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Date : 20000615


Dossier : IMM-3281-99


ENTRE :

     EET-LEE JESSLYN TIO,

     demanderesse,

     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]          Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section d'appel de l'immigration renvoyant la motion présentée par la demanderesse pour obtenir la réouverture de l'appel.

LES FAITS

[2]          La demanderesse souhaitait parrainer son mari Andy Chan qui vit au Canada depuis mai 1990. La demanderesse et M. Chan ont eu un enfant né à Toronto le 2 juin 1997. Ils exploitent également une entreprise.

[3]          L'agent des visas du Consulat général du Canada de Détroit a rejeté la demande de M. Chan parce qu'il avait été déclaré coupable de plusieurs infractions à Hong Kong en 1988, à l'âge de 21 ans.

[4]          L'appel de cette décision devait être entendu le 14 avril 1999 à 9 h 30. L'audition a toutefois été retardée jusqu'à 13 h 30, parce qu'une autre affaire était entendue le matin. L'avocat de la demanderesse a dû repartir en avion à Détroit pour y rencontrer un client à 13 heures; ni l'avocat, ni la demanderesse n'ont assisté à l'audience de 13 h 30.

[5]          La commissaire Daniele A. D'Ignazio a examiné l'ensemble des éléments de preuve et conclu que le refus était légal. La commissaire D'Ignazio a ensuite examiné s'il existait des motifs d'ordre humanitaire pour faire droit à l'appel mais elle a estimé que les éléments du dossier ne justifiaient pas une décision favorable et elle a donc rejeté l'appel le 14 avril 1999.

[6]          La demanderesse a présenté une requête en réouverture. La Section d'appel a rejeté la requête sans fournir de motifs.

LA THÈSE DE LA DEMANDERESSE

[7]          La demanderesse soutient qu'il y a lieu d'appliquer en l'espèce l'arrêt Baker c. M.C.I., [1999] 2 R.C.S. 817.

[8]          Elle soutient qu'un citoyen raisonnable et bien informé estimerait que le refus de la Section d'appel d'autoriser l'audition de l'appel au fond est incompatible avec l'alinéa 3c) de la Loi sur l'immigration et avec l'arrêt Baker et constitue donc une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[9]          En outre, la demanderesse soutient que la Section d'appel a commis une erreur en ne motivant pas son rejet de la requête.

[10]          La demanderesse soutient que le tribunal a fait preuve de partialité. Selon elle, la Section d'appel n'a pas pris en considération les divagations de la commissaire D'Ignazio, en concluant à tort qu'elles ne donnaient pas lieu à une crainte raisonnable de partialité ou elle a adopté la même opinion que celle-ci, ce qui d'après Baker a pour effet de vicier sa décision.

LA THÈSE DU DÉFENDEUR

[11]          Le défendeur soutient que la Section d'appel n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle judiciaire.

[12]          Il soutient que la demanderesse n'avait pas droit à ce qu'on lui fournisse les motifs écrits du rejet de sa requête en réouverture.

[13]          En outre, la Section d'appel n'était pas tenue de rouvrir l'appel. Il n'existe aucun élément pouvant amener une personne raisonnablement informée à estimer que la commissaire et la Section d'appel ont fait preuve de partialité en rejetant la requête de la demanderesse.

[14]          Le défendeur soutient que la demanderesse n'a pas droit aux dépens. Le défendeur n'aurait pu éviter ce litige puisque la décision de ne pas rouvrir l'appel n'a pas été prise par lui mais par un tribunal indépendant.

ANALYSE

[15]          Les Règles de la Section d'appel de l'immigration énoncent :


32(3) La section d'appel fait droit à la requête en réouverture lorsqu'il y a des motifs suffisants d'agir ainsi et que l'intérêt de la justice le justifie.


32(3)The Appeal Division shall grant a motion to reopen an appeal where there are sufficient reasons why the appeal should be reopened and it is in the interest of justice to do so.

[16]          Dans Handjiev c. Canada (M.C.I.) (9 février 1999), IMM-1331-98 (C.F. 1re inst.), le juge Evans a examiné le paragraphe 32(3) des Règles de la Section d'appel de l'immigration et déclaré ce qui suit :

     À mon avis, quand elle évalue si les faits établis constituent des « motifs suffisants » de réouverture d'un appel, la Commission n'est pas tenue d'être « correcte » pour éviter de commettre une erreur de droit. L'application de cette phrase fourre-tout commande manifestement à la Commission la prise en considération de tous les faits pertinents dont elle dispose, une tâche qui relève de sa compétence spécialisée. Il n'appartient pas à la Cour dans le cas d'une demande de contrôle judiciaire de réévaluer ces faits et de substituer son avis à celui de la Commission quant à savoir s'il constitue des « motifs suffisants » de réouverture. Il s'agit d'une décision que le Parlement a confié à la Commission.

[17]          La décision de rouvrir un appel est une décision discrétionnaire qui a été confiée à un tribunal spécialisé. La commissaire n'était tenue de rouvrir le dossier que si les critères légaux (l'existence de raisons suffisantes) étaient établis. En l'espèce, la demanderesse n'a pas convaincu la commissaire qu'il existait des motifs suffisants pour rouvrir le dossier et la requête a été rejetée. Notre Cour ne va pas modifier cette conclusion, puisque, comme le juge Evans l'a expliqué, c'est une décision qui a été confiée par le Parlement à la Commission.

[18]          La demanderesse conteste le fait que le rejet n'ait pas été motivé.

[19]          J'ai examiné les Règles de la Section d'appel de l'immigration. La Règle 29 énonce que la demande présentée en vertu du paragraphe 69.4(5) de la Loi pour obtenir les motifs écrits d'un appel doit être présentée par écrit. L'article 69.4 de la Loi sur l'immigration précise que la demande doit être présentée dans les 10 jours de l'avis de la décision sur l'appel. Il est évident que la Section n'est pas tenue de fournir les motifs écrits d'une décision en appel si ceux-ci ne lui sont pas demandés dans le délai légal. Aucune disposition de la Loi ou des Règles de la Section d'appel de l'immigration n'impose l'obligation de fournir les motifs de la décision prise au sujet d'une requête.

[20]          La demanderesse affirme que selon l'arrêt Baker, la Section d'appel est tenue de motiver sa décision.

[21]          La demanderesse affirme également que la lettre de refus datée du 1er juin 1999 ne mentionne pas de motifs mais indique uniquement que la requête a été rejetée. Cependant, le relevé de décision de la SAI daté du 1er juin 1999 comporte la mention :

N.B. Motifs fournis sur demande.
         Signé : O'Hare

Le relevé de la décision de la SAI n'a pas été communiqué à la demanderesse avec la décision.

[22]          La demanderesse soutient que, si elle avait été au courant de cela, elle aurait demandé les motifs. Néanmoins, elle ne les a toujours pas demandés même si elle a reçu le dossier du tribunal plusieurs semaines avant l'audition.

[23]          Le défendeur affirme que la décision rejetant une requête en réouverture n'est pas légalement tenue d'être motivée; les conditions légales énoncées au paragraphe 69.4(5) obligeant la SAI à fournir des motifs s'appliquent uniquement aux appels visés aux articles 70 et 71 et non aux requêtes.

[24]          Le défendeur soutient que si la demanderesse avait demandé qu'on lui fournisse les motifs, elle les aurait probablement reçus puisque ces motifs existaient, mais elle ne les a pas demandés.

[25]          Dans Baker, précité, à la page 848, le juge L'Heureux-Dubé a déclaré :

À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l'obligation d'équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l'espèce où la décision revêt une grande importance pour l'individu, dans des cas où il existe un droit d'appel prévu par la loi, ou dans d'autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise.
(Mon soulignement)

[26]          J'estime que la présente espèce est différente; la commissaire D'Ignazio de la Section d'appel a fourni des motifs détaillés et la demanderesse n'a jamais demandé qu'on lui communique les motifs parce qu'elle a reçu la décision de Mme O'Hare au sujet de la requête en réouverture; on ne retrouve donc pas dans la présente affaire les « [certaines] circonstances » dont parle la Cour suprême du Canada.

[27]          Aucun élément n'indique que Mme O'Hare n'ait pas tenu compte des arguments présentés par la demanderesse au sujet de l'alinéa 3c) de la Loi sur l'immigration. Il existe par contre des éléments démontrant que les arguments de la demanderesse ont été présentés à Mme O'Hare parce qu'ils figuraient dans la requête en réouverture.

[28]          La question concernant l'allégation de partialité de la part de la commissaire D'Ignazio a déjà été réglée, compte tenu du fait que le juge Sharlow a rejeté la demande d'autorisation à présenter une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la commissaire D'Ignazio.

[29]          J'estime que la Section d'appel de l'immigration n'était pas tenue de motiver son rejet de la requête en réouverture.

[30]          Pour tous ces motifs, il y a lieu de rejeter la présente demande.

[31]          Les deux parties ont présenté des questions graves.

[32]          Le procureur du défendeur a proposé la question suivante :

     La Section d'appel de l'immigration est-elle tenue de motiver sa décision concernant une requête en réouverture?

[33]          L'avocat de la demanderesse a proposé la question suivante :

     Les commissaires de la SAI sont-ils tenus de préparer des motifs écrits avant de rendre une décision ou au moment de le faire?

[34]          L'avocat de la demanderesse s'est opposé à la question proposée par la demanderesse.

[35]          J'estime qu'aucune des questions proposées par les avocats ne soulève une question d'importance générale et en conséquence, aucune question ne sera certifiée.


                         Pierre Blais

                         Juge


OTTAWA (ONTARIO)

Le 15 juin 2000


Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :      IMM-3281-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Eet-Lee Jesslyn Tio c. M.C.I.


LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      Le 31 mai 2000


MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS par le juge Blais


EN DATE DU :      15 juin 2000



ONT COMPARU :

Timothy E. Leahy,      pour la demanderesse
Cheryl D. Mitchell,      pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Timothy E. Leahy

Toronto (Ontario)      pour la demanderesse

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada      pour le défendeur
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