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Date : 20060613

Dossier : IMM‑5258‑05

Référence : 2006 CF 742

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PAUL U.C. ROULEAU

 

 

ENTRE :

THAVARUBAN THAMBIAH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 20 décembre 2004, a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger suivant les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La Commission a conclu que le demandeur, Thavaruban Thambiah, n’était pas suffisamment digne de foi et elle a par conséquent rejeté sa demande d’asile.

 

[2]               Le demandeur est citoyen du Sri Lanka. Il est un Tamoul hindou, né à Jaffna, dans la partie nord du Sri Lanka. Il craint d’être persécuté par les TLET, par le Parti démocratique populaire de l’Eelam (EPDP), par l’armée sri‑lankaise et par la police sri‑lankaise, de même que par ses condisciples cinghalais.

 

[3]               Le demandeur prétend que, entre 1991 et 1995, il a été harcelé par des membres des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET ou Tigres), qu’il a été arrêté par l’armée sri‑lankaise le 13 mai 1996 et détenu jusqu’au 16 juin 1996, qu’il a été agressé par ses condisciples cinghalais le 10 novembre 1999, qu’il a été arrêté par la police sri‑lankaise, avec un condisciple, et détenu pendant 15 jours.

 

[4]               Il soutient qu’il essayait d’empêcher que les TLET recrutent des étudiants et que les Tigres ont essayé de le retrouver en 2001 en raison de ses activités sur le campus. Ils se sont rendus chez lui en août 2001, mais il était absent; les Tigres ont donné un avertissement à son oncle et ils sont partis.

 

[5]               Le 24 septembre 2001, l’armée sri‑lankaise a soi‑disant arrêté le demandeur parce qu’elle avait des soupçons selon lesquels les TLET protégeaient sa famille. Il a été libéré le 2 novembre 2001.

 

[6]               Le demandeur prétend que, le 10 novembre 2001, un membre du EPDP s’est rendu chez lui et leur a donné un avertissement, à son oncle et à lui, qu’ils devaient voter pour l’EPDP sans quoi ils subiraient des conséquences. Afin d’éviter d’avoir à voter pour l’EPDP lors des élections, l’oncle du demandeur l’a conduit à Colombo où il a été arrêté par la police le 7 décembre 2001 et détenu pour la nuit. Il est parti pour Singapour le lendemain. Il est entré aux États-Unis le 27 mai 2002, et il a été détenu pendant trois semaines.

 

[7]               Le demandeur est venu au Canada et il a présenté une demande d’asile qui a été rejetée.

 

[8]               La Commission a estimé que le témoignage du demandeur n’était pas suffisamment digne de foi et elle a rejeté sa demande d’asile puisqu’elle en contestait la crédibilité.

 

[9]               La Commission a conclu qu’il y avait des omissions, de l’invraisemblance et de l’incohérence dans le témoignage du demandeur, dans son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP) initial, et dans son formulaire modifié, de même que dans ses notes au point d’entrée (PDE).

 

[10]           La Commission a tiré une inférence défavorable du fait que le demandeur avait laissé beaucoup de temps s’écouler avant de modifier radicalement son FRP. Le FRP initial a été déposé en 2002 et le FRP modifié en 2005. Lors de l’audience, le demandeur n’a authentifié que le FRP modifié.

 

[11]           La Commission a en outre pris en compte l’omission du demandeur d’avoir donné suite à sa demande d’asile aux États-Unis.

 

 

[12]           Dans ses observations écrites, le demandeur traite de trois questions.

 

[13]           La première question est celle de savoir si la Commission a rendu une décision de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait, et de savoir s’il agissait d’une décision manifestement inconcevable quant à la crédibilité.

 

[14]           La deuxième question est celle de savoir si la décision de la Commission est entachée de partialité ou si elle porte atteinte à l’équité procédurale puisque c’est le commissaire qui avait initialement conclu que le demandeur s’était désisté de sa demande d’asile qui a, en fin de compte, tranché l’affaire quant au fond, malgré que l’avocat du demandeur ait formulé une objection.

 

[15]           Finalement, la troisième question est celle de savoir si l’ordre inverse de l’interrogatoire, établi suivant les Directives no 7 des Lignes directrices du président, constitue une violation de la justice naturelle dans les présentes circonstances. Au cours de la présentation des observations de vive voix, l’avocat du demandeur a informé la Cour qu’il ne donnait pas suite à l’observation formulée à cet égard et je n’ai pas à examiner à fond la question.

 

[16]           À l’égard de la crédibilité, le demandeur soutient que la Commission a tiré une conclusion déraisonnable pour deux raisons, à savoir : 1) la Commission a comparé le FRP initial du demandeur et son FRP modifié alors que seul le FRP modifié a été authentifié lors de l’audience et 2) la Commission a tiré des conclusions déraisonnables en se fondant sur des omissions et des incohérences.

 

[17]           Le demandeur s’appuie sur la décision Osman c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1414, dans laquelle mon collègue M. le juge Nadon, a déclaré ce qui suit :

 

Il était donc futile de la part de la Commission de comparer le premier FRP et la première déclaration au FRP révisé. Elle aurait dû au contraire examiner si le requérant avait quelque preuve crédible à produire. Mais en raison de la manière dont elle instruisait l’affaire, elle n’a jamais examiné cette question.

[…]

Parce que le requérant a produit deux histoires contradictoires, la Commission a conclu qu’il n’était pas digne de foi. J’aurais convenu entièrement avec elle s’il n’y avait aucune preuve pour corroborer les assertions du requérant. À mon avis, la Commission a rendu sa décision sans tenir compte des pièces dont elle a été saisie.

 

 

[18]           Le défendeur répond que la comparaison des deux FRP n’a pas été déterminante quant aux conclusions de la Commission. Il prétend que la comparaison ne peut pas être vue comme plus que l’un des huit facteurs qui ont contribué au rejet de la preuve du demandeur et aux doutes quant à sa crédibilité.

 

[19]           Je suis d’avis que la décision de la Commission dans la présente affaire, à l’égard de la crédibilité, était raisonnable. Le demandeur se fonde sur la décision du juge Nadon pour appuyer le fait qu’une décision de la Commission ne peut pas être fondée entièrement sur la comparaison d’un FRP initial et d’un FRP modifié. La comparaison des FRP n’a pas, en soi, orienté les conclusions de la Commission. Comme le juge Nadon a mentionné, le mandat de la Commission consiste à déterminer si le demandeur avait quelque preuve crédible à produire. Dans la présente affaire, la Commission s’est acquittée de son mandat et elle a conclu que le demandeur n’avait aucune preuve digne de foi à offrir. La conclusion de la Commission était raisonnable.

 

[20]           De plus, comme le défendeur a soutenu, il est loisible à la Commission de prendre en compte des divergences entre le FRP initial et le FRP modifié d’une demande d’asile lorsqu’elle apprécie la crédibilité (voir la décision Giminez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1114 (CF)).

 

[21]           Dans la décision R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 162, aux paragraphes 7 et 8 , M. le juge Martineau a mentionné ce qui suit à l’égard de la crédibilité et de la crainte subjective :

 

¶7        L’évaluation de la crédibilité d’un demandeur constitue l’essentiel de la compétence de la Commission. La Cour a statué que la Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d’un demandeur : voir Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n1800, au paragr. 38 (QL) (1re inst.); Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragr. 14.

 

¶8        En outre, il a été reconnu et confirmé qu’en ce qui concerne la crédibilité et l’appréciation de la preuve, la Cour ne peut pas substituer sa décision à celle de la Commission si le demandeur n’a pas réussi à établir que la décision de la Commission était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu’il soit tenu compte des éléments dont elle disposait : voir Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n296, au paragr. 14 (QL) (1re inst.) (Akinlolu); Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. n1124, au paragr. 9 (QL) (1re inst.) (Kanyai); le motif de contrôle prévu à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.

 

 

[22]           La demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur est une tentative visant à faire évaluer à nouveau par la Cour la preuve qui a été examinée par la Commission. Dans la présente affaire, l’évaluation de la preuve faite par la Commission était raisonnable, en particulier en ce qui a trait aux omissions et incohérences contenues dans le témoignage du demandeur, dans les notes au PDE et dans le FRP modifié, et à l’invraisemblance de son témoignage de vive voix quant à ce qui porte sur le FRP modifié.

 

[23]           Finalement, le demandeur soulève la question de la partialité et de l’équité procédurale. Le demandeur prétend que le commissaire qui présidait l’audience aurait dû se récuser quant à la demande d’asile présentée par le demandeur étant donné que c’est lui qui avait auparavant prononcé le désistement de la demande originale présentée par le demandeur.

 

[24]           Le désistement de la demande a été prononcé après que ni le demandeur ni son avocat n’ont comparu lors de l’audition de la demande d’asile. Le commissaire qui présidait l’audience n’a jamais examiné le bien‑fondé de la demande d’asile; il a simplement prononcé le désistement de la demande.

 

[25]           Lors de l’audition de la demande d’asile, le commissaire qui présidait l’audience a informé le demandeur et son avocat que c’est lui qui avait prononcé le désistement de l’affaire; l’avocat du demandeur a par la suite présenté une requête en récusation. Le commissaire qui présidait l’audience a examiné la requête et a conclu qu’étant donné qu’il ne s’était pas prononcé sur le bien‑fondé de la demande, il n’avait pas à se récuser. J’estime que la décision du commissaire qui présidait l’audience est valable. La Cour d’appel fédérale a conclu, dans l’arrêt Arthur c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 C.F. 94 (CAF) que « le seul fait qu’une seconde audience soit tenue devant le même arbitre, sans plus, ne suscite pas de crainte raisonnable de partialité […] ».

 

[26]           Le demandeur n’a pas démontré que le commissaire était déjà disposé à trancher de manière défavorable sa demande. Le critère quant à la partialité est celui de savoir si une personne objective, compte tenu des faits de l’affaire, conclurait que la Commission a tranché de manière injuste la demande ou était déjà disposée à donner une réponse (une réponse défavorable dans la présente affaire). Le demandeur n’a déposé aucune preuve de prédisposition ou de partialité de la part du commissaire qui présidait l’audience. Au contraire, la preuve montre qu’il a informé le demandeur et l’avocat qu’il avait participé à la décision quant au désistement. L’avocat a ensuite présenté une requête en récusation, que le commissaire a examinée et rejetée. Il n’existe aucune preuve que le commissaire a agi déraisonnablement. La demande de contrôle judiciaire, quant à la question de la partialité et de l’équité procédurale, doit être rejetée.

 

[27]           Au cours des observations faites de vive voix, le demandeur a avancé un autre argument selon lequel le tribunal a traité en détail de son omission d’avoir présenté une demande d’asile aux États-Unis et le demandeur reproche au tribunal de ne pas avoir traité plus à fond de la question; il s’agissait d’une question grave qui nécessitait des explications plus détaillées. Un examen de la transcription fait clairement ressortir l’opinion de la Commission à cet égard. Le commissaire mentionne en passant que le demandeur n’était resté qu’environ un mois aux États-Unis et il a choisi de ne pas se préoccuper de l’omission du demandeur d’avoir présenté une demande d’asile aux États-Unis.

 

[28]           Le demandeur renvoie la Cour à une déclaration contenue dans la décision écrite à savoir : « Le tribunal n’a pas reçu les observations de l’agente de protection des réfugiés, car celle‑ci a dû être excusée assez tard dans le courant de l’audience parce qu’elle ne se sentait pas bien ».

 

[29]           Il ressortait clairement de la transcription qu’à aucun moment un agent de protection des réfugiés n’était présent et ce fait a été mentionné à au moins deux reprises par le commissaire qui présidait l’audience. Il est totalement exagéré de suggérer que de façon évidente il y avait une confusion entre ce dossier et un autre dossier et je ne ferai aucun autre commentaire quant à cette allégation grotesque.

 

[30]           Je suis convaincu que les conclusions quant à la crédibilité sont non seulement raisonnables, mais qu’elles sont de plus inattaquables. Une lecture attentive des deux FRP, de même que de la transcription, ne fournit à mon avis aucune preuve vraisemblable pouvant persuader quelque tribunal que le demandeur a quelque crainte des TLET ou de la police au Sri Lanka.

 

[31]           Même si quelques faiblesses ont été établies ou détectées, elles n’étaient pas déterminantes quant à la conclusion définitive et la décision ne devrait pas être modifiée.

 

[32]           À la demande de l’avocat du défendeur, je radie par la présente du dossier de requête modifié reçu du demandeur un affidavit signé sous serment par le demandeur le 30 septembre 2005. Il ne respecte pas les règles et il n’a pas non plus fait l’objet d’un contre‑interrogatoire approprié.

 

[33]           Puisque les trois questions soulevées par le demandeur doivent être rejetées, la demande de contrôle judiciaire, dans son ensemble, doit être rejetée.

 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été présentée à des fins de certification.

 

 

« Paul U.C. Rouleau »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

 

Danièle Laberge, LL.L.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑5258‑05

 

INTITULÉ :                                       THAVARUBAN THAMBIAH

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 31 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE ROULEAU, J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kumar S. Sriskanda

Avocat

 

POUR LE DEMANDEUR

Marissa Bielski

Ministère de la Justice

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kumar S. Sriskanda

Avocat

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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