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Date : 20191030


Dossier : T-1994-16

Référence : 2019 CF 1297

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

SOCIÉTÉ MAKIVIK

demanderesse

Et

L’HONORABLE CATHERINE McKENNA, EN SA QUALITÉ DE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA, EN SA QUALITÉ DE JURISCONSULTE DU CONSEIL PRIVÉ DE LA REINE CHARGÉE DES INTÉRÊTS DE LA COURONNE DANS TOUT LITIGE OÙ ELLE EST PARTIE, LE CONSEIL DE GESTION DES RESSOURCES FAUNIQUES DE LA RÉGION MARINE DU NUNAVIK, LE CONSEIL DE GESTION DES RESSOURCES FAUNIQUES DE LA RÉGION MARINE D’EEYOU et
LE GRAND CONSEIL DES CRIS

défendeurs

Et

NUNAVUT TUNNGAVIK INCORPORATED et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU NUNAVUT

intervenants

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La demanderesse, la Société Makivik [Makivik], sollicite au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F-7, le contrôle judiciaire de la décision de la ministre d’Environnement et Changement climatique Canada [la ministre] datée du 19 octobre 2016. Dans cette décision, la ministre a modifié la décision finale du Conseil de gestion des ressources fauniques de la région marine du Nunavik [CGRFRMN] et du Conseil de gestion des ressources fauniques de la région marine d’Eeyou [CGRFRME] concernant la prise totale autorisée [PTA] et les limites non quantitatives pour la récolte d’ours blancs du sud de la baie d’Hudson [SBH] dans la région marine du Nunavik [RMN], conformément à l’article 5.5.12 de l’Accord sur les revendications territoriales des Inuit du Nunavik [ARTIN] et à l’article 15.3.7 de la Loi sur l’accord sur les revendications territoriales concernant la région marine d’Eeyou [Loi sur l’ARTRME].

Ainsi que l’ont reconnu toutes les parties, l’ARTIN est un traité moderne qui est protégé par la Constitution et qui vise à réaliser la réconciliation. Dans l’arrêt First Nation of Nacho Nyak Dun c Yukon, 2017 CSC 58 [Nacho Nyak Dun], la juge Karakatsanis, qui s’exprimait au nom de la Cour suprême du Canada, a formulé les remarques suivantes au par. 1 :

[2]  En témoignant de l’expression d’un partenariat entre les nations, les traités modernes jouent un rôle crucial dans la réalisation de la réconciliation. […] La négociation de traités modernes et le respect des responsabilités et des droits mutuels qui y sont énoncés peuvent permettre de bâtir une relation renouvelée entre la Couronne et les peuples autochtones.

[3]  La présente demande concerne principalement le chapitre 5 de cet accord, qui établit un régime de cogestion visant à intégrer les connaissances et les approches des Inuits en matière de gestion des ressources fauniques aux connaissances scientifiques occidentales. Toutes les parties ont reconnu sans conteste que la conservation et la situation des ours blancs ont une importance fondamentale pour les Inuits, pour d’autres peuples autochtones et pour l’ensemble de la société. L’ARTIN prévoit un mécanisme permettant de tenir compte de différents intérêts et facteurs pour gérer cette précieuse ressource. Il est indéniable que la question est complexe – la démarche qu’a suivie Makivik et la façon dont elle a décrit les questions en litige traduisent la complexité du processus prévu dans l’ARTIN. Dans leurs observations et dans les affidavits qu’elles y ont joints, les parties ont toutes souligné les difficultés que soulève le présent litige, lequel concerne un animal qui se déplace dans plusieurs territoires et provinces et met en cause deux collectivités inuites distinctes issues de territoires canadiens différents, ainsi que d’autres gouvernements autochtones. Toutes les parties nommées plus haut s’intéressent à la ressource.

[4]  Le chapitre 5 de l’ARTIN énonce également le processus décisionnel à suivre pour la prise des décisions en matière de conservation. En théorie, et d’après les dispositions détaillées de ce chapitre, le processus décisionnel est relativement simple. Cependant, en réalité et étant donné qu’il s’agissait de la première démarche devant mener à une décision de cette nature aux termes de l’ARTIN, des retards compréhensibles sont survenus et des différends ont surgi entre les parties, d’où la présente instance.

[5]  Makivik soutient qu’en réalité, la présente affaire ne concerne pas les ours blancs ni l’obligation de consulter. Elle concerne plutôt la mise en œuvre des droits que l’ARTIN reconnaît aux Inuit. Makivik affirme également que la décision de la ministre datée du 19 octobre 2016 n’était ni correcte ni raisonnable. Elle ne sollicite pas l’annulation de la décision de la ministre, mais plutôt plusieurs déclarations concernant celle-ci.

[6]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Le contexte

[7]  Étant donné que la présente affaire concerne de nombreuses parties et un processus décisionnel complexe, il m’apparaît souhaitable de décrire en détail le contexte dans lequel elle s’inscrit.

A.  L’histoire de la chasse à l’ours blanc

[8]  Aux yeux des Inuits, l’ours blanc, ou « Nanuq » en Inuktitut, est un être puissant et important. L’ours blanc joue un rôle important dans leur culture, car il est très prisé et apprécié pour sa chair et sa fourrure. Les Inuits ont chassé l’ours blanc pendant des milliers d’années à des fins de subsistance et de nombreuses collectivités inuites continuent à le rechercher à des fins tant sociales qu’économiques.

[9]  Il existe 19 sous-populations différentes d’ours blancs, qui sont réparties suivant des zones géographiques spécifiques. La plupart de ces sous-populations se trouvent dans le territoire du Nunavut. La présente demande concerne une seule de ces 19 sous-populations : l’ours blanc du SBH dans la RMN.

[10]  Reconnaissant que la chasse à l’ours blanc du SBH représente un moyen de subsistance pour eux, les Inuits du Nunavut participent depuis longtemps à un mécanisme de gestion qui établit un cadre juridique, au moyen de systèmes de quotas, pour la récolte d’ours blancs. Ainsi, la Loi concernant l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, LC 1993, c 29, énonce les droits et responsabilités des organisations de chasseurs et de trappeurs [OCT] en ce qui concerne la capture d’ours blancs. Chaque organisation régionale des ressources fauniques fixe la récolte totale autorisée pour différentes espèces, comme les ours blancs, et les OCT guident leurs collectivités en gérant et en mettant en œuvre les règles de capture chez leurs membres. Les Inuits du Nunavik, au Québec [Inuits du Nunavik], ont adopté un système de quotas similaire qui a mené à l’établissement du niveau minimum de récolte d’ours blancs depuis l’entrée en vigueur de la Convention de la Baie James et du Nord québécois de 1975, ainsi que M. Alaku l’explique dans son affidavit.

[11]  Depuis les années 1970 jusqu’en 2011, les quotas sont demeurés les mêmes pour les Inuits du Nunavik. Cependant, en 2010-2011, une augmentation importante de la récolte d’ours blancs a été observée, ce qui a incité de nombreuses organisations, dont Makivik, à tenir une rencontre en juin 2011 afin de corriger cette situation au moyen d’un accord volontaire. En conséquence, l’accord volontaire de 2011 est entré en vigueur le 21 septembre 2011. Cet accord prévoyait un quota fixe pour chacune des collectivités concernées, soit une capture totale de 60 ours blancs par année, répartie comme suit : vingt-six ours blancs pour les Inuits du Nunavik, vingt-cinq pour les Inuits du Nunavut, quatre pour les Cris d’Eeyou Istchee et cinq pour les Nations cries de l’Ontario.

[12]  M. Alaku affirme qu’avant la décision de la ministre, [TRADUCTION] « il n’y a jamais eu de quota ou de plafond quant au nombre d’ours blancs que les Inuits du Nunavik sont autorisés à capturer ». Ainsi que l’a expliqué l’avocat de Makivik, [TRADUCTION] « [j]usqu’à la décision de la ministre qui fait l’objet de la présente instance, il n’y a jamais eu de quota juridiquement contraignant en ce qui concerne la récolte d’ours blancs par les Inuits du Nunavik ».

B.  La demanderesse

[13]  La demanderesse, Makivik, est la représentante légale des Inuits du Nunavik. Makivik est une organisation à but non lucratif qui a été créée en 1978 en vertu de la Convention de la Baie James et du Nord québécois de 1975 et de l’ARTIN. Son rôle principal consiste à administrer les terres des Inuits, ainsi qu’à protéger les droits, les intérêts et les indemnités financières prévus dans les accords susmentionnés. Makivik a joué un rôle important dans la création et l’expansion du Nunavik. Elle joue également un rôle politique, culturel et économique dans plusieurs projets portant sur les traités et gouvernements autochtones modernes, et sur d’autres Inuit.

C.  Les défendeurs

1)  Le CGRFRMN et le CGRFRME

[14]  Les défendeurs, le CGRFRMN et le CGRFRME [les Conseils], constituent les principaux mécanismes de gestion des ressources fauniques dans la RMN (article 5.2.3 de l’ARTIN) et dans la région marine d’Eeyou [RME]. Suivant l’article 5.2.1 de l’ARTIN, le CGRFRMN compte sept membres nommés comme suit : Makivik nomme trois membres, le ministre fédéral responsable des ressources halieutiques et des mammifères marins et le ministre fédéral responsable du Service canadien de la faune nomment chacun un membre, et le ministre du gouvernement du Nunavut responsable des ressources fauniques nomme lui aussi un membre. Ensemble, les parties élisent également un président. En vertu de l’article 5.2.2 de l’ARTIN, Makivik et les gouvernements respectifs (ceux du Canada et du Nunavut) ont également le droit de demander à des conseillers techniques d’assister à toutes les réunions en qualité d’observateurs sans droit de vote.

[15]  Créé en vertu de l’ARTIN, le CGRFRMN étudie tant le savoir traditionnel inuit [STI] que la science occidentale tout au long de son processus décisionnel. Pour sa part, le CGRFRME a été créé en vertu de l’ARTRME et n’a pas présenté d’observations écrites, parce qu’il a décidé de ne pas comparaître en l’espèce.

[16]  Makivik reconnaît la tension entre le savoir autochtone et la gestion des ressources par les Autochtones, d’une part, et le recours par le gouvernement à la science pour la gestion des ressources, d’autre part. Makivik soutient que cette tension est atténuée dans l’ARTIN grâce à la création du CGRFRMN et à l’adoption des principes de conservation qui le guident.

2)  Le Grand Conseil des Cris (Eeyou Istchee)

[17]  Le défendeur, le Grand Conseil des Cris [GCC], est un organisme à but non lucratif qui représente et défend les intérêts des Cris d’Eeyou Itschee résidant dans l’est de la baie James et dans le sud-est de la baie d’Hudson.

3)  La procureure générale du Canada

[18]  La défenderesse, la procureure générale du Canada [PG du Canada], est la représentante légale de la ministre. Suivant le processus établi aux articles 5.5.6 à 5.5.13 de l’ARTIN, la ministre peut accepter, rejeter ou modifier les décisions finales des Conseils et communiquer les motifs de sa décision.

D.  Les intervenants

1)  Nunavut Tunngavik Incorporated

[19]  L’intervenante, Nunavut Tunngavik Incorporated [NTI], est une organisation qui représente les Inuits du Nunavut. NTI continue de jouer un rôle actif pour veiller à ce que toutes les parties concernées, y compris le gouvernement du Canada et le gouvernement du Nunavut, mettent en œuvre l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.

2)  Le procureur général du Nunavut

[20]  L’intervenant, le procureur général du Nunavut [PG du Nunavut], représente le ministre de l’Environnement du Nunavut, qui peut accepter, rejeter ou modifier la décision finale des Conseils conformément aux articles 5.5.14 à 5.5.21 de l’ARTIN.

[21]  Le PG du Nunavut a invoqué différents arguments afin de demander à la Cour fédérale de refuser de prononcer le jugement déclaratoire sollicité.  L’intervenant se fonde sur l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski], pour soutenir que l’affaire est théorique suivant le premier volet de l’analyse en deux étapes que commande la doctrine relative au caractère théorique (absence de litige actuel). Si la Cour en arrive à la conclusion que l’affaire n’est pas théorique, le PG du Nunavut fait valoir que la Cour se réserve le droit d’exercer son pouvoir discrétionnaire lors du contrôle judiciaire et devrait, par conséquent, décider de ne pas prononcer le jugement déclaratoire demandé. Le PG du Nunavut ajoute qu’il est fort probable que d’autres décisions que prendront le CGRFRMN et le CGRFRME au sujet des ours blancs du bassin Foxe et du détroit de Davis dans la RMN, ou d’autres espèces, feront l’objet d’un contrôle judiciaire. La Cour doit donc agir de façon que le CGRFRMN ait l’occasion d’interpréter l’ARTIN à l’avenir. Selon le PG du Nunavut, si la demande de jugement déclaratoire est refusée, les parties concernées seront davantage portées à « gérer ensemble et [à] concilier leurs différences » et « [à en] arriver à une entente sur un processus — en fait, elles vont se réconcilier — sans que les tribunaux interviennent dans le processus » : Nacho Nyak Dun, aux par. 33, 60.

[22]  Le PG du Nunavut soutient que l’affaire est théorique, « puisqu’il n’y a plus de différend juridique concret » au sujet de la décision de la ministre. Il souligne que Makivik ne demande plus à la Cour d’annuler la décision de la ministre, parce qu’elle a modifié à nouveau sa demande de contrôle judiciaire en remplaçant la réparation qu’elle sollicitait par un jugement déclaratoire.

[23]  Le PG du Nunavut ajoute que Makivik a déposé une demande de contrôle judiciaire similaire devant la Cour de justice du Nunavut. Si la Cour rend sa décision en l’espèce, dit-il, cette décision ne liera pas la Cour supérieure de justice du Nunavut.

E.  L’ARTIN et l’ARTRME

[24]  L’ARTIN est entré en vigueur le 10 juillet 2008. Le 1er décembre 2006, les Inuits du Nunavik et le gouvernement du Canada sont devenus signataires de l’accord, lequel établit des principes concernant les droits de récolte des Inuits du Nunavik dans la RMN, ainsi que le droit de la ministre d’intervenir dans certaines circonstances. Dans ce même accord, les Inuits du Nunavik conviennent d’échanger leurs droits et titres ancestraux dans les zones en question contre des droits issus de traités. L’ARTIN énonce également des principes de conservation et prévoit la mise en œuvre d’une PTA et de limites non quantitatives pour la RMN en reconnaissance des droits des Cris et des Inuits dans la région de chevauchement.

[25]  La RMN comporte de vastes étendues de terres et d’eaux à l’intérieur des limites décrites à l’annexe 3-2 de l’ARTIN. Suivant l’article 3.2 de cet accord, la RMN comprend les zones d’utilisation et d’occupation égales avec les Inuits du Nunavut, et la région de chevauchement est également utilisée et occupée par les Cris d’Eeyou Itschee. La coordination de la région de chevauchement est traitée au chapitre 28 de l’ARTIN et dans l’Entente relative à la région extracôtière de chevauchement Cris/Inuit.

[26]  L’ARTRME a été signé par les Cris d’Eeyou Itschee et le gouvernement du Canada le 7 juillet 2010 et est entré en vigueur le 15 février 2012. Ce traité moderne couvre la RME adjacente au Québec.

F.  La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction

[27]  Ratifiée en 1975, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction [CITES] est un traité international qui protège le commerce de certaines espèces d’animaux et de plantes sauvages contre la surexploitation. À cette fin, la CITES souligne l’importance de la coopération internationale. Elle comporte des annexes qui réglementent le commerce international de spécimens de certaines espères qui y sont inscrites. Les ours blancs sont actuellement inscrits à l’annexe II de la CITES. Cela signifie que « l’exportation d’un spécimen [d’ours blanc] nécessite la délivrance et la présentation préalables d’un permis d’exportation ».

G.  L’accord volontaire de 2014

[28]  En septembre 2014, les parties intéressées, y compris NTI et Makivik, ont tenu une rencontre au sujet de la gestion de l’ours blanc; par suite de cette rencontre, les parties ont conclu un accord volontaire concernant la récolte d’ours blancs du SBH [accord volontaire de 2014]. Les parties à cet accord étaient les suivantes :

  • Ministère de l’Environnement du Nunavut

  • Nunavut Tunngavik Incorporated

  • Société Makivik

  • Ministère des Richesses naturelles et des Forêts de l’Ontario

  • Association des trappeurs cris (Québec)

  • Nation crie de Fort Severn

  • Gouvernement de la Nation crie (Québec)

  • Environnement Canada

  • Sanikiluaq Hunters and Trappers Organization

  • Inukjuak Nunavimmi Umajulirijiit Katujjiqatigiinninga

  • Kuujjuarapik Nunavimmi Umajulirijiit Katujjiqatigiinninga

  • Umiujaq Nunavimmi Umajulirijiit Katujjiqatigiinninga

  • Conseil de gestion de la faune du Qikiqtaaluk

[29]  Dans l’accord volontaire de 2014, les parties ont fixé des quotas volontaires différents de ceux qui avaient été négociés en 2011 : les limites volontaires annuelles ont été fixées à une prise totale de 45 ours blancs pour l’ensemble des collectivités concernées. Les Inuits du Nunavik ont convenu de s’en tenir à une prise maximale de 22 ours blancs, les Inuits du Nunavut, à une prise totale de 20, et les Cris d’Eeyou Itschee et les Nations cries de l’Ontario, à une capture d’un ours blanc ou deux (trois au total pour tous les Cris).

H.  Le début du processus

[30]  Dans une lettre datée du 10 janvier 2012, Peter Kent, ancien ministre d’Environnement Canada, a écrit au CGRFRMN pour lui demander formellement d’établir une PTA pour chaque sous-population d’ours blancs de la RMN. Cette demande faisait suite à la lettre du président alors en poste du CGRFRMN, qui avait soulevé des préoccupations au sujet de l’accord volontaire de 2011 et du fait que le CGRFRMN n’avait pas été appelé à intervenir et que le processus de l’ARTIN n’avait pas été utilisé.

[31]  Il y a trois sous-populations d’ours blancs visées par les activités de chasse des Inuits du Nunavik : les ours blancs du détroit de Davis, ceux du bassin Foxe et ceux du SBH. Le CGRFRMN a d’abord choisi de réviser l’unité de gestion du SBH, qui couvre les ours blancs chassés par les Inuits du Nunavik, les Inuits de Sanikiluaq et les Cris d’Eeyou Istchee.

[32]  Le CGRFRMN a mis plus de temps que prévu à aller de l’avant avec le processus, car le ministère des Richesses naturelles et des Forêts de l’Ontario n’a obtenu qu’en novembre 2013 les résultats d’un relevé aérien de 2011-2012. D’après ce relevé, la sous-population d’ours blancs du SBH comptait un effectif d’environ 951 ours. Après une autre révision, ce nombre a été abaissé à 943 ours blancs.

[33]  Le 19 décembre 2013, le CGRFRMN a fait paraître un avis d’audience publique dans lequel il a invité toutes les parties intéressées à déposer des observations écrites et des documents à l’appui au plus tard le 27 janvier 2014 au sujet de l’établissement d’une PTA pour l’ours blanc du SBH dans la RMN. Selon l’avis, les audiences publiques auraient lieu à Inukjuak (Québec), du 12 au 14 février 2014. Plus d’une douzaine de parties ont déposé des observations écrites avant les audiences publiques et la plupart d’entre elles ont également présenté des observations de vive voix. Ces parties comprenaient des ministères gouvernementaux, des organisations autochtones, des organisations non gouvernementales à vocation environnementale, des groupes de chasseurs inuits locaux et des chasseurs inuits individuels.

[34]  Lors d’un breffage du CGRFRMN et de son personnel après les audiences publiques, il a été mentionné que l’organisme avait besoin de renseignements supplémentaires pour pouvoir en arriver à une décision. Plus précisément, certaines personnes estimaient qu’il était impératif d’obtenir des renseignements plus détaillés des utilisateurs réels de la ressource, étant donné que les audiences publiques ne représentaient pas la méthode idéale permettant d’obtenir ce type de renseignements. Les membres du CGRFRMN ont décidé de solliciter des renseignements supplémentaires auprès des personnes présentes aux audiences publiques et de mener une étude du STI connexe.

[35]  Les résultats de l’étude ont été résumés dans un document de sept pages intitulé [TRADUCTION] « Connaissances des Inuits du Nunavik sur l’ours blanc : résumé du savoir et suggestions » [résumé du STI]. Le résumé du STI a été acheminé à toutes les parties qui avaient participé aux audiences publiques à des fins de commentaires. Le CGRFRMN a confié à une tierce partie la rédaction d’un rapport final. À la date de la décision de la ministre, seul le résumé du STI était disponible.

I.  Les décisions initiale et finale des Conseils

1)  La décision initiale des Conseils

[36]  Il convient de souligner que le retard touchant le processus décisionnel des Conseils s’explique par le fait qu’il s’agissait du premier processus de cette nature enclenché en application de l’ARTIN et que, en raison d’un oubli, le CGRFRME n’y a pas participé au départ. Cette situation a été corrigée et les Conseils ont finalement rendu leur décision.

[37]  Le 23 juillet 2015, les Conseils ont envoyé une lettre au ministre de l’Environnement du Canada et au ministre de l’Environnement du Nunavut afin de les informer de leur décision concernant la PTA d’ours blancs pour l’unité de gestion du SBH et des limites non quantitatives à l’intérieur de la RMN.

[38]  Les Conseils ont décidé que la PTA pour les ours blancs du SBG devrait être fixée à 28 individus, conformément à l’article 5.5.3 de l’ARTIN. Selon les Conseils, il était essentiel d’avoir une unité de gestion souple afin d’éviter la surexploitation. Les Conseils ont également conclu que les Cris d’Eeyou Istchee étaient autorisés à capturer au moins un ours blanc de la PTA de 28 ours et que la récolte sélective en fonction du sexe ne devrait pas être imposée, car cette exigence irait à l’encontre de l’article 5.5.3 de l’ARTIN. Enfin, ils ont présenté une liste de limites non quantitatives afin d’assurer une mise en œuvre stricte et équitable de la répartition de la PTA.

[39]  Le 22 septembre 2015, le ministre de l’Environnement du Nunavut a rejeté la décision initiale des Conseils quant à l’établissement d’une PTA de 28 ours blancs, conformément à l’article 5.5.16 de l’ARTIN et à l’article 15.4.3 de l’ARTRME. En conséquence, il a demandé aux Conseils de réexaminer leur décision, sans dépasser cette fois-ci un taux de récolte durable maximal de 4,5 %. Le ministre de l’Environnement du Nunavut a également demandé aux Conseils de mettre en œuvre un système de récolte sélective en fonction du sexe suivant un ratio de deux mâles pour une femelle.

[40]  Le 23 septembre 2015, le sous-ministre de l’Environnement du Canada a fait parvenir une lettre aux Conseils afin de les informer que leur décision était rejetée au titre de l’alinéa 5.5.3a) de l’ARTIN et de l’alinéa 15.2.1a) de l’ARTRME. Dans sa lettre, le sous‑ministre a expliqué que la PTA de 28 ours blancs pour les Inuits du Nunavik et les Cris d’Eeyou Istchee [TRADUCTION] « ne permettrait probablement pas de conserver une population viable et crée des préoccupations liées à la conservation dans le cas de cette unité de gestion ». Le sous-ministre a également invité les Conseils à prendre une décision finale en tenant compte du taux de récolte durable maximal de 4,5 %, ainsi que de la limite non quantitative d’une récolte sélective en fonction du sexe selon un ratio de deux mâles pour une femelle. De plus, le sous‑ministre a décrit pour la première fois l’accord volontaire de 2014 comme une « entente multigouvernementale intérieure ».

2)  La décision finale des Conseils

[41]  Le 21 décembre 2015, les Conseils ont rendu leur décision finale ([TRADUCTION] « Décision finale établissant une PTA et une limite non quantitative pour les ours blancs du SBG, dans la RMN »). Encore là, la lettre a été envoyée à la fois au ministre de l’Environnement du Canada et à son homologue du Nunavut.

[42]  Les Conseils ont confirmé leur décision initiale dans laquelle ils avaient fixé une PTA de 28 ours blancs pour la RMN. Selon les Conseils, [TRADUCTION] « [u]ne PTA de vingt-huit (28) individus correspond au nombre minimal estimatif d’ours blancs capturés chaque année par les Inuits du Nunavik […] et permet d’attribuer une partie du quota aux Cris d’Eeyou Istchee ». Les Conseils ont réitéré leur position quant à l’importance d’un système de gestion souple. Ils ne partageaient pas l’avis des ministres quant à la mise en œuvre d’un système formel de récolte sélective en fonction du sexe. De l’avis des Conseils, une récolte sélective en fonction du sexe selon un ratio de deux mâles pour une femelle [TRADUCTION] « va à l’encontre des traditions et valeurs des Inuits », [TRADUCTION] « bouleverse l’équilibre naturel des populations fauniques et tend à éliminer les animaux qui sont les plus aptes à se reproduire ».

[43]  Les Conseils ont également conservé dans leur décision finale les limites non quantitatives qu’ils avaient initialement fixées, étant donné qu’[TRADUCTION] « aucun gouvernement n’a formulé de préoccupations au sujet des limites non quantitatives proposées à l’origine ». Les Conseils ne partageaient pas l’avis du sous-ministre en ce qui a trait à l’accord volontaire de 2014. Dans leur décision finale, ils affirment que cet accord [TRADUCTION] « n’est pas une entente multigouvernementale intérieure » au sens de l’article 5.5.4.1 de l’ARTIN et de l’article 15.2.2 de l’ARTRME. Les Conseils ont ajouté que, en tout état de cause, l’accord volontaire de 2014 est établi [TRADUCTION] « sous réserve des processus décisionnels définis dans les accords sur les revendications territoriales applicables ».

J.  Le processus qui a conduit à la décision de la ministre

[44]  Le 17 février 2016, le directeur général du Service canadien de la faune a écrit aux Conseils pour les informer qu’Environnement et Changement climatique Canada [ECCC] aurait, au plus tard le 30 juin 2016, une réponse à la décision finale des Conseils et une analyse de celle‑ci. La ministre a été incapable de fournir une réponse en juin 2016. Des représentants d’ECCC ont plutôt commencé à rédiger une note de service destinée à la ministre en juillet 2016.

[45]  Le 21 septembre 2016, des représentants d’ECCC ont envoyé une note de service à la ministre en réponse à la décision des Conseils. ECCC a recommandé à la ministre de modifier la décision finale des Conseils, [TRADUCTION] « eu égard à des préoccupations liées à la conservation et à des aspects techniques ». Il a également recommandé à la ministre de réduire la PTA de 28 à 23 ours blancs [TRADUCTION] « pour des raisons liées à la conservation (viabilité de l’unité de gestion) ». La note de service était également accompagnée d’un document détaillé intitulé [TRADUCTION] « Analyse de la décision finale et motifs justifiant de la modifier », dans lequel les représentants d’ECCC ont expliqué à la ministre comment ils en étaient arrivés à une PTA de 23 ours blancs.

K.  La décision de la ministre faisant l’objet du contrôle

[46]  Dans une lettre du 19 octobre 2016 accompagnée de deux documents intitulés respectivement [TRADUCTION] « Réponse à la décision finale sur la PTA pour l’ours blanc du sud de la baie d’Hudson » [réponse] et [TRADUCTION] « Analyse de la décision concernant la PTA et les limites non quantitatives pour les ours blancs du SBG, dans la RMN » [analyse], la ministre a informé les Conseils qu’elle avait décidé de modifier la PTA et les limites non quantitatives pour les ours blancs dans la RMN, au titre de l’alinéa 5.5.3a) de l’ARTIN. Après avoir pris connaissance de la décision finale des Conseils, la ministre a décidé que la PTA annuelle serait fixée à de vingt-trois (23) ours blancs de l’unité de gestion du SBH en ce qui concerne la RMN. Selon l’analyse :

[TRADUCTION]
PTA de 23 individus donne lieu à une récolte combinée d’ours blancs atteignant près de 4,5 % dans le cas de l’unité de gestion du sud de la baie d’Hudson, ce qui va de pair avec le taux de prélèvement viable largement accepté.

[…]

[Il] y a lieu d’établir une limite de récolte maximale de près de 4,5 %, afin de veiller à ce que la population demeure stable et à ce que la récolte demeure durable. Cette approche est compatible avec les déclarations précédentes d’Environnement et Changement climatique Canada (p. ex., le mémoire présenté par Environnement et Changement climatique Canada à l’audience publique relative au sud de la baie d’Hudson, tenue à Inukjuak en février 2014, et la lettre du sous-ministre Michael Martin datée du 23 septembre 2015).

[47]  Commentant dans la réponse la décision finale sur la PTA annuelle pour l’ours blanc du SBH, la ministre a précisé la façon dont la PTA devra être mise en œuvre à l’intérieur de la RMN :

a.  toutes les mortalités causées par l’humain seront déduites de la prise permise totale, y compris les ours tués pour la défense de la vie et de biens;

b.  si la somme de toutes les mortalités causées par l’humain dépasse la prise permise totale au cours d’une année donnée, la prise permise totale de l’année suivante sera réduite d’un nombre correspondant;

c.  […]

[48]  Dans la réponse, la ministre a accepté quelques-unes des limites non quantitatives fixées par les Conseils pour la récolte d’ours blancs de l’unité de gestion, sous réserve d’autres limites non quantitatives, notamment les suivantes :

1.  la prise permise totale sera récoltée chaque année; elle sera limitée à 1 femelle pour 2 mâles;

2.  tous les ours polaires tués par l’humain pour une prise de subsistance ou la défense de la vie et de biens doivent être déclarés dès que possible à l’autorité concernée (qu’ils soient ou ne soient pas destinés à la vente);

3.  […]

[49]  La lettre de la ministre comportait également les commentaires suivants :

[TRADUCTION]

Une fois que les résultats du nouveau relevé et l’étude du savoir traditionnel seront disponibles, je serai disposée à réexaminer la prise totale autorisée pour cette unité de gestion d’ours blancs.

L.  La demande de la Société Makivik

[50]  Le 18 novembre 2016, Makivik a déposé la présente demande de contrôle judiciaire. Makivik ne souscrit pas à la décision de la ministre datée du 19 octobre 2016 et avait demandé à la Cour de rendre une ordonnance [TRADUCTION] « annulant cette décision et renvoyant la question à la [ministre] pour qu’elle rende une nouvelle décision ».

[51]  Le 25 avril 2017, Makivik a déposé une demande de contrôle judiciaire modifiée avec le consentement de la Cour. Des contre-interrogatoires ont eu lieu à la fin de 2017 et au début de 2018. Le 6 avril 2018, Makivik a modifié à nouveau sa demande de contrôle judiciaire, également avec le consentement de la Cour. Par suite d’un nouveau relevé aérien fait en 2016, Makivik a expliqué que, dans sa demande de contrôle judiciaire nouvellement modifiée, elle sollicitait désormais uniquement un jugement déclaratoire de la Cour plutôt que l’annulation de la décision de la ministre et le renvoi de l’affaire à celle-ci. Makivik a également demandé à la Cour de rendre une ordonnance lui accordant les dépens dans la présente demande.

III.  La preuve

[52]  La preuve présentée en l’espèce se compose d’un dossier certifié du tribunal ainsi que d’autres documents qui ne se trouvaient pas dans le dossier, dont des affidavits et des pièces à l’appui. Comme je l’ai mentionné plus haut, les parties ont contre-interrogé certains des auteurs de ces affidavits et les transcriptions ont été versées dans le dossier.

[53]  Les parties reconnaissent que le dossier renferme une foule de renseignements dont la ministre n’avait pas été saisie. Le PG du Nunavut a consacré une bonne partie de ses observations à cet aspect et au problème que le dossier représente, étant donné que Makivik sollicite désormais uniquement un jugement déclaratoire.

[54]  Makivik a déposé les affidavits des personnes suivantes :

  • Valentina Cean, employée de Dionne Schulze. Son affidavit est accompagné de pièces qui sont des documents publiquement accessibles sur le site web du CGRFRMN, y compris des rapports, des lettres et des données de recherche. Ces documents n’ont pas été joints aux autres affidavits produits par Makivik.

  • Mark O’Connor, coordonnateur de la Gestion des ressources à la Société Makivik. Il était auparavant le directeur de la Gestion des ressources fauniques au CGRFRMN. À ce titre, il était chargé de recueillir et d’analyser des renseignements pertinents sur les espèces d’animaux sauvages de la RMN. Il a également supervisé les travaux du personnel sur ces questions et a assuré la coordination avec les représentants d’autres organismes de réglementation qui s’occupaient des espèces de la RMN. Il a fourni des explications et des éclaircissements au sujet des résultats, obtenus tardivement, du relevé aérien de 2011‑2012 et de l’étude du STI.

  • Gregor Gilbert, coordonnateur principal du Service de développement des ressources pour Makivik. Il participe à l’élaboration de plans de gestion pour les ressources récoltées par les Inuits du Nunavik. Il siège également à différents comités qui examinent l’évolution de certaines espèces sauvages comme le béluga du sud de la baie d’Hudson. Depuis qu’il s’est joint à Makivik en 2010, il s’est occupé principalement de la gestion des ours blancs. Il a fourni une carte géographique produite par Environnement Canada pour démontrer la composition des unités de gestion des ours blancs de la RMN.

  • Adamie Delisle Alaku, vice-président exécutif du Service de développement des ressources pour Makivik. Son affidavit était accompagné d’une copie de l’accord volontaire de 2014. Il mentionne également dans son affidavit la correspondance qu’il a échangée avec le ministre de l’Environnement de l’époque sur l’importance d’établir un accord volontaire entre les parties concernées. Il a été contre-interrogé.

  • Paulusi Novalinga, Inuit habitant dans le village de Puvirnituq, situé sur la côte est de la baie d’Hudson. Il est président de l’Anguvigaq (association des chasseurs, pêcheurs et trappeurs du Nunavik). Au cours de l’audience publique que le CGRFRMN a tenue en 2014, il a exposé certains des problèmes auxquels l’organisation était confrontée en ce qui concerne la population d’ours blancs. Il a également présenté des renseignements historiques et généraux au sujet des Inuits et de leurs activités de récolte.

[55]  La défenderesse, la PG du Canada, a déposé les affidavits des personnes suivantes :

  • Mme Rachel Vallender, gestionnaire par intérim et biologiste. Elle travaille pour le Service canadien de la faune d’Environnement et Changement climatique Canada. Titulaire d’un doctorat en biologie de l’Université Queen’s, elle possède 17 ans d’expérience dans le domaine des espèces sauvages, notamment les oiseaux migrateurs. Dans son affidavit, elle mentionne l’importance d’inclure le STI dans le processus décisionnel relatif à la gestion des ressources fauniques. Elle a été contre-interrogée. Le 22 septembre 2017, Makivik a déposé un dossier de requête afin de demander à la Cour de rendre une ordonnance radiant les paragraphes 90, 91 et 92, et les pièces connexes RV-28 et RV-29 des affidavits de Mme Rachel Vallender. La PG du Canada a déposé sa réponse dans un dossier de requête et soutenu que la requête de Makivik était prématurée.

[56]  Le défendeur, le CGRFRMN, a déposé l’affidavit de la personne suivante :

  • Kaitlin Breton-Honeyman, directrice de la Gestion des ressources fauniques au CGRFRMN et titulaire d’un baccalauréat en sciences naturelles de l’Université Trent avec majeure en biologie. En juillet 2013, elle a participé à la préparation de l’audience publique du CGRFRMN tenue du 12 au 14 février 2014. Elle a passé en revue l’avis d’audience publique qui a été envoyé à toutes les parties le 19 décembre 2013. Elle a également fait partie de l’équipe chargée de compiler, d’étudier et de résumer les observations écrites qu’elle a reçues des parties après l’avis d’audience publique. Elle a été contre-interrogée.

[57]  Le défendeur, le GCC, a déposé les affidavits des personnes suivantes :

Isaac Masty, bénéficiaire cri de la Convention de la Baie James et du Nord québécois de 1975 et Indien au sens de la Loi sur les Indiens, LRC, 1985, c I-5. Il est vice-président du CGRFRME depuis 2016. Pendant qu’il était président de l’Association des trappeurs cris de 2009 à 2011, Isaac Masty a assisté à la réunion tenue à Inukjuak (Québec) du 20 au 22 septembre 2011. Dans son affidavit, il affirme que le CGRFRME n’a pas participé à la négociation du document intitulé [TRADUCTION] « Consensus suivant la réunion relative à la gestion de l’ours blanc du sud de la baie d’Hudson, tenue à Inukjuak en septembre 2011 ». M. Masty n’a joint aucun document au soutien de son affidavit.

Alan Penn, actuellement à l’emploi du Grand Conseil des Cris (Eeyou Istchee) et du gouvernement de la Nation crie en qualité de conseiller scientifique. M. Penn possède une expérience de travail de plus de 40 ans sur les questions liées à l’environnement et aux ressources naturelles du Nord québécois. Il a participé à la négociation de l’ARTRME. Il a assisté à la réunion tenue à Ottawa du 25 au 27 septembre 2014. À l’instar d’Isaac Masty, Alan Penn a également affirmé dans son affidavit que le Canada n’avait pas l’intention de considérer le document du consensus comme une « entente multigouvernementale intérieure » dans le contexte de l’ARTRME. Il a été contre‑interrogé.

Brian Craik, directeur des Relations fédérales pour le Grand Conseil des Cris (Eeyou Istchee) / gouvernement de la Nation crie. Il était également chargé de négocier l’ARTRME. M. Craik a fourni des renseignements au sujet de la structure décisionnelle des Cris et du processus de négociation de l’ARTRME.

[58]  Dans les demandes de contrôle judiciaire, il est bien reconnu en droit que la Cour devrait examiner uniquement la preuve dont le décideur initial disposait : Henri c Canada (Procureur général), 2016 CAF 38, au par. 39 [Henri]. Dans la présente affaire, les parties ont produit des affidavits qui renferment un nombre important d’éléments de preuve au soutien de leurs dossiers.

[59]  Pour savoir si des éléments de preuve additionnels peuvent être présentés lors du contrôle judiciaire, il faut tenir compte des trois exceptions suivantes :

[…] Les seuls cas où cette règle souffre une exception sont les suivants : lorsque la preuve nouvelle est produite au soutien d’un argument intéressant l’équité procédurale ou la compétence (jugement McConnell c. Canada (Commission des droits de la personne), 2004 CF 817, au par. 68, conf. par 2005 CAF 389), et lorsque les pièces nouvellement soumises sont considérées comme des renseignements généraux susceptibles d’aider la Cour (voir, p. ex., Chopra c. Canada (Conseil du Trésor) (1999), 168 F.T.R. 273 [Chopra], au par. 9).

(Première nation d’Ochapowace c Canada (Procureur général), 2007 CF 920, au par. 9)

[60]  Je reconnais l’argument du PG du Nunavut selon lequel les délais et l’évolution de la nature des procédures ont influé sur la teneur du dossier, comme le montrent les demandes de contrôle judiciaire modifiée et modifiée à nouveau.

[61]  Après avoir examiné attentivement la preuve par affidavit au dossier et les observations des parties, je souligne qu’une bonne partie des documents joints aux affidavits de celles-ci comportent des renseignements généraux qui seraient utiles à la Cour. Plus précisément, l’affidavit de Mme Valentina Cean est accompagné de plusieurs documents, comme un rapport sommaire qu’a obtenu le CGRFRMN pendant son étude du STI après les audiences publiques tenues à Inukjuak, lequel rapport est intitulé [TRADUCTION] « Connaissances des Inuits du Nunavik sur les ours blancs : résumé du savoir et suggestions ». L’affidavit de Mme Cean est également accompagné de lignes directrices du CGRFRMN intitulées [TRADUCTION] « Lignes directrices en vue de l’audience publique de la région marine du Nunavik visant à examiner l’établissement d’une prise totale autorisée pour l’ours blanc du sud de la baie d’Hudson dans la région marine du Nunavik ».

[62]  Mme Vallender a également joint à son affidavit plusieurs exposés de chasseurs et de chercheurs scientifiques expérimentés et bien renseignés sur la gestion des ours blancs du SBH. Même si ces documents ne faisaient pas partie du dossier dont les Conseils étaient saisis, j’estime qu’ils sont admissibles en l’espèce. Bien qu’ils ne soient pas pertinents quant au fond du litige, ils pourront aider la Cour à comprendre les questions à trancher.

[63]  Compte tenu du problème que comporte le dossier dont je suis saisi, dans mon analyse et dans mes motifs, je mentionnerai certains des éléments de preuve par affidavit uniquement dans le contexte dans lequel la décision de la ministre a été prise.

A.  Requête de Makivik en vue de faire radier des parties de l’affidavit de Vallender

[64]  En général, le contrôle judiciaire quant au fond d’une affaire doit être instruit selon la preuve dont le décideur initial disposait (Henri, au par. 39). « Une déposition par affidavit sur le bien-fondé d’une question que le décideur a déjà tranchée devrait plutôt être radiée, puisqu’elle s’immisce dans le rôle du premier décideur en tant que juge des faits et juge du fond » (Shahzad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 999, au par. 21; voir également Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22).

[65]  En réponse au dossier de requête de Makivik concernant la preuve par affidavit de Mme Vallender, j’accueille la requête de Makivik et, en conséquence, la Cour radiera les paragraphes 90, 91 et 92 de l’affidavit de Mme Vallender. Ces paragraphes renvoient aux résultats du relevé aérien de 2016, dont les Conseils et le ministre ne disposaient pas lors de la décision, et renferment davantage que de simples renseignements généraux. Par conséquent, les pièces RV‑28 et RV-29 ne constituent pas non plus des éléments de preuve pertinents ou admissibles aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, car rien n’indique qu’elles étaient à la disposition de la ministre. Qui plus est, elles renferment davantage que des renseignements généraux.

[66]  Les paragraphes 90, 91 et 92 et les pièces connexes sont donc radiés et n’ont pas été pris en compte.

B.  Requête de Makivik concernant le bien-fondé des objections formulées par la PG du Canada au cours d’un contre-interrogatoire écrit

[67]  Cette requête concerne également l’affidavit de Mme Vallender et les documents qu’elle a produits au soutien de celui-ci (pièces CE4, CE-5 et CE-6). Ainsi que Makivik l’explique dans sa requête, après le contre-interrogatoire de Mme Vallender tenu en novembre 2017, Makivik et la PG du Canada ont convenu de ce qui suit :

a.  Le Canada (défendeur) fournira les documents demandés à titre de courtoisie, sous réserve, toutefois, de certains renseignements caviardés en raison des privilèges revendiqués;

b.  Après en avoir pris connaissance, la demanderesse pourrait décider quels sont les documents qui, à son avis, étaient pertinents, et les faire produire au moyen d’un contre‑interrogatoire écrit supplémentaire de la Dre Vallender;

c.  Les documents seraient produits en même temps que la réponse au contre-interrogatoire écrit supplémentaire de la Dre Vallender, sous réserve des objections du Canada au sujet de la pertinence et du privilège;

d.  La réponse de la Dre Vallender et les documents qui l’accompagnent seraient déposés dans le dossier de la demanderesse;

e  La demanderesse pourrait ensuite déposer une requête au titre de l’article 95 des Règles afin de faire trancher par la Cour les objections et les revendications de privilège du Canada, laquelle requête serait présentée au juge chargé d’instruire l’affaire au fond.

[68]  Les documents en question concernent des communications internes échangées au sein d’ECCC avant la décision de la ministre. En plus d’invoquer des arguments de procédure au sujet du bien-fondé de la requête de Makivik, la PG du Canada s’oppose à la production des parties caviardées de la correspondance en raison de leur manque de pertinence et du privilège dont elles font l’objet. La PG du Canada soutient que les documents en question ont été rédigés ou créés avant le rejet par le sous-ministre de la décision initiale des Conseils.

[69]  Makivik n’est pas d’accord et répond que les documents sont pertinents, pour les raisons suivantes : la ministre a adopté toutes les recommandations du personnel d’ECCC, de sorte que toute entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire a été transférée à la ministre; une bonne partie des pièces que la PG du Canada a produites dans son dossier n’étaient pas non plus à la disposition de la ministre lorsque celle-ci a rendu sa décision, de sorte que la PG du Canada ne peut soutenir aujourd’hui que ces documents ne sont pas pertinents; l’argument du privilège des délibérations ne s’applique pas aux décisions administratives ou, si ce privilège existe en l’espèce, il peut être révoqué. En dernier lieu, Makivik fait valoir que l’honneur de la Couronne et l’ARTIN militent en faveur de la communication des renseignements.

[70]  À la lumière des arguments invoqués par la PG du Canada, je suis convaincu que les documents en question ne sont pas pertinents quant au bien-fondé de la demande dont je suis saisi. Il n’est pas nécessaire que je décide à ce moment-ci s’ils sont privilégiés. Comme toutes les parties l’ont souligné, le dossier comporte une documentation abondante et bon nombre de ces documents n’étaient pas à la disposition de la ministre, dont la décision fait l’objet du contrôle judiciaire. Comme je l’ai mentionné plus haut, j’ai décidé de considérer une bonne partie de ces documents comme des renseignements généraux ou des renseignements permettant de mieux comprendre le contexte. Dans la même veine, je conclus que les documents dont Makivik sollicite la production ne sont pas pertinents quant à la présente instance. Rien n’indique qu’ils permettraient de mieux comprendre le processus décisionnel de la ministre dans ces circonstances. Les parties caviardées des documents ne me seraient pas utiles dans le cadre de mes délibérations, eu égard à l’état des documents produits par les parties et à la façon dont l’instance a évolué.

[71]  En conséquence, la requête de Makivik est rejetée. Les objections de la PG du Canada au sujet de la pertinence des pièces CE-4, CE-5 et CE-6 sont accueillies et ces pièces seront radiées du dossier de la Cour.

IV.  Questions en litige

[72]  Makivik a soulevé les questions suivantes à trancher :

  • a) Lorsqu’elle a rendu sa décision, la ministre avait-elle compétence pour modifier les limites non quantitatives que les Conseils avaient établies dans leur décision finale?

  • b) Subsidiairement, si la réponse à la question qui précède est positive, la décision de la ministre d’exiger la récolte sélective en fonction du sexe et de modifier d’autres limites non quantitatives fixées par les Conseils était-elle correcte ou raisonnable?

  • c) Était-il correct ou raisonnable de la part de la ministre de tenir compte des politiques du commerce international ou des questions liées à la CITES pour en arriver à sa décision?

  • d) Était-il correct ou raisonnable de la part de la ministre de tenir compte de l’accord volontaire de 2014 pour en arriver à sa décision?

  • e) Était-il correct ou raisonnable de la part de la ministre de faire reposer tout le poids de ses préoccupations en matière de conservation sur les épaules des Inuits du Nunavik?

  • f) La ministre a-t-elle agi de manière raisonnable ou de manière correcte en droit en n’offrant pas au CGRFRMN la possibilité de répondre à ses préoccupations concernant la méthodologie et les résultats de son étude du savoir traditionnel inuit avant d’en arriver à sa décision?

  • g) La ministre a-t-elle agi de manière raisonnable ou de manière correcte en droit en ne sollicitant pas de renseignements supplémentaires au sujet de la méthodologie et des résultats de l’étude du savoir traditionnel inuit avant d’en arriver à sa décision?

  • h) La ministre a-t-elle omis de tenir pleinement compte de l’intégration des connaissances des Inuits du Nunavik sur la faune et son habitat aux renseignements apportés par la recherche scientifique afin d’en arriver à sa décision?

  • i) La ministre a-t-elle agi de manière raisonnable ou de manière correcte en droit lorsqu’elle a utilisé une « approche de gestion prudente » comme justification pour restreindre la récolte des Inuits du Nunavik afin d’en arriver à sa décision?

  • j) La ministre a-t-elle préjugé la question ou entravé son pouvoir discrétionnaire en adoptant la position selon laquelle la récolte totale de la population d’ours blancs du SBH devrait être « défendable selon les critères de la CITES »?

[73]  Dans ses observations écrites, le CGRFRMN a soulevé les questions suivantes :

  • a) La ministre a-t-elle omis de suivre la procédure établie dans l’ARTIN en ne soulevant pas en temps opportun ses préoccupations au sujet de la méthodologie et des résultats de l’étude du savoir traditionnel inuit et, par le fait même, en ne donnant pas au CGRFRMN la possibilité d’y répondre? Dans l’affirmative, cette omission rend-elle la décision de la ministre incorrecte ou illégale?

  • b) La ministre a-t-elle omis de faire montre de la retenue appropriée à l’égard des principes et des objectifs de l’ARTIN? Dans l’affirmative, cette omission rend-elle la décision de la ministre incorrecte ou illégale?

  • c) La ministre a-t-elle omis de faire montre de la retenue appropriée à l’égard de la décision finale du CGRFRMN? Dans l’affirmative, cette omission rend-elle la décision de la ministre incorrecte ou illégale?

[74]  Pour sa part, NTI a obtenu de la Cour l’autorisation d’intervenir relativement à deux des questions en litige soulevées par Makivik, soit 1) que la ministre n’a pas commis d’erreur en tenant compte de l’accord volontaire de 2014 sur les quotas d’ours blanc et 2) que la ministre n’a pas favorisé de manière « injuste et inéquitable » les intérêts des Inuits du Nunavut au détriment de ceux des Inuits du Nunavik. NTI ne prend pas position au sujet des autres questions soulevées par Makivik dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[75]  J’analyserai les questions de la façon dont Makivik les a présentées, parce que les autres questions formulées par le CGRFRMN sont englobées dans celles qu’a soulevées Makivik. Dans la plupart des cas, les parties ont également exposé leurs arguments respectifs de la façon qu’a choisie Makivik.

A.  L’argument du caractère théorique

[76]  Comme je l’explique aux paragraphes 20 à 23, le PG du Nunavut a demandé à la Cour de refuser d’examiner la présente demande, étant donné qu’à son avis, les questions en litige sont théoriques. Subsidiairement, si je n’estime pas que la demande est théorique, le PG du Nunavut m’a demandé d’exercer le pouvoir discrétionnaire de la Cour de façon à refuser de prononcer un jugement déclaratoire.

[77]  Aucune des parties ne s’est attardée à l’argument du caractère théorique de l’affaire. Les parties ont plutôt présenté des observations écrites dans lesquelles elles affirment qu’elles souscrivent, ou ne souscrivent pas, à la décision de la ministre. Le PG du Nunavut soutient que Makivik demande simplement aujourd’hui à la Cour de répondre à des questions concernant la mise en œuvre de l’ARTIN. Selon les commentaires formulés dans l’arrêt Borowski, « [o]n ne demande pas une réponse à une question théorique, mais une réponse à une question différente, à une question abstraite ».

[78]  Le PG du Nunavut soutient donc que la présente demande de contrôle judiciaire ne concerne plus la récolte d’ours blancs de la sous-population du SBH, parce que la réparation sollicitée par Makivik s’applique à [TRADUCTION] « toute espèce récoltée par les Inuits du Nunavik ».

[79]  Je ne suis pas convaincu du bien-fondé de l’argument du PG du Nunavut. J’estime qu’une controverse subsiste quant à la façon dont le processus décisionnel prévu dans l’ARTIN doit se dérouler. L’analyse des arguments par la Cour permettra peut-être aux parties de mieux comprendre la façon dont le processus s’est déroulé en l’espèce et pourrait les guider quant au processus décisionnel à suivre à l’avenir. À la lumière des critères énoncés dans l’arrêt Pro‑West Transport Ltd. c Canada (Procureur général), 2007 CAF 206, la Cour exercera son pouvoir discrétionnaire d’instruire la présente affaire.

V.  La norme de contrôle

[80]  Avant d’examiner les questions en litige formulées par Makivik, je dois déterminer la norme de contrôle à appliquer. Les parties ne s’entendent pas sur cette norme et leurs observations sont résumées ci-dessous.

A.  La demanderesse

[81]  Makivik reconnaît que la Cour suprême du Canada n’a pas examiné directement la question de la norme de contrôle à appliquer aux décisions prises en application ou au titre des traités modernes.

[82]  Makivik invoque l’arrêt Nacho Nyak Dun, notamment le paragraphe 35, pour soutenir que l’obligation de retenue ne s’applique qu’au libellé du traité lui-même, laissant ainsi entendre que la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Elle ajoute qu’aucune des caractéristiques de la décision raisonnable n’est présente dans le processus décisionnel énoncé dans l’ARTIN. Ainsi, elle affirme qu’il n’y a aucune clause privative que la ministre peut invoquer, que l’ARTIN n’est pas la loi habilitante de la ministre, que celle-ci ne possède aucune compétence spécialisée particulière ou, du moins, une compétence supérieure à celle des Inuits du Nunavik, et que la majorité des questions ne sont pas des questions de fait concernant la conservation, mais plutôt des questions de droit portant sur l’interprétation à donner à l’ARTIN.

[83]  Makivik ajoute que, suivant les explications qu’a données la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 30 [Dunsmuir], il est nécessaire d’établir un juste équilibre entre la primauté du droit et l’intention du législateur. Dans la présente affaire, soutient-elle, il n’y a pas d’intention du législateur à examiner, de sorte que seul le libellé du traité est important. Cet argument donne également à penser que la norme de la décision correcte s’applique.

[84]  Enfin, Makivik soutient que la décision Kadlak c Nunavut (Minister of Sustainable Development), [2001] 6 WWR 276 [Kadlak], établit que la norme de contrôle est celle de la décision correcte et que, par conséquent, la Cour peut se fonder sur les principes exposés dans cette décision pour appliquer cette norme.

B.  Le défendeur, le CGRFRMN

[85]  Le CGRFRMN n’a présenté aucune observation au sujet de la norme de contrôle.

C.  Le défendeur GCC

[86]  Le GCC soutient la position de Makivik selon laquelle la norme de contrôle est celle de la décision correcte, car le contenu du traité lui-même appuie la retenue à l’égard de son libellé. Il invoque également l’arrêt Nacho Nyak Dun pour affirmer que la ministre devait faire preuve de retenue à l’endroit du CGRFRMN en raison des connaissances ou compétences spécialisées de celui-ci, de sorte qu’elle ne peut que proposer des modifications partielles ou mineures sans modifier la nature fondamentale des décisions.

D.  L’intervenant, le PG du Nunavut

[87]  Le PG du Nunavut soutient qu’aucune décision judiciaire n’établit la norme de contrôle applicable dans les circonstances et que, par conséquent, la Cour doit mener l’analyse décrite dans l’arrêt Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 RCS 982, au par. 29 [Pushpanathan]. Il ajoute qu’il n’est pas nécessaire de déterminer la norme de contrôle appicable si la demande de jugement déclaratoire est rejetée.

E.  La défenderesse, la PG du Canada

[88]  Invoquant l’arrêt Dunsmuir, au par. 30, et l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, au par. 39, la PG du Canada soutient que la norme de la décision raisonnable est réputée être la norme de contrôle applicable. La PG du Canada se fonde également sur la décision Nunatsiavut c Canada (Procureur général), 2015 CF 492 [Nunatsiavut], pour affirmer que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

F.  L’intervenante, NTI

[89]  NTI fait valoir que la norme de contrôle varie en fonction de la nature de la question en litige. À son avis, en ce qui a trait à l’interprétation du traité, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, étant donné que le traité n’est pas la loi habilitante de la ministre; NTI ajoute que la norme de la décision correcte s’applique au contrôle de la décision relative à la question de savoir si l’accord volontaire de 2014 va à l’encontre du traité, que celle de la décision raisonnable s’applique à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la ministre en application du traité et que, en ce qui concerne la détermination du caractère équitable de la PTA, cette question ne porte pas sur l’interprétation du traité, de sorte que la norme de contrôle qui s’y applique est celle de la décision raisonnable.

G.  Analyse

[90]  Je reconnais qu’il n’y a aucune norme de contrôle bien établie à l’égard de la présente affaire qui, comme l’affirme Makivik, ne concerne pas l’obligation de consulter, mais plutôt la mise en œuvre d’un traité moderne. Je souligne également que les arrêts Nacho Nyuk Dun, Beckman c Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53 [Little Salmon], et Nunatsiavut, que les parties ont invoqués, portaient tous sur l’obligation de consulter découlant d’un traité moderne. Cependant, comme je l’ai mentionné, ces arrêts ont une portée limitée, puisque Makivik a affirmé clairement que la présente affaire ne concerne pas l’obligation de consulter. Je dois donc procéder à une analyse de la norme de contrôle applicable.

[91]  Dans les arrêts Pushpanathan ou Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique en détail que quatre facteurs doivent être pris en compte aux fins de la détermination de la norme de contrôle applicable. Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême s’est exprimée comme suit, au par. 64 :

L’analyse doit être contextuelle. Nous rappelons que son issue dépend de l’application d’un certain nombre de facteurs pertinents, dont (1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, (2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante, (3)  la nature de la question en cause et (4) l’expertise du tribunal administratif. Dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux, peuvent, dans une affaire donnée, déterminer l’application de la norme de la décision raisonnable.

[92]  De plus, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa [2009] 1 RCS 339 [Khosa], le juge Binnie, qui s’exprimait au nom de la majorité, a également formulé les remarques suivantes au par. 376 :

Il faut considérer ces facteurs globalement, en gardant à l’esprit qu’ils ne seront pas nécessairement tous pertinents dans tous les cas. Une démarche contextuelle s’impose. Les facteurs ne doivent pas être considérés comme des critères inscrits sur une liste de vérification qui doivent être analysés un par un, classés et appréciés dans chaque cas pour déterminer si la déférence s’impose ou non. L’évaluation doit être globale. Toutefois, compte tenu des arguments qui nous ont été présentés, je me propose de commenter chacun des différents facteurs relevés dans Dunsmuir qui, à mon avis, font tous ressortir la norme de raisonnabilité.

[93]  À mon avis, les passages précités signifient qu’aucun facteur n’est déterminant à lui seul. Comme c’était le cas dans l’arrêt Khosa, il est nécessaire en l’espèce de commenter chaque facteur.

[94]  En ce qui concerne l’existence d’une clause privative, aucune clause de cette nature n’existe dans l’ARTIN. En fait, cet accord prévoit explicitement que toute décision du ministre peut être contestée par voie de contrôle judiciaire. Je dois donc examiner les autres facteurs.

[95]  Le deuxième facteur est la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante (ou du traité moderne en l’espèce). Dans l’arrêt Dunsmuir, au par. 54, les explications suivantes sont données au sujet de la déférence qui s’impose :

Lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat, et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est normalement de mise […] Elle peut également s’imposer lorsque le tribunal administratif a acquis une expertise dans l’application d’une règle générale de common law ou de droit civil dans son domaine spécialisé […]

[Non souligné dans l’original.]

[96]  Dans la présente affaire, nous ne sommes pas en présence d’une loi, mais plutôt d’un traité moderne. Ce traité, ou du moins bon nombre de ses dispositions, comme celles du chapitre 5, est (ou sont) étroitement lié(es) au mandat de la ministre, qui concerne principalement la conservation. Suivant l’alinéa 5.1.2j), « [l]e gouvernement demeure responsable de la gestion des ressources fauniques et convient d’exercer cette responsabilité dans la RMN conformément aux dispositions du présent chapitre ».

[97]  Les observations des parties sur les principes applicables en matière d’interprétation des traités sont également utiles. Bien que les parties y renvoient aux décisions concernant l’obligation de consulter, ces observations sont pertinentes en ce qui a trait au principe de la retenue dont la Cour devrait faire preuve. Ainsi que l’a expliqué le juge Binnie dans l’arrêt Little Salmon, au par. 54 :

La différence entre le traité PNLSC et le Traité no 8 ne tient pas uniquement au fait que le premier est un « traité récent global » tandis que le second a été conclu il y a plus d’un siècle. Le traité récent d’aujourd’hui deviendra le traité historique de demain. La distinction réside plutôt dans la précision et la complexité relatives du document récent. Lorsque des parties bénéficiant de ressources suffisantes et de l’aide de professionnels ont tenté de mettre de l’ordre dans leurs propres affaires et ont donné forme à l’obligation de consulter en incorporant dans un traité la procédure de consultation, il convient d’encourager leurs efforts et, sous réserve des limitations constitutionnelles comme le principe de l’honneur de la Couronne, la Cour devrait essayer de respecter le fruit de leur travail : Québec (Procureur général) c. Moses, [2010] 1 R.C.S. 557.

[98]  À mon avis, le principe de la retenue judiciaire donne à penser qu’il faut faire montre de déférence à l’égard du libellé du traité, à moins qu’il n’y ait une raison de s’éloigner de ce libellé, comme l’a fait remarquer le juge Binnie dans l’arrêt Little Salmon.

[99]  Qui plus est, la Cour suprême du Canada a exprimé l’avis suivant dans l’arrêt Pushpanathan, au par. 36 :

[…] Certes, la procédure des tribunaux judiciaires repose fondamentalement sur l’opposition bipolaire des parties, des intérêts et sur l’établissement des faits, mais certains problèmes exigent la prise en compte de nombreux intérêts simultanément et l’adoption de solutions de nature à assurer en même temps un équilibre entre les coûts et les bénéfices pour de nombreuses parties distinctes. Quand un régime administratif ressemble davantage à ce modèle, les cours de justice feront preuve de retenue. Le principe de polycentricité est utile lorsqu’il s’agit de saisir la diversité des critères élaborés sous la rubrique de l’« objet de la loi ».

[100]  Je suis d’avis que le régime créé par l’ARTIN est un régime polycentrique de cette nature qui requiert la prise en compte de différents intérêts afin de promouvoir la conservation, et exige également qu’une attention spéciale soit accordée aux intérêts des Inuits du Nunavik. L’approche de collaboration qui sous-tend l’ARTIN, comme le montrent les processus qu’ont suivis les Conseils et la ministre, montre que différents intérêts et différents types de renseignements ont été pris en compte. Cela étant dit, la présente demande concerne uniquement la décision de la ministre. À la lumière de la démarche globale, il y a lieu d’appliquer une norme de déférence à l’égard du processus décisionnel de la ministre.

[101]  Le troisième facteur est « la nature de la question en cause » : s’agit‑il d’une question de droit ou de fait? Dans l’arrêt Pushpanathan, la Cour suprême du Canada s’est exprimée comme suit, au par. 37 :

Il n’y a pas de démarcation nette entre les questions de droit et les questions de fait et, de toute façon, nombre de décisions ont trait à des questions mixtes de droit et de fait. Le juge Iacobucci a énoncé un critère décisif pertinent dans l’arrêt Southam, précité, au par. 37 :

Il va de soi qu’il n’est pas facile de dire avec précision où doit être tracée la ligne de démarcation; quoique, dans la plupart des cas, la situation soit suffisamment claire pour permettre de déterminer si le litige porte sur une proposition générale qui peut être qualifiée de principe de droit ou sur un ensemble très particulier de circonstances qui n’est pas susceptible de présenter beaucoup d’intérêt pour les juges et les avocats dans l’avenir.

[102]  À cet égard, le processus exposé dans l’ARTIN est un processus de collaboration qui vise à établir des faits clés afin de déterminer une approche appropriée en matière de gestion des ressources fauniques. À mon avis, à sa face même, la mission des Conseils et de la ministre en est une de recherche des faits. C’est d’ailleurs ce que confirme le dossier. Le processus décisionnel énoncé dans l’ARTIN favorise la déférence.

[103]  Quant au dernier facteur, l’expertise, je souligne que l’intention de l’ARTIN et du processus décisionnel axé sur la collaboration est d’intégrer le STI aux connaissances ou à l’expertise scientifiques de la ministre en ce qui concerne la gestion des ressources fauniques. De plus, les parties ont négocié un traité exhaustif qui prévoit également, à l’alinéa 5.1.2j), que « le gouvernement demeure responsable de la gestion des ressources fauniques » et la ministre convient d’exercer cette responsabilité conformément aux dispositions du chapitre 5.

[104]  La Cour n’a été saisie d’aucun élément de preuve pouvant l’aider à déterminer l’intention des parties en ce qui concerne l’alinéa 5.1.2j). Je me dois donc de passer en revue le libellé de l’ARTIN lui-même. À mon avis, dans leur ensemble, les dispositions de cet accord favorisent une interprétation selon laquelle les parties ont reconnu que la ministre, les représentants d’ECCC et le personnel possèdent une certaine expertise. L’inclusion de l’alinéa 5.1.2j) semble traduire en soi cette réalité.

[105]  Un examen semblable du libellé d’un traité moderne a été fait dans l’arrêt Nunatsiavut, bien que dans le contexte d’une obligation de consulter, au par. 116 :

Par exemple, un traité moderne peut, de par son libellé, préciser la totalité ou certains aspects de la consultation exigée, notamment la participation à un processus d’évaluation environnementale déterminée. Si la Couronne ne se conforme pas à ces exigences en matière de consultation en n’y participant pas, elle manque à son obligation de consulter et elle n’a évidemment pas établi et mis en œuvre un processus adéquat de consultation. Le fait d’agir selon ces paramètres constituerait une erreur de droit. Toutefois, si la Couronne a correctement établi les paramètres légaux applicables, le caractère adéquat du processus de consultation sera assujetti à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[106]  En conséquence, la mesure dans laquelle la ministre a suivi le processus décisionnel énoncé dans l’ARTIN sera examinée au regard de la norme de la décision correcte. Dans ce contexte, la question pourra être formulée comme celle de savoir si la ministre a exercé correctement sa compétence, question à laquelle Makivik répond par la négative. Les contestations relatives à la compétence sont tranchées suivant la norme de la décision correcte (Dunsmuir, au par. 59; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, aux par. 18 et 24).

[107]  La décision de la ministre dans son ensemble sera révisée suivant la norme de la décision raisonnable. Selon cette norme, la Cour se préoccupe principalement de « la justification de la décision, [de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : arrêt Dunsmuir, au par. 47.

[108]  L’application de la norme de la décision raisonnable trouve également appui dans le passage suivant de l’arrêt Nacho Nyak Dun, au par. 60 :

Une gestion étroite par les tribunaux de la mise en œuvre des traités modernes peut nuire au véritable dialogue et à la relation à long terme que ces traités doivent favoriser. En faisant preuve de retenue, les tribunaux laissent les parties arriver à une entente sur un processus — en fait, elles vont se réconcilier — sans que les tribunaux interviennent dans le processus au‑delà de ce qui est nécessaire pour régler le différend en cause.

[109]  Les parties ont reconnu que le processus décisionnel prévu dans l’ARTIN n’a jamais été suivi auparavant. L’ARTIN prévoit la collaboration entre les Conseils et leurs conseillers techniques, d’une part, et la ministre et ses conseillers techniques, d’autre part. Ce processus est clair et n’est pas contesté. Ce qui est contesté, c’est le résultat final de ce processus qui comportait une évaluation des renseignements en cause ainsi que l’appréciation ou la mise en balance des renseignements ayant mené à la décision de la ministre.

VI.  Arguments des parties et analyse

A.  La ministre avait-elle compétence pour modifier les limites non quantitatives que les Conseils avaient établies dans leur décision finale?

B.  Subsidiairement, si la réponse à la question qui précède est positive, la décision de la ministre d’exiger la récolte sélective en fonction du sexe et de modifier d’autres limites non quantitatives fixées par les Conseils était-elle correcte ou raisonnable?

1)  La position de la demanderesse

[110]  Makivik soutient d’abord qu’aux termes de l’article 5.3.1 de l’ARTIN, aucune restriction ne peut être imposée à l’égard des droits de chasse des Inuits du Nunavik à moins que les conditions du traité ne soient respectées.

[111]  Makivik affirme que la ministre n’avait pas compétence pour modifier les limites non quantitatives que les Conseils avaient fixées dans leur décision finale. Selon Makivik, la ministre aurait dû rendre une décision dans le cadre d’un processus détaillé établi par l’ARTIN, notamment aux articles 5.5.7 à 5.5.12. De l’avis de Makivik, la ministre n’a pas donné aux Conseils la possibilité d’examiner ses préoccupations concernant les limites non quantitatives mentionnées dans la décision initiale des Conseils et d’y répondre. Makivik fait donc valoir que la ministre n’avait pas compétence pour modifier la décision au titre de l’article 5.5.12, car aucune discussion n’a eu lieu suivant les articles 5.5.8 et 5.5.11 (The First Nation of Nacho Nyak Dun c Yukon, 2015 YKCA 18, au par. 151). Selon Makivik, il n’y a pas lieu de tolérer de telles omissions de la part de la ministre, car le « rôle central » que jouent les Conseils à titre de principal mécanisme de gestion des ressources fauniques dans la RMN, suivant la description qui figure à l’article 5.2.3 de l’ARTIN (Nacho Nyak Dun, au par. 48), serait menacé.

[112]  Toutefois, Makivik reconnaît que les représentants d’ECCC ont soulevé leurs préoccupations au sujet de quelques-unes des limites non quantitatives fixées par les Conseils. Makivik explique que la ministre ne peut soulever des préoccupations après la décision finale des Conseils sans mener la moindre consultation, car cette démarche va à l’encontre du traité moderne négocié entre les parties. Selon Makivik, cette erreur de procédure constitue un « manquement à l’honneur de la Couronne », malgré le fait qu’elle n’aurait pas changé le résultat au final (Corporation Makivik c Québec (Procureure générale), 2014 QCCA 1455, au par. 78). Le 22 juillet 2016, les Conseils ont répondu à la lettre d’ECCC et ont écrit qu’aucun échange n’avait eu lieu conformément au préambule et aux dispositions de l’ARTIN.

[113]  Si je conclus que la ministre avait compétence pour modifier la décision des Conseils, Makivik soutient que la décision de la ministre est incorrecte ou n’est pas raisonnable. Bien que Makivik s’oppose à l’ensemble de la décision, elle a choisi de formuler des observations uniquement en ce qui a trait à la décision de la ministre d’imposer une récolte sélective en fonction du sexe, par souci de concision. Makivik soutient que la réponse de la ministre de respecter le taux de prélèvement de 4,5 % fixé pour la récolte d’ours blancs [traduction] « va à l’encontre des traditions et des valeurs des Inuits ». Makivik soutient que, ainsi que le reconnaît l’alinéa 5.1.2c) de l’ARTIN, les Inuits du Nunavik ont acquis une connaissance et une compréhension particulières de la région et de ses ressources.

2)  Les positions des défendeurs

[114]  Le CGRFRMN et le GCC reprochent tous les deux à la ministre de ne pas avoir fait montre de retenue à l’égard de la décision des Conseils, puisqu’elle a ignoré les limites non quantitatives fixées par ceux‑ci et a établi ses propres limites. L’un comme l’autre font valoir que la ministre a mal exercé son pouvoir de modifier la décision finale des Conseils, étant donné qu’elle ne peut qu’accepter, modifier ou rejeter une limite non quantitative précédemment fixée par le CGRFRMN. Les défendeurs ajoutent que la ministre n’a pas tenu compte du mandat du CGRFRMN qui découle de l’ARTIN, lequel est un traité moderne visant « à renouveler la relation entre les peuples autochtones et la Couronne afin qu’ils soient des partenaires égaux » (Nacho Nyak Dun, au par. 33). Le GCC estime quant à lui que la ministre n’a pas « 1) adopt[é] une approche libérale et téléologique dans l’interprétation de la promesse » et 2) n’a pas « ag[i] avec diligence pour s’acquitter de la promesse » (Manitoba Metis Federation Inc. c Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, au par. 75).

[115]  Pour sa part, la PG du Canada soutient que la ministre n’a pas commis d’erreur en rejetant l’ensemble de la décision initiale des Conseils. De l’avis de la PG du Canada, l’ARTIN permet à la ministre d’accepter ou de rejeter la décision des Conseils. La ministre a examiné les limites non quantitatives fixées par les Conseils et n’en a rejeté ou modifié que quatre, étant donné que les Conseils n’avaient pas compétence, en vertu de l’ARTIN, pour établir des limites de cette nature. La PG du Canada ajoute que la ministre a agi de manière raisonnable en imposant une récolte sélective en fonction du sexe et a expliqué correctement dans la décision les raisons pour lesquelles il était nécessaire de respecter le taux de prélèvement de 4,5 % fixé pour la récolte d’ours blancs, eu égard aux données scientifiques dont elle était saisie. Selon la PG du Canada, le fait de limiter la chasse à l’ours blanc à une récolte sélective en fonction du sexe n’empêcherait pas les Inuits du Nunavik d’exercer leurs droits de récolte. En tout état de cause, la PG du Canada affirme que la ministre n’a pas imposé une récolte sélective en fonction du sexe, mais a plutôt recommandé aux Conseils de réexaminer cette question au cours des prochaines saisons de récolte.

3)  Analyse

a)  Compétence

[116]  A la lumière des arguments invoqués par la PG du Canada, je conclus que la ministre avait compétence pour modifier les limites non quantitatives que les Conseils avaient fixées dans leur décision finale.

[117]  Le recours par Makivik à l’arrêt Nacho Nyuk Dun, lequel concernait un processus décisionnel similaire énoncé dans un traité, n’est pas convaincant. Dans cette affaire-là, la Cour suprême du Canada a conclu qu’[traduction] « un pouvoir absolu [du Yukon] de modifier la version définitive du plan recommandé priverait ce processus de tout son sens, puisque le Yukon aurait toute la latitude voulue pour réécrire le plan en bout de ligne » (au par. 48). Je ne considère pas la démarche suivie par la ministre comme l’exercice d’un pouvoir absolu. L’ARTIN précise ce que la ministre pouvait ou ne pouvait pas faire aux articles 5.5.7 à 5.5.11, dont voici le texte :

5.5.7 Après avoir pris une décision, le CGRFRMN la transmet au ministre. Toutefois, le CGRFRMN ne la communique pas au public.

5.5.8 Dans les 60 jours suivant la réception, conformément à l’article 5.5.7, d’une décision du CGRFRMN, ou dans le délai additionnel dont il convient avec celui-ci, le ministre, selon le cas :

a)   accepte la décision et en avise le CGRFRMN par écrit;

b)   rejette la décision et communique par écrit les motifs du rejet au CGRFRMN.

5.5.9 Le ministre est réputé avoir accepté la décision du CGRFRMN dans les cas suivants :

a)   il en a avisé le CGRFRMN par écrit;

b)   il n’a pas rejeté la décision dans le délai imparti et de la manière prévue à l’article 5.5.8.

5.5.10   Lorsqu’il est réputé, conformément à l’article 5.5.9, avoir accepté une décision du CGRFRMN, le ministre prend sans délai toutes les mesures nécessaires à la mise en œuvre de cette décision.

5.5.11   Si le ministre rejette une décision du CGRFRMN, conformément à l’article 5.5.8, le CGRFRMN réexamine sa décision à la lumière des motifs écrits fournis par le ministre et il prend sa décision finale, qu’il transmet au ministre. Le CGRFRMN peut communiquer cette décision finale au public.

[118]  La ministre a suivi ce processus, lequel ne précise aucune mesure additionnelle qu’elle devait prendre dans le cadre de l’examen des décisions du CGRFRMN pour en arriver à ses propres décisions.

[119]  Makivik a soutenu que, lorsque le sous‑ministre a rejeté la décision initiale, ECCC n’a pas contesté les limites non quantitatives fixées par les Conseils; or, la ministre a modifié dans sa décision finale cet aspect de la décision finale des Conseils. C’est ce vide entre la réponse du sous‑ministre et la décision de la ministre qui, de l’avis de Makivik, conduit à un défaut de compétence.

[120]  La PG du Canada a répondu que la ministre avait le pouvoir de modifier les limites non quantitatives et qu’elle n’était pas tenue de fournir des motifs détaillés au soutien du rejet de la décision initiale des Conseils. Elle a ajouté que, en tout état de cause, la ministre a communiqué, par l’entremise des représentants d’ECCC, ses préoccupations au sujet des limites non quantitatives.

[121]  Au cours des plaidoiries de vive voix, le PG du Nunavut a souligné que, dans l’avis d’assemblée publique joint à l’affidavit de M. Gilbert, il était question uniquement de la PTA. Selon l’avis, [traduction] « [d]e nouvelles audiences seront tenues pour examiner les récoltes des sous‑populations du bassin Foxe et du détroit de Davis, ainsi que tous les règlements hors quota applicables à la récolte d’ours blancs ». Cependant, la décision des Conseils n’est pas contestée. L’avis et la décision subséquente du Conseil traduisent la [traduction] « nouveauté » de la démarche dans laquelle les parties s’engageaient. En conséquence, je ne tiendrai pas compte de ce facteur.

[122]  La démarche entreprise par les Conseils et la ministre aurait certainement pu être améliorée. Tel qu’il est mentionné plus haut, le processus énoncé aux articles 5.5.7 à 5.5.11 ne précise pas les exigences que la ministre doit respecter pour en arriver à une décision dans le cadre de l’examen d’une décision du CGRFRMN. Hormis l’obligation de communiquer les motifs, les dispositions précitées ne sont guère éclairantes.

[123]  Je souligne à titre d’observation générale que le CGRFRMN compte parmi ses membres tant des représentants de Makivik que des représentants du gouvernement, et il est surprenant de voir que ce n’est que maintenant que les parties formulent des observations au sujet des lacunes qui auraient entaché les communications échangées tout au long du processus décisionnel. Pourtant, rien n’indique que cet argument a été soulevé par les membres du CGRFRMN ou par les représentants techniques dont les parties sont autorisées à retenir les services. Je ne suis saisi d’aucun élément de preuve indiquant que des discussions ont eu lieu sur ce point entre les membres du CGRFRMN ou entre les représentants techniques. Il appert plutôt des paragraphes 71 à 74 de l’affidavit de Mme Breton‑Honeyman que la ministre n’envoyait pas toujours un représentant technique aux réunions et que, si un représentant technique était présent, soit il ne connaissait pas bien l’ARTIN, soit il n’a exprimé aucune préoccupation au sujet des processus ou d’autres questions. La PG du Canada n’a pas nié cette réalité.

[124]  Néanmoins, même si cette première démarche n’était pas idéale, je suis d’avis que la ministre a suivi le processus décisionnel énoncé dans l’ARTIN. En d’autres termes, l’ARTIN ne renferme aucune restriction précise quant au pouvoir de la ministre de modifier des limites non quantitatives, ou quant à la compétence dont elle était investie à cette fin.

b)  La décision était‑elle raisonnable?

[125]  En ce qui a trait à la question de savoir si la ministre a rendu une décision raisonnable au sujet des limites non quantitatives, il faut à nouveau consulter le libellé de l’ARTIN. Le pouvoir des Conseils de fixer des limites non quantitatives en vertu de l’article 5.2.19 n’est pas absolu. La décision des Conseils est assujettie aux dispositions du chapitre 5, qui exigent la prise en compte du pouvoir ultime de la ministre sur les questions relatives aux ressources fauniques et le respect des principes de conservation énoncés aux articles 5.1.2 et 5.1.3.

[126]  En plus du libellé de l’ARTIN, il est important d’examiner les interactions entre les signataires du traité. Il ne s’agit pas d’un document légal habituel, mais plutôt d’un traité protégé par la Constitution. En conséquence, il est impératif d’examiner la conduite de la ministre sous cet angle, eu égard également au principe de l’honneur de la Couronne.

[127]  Compte tenu de ces principes, je suis convaincu que Makivik a raison d’affirmer que le vide entre la réponse du sous‑ministre et la décision de la ministre ou entre la conduite du personnel d’ECCC et celle du CGRFRMN rend la décision de la ministre déraisonnable en ce qui concerne les limites non quantitatives.

[128]  Comme je l’ai déjà souligné, je n’ai été saisi d’aucun élément de preuve indiquant que des discussions ont eu lieu entre les membres du CGRFRMN ou entre les représentants techniques. Si des discussions de cette nature avaient eu lieu et que des éléments de preuve en ce sens avaient été présentés en l’espèce, ma conclusion aurait peut‑être été différente.

[129]  En conséquence, je conclus que la ministre avait compétence pour modifier les limites non quantitatives, mais que cette compétence n’a pas été exercée de manière raisonnable.

C.  Était‑il correct ou raisonnable de la part de la ministre de tenir compte de la politique du commerce international ou des questions liées à la CITES pour en arriver à sa décision?

1)  Position de la demanderesse

[130]  Makivik soutient que la ministre n’avait pas le pouvoir de tenir compte de la CITES pour en arriver à sa décision. Dans ses observations écrites, elle a fait valoir devant la Cour que la décision de la ministre était déraisonnable à cet égard, pour les raisons suivantes :

  • a) la CITES n’impose aucune obligation juridique au Canada en ce qui concerne le niveau de la récole d’ours blancs, […];

  • b) la CITES n’est pas une [TRADUCTION] « entente internationale » qui doit être prise en compte aux termes de l’article 5.5.4.1;

  • c) l’intérêt économique des Inuits lié à la nécessité d’éviter une interdiction de commerce est beaucoup moins important que leur intérêt culturel relatif au maintien d’un niveau approprié d’activité de chasse.

[131]  Dans la note de service du 21 septembre 2016 qu’ils ont fait parvenir à la ministre, les représentants d’ECCC ont soulevé des préoccupations liées à la conservation et à la récolte durable en ce qui a trait à l’importance des parties d’ours blanc pour les intérêts économiques des Inuits du Nunavik. Cependant, Makivik soutient que [traduction] « la chasse à l’ours blanc [par les Inuits] ne vise pas un gain commercial ». M. Alaku fournit les explications suivantes aux paragraphes 25 et 26 de son affidavit :

[TRADUCTION]
Je dois souligner, toutefois, que la vente des peaux ne constitue pas le principal facteur qui incite les Inuits du Nunavik à chasser l’ours blanc. Si le commerce international des peaux d’ours blanc était interdit demain et que le marché de ces peaux cessait d’exister, les Inuits continueraient à chasser l’ours blanc, comme ils le faisaient bien avant la naissance de ce marché.

C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas accepter de restrictions qui sont motivées par des considérations liées au commerce international. Nous ne chassons pas l’ours blanc dans un but lucratif; bien que la vente de peaux puisse donner lieu à un avantage inattendu important pour certains chasseurs, la chasse à l’ours blanc représente d’abord et avant tout une forme de communion avec notre environnement.

[132]  Makivik reproche à la ministre d’avoir commis une erreur en soulignant que l’interdiction du commerce de l’ours blanc aux termes de la CITES toucherait les taux de récolte des Inuits. Selon Makivik, [traduction] « les deux concepts sont indépendants l’un de l’autre sur le plan juridique ».

2)  Les positions des défendeurs

[133]  La PG du Canada soutient que la décision de la ministre est raisonnable et qu’elle ne renvoie nullement à la politique du commerce international ou à la CITES. À son avis, la décision de la ministre de modifier la PTA était fondée uniquement sur des préoccupations liées à la conservation, de sorte que l’argument de Makivik est théorique. Dans la lettre de recommandation qu’ils ont envoyée à la ministre, les représentants d’ECCC n’ont évoqué des questions liées à la CITES et au commerce international qu’à titre de source additionnelle de renseignements au sujet des principes de conservation, ainsi que l’exige l’ARTIN.

[134]  La PG du Canada ajoute que la ministre n’a pas commis d’erreur en tenant compte de questions liées à la CITES, car cette convention ne contredit pas les principes établis dans l’ARTIN. Il faut savoir les ours blancs sont mentionnés à l’annexe II de la CITES et que l’alinéa 2a) de cette convention prévoit que cette annexe comprend « toutes les espèces qui, bien que n’étant pas nécessairement menacées actuellement d’extinction, pourraient le devenir si le commerce des spécimens de ces espèces n’était pas soumis à une réglementation stricte ayant pour but d’éviter une exploitation incompatible avec leur survie ». Invoquant l’article 5.1.2 de l’ARTIN, la PG du Canada fait valoir que [traduction] « le système de gestion des ressources fauniques et l’exercice des droits de récolte des Inuits du Nunavik sont régis par les principes de la conservation ». La PG du Canada affirme donc que tant l’ARTIN que la CITES visent à respecter les principes de conservation afin de protéger les ours blancs.

[135]  Citant l’article 5.1.3 de l’ARTIN, la PG du Canada rappelle à Makivik que cet accord a pour but de favoriser les intérêts « économiques, sociaux et culturels à long terme » des Inuits du Nunavik [soulignement ajouté par la PG du Canada]. La CITES est donc une entente internationale dont la ministre a raisonnablement tenu compte pour en arriver à sa décision.

3)  Analyse

[136]  Je reconnais l’argument de Makivik selon lequel la profonde importance culturelle que revêt la chasse à l’ours blanc constitue le facteur le plus important pour les Inuits et que la ministre aurait dû accorder plus de poids à ce facteur qu’à toute menace d’interdiction de commerce. Selon Makivik, la ministre a accordé trop d’importance à l’intérêt économique des Inuits lié à la nécessité d’éviter une interdiction de commerce en se fondant sur un risque d’interdiction qui découlerait de la CITES. Au soutien de cet argument, Makivik souligne à juste titre l’exercice de mise en balance que la ministre (ainsi que les Conseils dans leurs décisions initiales et finales) doit faire.

[137]  Je souligne également que Gregor Gilbert renvoie, dans son affidavit, à la CITES et aux discussions que les parties concernées ont tenues pendant plusieurs années au sujet de cette convention. À l’instar de M. Alaku, M. Gilbert évoque la question de l’importance économique, comme le montrent les commentaires suivants qu’il a formulés :

[TRADUCTION]
 [46]  Les organisations inuites, dont Makivik, craignaient que l’ours blanc passe à une catégorie de risque plus élevée (annexe I). Bien que les avantages commerciaux et économiques ne constituent pas la principale source de motivation pour la plupart des activités de chasse à l’ours blanc pratiquées par les Inuits, il n’en demeure pas moins que, dans une région où les possibilités économiques et les emplois bien rémunérés peuvent se faire rares, les sommes tirées de la vente d’une peau d’ours blanc peuvent représenter une source de revenus très importante pour les collectivités. Étant donné que le marché des peaux d’ours blanc est situé principalement à l’extérieur du Canada, les Inuits savaient que, si l’ours blanc passait à une catégorie de risque plus élevée, cette importante source de revenus disparaîtrait.

[…]

[65]  En juillet 2012, une lettre qu’avaient approuvée les parties concernées (Environnement Canada, Makivik, Nunavut Tunngavik Incorporated, le CGRFRMN, le Québec et l’Ontario), et selon laquelle l’accord volontaire de 2011 serait probablement renouvelé, a été acheminée aux chasseurs de l’unité de gestion du sud de la baie d’Hudson. Voici un extrait de cette lettre :

Vous vous rappellerez que, lors de la réunion tenue à Inukjuak, des représentants d’Environnement Canada ont parlé de la surveillance internationale dont la gestion de l’ours blanc faisait l’objet au Canada. Effectivement, plusieurs ONG vouées à la défense des droits des animaux invoquent la situation du SBH comme raison valable de faire passer les ours blancs à la catégorie de risque plus élevée (annexe I) de la CITES à la prochaine conférence des parties qui se tiendra en mars 2013. Si cette proposition devait être retenue, elle mettrait un terme au commerce de l’ours blanc, ce qui causerait un préjudice aux chasseurs de l’Arctique canadien. Dans cette optique, le respect de la limite de récolte volontaire représente une façon pour nous de montrer ensemble au monde entier que les Canadiens du Nord prônent une récolte durable et responsable.

[…]

[67]  Effectivement, ainsi qu’il était prévu dans cette lettre, les États‑Unis ont présenté une proposition visant à faire passer l’ours blanc de l’annexe II à l’annexe I avant la CoP de la CITES qui a eu lieu à Bangkok, en Thaïlande, du 3 au 14 mars 2013.

[…]

[82]  En septembre 2014, j’ai assisté aux réunions qui ont conduit à l’accord volontaire de 2014 à titre de membre de la délégation de Makivik. Toutes les parties présentes à ces réunions ont parfaitement compris que l’objet de l’accord volontaire était de lutter contre les groupes d’intérêt et les gouvernements qui exerçaient des pressions pour inscrire l’ours blanc à l’annexe I de la CITES.

[138]  Pour sa part, Rachel Vallender a donné les explications suivantes au paragraphe 21 de son affidavit :

[TRADUCTION]
Même si le risque que l’ours blanc soit classé dans une catégorie de risque plus élevée aux termes de la CITES était l’une des raisons sous-jacentes aux discussions tenues au cours des réunions visant à élaborer les accords volontaires de 2011 et de 2014, la préoccupation première a toujours été la nécessité d’assurer une récolte durable d’une espèce en péril. Effectivement, toutes les démarches mettant en cause la sous‑population des ours blancs du SBH, notamment celles qui ont conduit aux deux accords volontaires et à la décision du 19 octobre 2016 de la ministre, ont toujours visé d’abord et avant tout à assurer l’utilisation continue de bonnes pratiques de gestion.

[139]  Les passages qui précèdent montrent bien que Makivik et d’autres parties savaient que la CITES était un facteur qui a servi de toile de fond aux discussions qui ont mené à l’accord volontaire de 2014. Makivik affirme que la CITES a joué un rôle trop important dans la conduite du personnel d’ECCC et dans la décision de la ministre.

[140]  Cependant, après avoir passé la preuve en revue, je suis convaincu du bien‑fondé de l’argument de la PG du Canada. En vertu des articles 5.5.3 et 5.5.4.1 de l’ARTIN, la ministre avait le droit de tenir compte de certaines ententes internationales ou ententes multigouvernementales intérieures concernant ces ressources fauniques. Voici le texte de ces dispositions :

5.5.3  Les décisions prises par le CGRFRMN ou par un ministre en application des parties 5.2 et 5.3 ne peuvent restreindre ou limiter les activités de récolte des Inuit du Nunavik que dans la mesure nécessaire à la réalisation de l’un ou l’autre des objectifs suivants :

a)  mettre en œuvre un objectif de conservation valable conformément aux articles 5.1.4 et 5.1.5;

b)  donner effet au système de répartition des ressources prévues par le présent chapitre, aux autres dispositions du présent chapitre et aux chapitres 27, 28 et 29;

c)  assurer la santé et la sécurité publiques.

5.5.4.1  Certaines populations d’animaux sauvages de la RMN se déplacent hors de cette région et sont alors récoltées par des personnes qui ne résident pas dans la RMN. Par conséquent, dans l’exercice des responsabilités qui leur incombent en vertu de l’article 5.2.3, des alinéas 5.2.4 b), c), d), f) et h) et des articles 5.2.10 à 5.2.22, 5.3.8, 5.3.10 et 5.3.11, le CGRFRMN et le ministre doivent tenir compte des activités de récolte pratiquées à l’extérieur de la RMN et des conditions prévues par les ententes multigouvernementales intérieures ou les ententes internationales relatives aux animaux sauvages visés.

[141]  Il n’est pas nécessaire que je détermine si la CITES est ou non une entente internationale relative aux animaux sauvages. Cette décision appartient exclusivement aux parties au traité. En tout état de cause, la ministre n’a pas décidé unilatéralement si la CITES constitue une entente de cette nature, de sorte que les parties pourront trancher cette question plus tard. J’ai reproduit les dispositions qui précèdent simplement pour montrer que les Conseils et la ministre doivent mettre en balance d’autres facteurs. La CITES était un facteur à prendre en compte parmi de nombreux autres dans le but ultime d’en arriver à une décision raisonnable fondée sur les principes de conservation énoncés aux articles 5.1.4 et 5.1.5, dont voici le texte :

5.1.4  Les principes de conservation seront interprétés et appliqués en tenant pleinement compte des principes et des objectifs énoncés aux articles 5.1.2 et 5.1.3 et des droits et obligations prévus au présent chapitre.

5.1.5  Aux fins du présent chapitre, les principes de conservation sont les suivants :

a)   le maintien de l’équilibre naturel des systèmes écologiques dans la RMN;

b)  le maintien en santé des populations fauniques vitales de manière à satisfaire les besoins en matière de récolte prévus par le présent chapitre;

c)  la protection de l’habitat des ressources fauniques;

d)  la reconstitution des populations de ressources fauniques en déclin et la revitalisation de leur habitat.

[142]  Je conclus que la décision de la ministre n’était pas axée principalement sur la CITES et que celle‑ci n’a pas eu une influence démesurée sur la décision. La ministre devait mettre en balance différents facteurs, et c’est précisément ce qu’elle a fait. Dans la note de service qu’ils ont envoyée à la ministre, les représentants d’ECCC ont mentionné la CITES, mais je ne crois pas que la ministre s’est fondée uniquement sur celle‑ci ou qu’elle a invoqué cette entente de façon excessive.

[143]  Je conviens avec Makivik que, dans la mesure où les intérêts des Inuits ne se limitent pas à des intérêts économiques, la chasse à l’ours blanc se poursuivrait même si le commerce des peaux d’ours devait être banni. Cependant, à la lumière des arguments de la PG du Canada, je suis convaincu que la ministre a tenu compte comme il se devait de la CITES ou du risque d’interdiction de commerce au cours de la mise en balance de différents facteurs. Il appert de la preuve que la CITES a toujours servi de toile de fond aux discussions concernant l’ours blanc.

[144]  La ministre a agi de manière raisonnable en tenant compte de la CITES comme elle l’a fait, parce qu’elle a été ainsi en mesure de mieux comprendre les objectifs que l’ARTIN vise en matière de gestion faunique et les principes de conservation qui sous‑tendent cet accord.

D.  Était‑il correct ou raisonnable de la part de la ministre de tenir compte de l’accord volontaire de 2014 pour en arriver à sa décision?

1)  La position de la demanderesse

[145]  Makivik soutient qu’il n’était pas raisonnable de la part de la ministre de tenir compte de l’accord volontaire de 2014 pour en arriver à sa décision. Dans la note de service qu’ils ont fait parvenir à la ministre, les représentants d’ECCC ont invoqué cet accord pour faire valoir auprès d’elle que celui‑ci est une entente multigouvernementale intérieure au sens de l’article 5.5.4.1 de l’ARTIN. En conséquence, Makivik soutient que la ministre :

  • a) a commis une erreur de droit en concluant que l’accord volontaire de 2014 est une « entente multigouvernementale intérieure » au sens de l’ARTIN;

  • b) a commis une erreur mixte de fait et de droit en omettant de saisir la portée juridique de la clause « sous réserve » de l’accord volontaire de 2014;

  • c) a invoqué cet accord de manière incorrecte ou déraisonnable, eu égard aux faits qui ont mené à la conclusion dudit accord et aux exigences du principe de l’honneur de la Couronne.

[146]  Makivik soutient que l’expression « entente multigouvernementale intérieure » n’est pas définie dans l’ARTIN. Si l’accord volontaire de 2014 est effectivement une entente multigouvernementale intérieure, Makivik fait valoir que la ministre aurait dû permettre au CGRFRMN de participer à la négociation de l’accord, ainsi que l’exige l’article 5.8.5 de l’ATRIN (Kwanlin Dün First Nation c Government of Yukon, et al., 2008 YKSC 66, au par. 43). Makivik ajoute que la ministre n’aurait pas dû se fonder sur l’accord volontaire de 2014 alors que celui‑ci devait expirer en novembre 2016.

2)  Les positions des défendeurs

[147]  Le GCC souscrit aux observations de Makivik et fait valoir que l’accord volontaire de 2014 ne peut être considéré comme une « entente multigouvernementale intérieure ». À son avis, l’accord volontaire de 2014 n’était nullement destiné à être une entente multigouvernementale intérieure, car les parties n’ont jamais signé le document. Le GCC précise que, pour qu’il soit lié par une entente ou par un autre document, un processus d’approbation doit préalablement avoir été suivi. En ce sens, dit‑il, la ministre a commis une erreur en considérant l’accord volontaire de 2014 comme une « entente multigouvernementale intérieure » au sens de l’ARTIN. Le GCC préfère considérer cet accord comme un simple « document ».

[148]  Pour sa part, la PG du Canada affirme que la ministre a correctement apprécié l’accord volontaire de 2014 et qu’elle a fondé sa décision uniquement sur des préoccupations relatives à la conservation après avoir examiné l’ensemble de la preuve, y compris l’accord volontaire de 2014. La PG du Canada précise que ni les représentants d’ECCC ni la ministre n’ont envisagé la possibilité de modifier la décision des Conseils parce qu’elle n’était pas conforme à l’accord volontaire de 2014. A son avis, cet accord ne va pas à l’encontre du mandat et des objectifs que vise l’ARTIN. En tout état de cause, la PG du Canada ajoute que l’accord volontaire de 2014 a permis aux Inuit du Nunavik d’obtenir une PTA plus élevée pour la récolte d’ours blancs du SBG. En conséquence, elle affirme que la ministre a évalué de façon raisonnable l’accord volontaire de 2014, ainsi que l’exige l’article 5.5.4.1 de l’ARTIN, indépendamment de la question de savoir si celui‑ci est une entente multigouvernementale intérieure ou non.

3)  La position de l’intervenante NTI

[149]  NTI affirme elle aussi que la ministre a correctement évalué l’accord volontaire de 2014. Selon NTI, cet accord est le fruit d’efforts et de concessions innombrables dont les Conseils et la ministre devraient respectueusement tenir compte. NTI affirme que, « en réglant les différends que font naître les traités modernes, les tribunaux doivent généralement laisser aux parties la possibilité de gérer ensemble et de concilier leurs différences » (Nacho Nyak Dun, au par. 33). Elle ajoute que la ministre a respecté l’accord volontaire de 2014 des parties, qui prévoit déjà un quota fixe à l’égard de la récolte d’ours blancs de la population du SBH.

[150]  NTI ne souscrit pas à l’argument de Makivik concernant la nature de l’accord volontaire de 2014. Selon NTI, il n’était pas nécessaire que l’accord volontaire de 2014 soit une « entente multigouvernementale intérieure » pour que la ministre en tienne compte dans sa décision. Suivant l’article 5.5.4.1 de l’ARTIN, la ministre doit tenir compte des ententes multigouvernementales intérieures. Cependant, cette même disposition de l’accord prévoit également que la ministre doit tenir compte des « activités de récolte pratiquées à l’extérieur de la RMN », lesquelles sont prévues dans l’accord volontaire de 2014. Cela signifie que les ententes multigouvernementales intérieures ne sont pas les seuls éléments dont la ministre doit tenir compte suivant l’article 5.5.4.1.

[151]  En tout état de cause, NTI estime que l’accord volontaire de 2014 est une « entente multigouvernementale intérieure ». Contrairement à ce que Makivik fait valoir en ce qui a trait à l’article 5.8.5 de l’ARTIN, NTI affirme que le CGRFRMN était présent à la réunion de 2014 qui a mené à l’établissement de l’accord volontaire de 2014. En fait, le CGRFRMN a choisi de participer à la réunion en qualité d’observateur. Selon NTI, le CGRFRMN a agi à titre de tribunal impartial conformément à l’article 5.8.5 de l’ARTIN. Il appert également de la preuve au dossier que le CGRFRMN [traduction] « ne souhaitait pas participer activement à cette réunion, car il était déjà engagé dans sa propre démarche enclenchée en application de l’ARTIN ».

[152]  NTI ajoute que la clause [traduction] « sous réserve » figurant dans l’accord volontaire de 2014 n’a pas empêché la ministre de mentionner l’accord dans sa décision finale. Même si la ministre n’était nullement tenue de se fonder sur cet accord, NTI affirme qu’elle n’a certainement pas commis d’erreur en respectant une entente [traduction] « conclue par les Inuits et pour eux » afin de déterminer les quotas de récolte pour les Inuits.

4)  Analyse

[153]  A la lumière des arguments de Makivik et du GCC, je suis convaincu que l’accord volontaire de 2014 n’est pas une « entente multigouvernementale intérieure » au sens de l’ARTIN. Fondamentalement, les parties au traité devraient être en mesure de déterminer le type d’entente que cette expression englobe en l’absence d’une définition claire. Les parties à l’ARTIN sont régies par le CGRFRMN, qui est un conseil de cogestion comptant également des conseillers techniques parmi ses membres. Il est raisonnable de supposer qu’un conseil de cogestion discuterait de ce qui constitue une entente multigouvernementale intérieure aux fins de la gestion des ressources fauniques. Étant donné qu’il s’agissait d’un premier processus décisionnel enclenché en application de l’ARTIN, il est compréhensible que différentes parties aient fait des faux pas; cependant, le fait pour une partie de qualifier, à l’insu des autres, l’accord volontaire de 2014 d’entente multigouvernementale intérieure ne cadre pas avec l’esprit et l’intention du traité moderne.

[154]  De plus, le CGRFRMN ne s’est pas vu confier formellement un rôle dans l’élaboration d’une entente multigouvernementale intérieure ainsi que l’exige l’article 5.8.5 de l’ARTIN. Il appert de la preuve que le CGRFRMN a assisté aux réunions en qualité d’observateur. Le processus décisionnel inhérent à la structure de gouvernance du GCC n’a pas été suivi non plus. La ministre a eu tort de considérer l’accord volontaire de 2014 comme une entente multigouvernementale intérieure. Il se pourrait que les dispositions d’une entente volontaire ultérieure deviennent une entente de cette nature, si les parties y consentent.

[155]  En ce qui a trait à la question de savoir si la ministre aurait dû tenir compte de l’accord volontaire de 2014, M. Alaku formule des commentaires éclairants dans son affidavit à ce sujet :

[TRADUCTION]

[64]  Effectivement, il était évident aux yeux de tous les participants que la tenue de cette réunion était motivée par les préoccupations d’Environnement Canada au sujet de la surveillance internationale de la chasse à l’ours blanc au Canada, notamment en ce qui concerne l’unité de gestion du sud de la baie d’Hudson.

[…]

[67]  C’est pourquoi l’article 7 de l’accord volontaire de 2014 dispose que « [l]e présent accord volontaire est établi sous réserve des autres ententes concernant la chasse à l’ours blanc ou du processus décisionnel défini dans les mécanismes applicables en matière de revendications territoriales ». Il convient de souligner qu’Environnement Canada était partie à l’accord volontaire de 2014 et qu’il a consenti à cette disposition.

[68]  Eu égard à cette disposition et au contexte de l’accord volontaire de 2014, nous étions très préoccupés chez Makivik lorsque nous avons appris que l’une des raisons pour lesquelles la ministre avait rejeté la décision initiale du CGRFRMN était le fait qu’Environnement Canada croyait que l’accord volontaire de 2014 constituait une « entente multigouvernementale intérieure » au sens de l’ARTIN et que le CGRFRMN devait en tenir compte pour en arriver en sa décision. Aux yeux de Makivik, cette attitude allait à l’encontre tant des dispositions explicites de l’accord volontaire de 2014 que de l’esprit de coopération et de confiance dans lequel nous nous étions préparés aux réunions qui ont mené à cet accord. Mon conseiller juridique m’a informé que la présente lettre sera jointe à l’affidavit de Gregor Gilbert.

[156]  Ces explications confirment que le CGRFRMN acceptait mal l’idée des accords volontaires de façon générale. C’est ce qui ressort également de la lettre que le président de l’époque du CGRFRMN avait fait parvenir au ministre alors en poste, Peter Kent. Cependant, les accords volontaires sont utilisés afin de répondre en temps opportun à des problèmes urgents liés à la gestion des ressources fauniques. Je reconnais la tension entre la volonté de mettre en œuvre un traité moderne comme l’ARTIN au moyen du processus décisionnel du Conseil, d’une part, et l’accès utile, rapide et temporaire à un accord volontaire, d’autre part.

[157]  Malgré cette tension, je suis également d’avis qu’il était raisonnable de la part de la ministre de tenir compte du libellé de l’accord volontaire de 2014 pour en arriver à sa décision. À l’instar de la CITES et d’autres renseignements portés à son attention (comme le résumé du STI et les données scientifiques disponibles), l’accord volontaire de 2014 constituait un facteur à prendre en compte parmi de nombreux autres. La décision de la ministre n’a pas porté principalement sur cet accord. La clause « sous réserve » permettait à la ministre de tenir compte de l’accord volontaire de 2014, car il ne s’agissait pas non plus d’un document privilégié.

[158]  En conséquence, je conclus que la ministre ne s’est pas appuyée excessivement sur l’accord volontaire de 2014 pour en arriver à sa décision. La ministre (et les Conseils) étaient tenus de mettre en balance les différents facteurs et intérêts en cause et la ministre a raisonnablement tenu compte de l’accord volontaire de 2014.

E.  Était‑il correct ou raisonnable de la part de la ministre de faire reposer tout le poids de ses préoccupations en matière de conservation sur les épaules des Inuits du Nunavik?

1)  La position de la demanderesse

[159]  Makivik soutient que la ministre aurait pu demander au CGRFRMN d’examiner le total autorisé de captures des Inuits du Nunavut dans l’unité de gestion du SBH, suivant l’article 5.3.25 de l’ARTIN. Selon Makivik, la ministre était consciente du désarroi des Inuits du Nunavik par suite du partage inégal des quotas entre eux et les Inuits du Nunavut. Toujours selon Makivik, la ministre a eu tort de ne pas examiner le total autorisé de captures des Inuits du Nunavut, car cette omission allait à l’encontre de l’obligation de porter le moins possible atteinte aux droits des Inuits du Nunavik, comme l’exige l’article 5.5.3 de l’ARTIN. Eu égard au libellé de l’alinéa 5.1.3h) de ce même accord, la ministre a également ignoré l’objectif du système de gestion des ressources fauniques, qui consiste à « inspire[r] la confiance dans la gestion des ressources fauniques, plus particulièrement au sein des Inuit du Nunavik ».

[160]  Makivik ajoute que, lorsque le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut [CGRFN] n’a pris aucune mesure après avoir mentionné qu’il ne pourrait pas terminer la démarche au plus tard en septembre 2014, ECCC a laissé tomber la question. Essentiellement, Makivik soutient que la ministre aurait dû exiger un examen simultané de la PTA des Inuits du Nunavut. En bout de ligne, selon elle, les Inuits du Nunavut ont consenti à une récolte de 20 ours alors qu’ils avaient droit à 25.

2)  Les positions des défendeurs

[161]  De façon générale, la PG du Canada souscrit aux observations de NTI exposées ci‑dessous. Elle ajoute que la ministre a examiné avec soin la preuve et conclu que la sous‑population d’ours blancs du SBH ne pouvait supporter qu’une capture maximale de 45 ours blancs. Selon la PG du Canada, en abaissant la PTA de 28 à 23 ours blancs pour les Inuits du Nunavik, [traduction] « nous en arrivons à un ratio semblable entre les Inuits du Nunavut et les Inuits du Nunavik (soit 20 et 22, et aujourd’hui, soit 25 et 27), les Inuits du Nunavik obtenant environ 52 % de la récolte totale d’ours blancs ». La PG du Canada affirme donc que la ministre n’a pas favorisé les Inuits du Nunavut dans la répartition des PTA.

3)  La position de l’intervenante NTI

[162]  NTI affirme que la ministre n’a pas favorisé [traduction] « de manière injuste et inéquitable » les intérêts des Inuits du Nunavut au détriment de ceux des Inuits du Nunavik. Au cours des négociations entourant l’accord volontaire de 2014, les Inuits du Nunavut de la collectivité de Sanikiluaq ont convenu de réduire leur récolte totale autorisée de 25 à 20 ours blancs par année, même s’ils avaient capturé le même nombre d’ours blancs depuis plus de 40 ans. La décision des Inuits du Nunavut de réduire leur récolte a été prise en réponse à la crise relative à la conservation des ours blancs dans le SBH. Selon NTI, cette crise a été causée par les Inuits du Nunavik, dont les activités de chasse ont augmenté, passant de 0 à 11 ours blancs de 2003 à 2009, puis à 36 ours blancs en 2010, pour atteindre 74 ours blancs en 2011. NTI ajoute que le ratio d’ours blancs entre les Inuits du Nunavut et les Inuits du Nunavik est équitable, parce que le SBH compte un plus grand nombre d’Inuits du Nunavik que d’Inuits du Nunavut. NTI fait donc valoir que [traduction] « les quotas respectifs de récolte d’ours blancs devraient être proportionnels à la population ».

4)  Analyse

[163]  A la lumière des arguments de la PG du Canada et de l’intervenante NTI, je suis convaincu que la ministre n’a pas tenu compte de manière injuste ou inéquitable des intérêts des Inuits du Nunavut comparativement à ceux du Nunavik.

[164]  Même s’il est vrai, comme le mentionne M. Alaku aux paragraphes 54, 58 et 60 de son affidavit, que le CGRFN n’avait pas entrepris de démarche semblable au processus dans lequel les Conseils s’étaient engagés aux termes de l’ARTIN, je suis convaincu, ainsi que le soutient la PG du Canada, que la ministre n’avait pas la possibilité, lorsqu’elle en est arrivée à sa décision, de réviser une décision du CGRFN ou de fixer des limites de récolte d’ours blancs pour les Inuits du Nunavut. Idéalement, il aurait été souhaitable que la démarche du CGRFN soit entreprise en même temps que celle du CGRFRMN; malheureusement, ce n’est pas ce qui s’est produit.

[165]  Aux paragraphes 88 et 89 de son affidavit, Mme Vallender expose les difficultés liées à la prise en compte de l’intérêt des Inuits du Nunavut. Essentiellement, à moins qu’une limite n’ait été imposée aux termes de l’ARTIN, il était possible que les Inuits du Nunavut ne respectent pas leur limite volontaire de 20 ours blancs par année et qu’ils reviennent à leur limite précédente de 25 ours blancs.

[166]  Il s’agit donc d’une structure de gestion des ressources fauniques qui est complexe, comme je le souligne au début de la présente décision. En raison de la pluralité des intérêts en jeu, il est nécessaire d’examiner certaines questions suivant le rythme des processus inhérents à chacune d’elles, le tout dans le but de respecter les principes de conservation et de tenir compte des intérêts des Inuits. Comme je l’ai déjà mentionné, lorsque la ministre a rendu sa décision, le CGRFN n’avait pas enclenché son propre processus, comme l’avait fait le CGRFRMN.

[167]  Je reconnais l’argument de la PG du Canada selon lequel il n’est pas nécessaire que la situation actuelle soit permanente. Comme le souligne à juste titre la PG du Canada, la décision de la ministre reconnaît que la mise en œuvre des régimes de gestion adaptative des ressources fauniques requiert les meilleurs renseignements disponibles au moment pertinent et que de nouveaux renseignements peuvent mener à une réévaluation d’une décision précédente. De l’avis de la PG du Canada, la décision de la ministre était de nature temporaire et cet aspect ressort également de la décision finale des Conseils. Toutes les parties étaient conscientes de la nature temporaire des décisions.

[168]  Si ces nouveaux renseignements deviennent disponibles dans le cadre des processus des Conseils, ainsi que ceux du CGRFN à l’avenir, une plus grande collaboration sera possible et mènera peut‑être à des résultats différents.

F.  La ministre a-t-elle agi de manière raisonnable ou de manière correcte en droit en n’offrant pas au CGRFRMN la possibilité de répondre à ses préoccupations concernant la méthodologie et les résultats de son étude du savoir traditionnel inuit avant d’en arriver à sa décision?

G.  La ministre a-t-elle agi de manière raisonnable ou de manière correcte en droit en ne sollicitant pas de renseignements supplémentaires au sujet de la méthodologie et des résultats de l’étude du savoir traditionnel inuit avant d’en arriver à sa décision?

[169]  Étant donné que ces deux questions ont été traitées ensemble dans les observations verbales et écrites de Makivik, je les analyserai ensemble.

1)  La position de la demanderesse

[170]  Selon l’article 5.5.8 de l’ARTIN, la ministre doit communiquer par écrit les motifs du rejet de la décision des Conseils. Makivik soutient que la ministre n’a pas respecté cette exigence dans le cadre du processus décisionnel en ne permettant pas au CGRFRMN de répondre aux préoccupations qu’elle pouvait avoir au sujet du contexte et de la méthodologie de l’étude du STI. Elle affirme donc que la ministre n’a pas donné aux Conseils la possibilité de répondre et de solliciter des éclaircissements au sujet de cette étude. Ainsi que Makivik l’explique dans son mémoire, à la page 37, la ministre :

[TRADUCTION]
a violé les dispositions de l’ARTIN qui l’obligeaient à communiquer par écrit aux Conseils les motifs du rejet de leur décision initiale;

a agi de façon déshonorante en ne soulevant pas ces préoccupations auprès des Conseils alors qu’elle a eu de nombreuses occasions de le faire;

2)  Les positions des défendeurs

[171]  Le CGRFRMN et le GCC souscrivent aux arguments de Makivik et font valoir que la ministre n’a pas rempli l’obligation qui lui incombait de communiquer les motifs au soutien du rejet de la décision initiale du CGRFRMN. Les deux défendeurs affirment que, comme le prévoit l’article 5.2.3 de l’ARTIN, le CGRFRMN constitue le [traduction] « principal mécanisme de gestion des ressources fauniques dans la RMN et de réglementation de l’accès à ces ressources […] ». Si la ministre rejette la décision initiale du CGRFRMN, elle doit communiquer par écrit les motifs de ce rejet afin de donner au Conseil la possibilité d’en prendre connaissance avant d’en arriver à sa décision finale (ARTIN, articles 5.5.8 et 5.5.11). En conséquence, le CGRFRMN n’a pas pu répondre aux préoccupations de la ministre au sujet de l’étude du STI, car la décision finale avait déjà été rendue. Le CGRFRMN soutient qu’il a été empêché de participer aux processus internes prévus par l’ARTIN.

[172]  Le CGRFRMN ajoute que la ministre a préféré l’approche scientifique au STI. Pour en arriver à sa décision, la ministre a choisi d’axer une partie de son analyse sur le niveau maximal de récolte viable de 4,5 % dans le cas de l’ours blanc du SBH. Le CGRFRMN précise que, au par. 55 de l’arrêt Nacho Nyak Dun, la Cour suprême du Canada a conclu que « le Yukon a saboté le mécanisme d’approbation du plan d’aménagement du territoire » en ne donnant pas à la Commission l’occasion de répondre aux préoccupations soulevées par le Yukon. Le CGRFRMN affirme donc que la ministre n’a pas respecté les dispositions de l’ARTIN en ne permettant pas au Conseil de participer au processus décisionnel.

[173]  Pour sa part, le GCC fait valoir que la ministre aurait dû déterminer si la décision du CGRFRMN était raisonnable. La ministre a plutôt ignoré la décision du Conseil et a fait sa propre évaluation des connaissances scientifiques occidentales et du STI disponible, [TRADUCTION] « comme s’il ne pouvait y avoir qu’un seul niveau ‘correct’ de prise totale autorisée ».

[174]  La PG du Canada répond quant à elle qu’il était raisonnable de la part de la ministre de ne pas demander de renseignements supplémentaires au CGRFRMN au sujet de la méthodologie et des résultats de son étude du STI. La PG du Canada précise que, lorsque la ministre a rendu sa décision finale sans consulter le CGRFRMN, elle n’avait reçu qu’un résumé de sept pages de l’étude du STI. Selon la PG du Canada, la version finale du rapport sur le STI n’a pu être terminée avant le 4 mai 2018, ce qui n’aurait pas été utile pour la ministre, même si elle avait donné au CGRFRMN la possibilité de répondre à ses préoccupations. C’est dans ce rapport final que la ministre aurait pu trouver des réponses complètes à ses préoccupations au sujet du contexte et de la méthodologie de l’étude du STI. La PG du Canada affirme que, en tout état de cause, la ministre a tenu compte de l’ensemble de la preuve et des renseignements dont elle disposait lorsqu’elle a pris sa décision. Elle rappelle également que les renseignements concernant la méthodologie de l’étude du STI n’étaient même pas un sujet de discussion lors du processus d’audiences publiques des Conseils.

3)  Analyse

[175]  Tel qu’il est mentionné plus haut, les dispositions de l’ARTIN concernant le processus décisionnel n’exigent nullement la tenue de dialogues pendant que les Conseils et la ministre en arrivent à leurs décisions. Aux paragraphes 78 et 79 de son affidavit, Mme Breton‑Honeyman donne les explications suivantes :

[TRADUCTION]

L’analyse figurant dans la pièce jointe à cette lettre de la ministre, soit la « pièce 1 – Réponse à la décision finale sur la PTA pour l’ours blanc du sud de la baie d’Hudson », renferme le type de justification du rejet qui aurait dû être communiquée aux Conseils en réponse à la décision initiale (voir la pièce 1 de la décision de la ministre d’Environnement et Changement climatique Canada);

Cette analyse aurait permis au Conseil de répondre aux préoccupations en question;

[176]  Il appert de l’affidavit de M. O’Connor que 26 chasseurs issus de trois collectivités des Inuits du Nunavik ont été interrogés au total et que Mme Breton‑Honeyman a mené l’étude de manière professionnelle. Aucune des parties n’a contesté le professionnalisme avec lequel Mme Breton‑Honeyman a dirigé l’étude du STI. Dans la même veine, aucune des parties ne conteste les très grandes connaissances que possèdent les personnes interrogées. Le CGRFRMN et la ministre ou le personnel d’ECCC ne discutaient tout simplement pas des questions entre eux.

[177]  Néanmoins, j’estime qu’aucune des parties à l’ARTIN n’était tenue d’enclencher d’autres discussions l’une avec l’autre au milieu de son propre processus décisionnel. La ministre n’était pas tenue par l’ARTIN de reprendre le dialogue avec les Conseils ou de leur fournir un document d’analyse. Il aurait certainement été souhaitable que le CGRFRMN et ses conseillers techniques tiennent des discussions approfondies au sujet des approches de chacune des parties de façon que les dirigeants concernés de chacune d’elles soient informés à sujet.

[178]  Je suis conscient des déclarations de M. O’Connor et de M. Alaku, qui ont affirmé ignorer s’il existait un document énonçant des politiques ou normes gouvernementales au sujet de la collecte de données sur le STI. Mme Vallender confirme dans son affidavit qu’un projet de protocole concernant l’intégration du STI aux décisions relatives à la gestion des ressources fauniques a été rédigé, mais les parties ne l’ont pas accepté. Je considère cette démarche comme une tentative visant à examiner les questions soulevées en l’espèce; cependant, les parties ne se sont pas encore entendues sur une approche conjointe.

[179]  Le dossier indique que la situation évoluait au fur et à mesure que de nouveaux renseignements étaient recueillis et que de nouveaux processus étaient enclenchés. Ce n’est guère surprenant dans un contexte de gestion des ressources fauniques — la reconnaissance de la nature temporaire des questions et l’amélioration constante des processus représentent peut‑être la seule approche viable en la matière.

[180]  Dans sa décision, la ministre précise que les données sur le STI seront fournies un peu plus tard et qu’il faudra réexaminer la décision à la lumière des nouvelles données et des résultats d’un nouveau relevé aérien qui serait effectué en 2016. Je comprends que le CGRFRMN aurait préféré être informé plus tôt des préoccupations de la ministre au sujet de la méthodologie relative au résumé du STI et avoir la possibilité de répondre à ces préoccupations et de trouver des solutions à cet égard.

[181]  Eu égard au libellé de l’ARTIN, je conclus que la ministre a agi de manière raisonnable en ne faisant pas connaître ses préoccupations au CGRFRMN en l’espèce. Je conclus également que la décision de refuser de solliciter d’autres renseignements au sujet de la méthodologie de l’étude du STI était raisonnable. À l’avenir, les parties devraient bénéficier d’une meilleure communication, de sorte que les décisions relatives à la gestion des ressources fauniques seront prises comme il se doit par le Conseil et la ministre plutôt que par voie de recours judiciaire.

H.  La ministre a-t-elle omis de tenir pleinement compte de l’intégration des connaissances des Inuits du Nunavik sur la faune et son habitat aux renseignements apportés par la recherche scientifique afin d’en arriver à sa décision?

1)  La position de la demanderesse

[182]  Makivik reproche à la ministre de ne pas avoir intégré le STI aux connaissances scientifiques pour en arriver à sa décision. Selon Makivik, la ministre n’a pas fourni de raisons expliquant pourquoi elle a choisi d’accorder plus d’importance aux données scientifiques qu’au STI devant le CGRFRMN. En conséquence, à la page 27 de son mémoire, Makivik soutient que la ministre et ECCC :

[TRADUCTION]

ont manqué à leur obligation de tenir pleinement compte de « la valeur des modes de gestion des ressources fauniques des Inuits du Nunavik, ainsi que [de] leur connaissance desdites ressources et de leur habitat », comme l’exige l’ARTIN, et d’intégrer ces approches aux connaissances scientifiques.

[183]  Selon Makivik, [traduction] « ni la science occidentale ni le savoir écologique traditionnel ne permettent à eux seuls de comprendre les complexités de l’écologie de l’ours blanc, surtout dans le contexte du changement climatique mondial » (DD, pièce CE‑2, Dominique Henri, Combining Aboriginal Traditional Ecological Knowledge and Western Science for Polar Bear Research and Management in Canada : A Critical Review, document préparé pour la Division de la recherche sur la faune d’Environnement Canada (31 mars 2010), iii).

2)  Les positions des défendeurs

[184]  Le CGRFRMN et le GCC soutiennent que les traités modernes comme l’ARTIN méritent le respect. Selon le CGRFRMN, les traités modernes sont le fruit de négociations longues et ardues « entre des parties qui sont averties et disposent de ressources importantes » (Nacho Nyak Dun, au par. 7; Little Salmon, au par. 9). C’est pourquoi les deux défendeurs font valoir que la ministre aurait dû faire montre d’une plus grande retenue à l’égard des principes et des objectifs de l’ARTIN. Les dispositions détaillées des traités modernes sont rédigées soigneusement par les parties concernées (Nacho Nyak Dun, au par. 36; Québec (Procureur général) c Moses, 2010 CSC 17, au par. 7). Ainsi que l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nacho Nyak Dun, au paragraphe 37, « porter une grande attention au libellé des traités modernes signifie qu’il faut interpréter la disposition en cause à la lumière du texte du traité dans son ensemble et des objectifs du traité ». Selon le GCC, la ministre n’a pas tenu compte des conclusions du CGRFRMN, auxquelles elle a substitué ses propres conclusions. En conséquence, dit‑il, en ne tenant pas compte du STI, la ministre n’a pas reconnu la nature sui generis des traités modernes.

[185]  De son côté, la PG du Canada affirme que la ministre a correctement tenu compte de l’ensemble du STI disponible avant la décision. Bien que la ministre et le personnel d’ECCC aient reçu le résumé de l’étude du STI, ce résumé a été mis en balance avec les connaissances apportées par la recherche scientifique. La PG du Canada affirme que la ministre a intégré quelques‑unes des principales conclusions de l’étude dans sa décision, conformément à l’alinéa 5.1.3 f) de l’ARTIN. Ainsi, la ministre a constaté à juste titre dans sa décision que les conséquences néfastes du changement climatique pour la taille de la population d’ours blancs avaient été reconnues tant dans les études du STI que dans les rapports scientifiques. La PG du Canada ajoute que les données figurant dans le résumé de l’étude du STI et le rapport scientifique n’ont pas été recueillies pendant la même période de l’année, ce qui a rendu la comparaison encore plus difficile.

3)  Analyse

[186]  Au paragraphe 52 de son affidavit, Mme Breton‑Honeyman explique la tension entre les données scientifiques et le STI dans les conclusions suivantes de sa recherche :

[TRADUCTION]
a.  De façon générale, les rapports sur les activités de récolte d’ours blancs pratiquées par les Inuit du Nunavik sont incomplets. Les chasseurs ne déclarent habituellement que les ours blancs qu’ils veulent vendre, et non tous les ours qu’ils chassent (c.‑à‑d. pour leur usage personnel). Aucun mécanisme de déclaration obligatoire n’était en place. Or, les statistiques sur les récoltes historiques et réelles sont manifestement très importantes aux fins de l’établissement de la PTA d’ours blancs pour une région spécifique;

b.  dans l’ensemble, les résidents du Nunavik ont observé une augmentation de la population d’ours blancs, laquelle hausse est particulièrement significative depuis les années 1980 (bien que cette situation varie légèrement d’une région à l’autre);

c.  les Inuits du Nunavik ont très fréquemment déclaré avoir observé des portées de deux ou même trois oursons, et certains participants ont souligné qu’il s’agissait là d’une augmentation par rapport aux portées observées dans le passé (soit fréquemment des portées d’un seul ourson). Cette taille des portées est supérieure à celle que le Dr Obbard a signalée (1,56) (pièce GG‑16);

d.  contrairement aux conclusions figurant dans le rapoort du Dr Obbard, les Inuits n’ont pas observé une diminution importante de l’état de santé des ours blancs. En fait, ils soulignent qu’il leur arrive rarement de voir un ours maigre et que les ours qu’ils voient sont le plus souvent en santé, compte tenu de fluctuations naturelles importantes pendant l’année (c.‑à‑d. que les ours sont plus maigres l’été et plus gras à l’hiver et au printemps);

[187]  Comme le souligne Makivik, aux termes de l’ARTIN, les droits de récolte des Inuits du Nunavik ne peuvent être restreints que dans la mesure nécessaire à la réalisation d’un objectif de conservation conformément aux articles 5.1.4 et 5.1.5. Makivik ajoute que la ministre devait tenir pleinement compte des principes énoncés à l’alinéa 5.1.3f), qui reconnaît la valeur du savoir inuit et l’intègre aux recherches scientifiques occidentales. Voici le texte de cette disposition :

5.1.3 Le présent chapitre a pour objet la création d’un système de gestion des ressources fauniques pour la RMN, lequel :

[…]

f)   reconnaît la valeur des modes de gestion des ressources fauniques des Inuit du Nunavik, ainsi que leur connaissance desdites ressources et de leur habitat, et intègre ces façons de faire aux connaissances qu’apporte la recherche scientifique;

[188]  Je souscris à la description que donne Makivik de l’approche qui sous‑tend l’ARTIN. Makivik cite également les remarques de l’expert clé d’ECCC, qui a reconnu que [traduction] « ni la science occidentale ni le savoir écologique traditionnel ne permettent à eux seuls de comprendre les complexités de l’écologie de l’ours blanc, surtout dans le contexte du changement climatique ».

[189]  Cependant, je ne suis pas convaincu du bien‑fondé de l’argument de Makivik selon lequel, essentiellement, la ministre a écarté le résumé de l’étude du STI menée par le Conseil, laquelle erreur aurait été aggravée par l’omission de la part d’ECCC de soulever des préoccupations. Il appert des renseignements portés à l’attention de la ministre que celle‑ci a considéré le résumé du STI comme l’un des nombreux facteurs à prendre en compte. Même si le nombre d’Inuit du Nunavik qui ont participé à l’étude ne traduisait pas l’ensemble des connaissances que possèdent les utilisateurs de la ressource, cet élément a néanmoins été pris en compte.

[190]  L’auteur de l’analyse accompagnant la décision de la ministre a également commenté le [traduction] « taux de prélèvement viable largement accepté » de 4,5 % et souligné que la PTA de 23 ours blancs se rapprochait de ce taux. Dans une note de service envoyée à la ministre, il est également mentionné que le taux de prélèvement réel découlant de la décision que celle-ci envisageait de prendre (lorsque les options lui ont été présentées) s’élevait en réalité à 4,7 %. En d’autres termes, la PTA de 23 ours blancs dépassait le taux accepté de 4,5 %. La PG du Canada soutient que ce taux de prélèvement plus élevé découlait de la prise en compte du STI par la ministre. Au paragraphe 74 de son affidavit, Mme Vallender explique que, en l’absence du STI tendant à montrer une hausse de l’effectif chez une partie de la sous‑population, ainsi que des préoccupations liées à la sécurité de la personne et de la mise en balance de ces données, [traduction] « j’aurais recommandé un taux de prélèvement de moins de 4,5 % afin de tenter d’assurer la stabilité de la population, eu égard aux pressions exercées sur cette sous‑population d’après les recherches scientifiques ».

[191]  Ce dont la ministre et les représentants d’ECCC disposaient, c’est le résumé du STI. C’était là la seule source d’information disponible, eu égard aux contraintes de temps auxquelles le CGRFRMN faisait face. Le CGRFRMN a sollicité à juste titre des renseignements additionnels sur le savoir traditionnel après que les renseignements obtenus par suite des audiences publiques eurent été jugés insatisfaisants aux yeux du Conseil. La ministre a également tenu compte de ces renseignements conformément aux dispositions de l’ARTIN.

[192]  Il appert également du dossier que les Conseils ont soupesé les différents renseignements portés à leur attention, y compris les résumés des données sur le STI recueillis au cours des années 1980. C’est le manque de données concernant le STI qui a contraint les Conseils à solliciter davantage de renseignements sur cet aspect après les audiences publiques tenues en février 2014. Ainsi que l’a expliqué Mme Breton‑Honeyman au paragraphe 42 de son affidavit :

[TRADUCTION]
Par suite des explications fournies par des anciens qui avaient été invités ainsi que par d’autres Inuit pendant l’audience, il est devenu évident aux yeux du Conseil qu’une bonne partie du savoir connu des Inuits des collectivités du Nunavik se trouvant dans l’aire de répartition de l’ours blanc du sud de la baie d’Hudson n’était pas documentée de manière exhaustive, de sorte que le Conseil ne pouvait utiliser ce savoir de la même façon que les données scientifiques.

[193]  Makivik semble laisser entendre que le résumé du STI était suffisant et aurait dû jouer un rôle plus important dans la décision de la ministre. La PG du Canada affirme de son côté que le STI a été pris en compte dans la décision.

[194]  Je suis conscient de l’argument de Makivik selon lequel aucun des techniciens d’ECCC n’avait soulevé de préoccupations au sujet de la méthodologie liée au résumé du STI au cours de leurs différentes rencontres. Tel qu’il est mentionné plus haut, il serait préférable que les parties utilisent le plein potentiel du CGRFRMN, qui constitue le [traduction] « principal mécanisme » de gestion des ressources fauniques. L’ARTIN ne précise pas comment les parties doivent discuter des questions entre elles, mais un conseil de cogestion pourrait être une plateforme idéale pour la tenue de discussions franches de cette nature. J’espère que les parties ont tiré des leçons de cette première démarche.

[195]  À la lumière de la preuve, je conclus que la ministre a tenu compte du STI disponible dans sa décision lorsqu’elle a évalué les données scientifiques disponibles. À cet égard, la décision de la ministre est raisonnable.

[196]  Je souligne également que les Conseils ont fait ce même exercice de mise en balance qui devait être fait lorsqu’ils ont formulé les remarques suivantes dans le premier paragraphe de la conclusion de leur première décision :

[TRADUCTION]
Bien que d’autres travaux soient nécessaires pour améliorer la façon dont les connaissances des Inuits du Nunavik sont intégrées à celles qu’apporte la recherche scientifique aux fins de la prise des décisions, le CGRFRMN a déployé de grands efforts pour tenir pleinement compte des connaissances provenant de toutes les sources tout au long du processus. Le texte qui précède donne un aperçu des données biologiques et socioéconomiques et des données sur la récolte dont le CGRFRMN a tenu compte pour en arriver à sa décision sur la prise totale autorisée en ce qui concerne les ours blancs du sud de la baie d’Hudson. Étant donné que les décideurs précédents ne disposaient d’aucune étude détaillée sur le savoir traditionnel des Inuits du Nunavik, il est possible que certains aspects de la décision du CGRFRMN soient différents du contenu de l’accord précédent tout en visant un objectif de gestion similaire.

I.  La ministre a-t-elle agi de manière raisonnable ou de manière correcte en droit lorsqu’elle a utilisé une « approche de gestion prudente » comme justification pour restreindre la récolte des Inuits du Nunavik afin d’en arriver à sa décision?

1)  La position de la demanderesse

[197]  Selon Makivik, la ministre a commis une erreur en concluant qu’[traduction] « une approche de gestion prudente est justifiée dans le cas de l’unité de gestion du sud de la baie d’Hudson ». Makivik soutient qu’il n’est nullement question de l’approche de gestion prudente ou d’une « approche de précaution » au chapitre 5 de l’ARTIN. À son avis, toute approche de précaution doit être harmonisée avec les droits de récolte des Inuits, compte tenu également de la nécessité d’intégrer les connaissances scientifiques à la gestion des ressources fauniques, comme l’exige l’ARTIN. Makivik reconnaît que [traduction] « le principe de précaution est un principe de droit international coutumier » (114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d'arrosage) c Hudson (Ville), 2001 CSC 40, au par. 32). Cependant, elle comprend qu’une loi ou un règlement valablement adopté ne peut être annulé au motif que le législateur a écarté le principe de précaution (Hanna c Attorney General for Ontario, 2010 ONSC 4058, au par. 14). Elle soutient qu’en omettant d’intégrer les approches des Inuits en matière de gestion des ressources fauniques aux connaissances scientifiques, ainsi que l’exige l’ARTIN, la ministre ne s’est pas acquittée des obligations qui lui incombaient aux termes de cet accord en conformité avec le principe de l’honneur de la Couronne.

2)  Les positions des défendeurs

[198]  La PG du Canada affirme que la ministre n’a pas commis d’erreur en adoptant une approche de gestion prudente. De l’avis de la défenderesse, la ministre a clairement articulé les motifs de sa décision au début de celle‑ci : [traduction] « La décision reconnaît également la nécessité de faire preuve de prudence afin d’assurer une récolte durable et le fait que, dès que de nouveaux renseignements seront disponibles, la PTA pourra être réévaluée ». Cette approche permettrait d’éviter des conséquences préjudiciables pour la population d’ours blancs du SBH. La ministre était bien consciente des différences entre le STI et les données scientifiques et c’est précisément pour cette raison qu’une approche de gestion prudente s’imposait.

[199]  La PG du Canada ajoute que cette approche ressort de la décision finale des Conseils, dans laquelle ceux-ci ont mentionné qu’il était nécessaire d’effectuer fréquemment des estimations scientifiques des populations afin d’éviter que l’exploitation de la ressource ne devienne préjudiciable, et qu’il faudra peut‑être revoir la décision si le système de gestion des ressources fauniques donne lieu à des pressions indues sur les ours blancs en raison des changements environnementaux.

3)  Analyse

[200]  Comme je l’ai déjà souligné, la présente instance révèle une tension entre l’approche des Conseils et celle de la ministre. Ainsi, aux paragraphes 63 à 65 de son affidavit, Mme Breton‑Honeyman s’exprime comme suit :

[TRADUCTION]
Du point de vue du Conseil, une diminution importante de la population devrait probablement être observée avant qu’une préoccupation liée à la conservation soit soulevée;

De plus, le Conseil a décidé qu’une PTA de 28 ours blancs jusqu’à ce que les résultats d’un nouveau relevé soient disponibles (probablement en 2018) ne ferait pas naître de préoccupations liées à la conservation;

Il est également mentionné dans la lettre que, comme Environnement Canada l’avait déjà souligné dans les observations qu’il a présentées au cours de l’audience publique, [TRADUCTION] « il y a lieu de ne pas dépasser un taux de 4,5 % comme taux maximal de récolte durable, car un taux plus élevé pourrait entraîner un déclin de la population »;

[201]  Aux paragraphes 62 à 66 de son affidavit, Mme Vallender explique également en détail les raisons qui sous‑tendent l’approche de gestion prudente, notamment la possibilité que les renseignements obtenus des parties soient incomplets, insuffisants ou même contradictoires.

[202]  Je suis convaincu du bien‑fondé de l’argument de la PG du Canada. Je suis d’avis qu’il était raisonnable et nécessaire d’adopter une approche de gestion prudente, eu égard à l’état des renseignements dont disposaient les Conseils et la ministre, soit des renseignements qui pouvaient être considérés comme des renseignements provisoires. Effectivement, dans le contexte des ressources fauniques, les renseignements sont appelés à évoluer constamment. Les décisions devront être revues en conséquence à l’occasion au fur et à mesure que la situation évoluera. Le Conseil a lui-même a reconnu cette nécessité dans sa décision finale.

[203]  Je souligne également que l’alinéa 5.1.2h) de l’ARTIN, conjugué aux principes de conservation énoncés aux articles 5.1.4 et 5.1.5 et aux renseignements restreints dont disposait la ministre, a mené à l’adoption de l’approche de gestion prudente.

[204]  Je conclus que la ministre a également reconnu la nécessité d’obtenir de nouvelles évaluations des renseignements en limitant la durée d’application de sa décision, laquelle demeurerait en vigueur jusqu’à ce que de nouvelles données soient disponibles et qu’un nouveau processus soit enclenché. Dans ces circonstances particulières, l’approche de la ministre était raisonnable.

J.  La ministre a-t-elle préjugé la question ou entravé son pouvoir discrétionnaire en adoptant la position selon laquelle la récolte totale de la population d’ours blancs du SBH devrait être « défendable selon les critères de la CITES »?

1)  La position de la demanderesse

[205]  Makivik soutient que la ministre a préjugé à tort la question en litige ou entravé son pouvoir discrétionnaire en décidant que la récolte totale d’ours blanc du SBH devait respecter la CITES et le taux de prélèvement de 4,5 %.

[206]  Comme l’a souligné Makivik, dans l’arrêt Stemijon Investments Ltd. c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au par. 60, la Cour d’appel fédérale a formulé les remarques suivantes :

Les décideurs auxquels une loi confère un vaste pouvoir discrétionnaire ne peuvent en entraver l’exercice en s’appuyant exclusivement sur une politique administrative (Thamotharem, précité, au paragraphe 59; Maple Lodge Farms, précité, à la page 6; Dunsmuir, précité (tel qu’expliqué au paragraphe 24)). Une politique administrative n’est pas une loi. Elle ne peut restreindre le pouvoir discrétionnaire que la loi confère à un décideur. Elle ne peut pas modifier la loi du législateur. Une politique peut aider ou guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu d’une loi, mais elle ne peut dicter de façon obligatoire comment ce pouvoir discrétionnaire s’exerce.

[Non souligné dans l’original.]

2)  Les positions des défendeurs

[207]  La PG du Canada ne souscrit pas à l’argument de Makivik et affirme que la ministre n’a pas entravé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle en est arrivée à sa décision. Selon la défenderesse, l’argument du Makivik repose essentiellement sur l’idée que la ministre a préjugé de la décision afin de satisfaire les parties à la CITES. Dans la décision Elson c Canada (Procureur général), 2017 CF 459, au par. 139, la Cour fédérale a conclu qu’« il revient au requérant de démontrer l’existence d’un préjugé sur la question doit établir qu’il ne servirait à rien de présenter des arguments contredisant le point de vue adopté ». La PG du Canada fait donc valoir que Makivik n’a pas réussi à démontrer que la ministre avait un préjugé au cours du processus décisionnel. Elle affirme que la ministre a rendu sa décision de manière objective, en se fondant sur la preuve dont elle disposait.

3)  Analyse

[208]  Je suis convaincu du bien‑fondé de l’argument de la PG du Canada. Makivik ne s’est pas déchargée du fardeau élevé de prouver que la ministre avait un préjugé ou que son pouvoir discrétionnaire a été entravé. Bien au contraire, le dossier montre que la décision de la ministre a été influencée par les renseignements portés à l’attention des Conseils ainsi que des conseillers d’ECCC. Surtout, la lettre de la ministre elle‑même indique la nature temporaire de la décision, car la ministre y souligne que, dès que de nouveaux renseignements seront disponibles, la PTA pourra être réévaluée.

[209]  Comme je l’ai déjà mentionné, le processus gagnerait à être amélioré. À l’avenir, il permettrait peut‑être de répondre à toutes les questions soulevées en l’espèce dans les décisions relatives à la gestion des ressources fauniques, et ce, au profit des Inuits du Nunavik.

VII.  Conclusion

[210]  Voici mes réponses aux questions en litige :

  • a) Lorsqu’elle a rendu sa décision, la ministre avait-elle compétence pour modifier les limites non quantitatives que les Conseils avaient établies dans leur décision finale?

Oui.

  • b) Subsidiairement, si la réponse à la question qui précède est positive, la décision de la ministre d’exiger la récolte sélective en fonction du sexe et de modifier d’autres limites non quantitatives fixées par les Conseils était-elle correcte ou raisonnable?

Non.

  • c) Était-il correct ou raisonnable de la part de la ministre de tenir compte des politiques du commerce international ou des questions liées à la CITES pour en arriver à sa décision?

Oui.

  • d) Était-il correct ou raisonnable de la part de la ministre de tenir compte de l’accord volontaire de 2014 pour en arriver à sa décision?

Oui.

  • e) Était-il correct ou raisonnable de la part de la ministre de faire reposer tout le poids de ses préoccupations en matière de conservation sur les épaules des Inuits du Nunavik?

La ministre ne l’a pas fait, et la décision était raisonnable.

  • f) La ministre a-t-elle agi de manière raisonnable ou de manière correcte en droit en n’offrant pas au CGRFRMN la possibilité de répondre à ses préoccupations concernant la méthodologie et les résultats de son étude du savoir traditionnel inuit avant d’en arriver à sa décision?

Oui.

  • g) La ministre a-t-elle agi de manière raisonnable ou de manière correcte en droit en ne sollicitant pas de renseignements supplémentaires au sujet de la méthodologie et des résultats de l’étude du savoir traditionnel inuit avant d’en arriver à sa décision?

Oui.

  • h) La ministre a-t-elle omis de tenir pleinement compte de l’intégration des connaissances des Inuits du Nunavik sur la faune et son habitat aux renseignements apportés par la recherche scientifique afin d’en arriver à sa décision?

Non.

  • i) La ministre a-t-elle agi de manière raisonnable ou de manière correcte en droit lorsqu’elle s’est fondée sur une « approche de gestion prudente » comme justification pour restreindre la récolte des Inuits du Nunavik lorsqu’elle en est arrivée à sa décision?

Oui.

  • j) La ministre a-t-elle préjugé la question ou entravé son pouvoir discrétionnaire en adoptant la position selon laquelle la récolte totale de la population d’ours blancs du SBH devrait être « défendable selon les critères de la CITES »?

Non.

[211]  En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La ministre a suivi correctement le processus décisionnel de l’ARTIN et en a tenu compte correctement et, à l’exception de ma conclusion concernant la question b), la décision de la ministre était par ailleurs raisonnable. Ainsi que Makivik et les autres parties l’ont souligné clairement, Makivik ne sollicite pas l’annulation de la décision de la ministre, de sorte que cette décision demeure en vigueur. La nature temporaire de la décision constitue un facteur majeur de ma conclusion à cet égard.

[212]  Je conclus également qu’il ne conviendrait pas de prononcer un jugement déclaratoire à ce stade préliminaire, puisque cette façon de procéder toucherait l’intention des parties d’améliorer le système de gestion des ressources fauniques établi par l’ARTIN pour les Inuits du Nunavik. Il y a d’autres sous‑populations d’ours blancs que le CGRFRMN et la ministre devront examiner et d’autres espèces sauvages que les parties devront gérer.

[213]  Je comprends les renvois de Makivik et du GCC aux principes de l’interprétation des traités; cependant, « [l]e rôle des tribunaux ne consiste pas à déterminer si chacune des parties a joué adéquatement son rôle à chaque étape du processus établi par un traité moderne » (Nacho Nyak Dun, au par. 60). Il est prématuré de prononcer un jugement déclaratoire sur des questions concernant l’interprétation de l’ARTIN, questions que les parties auraient pu régler plus tôt, surtout dans des litiges semblables à l’avenir. [traduction] « Les traités modernes visent à renouveler la relation entre les peuples autochtones et la Couronne afin qu’ils soient des partenaires égaux » (voir le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, aux p. 3, 12 et 44‑46; voir également l’arrêt Little Salmon, au par. 10, et l’arrêt Nacho Nyak Dun, au par. 33).

[214]  Dans l’arrêt Solosky c La Reine, [1980] 1 RCS 821, la Cour suprême du Canada a conclu qu’« [u]ne fois admis qu’il existe un litige réel et qu’accorder un jugement est discrétionnaire, alors la seule autre question à résoudre est de savoir si le jugement déclaratoire est à même de régler, de façon pratique, les questions en l’espèce ».

[215]  Je suis d’avis que, si je refuse de prononcer un jugement déclaratoire dans la présente demande, les parties continueraient « de gérer ensemble et de concilier leurs différences » et « arriveraient à une entente sur un processus – en fait, elles vont se réconcilier – sans que les tribunaux interviennent dans le processus au‑delà de ce qui est nécessaire pour régler le différend en cause » (Nacho Nyak Dun, aux par. 33 et 60).


JUGEMENT dans le dossier T-1994-16

LA COUR STATUE que :

  1. La requête de Makivik en vue de faire radier les paragraphes 92, 93 et 94 et les pièces correspondantes de l’affidavit de Rachel Vallender est accordée.

  2. La requête de Makivik en vue de faire trancher les objections formulées par la PG du Canada au cours d’un contre‑interrogatoire écrit est rejetée.

  3. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  4. Malgré ma conclusion exposée plus haut en réponse à la question b), et dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire en l’espèce, je refuse de prononcer le jugement déclaratoire sollicité par Makivik.

  5. J’exerce mon pouvoir discrétionnaire et je refuse d’adjuger des dépens, en raison de la nature de la présente instance et du fait qu’il s’agissait d’une première démarche pour les parties.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour de décembre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1994-16

INTITULÉ :

SOCIÉTÉ MAKIVIK c L’HONORABLE CATHERINE McKENNA, EN SA QUALITÉ DE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA, EN SA QUALITÉ DE JURISCONSULTE DU CONSEIL PRIVÉ DE LA REINE CHARGÉE DES INTÉRÊTS DE LA COURONNE DANS TOUT LITIGE OÙ ELLE EST PARTIE, LE CONSEIL DE GESTION DES RESSOURCES FAUNIQUES DE LA RÉGION MARINE DU NUNAVIK, LE CONSEIL DE GESTION DES RESSOURCES FAUNIQUES DE LA RÉGION MARINE D’EEYOU, LE GRAND CONSEIL DES CRIS, TUNNGAVIK INCORPORATED et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU NUNAVUT

LIEU DE L’AUDIENCE :

Inukjuak (Nunavut)

DATE DE L’AUDIENCE :

DU 4 AU 7 FÉVRIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 30 OCTOBRE 2019

COMPARUTIONS :

Nicholas Dodd

David Janzen

POUR La demanderesse

 

Pavol Janura

Dah Yoon Min

POUR LA DÉFENDERESSE,

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

Cristina Birks

POUR LE DÉFENDEUR,

LE CONSEIL DE GESTION DES RESSOURCES FAUNIQUES DE LA RÉGION MARINE DU NUNAVIK

Kirk N. Lambrecht

POUR L’INTERVENANT,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU NUNAVUT

 

Christopher « Chris » Rootham

POUR L’intervenantE,

NUNAVUT TUNNGAVIK INCORPORATED

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dionne Shulze

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Justice Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE,

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

 

Borden Ladner Gervais

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR,

LE CONSEIL DE GESTION DES RESSOURCES FAUNIQUES DE LA RÉGION MARINE DU NUNAVIK

 

Shores Jardine

Edmonton (Alberta)

POUR L’INTERVENANT,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU NUNAVUT

 

Nelligan O’Brien Payne LLP

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTERVENANTE,

NUNAVUT TUNNGAVIK INCORPORATED

 

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