la fois à la raison d’être de la politique sous‑jacente et au libellé très précis employé dans l’arrêt Martin. Bien que, dans la plupart des cas, les avocats obtiennent des renseignements confidentiels dans le cadre d’une relation avocat‑client seulement de leur client, il peut arriver que ces renseignements soient obtenus de tiers. À mon avis, l’objectif visant à la préservation de normes élevées dans la profession juridique et de la confiance du public envers l’intégrité de notre système judiciaire exige que les règles sur les conflits d’intérêts s’étendent à une telle situation.

[40]  Je suis d’accord avec l’Administration portuaire pour dire que lorsque, les renseignements confidentiels qui ont donné lieu au conflit d’intérêts allégué proviennent d’une partie qui n’est pas un client du cabinet d’avocats, les règles établies dans l’arrêt Martin devraient être appliquées avec une certaine souplesse. Comme l’a déclaré la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Dreco Energy Services Ltd v Wenzel Downhole Tools Ltd, 2006 ABCA 39, aux par. 7 et 8 :

[traduction]

[7]  Bien qu’un avocat (à l’instar de toute autre personne) puisse avoir des obligations de confidentialité envers des personnes autres que des clients, il ne s’agit pas d’une situation habituelle […]

[8]  Lorsqu’une personne autre que le client fournit des renseignements à l’avocat et s’attend à ce que l’avocat en assure la confidentialité, il faut procéder à une analyse plus approfondie. L’arrêt Martin c MacDonald ne représente pas une carte blanche qui s’appliquerait à des situations mettant en cause des personnes autres que des clients. Que l’issue en droit ou en equity soit la même ou non, il faut davantage d’éléments de preuve et d’analyses juridiques pour en arriver à ce résultat.

[41]  Il ne fait aucun doute que GCT n’a jamais été un « client » de Lawson. En l’espèce, toutefois, je conclus que les règles sur les conflits d’intérêts s’appliquent à Lawson, parce que GCT a transmis des renseignements confidentiels à Lawson dans le contexte d’une relation avocat‑client entre Lawson et la BCI. En effet, la nature même du mandat de la BCI exigeait que Lawson examine les renseignements confidentiels et exclusifs au sujet de GCT afin de donner des conseils à son client. En passant en revue les éléments suivants du critère, je conviens que les règles de l’arrêt Martin doivent être examinées et appliquées avec une certaine souplesse, étant donné qu’il s’agit d’une situation mettant en cause une personne autre qu’un client, mais au final, j’estime que ces règles s’appliquent.

(2)  Lawson a‑t‑il obtenu des renseignements confidentiels dans le contexte d’une relation avocat‑client?

[42]  En l’espèce, l’Administration portuaire soutient que GCT n’a pas établi que ses renseignements confidentiels ont effectivement été communiqués. Selon l’Administration portuaire, les renseignements ne sont pas identifiés avec suffisamment de précision et il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels des renseignements confidentiels ont effectivement été fournis à Lawson. L’Administration portuaire soutient que les exigences en matière de preuve doivent être plus élevées dans une situation impliquant une personne autre qu’un client, et que l’inférence selon laquelle des renseignements confidentiels seraient partagés au sein d’un cabinet d’avocats alors que les renseignements proviennent d’un client ne s’applique pas en l’espèce.

[43]  Le dilemme auquel font face les avocats et les tribunaux pour traiter de la question du conflit d’intérêts sans révéler les renseignements confidentiels mêmes qui sont en cause a été souligné par le juge Sopinka dans l’arrêt Martin : « Pour répondre à la première question, la cour doit résoudre un dilemme. Il peut en effet être nécessaire, pour examiner à fond la question, de révéler les renseignements confidentiels que l’on cherche justement à protéger » (à la page 1260). Pour trancher cette question, le juge Sopinka a établi la règle suivante :

À mon avis, dès que le client a prouvé l’existence d’un lien antérieur dont la connexité avec le mandat dont on veut priver l’avocat est suffisante, la Cour doit en inférer que des renseignements confidentiels ont été transmis, sauf si l’avocat convainc la Cour qu’aucun renseignement pertinent n’a été communiqué. C’est un fardeau de preuve dont il aura bien de la difficulté à s’acquitter. Non seulement la Cour doit être convaincue, au point qu’un membre du public raisonnablement informé serait persuadé qu’aucun renseignement de cette nature n’a été transmis, mais encore la preuve doit être faite sans que soient révélés les détails de la communication privilégiée.

(page 1260)

[44]  Dans l’arrêt Almecon Industries, l’inférence selon laquelle des renseignements confidentiels ont été transmis a été étendue à des situations impliquant d’autres parties « qui s’étaient engagées ou associées avec [le client] » (aux par. 38 et 39). Cela a été déclaré conforme à la justification des règles expliquée dans l’arrêt Martin, où « [l]a question de principe primordiale […] résidait dans la volonté d’empêcher l’utilisation de renseignements confidentiels. On a donné préséance à la protection des renseignements confidentiels transmis à l’avocat » (Almecon Industries, au par. 34).

[45]  L’Administration portuaire soutient que cette règle doit être appliquée avec plus de souplesse en l’espèce, étant donné que GCT n’a jamais été le client de Lawson. De plus, GCT ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve, parce que les dossiers relatifs à l’identité des personnes ayant accès à la salle de données virtuelle n’existent plus, et GCT n’a pris aucune mesure pour préserver ces renseignements. Enfin, l’Administration portuaire soutient que les renseignements à l’origine de la plainte de GCT n’étaient pas pertinents pour le contrôle préalable que Lawson a mené pour la BCI, et l’avocat de Lawson qui travaille au contrôle préalable a confirmé qu’il n’avait pas communiqué les renseignements à qui que ce soit à l’extérieur de l’équipe. De même, les avocats de Lawson qui travaillent sur l’affaire de l’Administration portuaire ont déclaré sous serment qu’ils n’ont reçu aucun renseignement confidentiel sur GCT de la part des avocats qui travaillent sur l’opération.

[46]  La première question est de savoir si Lawson a obtenu des renseignements confidentiels. Il incombe à GCT d’établir cela, selon la norme civile habituelle de la prépondérance des probabilités. GCT présente la description suivante des renseignements qu’elle a fournis à Lawson au cours de l’opération :

  • a) Un document de travail confidentiel concernant la stratégie de GCT pour les projets concurrents du Terminal 2 et Deltaport 4;

  • b) Des rapports confidentiels et des présentations pour le conseil d’administration de GCT, préparés avec l’aide d’avocats, notamment des présentations détaillées par la direction de GCT au sujet de sa stratégie et des considérations juridiques pertinentes sur les projets concurrents du Terminal 2 et Deltaport 4;

  • c) Les procès‑verbaux confidentiels du conseil d’administration de GCT, décrivant en détail les discussions du conseil au sujet des projets du Terminal 2 et Deltaport 4;

  • d) Des rapports scientifiques, techniques et environnementaux de tiers commandés par GCT et portant sur les projets du Terminal 2 et Deltaport 4.

[47]  Cette description suffit à identifier la nature des renseignements confidentiels en cause dans la présente requête. Les renseignements ont été fournis par GCT à Lawson dans le contexte de la relation avocat‑client entre Lawson et la BCI, et elle a été fournie sous réserve de l’entente de confidentialité signée par la BCI. Les modalités de cette entente sont explicites : les renseignements devaient demeurer confidentiels; le secret professionnel de l’avocat concernant les renseignements n’a pas été levé; les renseignements seraient protégés par un [traduction« obstacle à l’information » empêchant toute communication au sein du cabinet, et les membres de tout cabinet d’avocats participant au contrôle préalable ne fourniraient pas d’autres services juridiques à l’Administration portuaire.

[48]  J’estime que la description des renseignements, appuyée par les modalités de l’entente de confidentialité, est suffisante pour satisfaire au critère énoncé dans la jurisprudence (voir l’arrêt Celanese Canada, au par. 42). En l’espèce, compte tenu de la preuve déposée sur la question, il n’est pas nécessaire de déduire que des renseignements confidentiels ont été communiqués. Je conclus que GCT s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que des renseignements confidentiels ont été communiqués. Le fait que Lawson ait reçu ces renseignements dans le contexte d’une relation avocat‑client entre Lawson et la BCI n’est pas à vrai dire contesté. Les renseignements sont décrits avec suffisamment de détails pour appuyer la conclusion selon laquelle ils sont confidentiels et pertinents. Il ne fait aucun doute que la BCI et Lawson ont obtenu ces renseignements sous réserve des conditions d’une entente de confidentialité expresse. Cela suffit pour répondre à cet élément de l’analyse.

[49]  Je ne suis pas convaincu par l’argument de l’Administration portuaire selon lequel GCT devait fournir davantage d’éléments de preuve établissant que l’avocat de Lawson a possiblement eu accès aux renseignements confidentiels et, plus particulièrement, selon lequel l’absence de dossiers spécifiques dans la salle de données virtuelle porte un coup fatal à la prétention de GCT. Je conclus que l’incapacité de GCT d’établir, à partir des dossiers de l’entreprise, qui exploitait la salle de données virtuelle, quel document a été téléchargé ou à quel moment il a été consulté, ne diminue pas le poids de la preuve de l’affidavit. Ces détails ne sont pas nécessaires pour démontrer que des renseignements confidentiels ont été fournis par GCT et mis à la disposition de Lawson. Dans les circonstances de l’espèce, rien d’autre n’est nécessaire.

[50]  Cet aspect du critère a été respecté.

(3)  Les renseignements confidentiels sont‑ils pertinents relativement aux questions en litige?

[51]  Le droit exige que les renseignements confidentiels soient pertinents aux questions en litige entre les parties. Ce point a été exprimé de nombreuses manières. Dans l’arrêt McKercher, la juge en chef a conclu, au paragraphe 54, qu’«  [i]l faut que les renseignements puissent être utilisés contre le client de façon concrète. » Dans cette affaire, on a conclu que la connaissance qu’avait le cabinet d’avocats de la philosophie de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) en matière de litige et de tout renseignement confidentiel qu’il détenait au sujet des dossiers sur les biens immobiliers, l’insolvabilité et les préjudices personnels n’avait aucun lien avec la demande en dommages‑intérêts pour laquelle les services du cabinet ont été retenus.

[52]  Il n’est pas nécessaire de discuter longuement de ce point. La description des renseignements présentée ci‑dessus indique également clairement qu’elle comprenait des renseignements pertinents aux questions en litige entre GCT et l’Administration portuaire. En effet, Lawson a obtenu des renseignements confidentiels sur la position et la stratégie juridique de GCT relativement aux questions au cœur même du litige entre les parties à la commission d’examen de l’ACEE ainsi que sur le contrôle judiciaire sous‑jacent.

[53]  Un élément clé du contrôle préalable mené par Lawson consistait à examiner toute question juridique qui aurait un effet important sur la situation financière actuelle et les perspectives futures de GCT. Mon dossier n’est pas particulièrement étoffé quant à cette question : on ne retrouve pas de renseignements détaillés sur les deux projets. Toutefois, il y a suffisamment d’indications dans les documents pour démontrer que chacun des deux projets a nécessité un investissement financier important et une augmentation substantielle de la capacité du port, ce qui, en retour, constituerait une source de revenus permanents importants. Compte tenu de la taille et de l’importance des projets respectifs, il est facile de comprendre pourquoi ces renseignements étaient pertinents pour le contrôle.

[54]  En outre, il est évident que les renseignements sur les plans et stratégies de GCT concernant le projet du Terminal 2 et sa propre proposition relativement au projet Deltaport 4 seraient pertinents pour le cabinet d’avocats qui représente l’Administration portuaire dans le processus d’évaluation environnementale et relativement à sa décision concernant l’approbation du projet de GCT.

[55]  Je conclus que cet aspect du critère a également été respecté.

(4)  À quel moment les intérêts juridiques de GCT et de Lawson sont‑ils devenus opposés? À quel moment cette situation a‑t‑elle dépassé le stade de la concurrence entre entités commerciales?

[56]  Les parties ne s’entendent pas du tout quant au moment où leurs intérêts juridiques sont devenus opposés. GCT soutient que ses intérêts juridiques étaient opposés à ceux de l’Administration portuaire tout au long de la période pertinente, et au moins depuis janvier 2017. Elle décrit le projet du Terminal 2 et le projet Deltaport 4 comme des propositions [traduction« concurrentes » et souligne le conflit d’intérêts inhérent au double rôle de l’Administration portuaire en tant qu’organisme de réglementation et promoteur.

[57]  Je souligne au passage que ni l’une ni l’autre des parties n’a insisté sur le rôle joué par l’Administration portuaire en tant que propriétaire et que, bien que l’approbation de l’Administration portuaire ait été nécessaire pour que l’opération soit réalisée, je conclus que cela n’est pas pertinent en l’espèce. Le fait que l’Administration portuaire joue le rôle de propriétaire est avéré, mais il n’est pas particulièrement pertinent dans le contexte de la présente requête.

[58]  L’Administration portuaire soutient qu’elle était, tout au plus, un concurrent commercial de GCT jusqu’au moment où GCT a entrepris ses démarches de contrôle judiciaire. L’Administration portuaire fait référence à la jurisprudence selon laquelle les règles sur les conflits d’intérêts ne visent pas à empêcher un cabinet d’avocats de représenter des parties qui pourraient avoir des intérêts opposés d’un point de vue stratégique ou commercial. Les règles ne s’appliquent que lorsque les parties ont des intérêts juridiques sont opposés.

[59]  La jurisprudence appuie la proposition selon laquelle les règles sur les conflits d’intérêts ne s’appliquent que lorsque les faits démontrent que les parties ont des intérêts juridiques opposés. Dans l’arrêt Strother, la Cour suprême a conclu que les règles sur les conflits d’intérêts ne visent généralement pas à empêcher un cabinet d’avocats de représenter des entreprises concurrentes, dans la mesure où les renseignements confidentiels de chaque client sont protégés de façon appropriée et où les demandes concurrentes ne visent pas une occasion unique : « les principes applicables en matière de conflit d’intérêts n’empêchent généralement pas un cabinet d’avocats ou un avocat de représenter simultanément différents clients qui œuvrent dans le même secteur d’activités ou qui se font concurrence […] Les “intérêts” respectifs des clients qui requièrent la protection du devoir de loyauté concernent la pratique du droit et non la prospérité commerciale » (aux par. 54 et 55).

[60]  Cela a été confirmé par la Cour suprême dans l’arrêt McKercher, dans lequel la juge en chef a réitéré à la fois la rigueur de la règle de la « ligne de démarcation très nette » en ce qui concerne les obligations des avocats envers leurs clients et les limites de l’application de cette règle. Le résumé suivant cerne la question :

[41]  La règle de la démarcation très nette est précisément ce que son nom indique : une règle prévoyant une ligne de démarcation très nette. Elle ne peut être réfutée ou autrement atténuée. Elle s’applique à la représentation simultanée dans des dossiers ayant un lien entre eux et dans les dossiers qui n’en ont pas. Toutefois, sa portée est limitée. Elle s’applique uniquement lorsque les intérêts immédiats des clients s’opposent directement dans les dossiers où occupe l’avocat. Elle s’applique uniquement aux intérêts juridiques, et non aux intérêts commerciaux ou stratégiques. Elle ne peut être invoquée pour des raisons d’ordre tactique. Et elle ne s’applique pas lorsqu’il est déraisonnable pour un client de s’attendre à ce que le cabinet d’avocats n’agisse pas contre lui dans des dossiers n’ayant aucun lien avec le sien. En présence d’une situation qui échappe à la portée de la règle, le critère applicable consiste à se demander s’il existe un risque sérieux que la représentation du client par l’avocat soit affectée de façon appréciable.

[En italiques dans l’original.]

[61]  Dans les circonstances de l’espèce, je conviens avec l’Administration portuaire que le simple fait qu’elle ait agi à titre de propriétaire et d’organisme de réglementation à l’endroit de GCT n’a pas, en soi, donné lieu à une situation où les intérêts juridiques de l’Administration portuaire étaient opposés à ceux de GCT. Il ne fait aucun doute qu’à compter du moment où l’Administration portuaire a appris que GCT était sur le point d’introduire ses demandes de contrôle judiciaire, les intérêts juridiques des deux parties étaient opposés. Je ne souscris toutefois pas à l’argument de l’Administration portuaire selon lequel ce n’est qu’à ce moment‑là que ses intérêts juridiques et ceux de GCT sont devenus opposés.

[62]  Comme je l’ai déjà souligné, dans le dossier dont je suis saisi, il est évident que l’Administration portuaire est un promoteur de projet du Terminal 2 depuis de nombreuses années et qu’elle cherche activement à faire approuver ce projet par l’ACEE depuis 2013. Le projet revêt une importance majeure pour l’Administration portuaire, et elle a investi du temps et des ressources pour obtenir les approbations nécessaires. Bien que l’instance dont est saisie l’ACEE ne soit peut‑être pas identique à celle d’une poursuite civile, il s’agit d’un processus aux répercussions juridiques importantes dont est saisi un tribunal administratif doté de pouvoirs précis et importants tirés de la loi. Dans le cadre de ce processus, on retrouve des parties qui appuient des projets et qui s’y opposent, et qui retiennent souvent les services d’un avocat pour faire valoir leur position. Les intérêts juridiques de ces parties sont, à tous points de vue, opposés.

[63]  La question en l’espèce est la suivante : à quel moment l’Administration portuaire a‑t‑elle appris que GCT n’appuyait pas l’approbation de son projet dans le cadre du processus de l’ACEE, ou s’opposait activement à cette approbation, du fait que GCT envisageait une autre option d’agrandissement, à savoir le projet Deltaport 4? À ce moment précis, l’Administration portuaire savait, ou aurait dû savoir, que la situation avait évolué au‑delà de la concurrence commerciale et que ses intérêts juridiques étaient opposés à ceux de GCT.

[64]  Le dossier n’est pas tout à fait limpide quant à savoir à quel moment, précisément, GCT a exprimé sa position pour la première fois devant l’ACEE ou à quel moment, exactement, l’Administration portuaire a appris que GCT n’était pas en faveur de l’approbation de projet du Terminal 2. Toutefois, il existe de la correspondance indiquant que, dès le 22 septembre 2014, GCT a présenté à l’ACEE des mémoires sur le mandat proposé pour la commission d’examen qui devait examiner projet du Terminal 2, dans lequel GCT remet en question diverses hypothèses sous‑jacentes au projet proposé et a demandé [traduction« un examen plus approfondi des autres moyens de réaliser le projet, notamment une discussion sur la densification des terminaux existants ». Je conclus que, bien qu’il ne s’agisse pas d’un appui retentissant au projet du Terminal 2, cela n’est pas non plus suffisamment limpide et sans équivoque pour tirer une conclusion selon laquelle les intérêts juridiques de l’Administration portuaire et de GCT étaient devenus opposés à ce moment‑là.

[65]  Il existe toutefois de la correspondance subséquente où il apparaît clairement que GCT s’opposait activement à l’approbation du projet du Terminal 2. Dans les mémoires présentés à la commission d’examen de l’ACEE en date du 8 février 2019, GCT déclare ce qui suit :

[traduction]

Le projet du Terminal 2 proposé à l’origine par le promoteur en 2003 et de nouveau en 2013 est maintenant dépassé et, selon GCT, n’est plus viable compte tenu de l’évolution d’un certain nombre de facteurs du marché. GCT est d’avis que la viabilité à long terme de notre porte d’entrée n’est réalisable que par une conception soignée des terminaux qui reflète une approche moderne, novatrice et plus durable de la planification et de la construction d’un tel agrandissement. À cette fin, le mémoire de GCT concernant la suffisance des renseignements fournis par le promoteur souligne des lacunes dans trois domaines clés : 1. La justification du projet; 2. L’évaluation des solutions de rechange; 3. L’étude d’impact environnemental.

[66]  Il n’est pas nécessaire de citer d’autres extraits du mémoire de GCT; le passage ci‑dessus indique clairement que GCT n’a pas appuyé l’approbation du projet du Terminal 2. Ce mémoire a été remis à la commission d’examen de l’ACEE et à l’Administration portuaire. Compte tenu de la nature du processus de la commission d’examen, de l’étape à laquelle en était rendue l’instance et des intérêts des parties respectives, je conclus qu’à tout le moins dès le 8 février 2019, l’Administration portuaire savait ou aurait dû savoir que ses intérêts juridiques étaient opposés à ceux de GCT en ce qui concerne le processus d’approbation de l’ACEE.

[67]  Le fait que Lawson ait conseillé l’Administration portuaire relativement au refus d’approbation par celle‑ci de la demande de renseignements préliminaires sur le projet relatif à Deltaport 4 renforce cette conclusion. Dès janvier 2017, Lawson savait que GCT présentait une proposition distincte visant à accroître la capacité de conteneurs du port. À cette époque, Lawson représentait l’Administration portuaire dans le projet du Terminal 2 depuis plusieurs années et devait être au courant du contexte environnemental, commercial et réglementaire des deux projets. Lawson conseillait l’Administration portuaire lorsque cette dernière a rédigé sa lettre de décision du 29 [sic] février 2019, par laquelle elle refusait d’approuver la demande de renseignements préliminaires sur le projet présentée par GCT. Cette lettre, il convient de le rappeler, indique que l’Administration portuaire ne va pas de l’avant avec le processus d’approbation du projet de GCT, parce que le projet du Terminal 2 représente le projet que l’Administration portuaire favorise pour l’agrandissement du port, et que tout examen ultérieur du projet de GCT devrait se faire après l’approbation du projet du Terminal 2. Cela confirme la conclusion selon laquelle GCT et l’Administration portuaire avaient des intérêts juridiques opposés en février 2019.

[68]  Au vu de mes conclusions ci‑dessus, il n’est pas nécessaire que je tire une conclusion quant à savoir s’il existait également des intérêts juridiques opposés en ce qui concerne le rôle de l’Administration portuaire en tant qu’organisme de réglementation et propriétaire relativement au projet Deltaport 4 proposé par GCT. Il peut s’agir d’une question pertinente à l’examen du bien‑fondé de la demande de contrôle judiciaire, et il vaut mieux la laisser au juge qui instruira la demande.

[69]  Compte tenu de ma conclusion selon laquelle les intérêts juridiques de l’Administration portuaire et ceux de GCT étaient opposés depuis au moins le 8 février 2019, cet aspect du critère est également satisfait.

(5)  Lawson a‑t‑il pris des mesures opportunes et efficaces pour protéger les renseignements confidentiels une fois que les intérêts juridiques de l’Administration portuaire et de GCT sont devenus opposés?

[70]  GCT fait valoir que ses intérêts juridiques étaient opposés à ceux de l’Administration portuaire tout au long de la période du contrôle préalable (c.‑à‑d. dès mai 2018), et que les éléments de preuve déposés relativement à la requête indiquent clairement que Lawson n’a pas pris de mesures adéquates ou opportunes pour protéger ses renseignements confidentiels contre la communication de ceux‑ci aux avocats qui travaillent au processus d’approbation projet du Terminal 2. GCT soutient que Lawson connaissait bien les étapes à suivre pour satisfaire le critère du conflit d’intérêts; cela est démontré par les mesures que le cabinet a mises en place en 2015 pour protéger les renseignements concernant projet du Terminal 2. Toutefois, une fois le contrôle préalable commencé, Lawson n’a pas pris de mesures semblables pour protéger les renseignements confidentiels qu’il avait obtenus de GCT. Ces mesures n’ont été mises en place qu’au moment où les demandes de contrôle judiciaire ont été introduites.

[71]  GCT fait valoir que, dans l’intervalle, de nombreux avocats de Lawson avaient accès aux renseignements confidentiels relatifs à l’opération, notamment environ le tiers de l’équipe qui travaillait pour l’Administration portuaire sur le projet du Terminal 2. GCT souligne, en particulier, le fait que M. Bergner a fourni des conseils à la BCI sur les questions autochtones en même temps qu’il fournissait des conseils à l’Administration portuaire sur les mêmes questions.

[72]  De plus, GCT soutient que la question ne se limite pas à savoir lequel des avocats de Lawson avait accès à la salle de données virtuelle pour l’opération. Elle fait valoir que Lawson n’a pas non plus réussi à démontrer qu’il avait pris des mesures pour protéger les renseignements confidentiels qu’il détenait dans son propre système informatique ou dans ses propres dossiers papier; la preuve indique plutôt que tout employé de Lawson pouvait avoir accès à ces renseignements, et les dossiers informatiques déposés dans la requête démontrent que plusieurs employés n’ayant pas participé à l’opération y ont eu accès.

[73]  L’Administration portuaire part du principe que Lawson n’était pas tenu de prendre d’autres mesures pour protéger les renseignements jusqu’à l’introduction des demandes de contrôle judiciaire; auparavant, Lawson agissait pour le compte de la BCI et de l’Administration portuaire sur des questions qui n’étaient pas liées entre elles, ou qui concernaient tout au plus une simple concurrence entre entreprises.

[74]  L’Administration portuaire fait référence également à la preuve par affidavit de l’avocat principal au sujet du contrôle préalable qu’elle a déposée, selon laquelle ce dernier n’a pas expressément demandé à un membre de l’équipe d’examiner les renseignements confidentiels concernant le projet du Terminal 2 ou le projet Deltaport 4, et qu’il ne se souvient pas que quelqu’un ait soulevé une question liée à ces projets au cours du contrôle préalable. L’affidavit indique en outre que cette question n’est mentionnée ni dans le contrôle préalable exhaustif ni dans le rapport sur les principales questions qui a été remis à la BCI, et qu’elle ne figure pas non plus dans le cahier de documents exhaustif qui accompagnait le rapport.

[75]  L’Administration portuaire fait également référence à l’affidavit de John Smith, président du Comité sur les conflits d’intérêts et l’éthique de Lawson, qui indique qu’un rapport de son service interne de technologie de l’information a désigné tous les avocats qui travaillaient pour l’Administration portuaire et qui ont également consulté tous les documents relatifs à l’opération. Ce rapport montre que seulement deux de ces avocats avaient travaillé sur d’autres affaires relatives à l’Administration portuaire. L’un de ces avocats était M. Bergner, dont la participation a été décrite précédemment. L’autre avocat a joué un rôle distinct relativement aux approbations internes de l’opération par la BCI, et n’a accédé à aucun des documents relatifs à la teneur du contrôle préalable. Cet affidavit indique également que vingt‑sept des vingt‑neuf avocats qui ont travaillé au contrôle préalable de la BCI ont confirmé qu’ils n’avaient partagé aucun renseignement confidentiel concernant GCT avec quiconque hors du groupe qui travaillait au contrôle préalable. Des deux avocats qui avaient partagé des renseignements, l’un a simplement fourni une copie du contrôle préalable à un collègue à titre d’exemple de la façon dont un tel rapport pourrait être structuré, tandis que l’autre a déclaré ne pas se souvenir d’avoir examiné ce rapport.

[76]  Dans la même veine, il est mentionné dans l’affidavit que presque tous les avocats qui travaillent sur le projet du Terminal 2 pour l’Administration portuaire confirment qu’ils n’ont reçu aucun renseignement confidentiel au sujet de GCT de la part des avocats qui ont travaillé au contrôle préalable. Quant aux trois avocats, outre M. Bergner, qui ont eu un tel accès aux renseignements, il semble que le rôle de ceux‑ci dans l’affaire était minimal.  

[77]  L’Administration portuaire soutient que ces éléments de preuve montrent qu’il n’y a effectivement pas eu de communication de renseignements confidentiels et qu’un membre du public raisonnablement informé serait convaincu qu’il n’y avait aucune raison de craindre que les renseignements confidentiels aient été utilisés à mauvais escient. L’Administration portuaire affirme qu’elle s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de réfuter toute préoccupation concernant la communication de renseignements confidentiels.

[78]  L’arrêt Martin demeure le principal précédent en matière de conflit lié au risque d’utilisation à mauvais escient de renseignements confidentiels. Il a établi une présomption réfutable selon laquelle lorsque des renseignements confidentiels pertinents sont transmis dans le contexte d’une relation avocat‑client, ces renseignements seraient partagés au sein du cabinet. La Cour n’a pas adopté la règle stricte appliquée aux États‑Unis, en vertu de laquelle toute démonstration d’une « probabilité de préjudice réel » est suffisante pour déclarer inhabile l’avocat ou le cabinet. Le juge Sopinka a plutôt adopté une règle de « ligne de démarcation très nette » interdisant à un avocat qui détient des renseignements confidentiels d’agir contre un client ou un ancien client (page 1261). Dans un tel cas, il sera d’office déclaré inhabile. Dans d’autres situations, lorsqu’il faut trancher la question de savoir si les adjoints ou les associés de l’avocat devraient être interdits d’agir, le critère suivant (page 1262) s’applique :

Pourtant, il y a fort à présumer que les avocats qui travaillent ensemble échangent des renseignements confidentiels. Pour trancher cette question, le tribunal doit donc tirer les conséquences de cette présomption, sauf s’il est persuadé, par des preuves claires et convaincantes, que toutes les mesures raisonnables ont été prises pour veiller à ce que l’avocat en cause ne divulgue rien aux membres du cabinet qui agissent contre son ancien client. Parmi ces mesures raisonnables, on pourrait compter des mécanismes institutionnels comme les murailles de Chine et les cônes de silence. [] Bien que je ne soit pas prêt à dire qu’un tribunal ne devrait jamais considérer ces dispositifs comme la preuve d’une protection suffisante tant que les organes directeurs ne les auront pas approuvés et n’auront pas adopté des règles régissant leur fonctionnement, je ne puis envisager qu’un tribunal le fasse sauf dans des circonstances exceptionnelles. Par conséquent, dans la grande majorité des cas, il est improbable que les tribunaux admettent l’efficacité de ces dispositifs, tant que la profession, par l’entremise de son organe directeur, n’aura pas étudié la question et déterminé qu’il existe des garanties institutionnelles répondant à la nécessité de conserver la confiance dans l’intégrité de la profession.

[79]  Dans l’arrêt Martin, le juge Sopinka a expressément traité de la question des affidavits des avocats et a conclu qu’ils ne seraient pas suffisants (page 1263) :

A fortiori, les simples engagements et affirmations catégoriques contenus dans des affidavits ne sont pas acceptables. On peut s’attendre à les trouver dans toute affaire de cette nature qui est soumise aux tribunaux. Cela revient à une invitation de l’avocat à lui faire confiance. Le tribunal a alors la tâche ingrate de décider quels avocats sont dignes de confiance et lesquels ne le sont pas. De plus, même si les tribunaux estimaient que cette pratique est acceptable, il est peu probable que le public soit convaincu s’il n’a d’autres garanties que les renseignements confidentiels ne seront jamais utilisés. À cet égard, j’approuve les propos du juge Posner dans la décision Analytica, précitée, selon qui les affidavits des avocats, qui sont difficiles à vérifier objectivement, ne rassureront pas le public.

[80]  Dans l’arrêt McKercher, la juge en chef a déclaré que lorsqu’une situation de conflit d’intérêts potentiel dépasse la portée de la règle de la ligne de démarcation très nette, « il incombe au client d’établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un conflit d’intérêts — il n’y a une présomption de conflit d’intérêts que si la règle de la démarcation très nette s’applique. » Comme on l’a mentionné précédemment, dans cet arrêt, la juge en chef a mis l’accent sur la prise en compte des facteurs contextuels pertinents.

[81]  La jurisprudence établit également que les mesures objectives nécessaires pour réfuter l’inférence selon laquelle des renseignements confidentiels ont été communiqués doivent être mises en œuvre en temps opportun. Cela dépendra évidemment des circonstances; la question clé est de savoir si la cabinet a agi avec diligence dès que le conflit d’intérêts, ou un conflit d’intérêts potentiel, a pris naissance (voir Ford Motor Company of Canada c Osler, Hoskin & Harcourt (1996), 27 OR (3d) 181, [1996] OJ No 31 (QL) (Gen Div) [Ford Motor Co.]; 1964 Bay Inc (Budget Car Rentals Toronto Limited) (Re), 2008 CanLII 54295 (CS ON). Dans la décision Ford Motor Co., le juge Winkler a traité de la justification de cette démarche au paragraphe 65 (QL) :

[traduction]

Il est établi en droit […] que le mécanisme d’examen préliminaire doit être mis en place lorsque le conflit d’intérêts survient pour la première fois […] Le défaut de satisfaire à cette exigence porte un coup fatal au maintien du mandat de représentation en justice d’Osler, Hoskin […] Si le mécanisme n’a pas été mis en place pendant une importante période de temps […] il n’y a pas de preuve « claire et convaincante » au sens de l’arrêt Succession MacDonald c Martin, et il faut donc tirer l’inférence selon laquelle des renseignements confidentiels pertinents ont été communiqués. Pour reprendre les paroles du juge Huband dans l’arrêt York Investments, « on ne peut mettre en place la mesure appropriée après coup tout en rassurant le public quant au fait qu’il n’y aura pas de manquement à l’obligation de confidentialité » […]

[82]  Voici un résumé des principes juridiques applicables :

  • Lorsque des renseignements confidentiels se rapportant à l’affaire dans laquelle le conflit d’intérêts allégué survient dans le contexte d’une relation avocat‑client, il faut tirer l’inférence que ces renseignements ont été communiqués au sein du cabinet d’avocats; si les renseignements ont été transmis par une partie qui n’est pas un client de l’avocat ou du cabinet d’avocats, il est nécessaire de tenir compte des circonstances avant de décider si l’avocat était tenu de les traiter de façon confidentielle; il incombe au demandeur d’établir ce fait;
  • Une fois cela établi, le fardeau de la preuve est transféré à la partie défenderesse; l’inférence selon laquelle des renseignements confidentiels ont été communiqués peut être réfutée soit en démontrant (i) qu’aucun renseignement confidentiel n’a effectivement été communiqué (voir notamment l’arrêt Sikes c Encana, 2017 CAF 37, demande de pourvoi à la CSC refusée, Doc 37509, 2017 CarswellNAT 6020) ou que les renseignements ne sont pas pertinents quant à l’affaire relativement à laquelle l’avocat cherche à agir (voir notamment l’arrêt McKercher et la décision MediaTube Corp c Bell Canada, 2014 CF 237 [Mediatube]); (ii) que l’avocat et le cabinet d’avocats ont pris des mesures adéquates, vérifiables objectivement et opportunes pour convaincre un membre du public raisonnablement informé qu’il n’y avait pas de risque réel que les renseignements soient communiqués.
  • Chaque affaire doit être examinée en fonction de son bien‑fondé, et les facteurs contextuels pertinents doivent être pris en compte, notamment la taille du cabinet d’avocats, la nature du conflit d’intérêts allégué, l’incidence potentielle sur le client de l’inhabilité à occuper et la question de savoir si la demande est présentée à des fins stratégiques ou par un client qui ne pourrait raisonnablement s’opposer à ce que l’avocat agisse pour le client. L’objectif général consiste à adopter et appliquer les règles de la manière qui protège et favorise le mieux possible l’intégrité du système judiciaire.

[83]  Je juge que la période la plus pertinente pour évaluer si Lawson a pris des mesures adéquates et opportunes se situe entre la date à laquelle Lawson savait ou aurait dû savoir que les intérêts juridiques de l’Administration portuaire et de GCT étaient opposés (au plus tard le 8 février 2019) et la date à laquelle ont été introduites les demandes de contrôle judiciaire (le 28 mars 2019). Bien que Lawson fût en possession de renseignements confidentiels de GCT concernant les deux projets avant le 8 février 2019, il n’était pas tenu de prendre des mesures spéciales pour empêcher la communication de ces renseignements au sein du cabinet avant cette date, car je conclus qu’il n’y a pas eu de conflit juridique effectif avant que les intérêts juridiques de l’Administration portuaire et de GCT ne deviennent opposés (McKercher, aux par. 32 à 35). Compte tenu de ma conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner plus à fond la question de savoir si Lawson aurait dû prendre des mesures plus tôt compte tenu de la possibilité manifeste qu’une situation de conflit d’intérêts survienne.

[84]  Il aurait dû être évident pour Lawson, du moins à compter du 8 février 2019, qu’il y avait un conflit d’intérêts potentiel ou réel découlant du risque que les renseignements confidentiels détenus par GCT au sujet des affaires relevant de l’Administration portuaire puissent être partagés avec d’autres membres du cabinet qui conseillaient l’Administration portuaire sur ces mêmes affaires. Cela suffit à déclencher l’obligation de Lawson de prendre des mesures pour empêcher la communication de ces renseignements.

[85]  Je conclus que Lawson ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il avait pris des mesures adéquates, opportunes et vérifiables objectivement pour protéger les renseignements confidentiels. Les mesures que Lawson a prises en 2015 pour obtenir les renseignements sur le projet du Terminal 2 visaient à empêcher le partage de renseignements sur ce projet avec d’autres membres du cabinet. Je tiens toutefois à souligner que cela visait à empêcher la communication de renseignements à d’autres membres du cabinet d’avocats; rien ne prouve que cela ait empêché un membre de cette équipe d’obtenir l’accès aux renseignements par l’intermédiaire d’autres membres du cabinet. Cela revient à dire que les mesures que Lawson a mises en place ont peut‑être empêché que les renseignements afférents au projet du Terminal 2 soient communiqués à d’autres membres du cabinet, mais elles n’avaient pas pour but d’empêcher que les renseignements soient transmis à l’équipe par d’autres membres du cabinet.

[86]  De plus, pour les motifs énoncés dans l’arrêt Martin, j’estime que les affidavits des avocats ne suffisent pas.

[87]  Tout d’abord, la preuve par affidavit de Lawson selon laquelle l’avocat qui a effectué le contrôle préalable affirme qu’il n’avait pas eu accès à ces renseignements et que ceux‑ci n’avaient pas été pris en compte dans le contrôle préalable ou la documentation n’est pas pertinente en grande partie. GCT ne soutient pas que le conflit d’intérêts est survenu parce que certains avocats de Lawson travaillant pour la BCI avaient accès à ces renseignements; elle prétend plutôt que le cabinet et ces avocats n’ont pas pris suffisamment de mesures pour empêcher la communication de ces renseignements aux membres du cabinet qui travaillaient pour l’Administration portuaire sur le projet du Terminal 2.

[88]  Ensuite, les affidavits des avocats qui traitent du fait que les avocats qui travaillent à l’opération n’ont pas communiqué les renseignements confidentiels à l’équipe qui travaille pour l’Administration portuaire appartiennent à la catégorie de preuve que le juge Sopinka a jugée insuffisante dans l’arrêt Martin; comme il l’a exprimé, ces affidavits « revie[nne]nt à une invitation de l’avocat à lui faire confiance » (à la page 1263).

[89]  Si l’on devait analyser le libellé des affidavits, on pourrait faire valoir que leur formulation prudente jette un doute sur le poids qui devrait être attribué aux déclarations. À titre d’exemple, la preuve par affidavit indique que les avocats qui ont travaillé à l’affaire de l’Administration portuaire n’ont obtenu aucun renseignement confidentiel des avocats qui ont travaillé à l’opération. On peut alors se demander s’ils ont obtenu des renseignements confidentiels par d’autres moyens, que ce soit à partir des dossiers papier ou du système informatique de Lawson. En formulant ce commentaire, je ne veux pas mettre en doute l’intégrité professionnelle de l’un ou l’autre des avocats de Lawson. Je le mentionne plutôt simplement pour souligner la sagesse de l’approche adoptée par le juge Sopinka dans l’arrêt Martin, qui exige que les cabinets d’avocats adoptent des mesures vérifiables objectivement conformément aux normes professionnelles en vigueur, plutôt que de s’en remettre aux affidavits des avocats du cabinet.

[90]  Dans ce contexte, il convient de mentionner que certaines allégations ont été soulevées à l’égard du fait que l’avocat de Lawson affecté au contrôle judiciaire avait entravé le contre‑interrogatoire d’un des témoins de Lawson. On a laissé entendre que cela mettait en doute tous les éléments de preuve déposés par Lawson. Compte tenu de mes conclusions sur cette question, je n’ai pas besoin de revenir sur cette malheureuse et regrettable affaire.

[91]  Pour les motifs exposés dans l’arrêt Martin, j’estime qu’il n’est pas imaginable d’analyser le libellé des divers affidavits pour décider s’ils démontrent qu’il n’y a aucune raison de s’inquiéter. De plus, je ne conclus pas que la preuve par affidavit en l’espèce convaincrait un membre du public raisonnablement informé qu’il n’y avait aucun risque que des renseignements confidentiels qui auraient pu être pertinents dans le contexte du travail de Lawson pour l’Administration portuaire aient pu être partagés au sein du cabinet (voir l’arrêt Chapters Inc., au par. 37).

[92]  Dans l’arrêt McKercher, la juge en chef a déclaré que, lorsqu’une situation de conflit d’intérêts potentiel dépasse la portée de la règle de la ligne de démarcation très nette, « il incombe au client d’établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un conflit d’intérêts — il n’y a une présomption de conflit d’intérêts que si la règle de la démarcation très nette s’applique ». L’Administration portuaire fait valoir que GCT ne s’est pas acquittée de son fardeau, tandis que GCT prétend que cette règle ne s’applique pas, parce que l’arrêt McKercher ne traitait pas d’une situation où le conflit d’intérêts est survenu du fait que des renseignements confidentiels avaient été transmis.

[93]  J’estime que l’arrêt McKercher et d’autres affaires depuis l’arrêt Martin ont mis davantage l’accent sur la nécessité de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes lorsque la règle de la ligne de démarcation très nette contre la représentation simultanée ne s’applique pas. En l’espèce, le conflit d’intérêts ne survient pas en raison de la représentation simultanée de deux clients; il convient de répéter que GCT n’a jamais été un client de Lawson. Toutefois, je conclus que l’arrêt McKercher confirme également que les règles relatives aux conflits d’intérêts seront appliquées strictement pour prévenir un risque important de partage de renseignements confidentiels transmis dans le cadre d’une relation avocat‑client. C’est la situation en l’espèce, et je conclus que GCT s’est acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir l’existence d’un risque important que des renseignements confidentiels soient utilisés à mauvais escient, et que Lawson n’a pas réussi à s’acquitter du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’elle avait pris des mesures opportunes, adéquates et vérifiables objectivement pour empêcher la communication de renseignements au sein du cabinet.

(6)  Résumé de l’analyse concernant la question 1, à savoir si Lawson est en conflit d’intérêts

[94]  Je conclus que Lawson est en conflit d’intérêts parce que : Lawson a obtenu des renseignements confidentiels dans le contexte d’une relation avocat‑client; ces renseignements sont pertinents au différend sous‑jacent entre GCT et l’Administration portuaire à la fois dans les demandes de contrôle judiciaire et les processus de la commission d’examen de l’ACEE; et Lawson n’a pas pris de mesures opportunes et adéquates pour protéger ces renseignements confidentiels à partir du moment où les intérêts juridiques de GCT et de l’Administration portuaire sont devenus opposés.

[95]  Je reviens à la question fondamentale à laquelle il faut répondre dans toute analyse d’une situation de conflit d’intérêts découlant du fait qu’un avocat a obtenu des renseignements confidentiels : est‑ce qu’un membre du public raisonnablement informé serait convaincu qu’il n’y aurait aucune utilisation des renseignements confidentiels si Lawson était autorisé à continuer de représenter l’Administration portuaire dans la présente instance?

[96]  Pour présenter la question de la manière la plus crue possible, j’estime qu’un membre du public raisonnablement informé décrirait le risque d’utilisation à mauvais escient des renseignements confidentiels de la façon suivante : l’Administration portuaire était un client de longue date de Lawson et elle avait entrepris un grand projet d’agrandissement du port. Lawson était l’avocat de celle‑ci dans ce projet depuis de nombreuses années. L’Administration portuaire et Lawson savaient depuis janvier 2017 que GCT proposait un autre projet d’agrandissement du port, et dès février 2019, Lawson savait que GCT s’opposait activement à l’approbation par l’ACEE du projet de l’Administration portuaire. Dans le cadre de son travail pour un autre client, Lawson a obtenu des renseignements confidentiels au sujet de l’analyse et de la stratégie juridique de GCT en ce qui concerne le projet de l’Administration portuaire et son propre projet de rechange. Les avocats de Lawson qui travaillaient pour l’Administration portuaire sur le projet auraient été très intéressés à utiliser ces renseignements pour donner des conseils à l’Administration portuaire relativement à ces affaires. Lawson n’est pas en mesure de fournir des garanties suffisantes et vérifiables de façon indépendante quant au fait que les renseignements confidentiels n’ont pas été utilisés; il s’appuie sur des affidavits d’avocats qui constituent à toutes fins pratiques une invitation à leur faire confiance.

[97]  Ce résumé présente la question de la façon la plus crue possible, mais j’estime qu’il s’agit d’une évaluation juste de ce qu’un membre du public raisonnablement informé penserait de la situation. J’estime que, lorsque la BCI a retenu les services de Lawson la première fois pour qu’il lui fournisse des conseils sur l’opération, l’examen des conflits d’intérêts effectué par Lawson n’a pas permis de cerner le problème potentiel de la représentation simultanée par celui‑ci de l’Administration portuaire et de la BCI. Lorsque Lawson a été chargé d’effectuer le contrôle préalable, il n’a pas procédé à un examen plus approfondi des conflits d’intérêts, et encore une fois, le problème n’a pas été cerné. Cela a donné lieu à une situation où Lawson a obtenu des renseignements confidentiels de GCT, dans le contexte d’une relation avocat‑client. Ces renseignements sont sans aucun doute pertinents aux questions en litige dans le cadre du contrôle judiciaire et des audiences de la commission d’examen de l’ACEE. Lawson n’a pas pris de mesures adéquates et opportunes pour empêcher la communication de ces renseignements confidentiels ou l’accès à ceux‑ci, parce qu’il n’avait pas cerné la situation de conflit d’intérêts.

[98]  GCT a établi que Lawson était en conflit d’intérêts. Cela m’amène à la deuxième question, celle de la réparation appropriée.

B.  La réparation consistant à déclarer Lawson inhabile est‑elle convenable dans le cadre de la procédure de contrôle judiciaire et, dans la même veine, une ordonnance en ce sens devrait‑elle être rendue relativement au processus de l’ACEE également?

[99]  Cette question comporte deux volets que je vais aborder séparément à la lumière des conclusions que je tire de chacun.

(1)  Lawson devrait‑elle être déclarée inhabile à continuer de représenter l’Administration portuaire relativement aux demandes de contrôle judiciaire?

[100]  GCT fait valoir qu’une fois qu’il a été démontré qu’un avocat avait accès à des renseignements confidentiels dans une situation pouvant donner lieu à un conflit d’intérêts, il y a transfert du fardeau, et c’est l’avocat qui a le lourd fardeau de démontrer que des mesures adéquates, vérifiables objectivement et opportunes ont été prises pour empêcher la communication de ces renseignements au sein du cabinet. En l’espèce, GCT soutient que Lawson ne s’est pas acquitté de ce fardeau. GCT soutient que le jugement de la Cour suprême dans l’arrêt Martin représente le précédent pertinent ayant force exécutoire, et qu’il établit que si l’avocat qui a accès aux renseignements confidentiels ne s’acquitte pas de ce lourd fardeau, la réparation appropriée est de déclarer l’avocat ou le cabinet d’avocats inhabile, puisque rien d’autre que cela ne peut garantir que la confiance du public envers l’intégrité du système judiciaire sera maintenue. GCT soutient que constitue une erreur de droit toute [traduction« pondération » des intérêts lorsqu’il s’agit de décider si la déclaration d’inhabilité est appropriée, puisque le critère énoncé dans l’arrêt Martin intègre les intérêts pertinents (Chartis, aux par. 69 à 71).

[101]  L’Administration portuaire soutient que la déclaration d’inhabilité à occuper est un recours draconien qui lui causerait un préjudice important. Elle soutient que l’approche rigoureuse énoncée dans l’arrêt Martin ne s’applique pas aux situations qui ne mettent pas en cause des clients. De plus, les décisions subséquentes, notamment le jugement de la Cour suprême dans l’arrêt McKercher et une ordonnance récente de la juge Catherine Kane de la Cour dans la décision Mediatube, montrent clairement qu’une analyse plus contextuelle doit être entreprise.

[102]  L’Administration portuaire a insisté sur le fait que GCT n’a fait référence à aucune de ces décisions. Elle prétend que plusieurs facteurs en l’espèce militent à l’encontre d’une réparation consistant à déclarer Lawson d’inhabilité à occuper, notamment le fait que GCT n’a jamais été un client de Lawson, le fait que son mandat pour le compte de l’Administration portuaire lui a été confié il y a de cela longtemps et le préjudice qu’un changement d’avocat pourrait occasionner à l’Administration portuaire, la perte par l’Administration portuaire de l’avocat de son choix, alors que d’autres réparations moins draconiennes pourraient régler la question, de même que le choix du moment de la présentation d’une requête en déclaration d’inhabilité, tout juste avant la présentation des mémoires définitifs dans le processus de l’ACEE et bien après que GCT eut su que Lawson représentait l’Administration portuaire dans ces affaires.

[103]  Je conviens avec l’Administration portuaire que les décisions plus récentes mettent davantage l’accent sur une approche contextuelle. Dans l’arrêt McKercher, la Cour suprême a exprimé ce fait en ces termes :

[61]  Comme nous l’avons vu, les tribunaux, dans l’exercice de leur pouvoir de surveillance à l’égard de l’administration de la justice, ont compétence inhérente pour interdire à un cabinet d’avocats d’occuper dans un litige en instance. La déclaration d’inhabilité peut devenir nécessaire (1) pour éviter le risque d’utilisation à mauvais escient de renseignements confidentiels, (2) pour éviter le risque de représentation déficiente et (3) pour préserver la considération dont jouit l’administration de la justice.

[104]  Cet extrait fut cité dans la décision Mediatube, dans laquelle la juge Kane a indiqué ce qui suit au paragraphe 33 : « […] même si l’on conclut à l’existence d’un conflit d’intérêts, soit parce que des renseignements confidentiels sont utilisés à mauvais escient, soit parce que la situation relève de la règle de la démarcation très nette, la déclaration d’inhabilité à occuper du cabinet d’avocats n’est pas la seule réparation, et elle n’est pas automatique, mais elle peut s’imposer dans certains cas […] ».

[105]  Il est important de faire deux distinctions importantes à l’égard de ces décisions. Tout d’abord, ni l’arrêt McKercher, ni la décision Mediatube ne constituaient des affaires où il y avait un risque d’utilisation à mauvais escient de renseignements confidentiels. Dans l’arrêt McKercher, le conflit d’intérêts est survenu parce que le cabinet d’avocats représentait des demandeurs qui réclamaient des dommages‑intérêts importants au CN, qui était un client de longue date du cabinet. La Cour suprême indique clairement qu’elle conclut qu’il n’y avait aucun risque d’utilisation abusive des renseignements confidentiels (voir les paragraphes 10 et 54). Dans la décision Mediatube, on prétendait qu’un cabinet d’avocats ne pouvait pas agir pour un client qui présentait une demande contre Bell Canada, parce qu’il avait déjà agi pour l’une des « familles » d’entreprises de Bell. Cette demande a été rejetée par la juge Kane, qui a expressément conclu qu’aucun renseignement confidentiel pertinent n’était à risque (voir aux par. 121 à 124).

[106]  Ensuite, dans la mesure où l’on fait mention dans l’arrêt McKercher (au paragraphe 62) de la réparation appropriée dans une situation où il y a risque d’utilisation à mauvais escient de renseignements confidentiels, cela n’avantage pas la position avancée par l’Administration portuaire : « S’il est nécessaire d’empêcher l’utilisation à mauvais escient de renseignements confidentiels en vertu du test élaboré dans l’arrêt Martin, la déclaration d’inhabilité à occuper est généralement la seule réparation appropriée, si l’on ne peut recourir à des mécanismes prévus par les règles du barreau pour écarter ce risque. » Dans l’arrêt McKercher, la Cour insiste particulièrement sur la nécessité de tenir compte d’un certain nombre de circonstances pertinentes lorsque l’objectif consiste à « protéger l’intégrité et la considération dont jouit l’administration de la justice » dans des circonstances où des renseignements confidentiels n’ont pas été transmis (voir les paragraphes 63 et 64), ou lorsqu’il n’y a plus de risque d’utilisation à mauvais escient de renseignements confidentiels parce que la relation avocat‑client a pris fin (voir le paragraphe 65). Dans la même veine, dans l’arrêt Strother, le juge Binnie a conclu que les réparations autres que la déclaration d’inhabilité devraient être envisagées dans les cas où la question des renseignements confidentiels n’entre pas en ligne de compte (voir le paragraphe 59).

[107]  Ces considérations ne se posent pas en l’espèce. Comme je l’ai mentionné précédemment, Lawson a obtenu des renseignements confidentiels de GCT, qui n’était pas son client, dans le contexte de sa relation avocat‑client avec la BCI. J’ai déjà conclu que les renseignements sont pertinents au différend sous‑jacent entre l’Administration portuaire et GCT. J’ai également conclu que Lawson n’a pas pris de mesures opportunes, adéquates et objectivement vérifiables pour empêcher la communication de ces renseignements confidentiels au sein du cabinet.

[108]  L’Administration portuaire fait valoir qu’étant donné que le risque d’utilisation à mauvais escient des renseignements confidentiels est survenu dans le contexte d’une relation entre des sociétés « non‑clientes », la réparation draconienne de la déclaration d’inhabilité à occuper ne devrait pas s’appliquer d’office. Elle fait également valoir que la situation exige une application plus souple du principe et la prise en compte des types de facteurs énumérés dans l’arrêt McKercher. L’Administration portuaire soutient qu’une réparation autre que la déclaration d’inhabilité à occuper convient dans les circonstances de l’espèce.

[109]  Pour revenir aux fondements du principe du conflit d’intérêts, il faut examiner cette question en se demandant quelle règle atteint le mieux l’objectif sous‑jacent qui consiste à accroître la confiance du public envers l’intégrité de l’administration de la justice. Je reprends les paroles formulées par le juge Binnie dans l’arrêt Neil : « Le problème consiste toujours à déterminer quelles règles sont nécessaires et raisonnables et quel est le meilleur moyen d’atteindre un bon équilibre entre des intérêts divergents » (au par. 15).

[110]  Lorsque, comme en l’espèce, les renseignements confidentiels qui sont révélés sont protégés par le secret professionnel de l’avocat et qu’ils sont directement liés aux questions en litige, il est difficile de voir en quoi l’origine des renseignements confidentiels devrait avoir une incidence sur la réparation appropriée. Comme je l’ai mentionné précédemment, il est plutôt rare qu’un avocat obtienne ce genre de renseignements confidentiels d’une partie qui n’est pas un client; toutefois, lorsque cela se produit, les intérêts sont pratiquement identiques à ceux qui sont soulevés lorsque les renseignements proviennent directement du client. Du point de vue de l’intégrité du système judiciaire et de l’équité du système accusatoire, les risques sont les mêmes.

[111]  Le juge Binnie a décrit la question de la façon suivante dans l’arrêt Celanese Canada :

34  Le problème est que, peu importe que ce soit consciemment ou par inadvertance, des renseignements échangés entre un avocat et son client se sont retrouvés dans les mauvaises mains. Même en admettant que les renseignements confidentiels protégés par le privilège avocat-client n’ont pas tous la même importance et le même caractère crucial, la possession de tels renseignements par la partie adverse compromet l’intégrité de l’administration de la justice. Des parties doivent être libres de soumettre leurs différends aux tribunaux sans craindre que leur adversaire ait pris injustement connaissance des secrets qu’elles ont confiés à leurs conseillers juridiques. Les témoins de la défenderesse ne devraient pas craindre, au cours de leur contre-interrogatoire, que les questions du contre-interrogateur soient motivées par des renseignements qui ont été transmis à titre confidentiel aux avocats de la défenderesse. Une telle possibilité supprime l’égalité des chances et risque sérieusement de compromettre l’intégrité de l’administration de la justice. Pour éviter ce danger, les tribunaux doivent agir [traduction] « rapidement et de façon décisive », comme l’a souligné la Cour divisionnaire. Dans un cas comme la présente affaire, la mesure corrective est censée être réparatrice et non punitive.

[112]  Dans cette décision, le juge Binnie a conclu que la réparation consistant à déclarer l’inhabilité à occuper ne devrait pas être automatique :

56  Je suis d’accord avec les tribunaux d’instance inférieure pour dire que, s’il est possible de remédier au problème sans avoir à déclarer inhabiles à occuper les avocats ayant effectué la perquisition, il faut examiner cette possibilité. Comme l’affirme dans son mémoire l’intervenante l’Association du Barreau canadien (« ABC »), il s’agit de [traduction] « déterminer si, objectivement, l’intégrité du système de justice exige de déclarer les avocats inhabiles à occuper afin de remédier à la violation de privilège, ou si une réparation moins draconienne permettrait de le faire ». Le droit de la demanderesse de continuer à être représentée par les avocats de son choix constitue un élément important de notre système de justice accusatoire. Dans les litiges commerciaux modernes, il y a parfois un échange important de documents. Des erreurs sont commises. Dans ces circonstances, il n’est pas question d’inhabilité automatique à occuper.

[113]  Toutefois, dans cette affaire, le juge Binnie a conclu, au paragraphe 60, que les documents visés par le privilège se sont retrouvés entre les mains du cabinet d’avocats « d’une façon non intentionnelle mais évitable. Des précautions insuffisantes ont été prises. Ceux qui ne prennent pas de précautions doivent en subir les conséquences ». Compte tenu de tous les facteurs pertinents, le juge Binnie a conclu que la réparation de l’inhabilité à occuper du cabinet convenait.

[114]  J’estime que les circonstances de l’espèce mettent également en cause une situation qui était peut‑être non intentionnelle, mais qui était certainement évitable. Lawson n’a pas effectué un examen adéquat des conflits d’intérêts lorsque la BCI a retenu ses services la première fois pour la prestation des conseils fiscaux sur l’opération, et il semble qu’il n’ait pas compris avec suffisamment de précision la nature du travail qu’il effectuait pour le compte de l’Administration portuaire dans le cadre du mandat de l’ACEE. Lorsque la BCI a retenu les services de Lawson pour effectuer le contrôle préalable, Lawson n’a pas procédé à un examen approfondi des conflits d’intérêts, et cette fois encore, la nature du conflit d’intérêts ou du conflit d’intérêts potentiel entre l’Administration portuaire et GCT ne lui est pas apparue. Cela n’est pas non plus devenu apparent pour Lawson à mesure que les choses avançaient. Cela a mené à la situation où Lawson agissait pour le compte de l’Administration portuaire dans des affaires où les intérêts juridiques de celle‑ci étaient opposés à ceux de GCT, alors qu’il disposait de renseignements confidentiels quant à la position de GCT sur les affaires mêmes en litige – affaires, il faut le rappeler, au sujet desquelles Lawson conseillait l’Administration portuaire.

[115]  Lawson doit subir les conséquences de son défaut de prendre des mesures adéquates et opportunes pour empêcher la communication de ces renseignements confidentiels au sein du cabinet. Je conclus qu’aucune réparation autre que la déclaration d’inhabilité à occuper ne convient dans les circonstances. Je reconnais que cela causera des perturbations et des difficultés à l’Administration portuaire, et pourrait entraîner certains retards dans la procédure de contrôle judiciaire; toutefois, je remarque en outre que les seules questions actives dont la Cour est actuellement saisie mettent en cause une contestation par GCT du refus de sa demande de renseignements préliminaire sur le projet Deltaport 4 ainsi qu’une requête récemment déposée par l’Administration portuaire selon laquelle la présente demande est devenue théorique en raison de l’adoption et la proclamation de la nouvelle Loi sur l’évaluation d’impact, LC 2019, c 28. Ces questions sont importantes, mais elles n’ont pas le même degré d’urgence pour les parties que l’instance initiale (qui est maintenant suspendue) concernant les audiences de la commission d’examen de l’ACEE.

[116]  Je souligne que, dans les arrêts Martin et McKercher, la Cour suprême a conclu que le droit en matière de conflits d’intérêts doit prioriser la protection et la promotion de l’intégrité du système judiciaire plutôt que les structures organisationnelles choisies par les cabinets d’avocats ou les intérêts personnels et professionnels des avocats qui cherchent à faire progresser leur carrière. La Cour suprême du Canada a souligné que, bien que les perturbations et les difficultés occasionnées aux clients représentent un facteur important, cela ne devrait pas être le facteur prépondérant dans l’application du droit en matière de conflits d’intérêts.

[117]  Pour ces motifs, je conclus qu’une ordonnance déclarant Lawson inhabile à occuper pour le compte de l’Administration portuaire dans les demandes de contrôle judiciaire constitue la seule réparation convenable pour garantir le maintien de la confiance du public envers l’intégrité du système judiciaire.

(2)  Devrait‑on rendre une ordonnance en inhabilité d’occuper à l’endroit de Lawson relativement à la procédure de la commission d’examen de l’ACEE?

[118]  GCT demande également une ordonnance en inhabilité d’occuper à l’endroit de Lawson relativement à la procédure de la commission d’examen de l’ACEE, au motif que le même conflit d’intérêts qui rend Lawson inhabile à continuer d’occuper dans les demandes de contrôle judiciaire devrait lui interdire de continuer à représenter l’Administration portuaire devant la commission d’examen. En fait, les renseignements confidentiels sont plus utiles pour Lawson dans cette procédure que dans les contrôles judiciaires.

[119]  L’Administration portuaire soutient que la Cour n’a pas compétence pour rendre cette ordonnance, puisque la Cour fédérale n’est pas un tribunal de compétence inhérente. L’Administration portuaire soutient également que, puisque GCT n’a pas soulevé cette objection devant la commission d’examen, elle ne devrait pas être autorisée à le faire dans le cadre de la présente requête.

[120]  Je souscris au deuxième argument avancé par l’Administration portuaire. Il est trop tôt pour trancher la demande présentée par GCT relativement à la question de savoir si Lawson devrait être déclaré inhabile à représenter l’Administration portuaire dans les audiences de la commission d’examen de l’ACEE, parce que GCT, en tant que partie à ces instances, n’a pas soulevé cette objection devant la commission d’examen.

[121]  Il n’est pas nécessaire d’entreprendre une longue analyse du principe sur ce point, car il est clair et cohérent. La raison pour laquelle on n’a pas traité de ces questions lors du contrôle judiciaire avant qu’elles n’aient été soulevées devant le décideur administratif est énoncée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Agence des services frontaliers) c C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, aux par. 30 à 33. Règle générale, une partie doit d’abord présenter son argument devant le décideur administratif; ce n’est qu’une fois que ce processus est terminé qu’elle peut s’adresser aux tribunaux.

[122]  En l’espèce, GCT n’a pas demandé à la commission d’examen de rendre une ordonnance déclarant Lawson inhabile à occuper lors de la procédure d’examen. GCT était partie aux audiences de la commission d’examen et a présenté des observations sur d’autres questions. Je conclus qu’il n’y a pas de circonstances exceptionnelles qui justifient une dérogation à la règle habituelle en l’espèce et, par conséquent, je rejette la demande présentée par GCT en vue d’obtenir une ordonnance déclarant Lawson inhabile à représenter l’Administration portuaire lors des instances de la commission d’examen de l’ACEE.

[123]  Compte tenu de cette conclusion, je n’ai pas besoin d’aborder l’argument de l’Administration portuaire concernant la compétence de la Cour fédérale, et je n’en dirai pas plus à ce sujet.

V.  Les dépens

[124]  GCT a demandé qu’on lui adjuge les dépens selon une échelle plus élevée que le tarif habituel. L’Administration portuaire a demandé qu’on lui donne l’occasion de présenter des observations supplémentaires si on lui ordonnait de payer les dépens. Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par l’article 400 des Règles, je conclus qu’il n’y a pas d’élément particulier à prendre en considération qui justifierait l’adjudication de dépens hors de l’échelle habituelle. En vertu de l’article 407 des Règles, j’accorde les dépens à GCT; ces dépens seront payés par l’Administration portuaire, conformément à la colonne III du Tarif B, pour deux avocats, plus les débours raisonnables. Si les parties ne peuvent s’entendre sur un montant, elles peuvent présenter des observations d’au plus trois pages (à l’exclusion des projets de mémoires de frais ou d’autres éléments de preuve à l’appui) dans les quatorze jours suivant le prononcé de la présente ordonnance.

VI.  Conclusion

[125]  Pour ces motifs, je conclus que :

  1. GCT a établi que Lawson est en situation de conflit d’intérêts, parce qu’il a obtenu des renseignements confidentiels pertinents quant au différend entre GCT et l’Administration portuaire, dans le contexte d’une relation avocat‑client entre Lawson et la BCI, et que Lawson n’a pas pris de mesures adéquates ou opportunes pour empêcher la communication de ces renseignements au sein du cabinet;
  2. La réparation de la déclaration d’inhabilité à occuper est convenable au vu des circonstances;
  3. La demande présentée par GCT en vue d’obtenir une ordonnance déclarant Lawson inhabile à représenter l’Administration portuaire dans l’instance devant la commission d’examen de l’ACEE est rejetée, au motif que GCT n’a pas demandé à la commission d’examen de prononcer une telle ordonnance et qu’il n’y a pas de circonstances exceptionnelles justifiant une dérogation à la règle habituelle selon laquelle les parties doivent d’abord tenter d’obtenir une réparation auprès du décideur administratif;
  4. J’adjuge les dépens à GCT; ces dépens seront payés par l’Administration portuaire, conformément à la colonne III du Tarif B, pour deux avocats, plus les débours raisonnables. Si les parties ne peuvent s’entendre sur un montant, elles peuvent présenter des observations d’au plus trois pages (à l’exclusion des projets de mémoires de frais ou d’autres éléments de preuve à l’appui) dans les quatorze jours suivant le prononcé de la présente ordonnance.

ORDONNANCE dans le dossier T‑538‑19

LA COUR STATUE que :

  1. Lawson Lundell LLP est déclarée inhabile à représenter l’Administration portuaire Vancouver‑Fraser dans les demandes de contrôle judiciaire portant les numéros de dossier de la Cour T‑537‑19 et T‑538‑19.

  2. La demande par laquelle GCT demandait à la Cour de prononcer une ordonnance déclarant Lawson inhabile à représenter l’Administration portuaire dans l’instance devant la commission d’examen de l’ACEE est rejetée.

  3. J’adjuge les dépens à GCT; ces dépens seront payés par l’Administration portuaire, conformément à la colonne III du Tarif B, pour deux avocats, plus les débours raisonnables. Si les parties ne peuvent s’entendre sur un montant, elles peuvent présenter des observations d’au plus trois pages (à l’exclusion des projets de mémoires de frais ou d’autres éléments de preuve à l’appui) dans les quatorze jours suivant le prononcé de la présente ordonnance.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour d’octobre 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T‑538‑19

INTITULÉ :

GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP c L’ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER‑FRASER ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUILLET 2019

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 6 SEPTEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Peter H. Griffin

Matthew B. Lerner

Margaret Robbins

POUR LA DEMANDERESSE

Eugene Meehan, c.r.

Thomas Slade

Cory Giordano

POUR LE DÉFENDEUR

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER‑FRASER

Michèle Charles

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Supreme Advocacy LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER‑FRASER

Lawson Lundell LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER‑FRASER

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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