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Date : 20191028


Dossier : IMM-587-19

Référence : 2019 CF 1346

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

ABIMBOLA ELIZABETH TITCOMBE OLUWATOSIN ENOCH TITCOMBE TEMILOLUWA ADENIKE TITCOMBE OLUWASIKEMI ELIZABETH TITCOMBE OYINDAMOLA BUKOLA TITCOMBE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 20 décembre 2018, rejetant l’appel interjeté à l’égard de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle les demandeurs n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

II.  Contexte

[2]  La demanderesse principale [la DP], Abimbola Elizabeth Titcombe, et ses quatre enfants mineurs, sont des citoyens du Nigéria. Ils ont demandé l’asile au motif que l’époux de la DP ou des membres de sa famille élargie forceront ses filles à subir l’excision et à contracter des mariages arrangés.

[3]  En novembre 2017, la DP a appris que son beau-père avait décrété que sa fille aînée devait se marier au plus tard le 6 janvier 2018 et qu’elle subirait l’excision avant son mariage. Par conséquent, la DP s’est enfuie aux États-Unis avec ses quatre enfants le 15 décembre 2017. Son époux est demeuré au Nigéria à cause de sa famille et de son travail.

[4]  La DP et ses filles sont entrées illégalement au Canada le 18 décembre 2017 et ont demandé l’asile en janvier 2018.

[5]  La SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs au motif que ceux-ci n’étaient pas crédibles et que, subsidiairement, il existait une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Port Harcourt.

[6]  L’appel que les demandeurs ont interjeté devant la SAR a été rejeté au motif qu’il existait une PRI à Port Harcourt. La SAR a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’apprécier leur crédibilité en raison de ses conclusions quant à la PRI, sauf en ce qui concernait sa conclusion quant à la PRI.

III.  Question à trancher

  • 1) La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la PRI des demandeurs à Port Harcourt, au Nigéria?

IV.  Norme de contrôle

[7]  La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).

V.  Questions préliminaires

[8]  Le ministre souligne judicieusement que l’intitulé de la cause devrait être modifié pour préciser que le défendeur est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés (DORS/93­22), alinéa 5(2)b); Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, paragraphe 4(1) [la LIPR]). J’ordonne par la présente que la modification entre en vigueur à la date de la présente décision.

[9]  Les demandeurs contestent le rejet par la SAR de l’affidavit de la DP daté du 16 août 2018 en tant que « nouvel élément de preuve » qui n’est pas conforme au paragraphe 110(4) de la LIPR.

[10]  Les demandeurs soutiennent que l’affidavit ne contenait que la déclaration écrite nécessaire pour mettre l’appel en état, et ne renfermait aucun nouveau document ou témoignage. Par conséquent, en l’absence de nouveaux éléments de preuve, l’affidavit devrait être recevable.

[11]  Le ministre soutient que l’affidavit équivaut à des observations faites pour contrer les conclusions de la SPR et clarifier les éléments de preuve des demandeurs dont disposait déjà la SAR. Dans la mesure où les demandeurs cherchaient à remédier à des problèmes perçus quant aux conclusions de la SAR, ils auraient dû présenter ces arguments sous forme d’observations écrites plutôt que de les inscrire dans un affidavit.

[12]  Dans le cadre d’un appel interjeté devant la SAR, les appelants ne peuvent présenter que des éléments de preuve qui répondent aux exigences prévues par le paragraphe 110(4) de la LIPR (Deri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1042 au par. 51). Le commissaire de la SAR a conclu que l’affidavit n’était pas conforme aux exigences du paragraphe 110(4), et était donc irrecevable.

[13]  L’argument des demandeurs doit être rejeté. Si l’affidavit ne contenait rien de plus que la déclaration écrite nécessaire pour mettre l’appel en état, et que la SAR a instruit l’appel, la recevabilité ou l’irrecevabilité de l’affidavit n’avait aucune incidence sur la décision de la SAR.

[14]  La DP a produit un autre affidavit daté du 24 février 2019 à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire. Les paragraphes 10 et 11 de l’affidavit contiennent des arguments et des conclusions juridiques qui n’ont pas été portés à la connaissance de la déposante, et sont irrecevables. Le reste de l’affidavit fournit un contexte et des renseignements d’ordre général sur des questions de procédure qui ne figurent pas dans le dossier de preuve fourni par la SAR. Ces éléments de l’affidavit sont recevables (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux par. 19 et 20).

VI.  Analyse

[15]  La question déterminante est l’existence d’une PRI. La SAR a appliqué quant à la PRI un critère à deux volets qui a été défini par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) et l’arrêt Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA) :

1.  Premièrement, la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs ne risquent pas sérieusement d’être persécutés dans la partie du pays où il existe une PRI.

2.  Deuxièmement, la situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs de s’y réfugier, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui leur sont propres.

[16]  En ce qui concerne le premier volet du critère, la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a aucune possibilité sérieuse de persécution contre les demandeurs dans la partie du pays où il y a, selon elle, une PRI – en l’occurrence Port Harcourt. La demanderesse soutient que le commissaire a, de façon déraisonnable, commis deux erreurs :

  • i) En soutenant que le fait que les beaux-parents n’aient pas pu retracer les demandeurs au Canada signifie en quelque sorte qu’ils ne pourraient pas les retracer ailleurs au Nigéria, notamment à Port Harcourt;

  • ii) En laissant de côté le fait que si l’époux de la DP demeure à Ibadan pour son travail et ne déménage pas à Port Harcourt, les visites qu’il rendrait régulièrement à sa femme et ses enfants pourraient permettre à sa famille de le suivre et de retrouver les demandeurs.

[17]  Même si le parallèle établi entre le fait de ne pas avoir pu trouver les demandeurs au Canada et celui d’être en mesure de les retracer ailleurs au Nigéria est, dans le meilleur des cas, boiteux, cet aspect de l’analyse de la SAR n’est pas déterminant quant à l’issue de la décision. Sur cet aspect, la SAR a ensuite conclu qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve voulant que les beaux‑parents soient puissants ou aient des relations importantes au point de pouvoir trouver les demandeurs à Port Harcourt.

[18]  Qui plus est, même si l’époux de la DP peut choisir de demeurer et travailler à Ibadan et, par conséquent, rendre visite régulièrement aux demandeurs à Port Harcourt, le fait de laisser entendre que cela conduirait selon toute vraisemblance les beaux-parents aux demandeurs est hypothétique. La SAR a conclu de façon raisonnable que les demandeurs ne seraient pas exposés à une possibilité sérieuse de persécution dans la PRI.

[19]  En ce qui concerne le second volet du critère, qui porte sur le caractère raisonnable d’un déménagement des demandeurs dans la PRI, ceux-ci soulèvent un certain nombre de préoccupations qui, d’après eux, rendent la décision déraisonnable :

  1. Le commissaire a omis de prendre en compte les conditions défavorables, au Nigéria, des femmes vivant seules avec des enfants quand elles essayent de se relocaliser;

  2. L’effet de l’absence de l’époux sur la famille;

  3. L’absence, selon les éléments de preuve documentaire, de possibilités d’emploi viables à Port Harcourt;

  4. La situation économique de la famille et le fait que le manque de ressources financières n’ait pas été pris en compte;

  5. Le degré élevé d’instruction de la DP et de son époux, qui fait que les emplois sont rares à Port Harcourt;

  6. La façon dont sont traités les non-autochtones, notamment aux plans de la langue, de la culture et de la religion;

  7. Les problèmes psychologiques pour les membres de la famille;

  8. La criminalité à Port Harcourt.

[20]  Les demandeurs soutiennent que les facteurs mentionnés plus haut n’ont pas été pris en compte dans leur ensemble ou dans le contexte, de sorte que la décision de la SAR est déraisonnable. De plus, la SAR a omis d’appliquer les éléments de preuve documentaire objectifs à la situation particulière des demandeurs.

[21]  La SAR a pris en compte de façon raisonnable les problèmes socio-économiques et culturels que pourraient connaître les demandeurs s’ils déménageaient à Port Harcourt. Les dépenses encourues, les graves problèmes d’emploi et les réalités ethniques ont tous été pris en compte. La séparation de la famille, les problèmes psychologiques et le taux de criminalité à Port Harcourt ont tous été soupesés dans le contexte des difficultés occasionnées par le déménagement et du degré des difficultés. La perte d’un emploi ou d’une situation, le renoncement à des aspirations, la perte de personnes chères et la diminution de la qualité de vie ne suffisent pas pour démontrer qu’une PRI proposée est déraisonnable (Obineze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1150, aux par. 9 et 10).

[22]  Les demandeurs demandent essentiellement à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve au regard de ce second volet; or, cette tâche ne revient pas à la Cour fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Akinfolajimi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 722, aux par. 27 et 28).


JUGEMENT dans le dossier IMM-587-19

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé de la cause est modifié pour désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme défendeur.

  2. La demande est rejetée.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de novembre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-587-19

 

INTITULÉ :

ABIMBOLA ELIZABETH TITCOMBE, OLUWATOSIN ENOCH TITCOMBE, TEMILOLUWA ADENIKE TITCOMBE, OLUWASIKEMI ELIZABETH TITCOMBE, OYINDAMOLA BUKOLA TITCOMBE c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 OctobrE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 OctobrE 2019

 

COMPARUTIONS :

Dotun Davies

 

POUR LES DEMANDEURS

 

David Joseph

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topmarké Lawyers

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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