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Date : 20010412

Dossier : IMM-1596-01

Référence neutre :2001 CFPI 323

ENTRE :

ISTVAN GYUKER

JULIANNA GYUKER

AGNES GYUKER

AKOS GYUKER

PAR SON TUTEUR À L'INSTANCE

ISTVAN GYUKER

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLANCHARD

[1]    Les demandeurs, Agnes Gyuker, Akos Gyuker, Istvan Gyuker et Julianna Gyuker, ont présenté une requête pour sursis d'une mesure de renvoi.


[2]    Mme Gyuker est arrivée au Canada en provenance de la Hongrie en septembre 1996, et M. Gyuker et leur fils Akos sont arrivés au Canada en juin 1997. Leur fille Agnes est arrivée au Canada en août 1997. La famille a demandé le statut de réfugié au sens de la Convention au motif que ses membres sont des Tziganes de Hongrie. La Section du statut de réfugié a refusé sa demande le 12 octobre 2000, concluant que ses membres ne parlaient pas la langue tzigane, qu'ils n'étaient pas adeptes de la culture tzigane et qu'ils n'étaient pas perçus comme des Tziganes en Hongrie. En outre, la demande relative à la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC) qu'ont présentée les demandeurs a fait l'objet d'une décision défavorable parce qu'il n'y avait aucune possibilité raisonnable de risque pour ceux-ci s'ils étaient renvoyés en Hongrie.

[3]    Le 27 décembre 2000, les demandeurs ont présenté une demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire (demande CH) en vertu du par. 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, demande qui n'a pas encore fait l'objet d'une décision.

[4]    Pour accorder le sursis des procédures, la Cour doit appliquer le même critère qu'en matière d'injonction interlocutoire[1]. Le critère exige que la demanderesse démontre que :


(1) les demandeurs ont soulevé une question sérieuse à trancher dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente;

(2) les demandeurs subiraient un préjudice irréparable si aucune ordonnance n'était accordée;

(3) à la lumière de l'ensemble de la situation des parties, la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi du sursis.

[5]                Pour que l'existence d'une question sérieuse à trancher soit établie, la question doit découler de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. En l'espèce, la décision contestée est la mise en oeuvre de la mesure de renvoi par M. Harry Adamidis (l'agent d'exécution), qui a agi au nom du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.


[6]                L'agent d'exécution a manifestement le pouvoir discrétionnaire de suspendre les mesures de renvoi[2], mais la portée de ce pouvoir discrétionnaire a fait l'objet de bien des observations de la part de la Cour. Un aspect particulier de ce débat porte sur la question de savoir si, en soi, une demande CH en cours doit être prise en considération par l'agent d'exécution lorsqu'il exerce son pouvoir discrétionnaire de suspendre une mesure de renvoi. Dans Wang[3], le juge Pelletier a résumé le débat et a conclu qu'en soi, une demande CH en cours ne suffisait pas pour que l'agent d'exécution exerce son pouvoir discrétionnaire de suspendre une mesure de renvoi. Comme le juge Pelletier l'a dit[4] :

Le report dont le seul objectif est de retarderl'échéance ne respecte pas les impératifs de la Loi. Un exemple de politique qui respecte le pouvoir discrétionnaire de différer tout en limitant son application aux cas qui respectent l'économie de la Loi est de réserver l'exercice de ce pouvoir aux affaires où il y a des demandes ou procédures pendantes et où le défaut de différer ferait que la vie dudemandeur serait menacée, ou qu'il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain, alors qu'un report pourrait faire que la mesure devienne de nul effet. Dans de telles circonstances, on ne pourrait annuler les conséquences d'un renvoi en réadmettant la personne au pays par suite d'un gain de cause dans sa demande qui était pendante. Les affaires comme celle-ci, qui causent des difficultés à la famille, sont malheureuses, mais on peut y remédier par une réadmission.

[7]                L'agent d'exécution a conclu que la présente affaire était de celles qui causent des difficultés à la famille, et il a fait la déclaration suivante dans son affidavit :

[TRADUCTION] 8. J'ai aussi tenu compte de l'effet du renvoi sur les enfants. La famille m'a montré le rapport d'une psychologue indiquant que le bien-être des enfants souffrira du renvoi. J'ai accepté cet énoncé, mais exerçant des fonctions m'amenant à prendre régulièrement des dispositions pour le renvoi, je comprends aussi que le renvoi du Canada constitue une expérience désagréable pour la plupart des gens et qu'il a un effet semblable sur la plupart des enfants et des adultes renvoyés.

[8]                L'examen du rapport de la psychologue révèle toutefois que la demanderesse Agnes Gyuker subirait beaucoup plus qu'une expérience désagréable si elle était renvoyée en Hongrie. Dans son évaluation, le Dr Pilowsky a dit :

[TRADUCTION] Je suis d'avis que si Agnes retourne en Hongrie, son état psychologique se détériorera énormément. Elle me raconte qu'elle ferait de nouveau face à la persécution et à l'oppression que les gens ayant le statut de Tzigane subissent dans son pays, et, du point de vue émotionnel, je ne pense pas qu'elle soit capable de vivre dans ces conditions sans s'effondrer.


[9]                L'agent d'exécution a convenu que le bien-être des enfants en souffrirait, mais il a paru indiquer que le renvoi constituait une expérience routinière et désagréable tant pour les adultes que pour les enfants.

[10]            Au contraire, l'évaluation psychologique indiquait que l'état psychologique de la demanderesse Agnes Gyuker se détériorerait énormément si celle-ci était renvoyée. À mon avis, l'agent d'exécution a mal compris le rapport de la psychologue. Ayant examiné ce rapport, j'estime qu'une question sérieuse s'est posée lorsque l'agent d'exécution a mal compris les conclusions tirées par la psychologue.

[11]            Je conclus donc à l'existence d'une question sérieuse à trancher dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.

[12]            J'ai également conclu que la demanderesse Agnes Gyuker subirait un préjudice irréparable si le sursis n'était pas accordé.

[13]            J'accepte l'évaluation non contredite de la psychologue, le Dr J. Pilowsky, lorsque celle-ci dit que l'état psychologique de la demanderesse se détériorerait énormément si cette dernière était renvoyée. Selon moi, une telle conséquence ne peut pas être compensée par la réadmission de la personne au pays à la suite d'une décision favorable relative à sa demande en cours.


[14]                        Vu les circonstances, j'estime que la prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs.

[15]                        Pour les motifs qui précèdent, la requête est accueillie.

[16]                        La Cour ordonne que la requête pour sursis de l'exécution de la mesure de renvoi soit accordée jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande en cours fondée sur des considérations d'ordre humanitaire qui a été présentée le 27 décembre 2000.

« Edmond P. Blanchard »

                                                                                               J.C.F.C.                      

Toronto (Ontario)

Le 12 avril 2001

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               Avocats inscrits au dossier

No DU GREFFE :                                 IMM-1596-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :    ISTVAN GYUKER

JULIANNA GYUKER

AGNES GYUKER

AKOS GYUKER

PAR SON TUTEUR À L'INSTANCE

ISTVAN GYUKER

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION      

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE LUNDI 9 AVRIL 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                 LE JUGE BLANCHARD

EN DATE DU :                                     JEUDI 12 AVRIL 2001

ONT COMPARU :                             Barbara Jackman

Pour les demandeurs

Negar Hashemi

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :       Jackman, Waldman & Associates

Barristers & Solicitors

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Pour les demandeurs


                                  Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20010412

                                       Dossier : IMM-1596-01

ENTRE :

ISTVAN GYUKER

JULIANNA GYUKER

AGNES GYUKER

AKOS GYUKER

PAR SON TUTEUR À L'INSTANCE

ISTVAN GYUKER

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                           



[1]Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 6 Imm.L.R. (2d) 123.

[2]Poyanipur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 116 F.T.R. 4.

[3]Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] F.C.J. No. 295 (QL) (1re inst.) .

[4]Ibid., aux paragraphes 48 et 52.

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