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                                                                                                                                 Date : 20050324

                                                                                                                               Dossier : T-39-03

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 410

ENTRE :

                                                          MICHAEL JAMIESON

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE de MONTIGNY

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales en vue de faire examiner et annuler une décision en date du 10 décembre 2002 par laquelle M. Yvon Tarte, président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission), siégeant à titre d'arbitre désigné en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, c. P-35 (la LRTFP) a confirmé le licenciement du demandeur, Michael Jamieson. La demande faisait suite à un grief formulé en vertu de l'alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C 1985, ch. F-11.

GENÈSE DE L'INSTANCE


[2]                Le demandeur a commencé à travailler comme plombier accrédité en 1978. En 1981, il s'est joint au ministère de la Défense nationale (le MDN) à la Base des Forces canadiennes (BFC) de Kingston comme plombier de niveau GL-PIP-9. À l'époque le MDN engageait des plombiers et des monteurs de conduites de vapeur, qui travaillaient dans des ateliers distincts.

[3]                Par suite du programme de compression des dépenses du gouvernement, le MDN a regroupé l'atelier de plomberie et l'atelier de montage de conduites de vapeur en 1995. Les effectifs de la BFC de Kingston sont passés de 20 employés dans les deux ateliers à douze dans le nouvel atelier regroupé. Les employés de l'atelier regroupé devaient être accrédités dans les deux métiers. Comme le demandeur était plombier, il devait obtenir un certificat de monteur de conduites de vapeur.

[4]                Tous les plombiers se sont vu offrir l'occasion de travailler avec des monteurs de conduites de vapeur accrédités et de suivre aux frais de l'employeur un cours offert par la United Association of Journeymen and Apprentices of the Plumbing and Pipe Fitting Industry of the United States and Canada (la section locale 221).


[5]                Aux termes de la Loi sur la qualification professionnelle et l'apprentissage des gens de métier (L.R.O. 1990, ch T-17), la personne accréditée comme plombier 306A peut demander qu'on reconnaisse son admissibilité à contester l'examen de qualification professionnelle 307A de monteur de conduites de vapeur si elle fournit des preuves démontrant qu'elle a effectué plus de 4 000 heures de travail dans le métier de monteur de conduites de vapeur.

[6]                Malgré le fait qu'il a déposé en février 1997 un grief de classification portant sur l'ajout de fonctions de monteur de conduites de vapeur à sa description de tâches, M. Jamieson a suivi la formation offerte par le MDN en avril 1997. On l'a officiellement avisé en décembre 1998 qu'il avait obtenu son permis de monteur de conduites de vapeur et qu'il pouvait commencer dès le 28 février 1999. À ce moment-là, tous les autres plombiers de l'atelier regroupé de la BFC de Kingston s'étaient présentés à l'examen et l'avaient réussi. Ne s'étant pas inscrit à l'examen dans le délai prescrit, le demandeur a rencontré le major Brian McGee, officier du service d'ingénierie. Le demandeur s'est dit préoccupé par le fait que la formation n'était pas suffisante pour lui permettre de travailler avec des systèmes à vapeur à haute pression et il s'est interrogé sur la nécessité d'obtenir la qualification professionnelle puisqu'il y avait amplement de travail pour lui comme plombier. Dans une lettre datée du 9 avril 1999, cette façon de voir a été écartée, et on lui a donné jusqu'au 5 juillet 1999 pour s'inscrire à l'examen. Pour répondre à ses préoccupations au sujet de la suffisance de sa formation, on a par ailleurs enjoint à son superviseur de s'assurer que le demandeur soit jumelé à un monteur de conduites de vapeur qualifié aussi souvent que possible au cours des prochains mois pour lui donner le plus de chances possibles d'acquérir de l'expérience pratique sous la surveillance d'un employé qualifié.


[7]                Le demandeur s'est finalement présenté à l'examen en juillet 1999 mais il l'a raté par un seul point. Le major McGee a de nouveau écrit au demandeur au début de septembre 1999 pour lui faire savoir que le ministère ontarien de la Formation et des Collèges et Universités et la section locale 221 appuyaient entièrement les démarches entreprises par l'employeur en vue d'obtenir l'accréditation des plombiers de la BFC de Kingston comme monteurs de conduites de vapeur. Le demandeur a également été informé qu'il avait jusqu'au 5 novembre 1999 pour reprendre l'examen, à défaut de quoi : 1) il ne pourrait plus occuper son poste actuel sans accréditation à titre de monteur de conduites de vapeur; 2) il serait passible de mesures disciplinaires s'il ne passait pas l'examen; 3) il s'exposait à une rétrogradation motivée s'il ne se présentait pas à l'examen.

[8]                Le demandeur ne s'est pas présenté à l'examen en novembre 1999. Il a catégoriquement déclaré qu'il ne voyait pas la nécessité d'une double qualification professionnelle et il a répété qu'il ne possédait pas suffisamment d'expérience comme monteur de conduites de vapeur pour passer l'examen en toute sécurité. Puis, en décembre 1999, il a transmis au Ministère un affidavit dans lequel il affirmait qu'il n'avait jamais effectué de travail de montage de conduites de vapeur au MDN. Après avoir reçu cet affidavit, le Ministère a déclaré le demandeur inadmissible à l'examen de monteur de conduites de vapeur. Le 16 décembre 1999, le demandeur a reçu une lettre de réprimande en réponse à ce que l'employeur considérait être les fausses déclarations qu'il avait faites au Ministère et à son défaut de se présenter à l'examen de monteur de conduites de vapeur malgré l'ordre qui lui avait été donné.


[9]                Le 11 janvier 2000, le capitaine Hann (qui avait succédé au major McGee au poste d'officier du service d'ingénierie) a écrit au Ministère au sujet de la position de l'employeur relativement à l'admissibilité de M. Jamieson à se présenter à l'examen provincial de monteur de conduites de vapeur. Dans cette lettre, le capitaine Hann réitérait la position de l'employeur suivant laquelle le demandeur possédait les qualités requises pour passer l'examen. Il a mentionné les antécédents professionnels du demandeur tels qu'on pouvait les reconstituer à partir des feuilles de main-d'oeuvre quotidiennes, des commandes de travail et des relevés de temps supplémentaire, qui rendaient compte de centaines d'heures de tâches assignées en matière de montage de conduites de vapeur. À cette lettre était également joint un formulaire d'évaluation du superviseur de M. Jamieson. Il semble que M. Jamieson ait été invité à participer activement à cette évaluation mais qu'il a refusé de le faire. Le Ministère a répondu à la fin de janvier en indiquant que seul M. Jamieson pouvait demander la réactivation de sa demande d'autorisation à se présenter à l'examen.

[10]            Le capitaine Hamm a écrit au demandeur le 11 février 2000 pour lui répéter que la direction estimait qu'il possédait une formation et une expérience suffisantes en montage de conduites de vapeur pour pouvoir se présenter à cet examen. M. Jamieson était donc invité à se présenter à cet examen au plus tard le 29 février 2000. Il n'a pas obtempéré. On lui a accordé en vain un autre délai pour se présenter à l'examen au plus tard le 27 avril 2000.


[11]            Le capitaine Hann a alors écrit de nouveau au demandeur pour lui offrir une affectation à un poste de niveau inférieur car il n'y avait aucun autre poste au niveau pour lequel il était qualifié. Cette affectation se serait traduite par une importante baisse de salaire. Il a également été informé que, s'il choisissait de refuser ce redéploiement, la direction serait forcée d'envisager la possibilité de mettre fin à son emploi. Après s'être vu offrir une dernière fois la possibilité de se présenter à l'examen de monteur de conduites de vapeur, le demandeur a été officiellement licencié le 23 juin 2000.

[12]            Il vaut la peine de signaler que deux des lettres du Ministère ont, de consentement, été soumises à la CRTFP et ce, même si elles étaient ultérieures au licenciement de M. Jamieson. La Commission cite les extraits suivants de ces lettres dans sa décision :

[TRADUCTION]

Aux termes de la Loi sur la qualification professionnelle et l'apprentissage des gens de métier (L.R.O. 1990, ch T-17), la personne accréditée comme plombier 306A peut demander qu'on reconnaisse son admissibilité à contester l'examen de qualification professionnelle 307A de monteur de conduites de vapeur si elle fournit des preuves démontrant qu'elle a effectué plus de 4 000 heures de travail dans le métier de monteur de conduites de vapeur. Un élément clé de l'évaluation de ces preuves est la présence de preuves vérifiables et corroborantes provenant de diverses sources. Pour assurer cette corroboration, le demandeur présente normalement des éléments de preuve émanant d'un tiers compétent et indépendant qui atteste la véracité des preuves. L'évaluation porte uniquement sur l'admissibilité à contester l'examen. L'examen d'accréditation est l'arbitre final de la qualification professionnelle (lettre du 29 mars 2001)

***

Je vous écris en réponse à votre demande du 24 octobre 2001 m'invitant à prendre connaissance d'un résumé des renseignements sur la formation pour déterminer si une personne ayant une trousse d'information semblable serait réputée admissible à contester l'examen d'accréditation comme monteur de conduites de vapeur.


Comme vous le savez, une personne accréditée comme plombier 306A peut être réputée admissible à contester l'examen de monteur de conduites de vapeur 307A si elle fournit des preuves démontrant qu'elle a effectué plus de 4 000 heures de travail dans le métier de monteur de conduites de vapeur. Un élément clé de l'évaluation de ces preuves est la présence de preuves vérifiables et corroborantes provenant de diverses sources. Pour assurer cette corroboration, le demandeur présente normalement des éléments de preuve émanant d'un tiers compétent et indépendant qui atteste la véracité des preuves.

Il ressort clairement de la trousse que vous avez soumise que l'intéressé a accumulé 828 heures de formation et d'expérience de travail exclusives en montage de conduites de vapeur. Suivant la trousse, l'intéressé travaille comme plombier depuis 19 ans et fournit une analyse de la formation et de l'expérience de travail qu'il a accumulées dans les deux métiers. Bien qu'on puisse en déduire que cette personne aurait probablement acquis les 3 172 autres heures d'expérience en montage de conduites de vapeur, cet élément d'information n'est pas évident.

Dans une trousse comme celle-ci, nous voulons nous assurer que l'intéressé a effectivement effectué des tâches communes à la plomberie et au montage de conduites de vapeur pendant les 19 années en question. Bien que cela soit inusité, il est possible qu'un plombier accrédité ait effectué exclusivement des tâches administratives de plomberie pendant la totalité de ces 19 années et qu'il n'ait pas acquis les compétences visées (lettre du 30 octobre 2001).

DÉCISION À L'EXAMEN

[13]            Tout d'abord, la Commission est arrivée à la conclusion que les faits de l'espèce ne donnaient pas lieu à une situation de réaménagement des effectifs, à des questions de santé ou de sécurité au travail ou à l'application de la clause relative aux changements technologiques contenue dans la convention collective.


[14]            La Commission a conclu que, même en supposant, par hypothèse, que des changements technologiques étaient survenus, l'employeur avait fait tous les efforts raisonnables pour offrir la formation nécessaire à M. Jamieson. La Commission s'est dite d'avis que le licenciement du demandeur était en grande partie imputable à ce dernier, puisqu'il n'était pas disposé à accepter les offres d'aide et de formation de l'employeur. Pour citer M. Tarte : [traduction] « M. Jamieson aurait facilement pu demander et obtenir un plus grand nombre d'heures de travail de montage de conduites de vapeur. Or, au lieu de collaborer avec lui, il a constamment mis des bâtons dans les roues de l'employeur en refusant toutes les offres qui lui étaient faites » .

[15]            La Commission s'est par ailleurs dite en désaccord avec la position du demandeur suivant laquelle les tâches relevant autant de la plomberie que du montage de conduites de vapeur ne pouvaient entrer dans le calcul des heures de travail nécessaires pour déterminer si une personne peut contester l'examen relatif au second métier. La Commission a par conséquent estimé que la décision de l'employeur de licencier le demandeur était justifiée et elle a rejeté le grief.

QUESTIONS EN LITIGE

[16]            Le demandeur formule plusieurs questions que l'on peut résumer comme suit : la Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la preuve ou a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en jugeant valide la décision de mettre fin à l'emploi du demandeur? Plus particulièrement, la Commission a-t-elle commis une erreur justifiant l'annulation de sa décision en rejetant la prétention du demandeur suivant laquelle il ne pouvait être admis à l'examen de monteur de conduites de vapeur et en concluant que le demandeur ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même pour son licenciement?

ANALYSE


[17]            L'arbitre a été nommé en vertu de l'article 93 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 (la Loi sur les RTFF). L'article 92 de cette loi porte sur le renvoi des griefs à l'arbitrage, définissant ainsi la compétence de l'arbitre. L'alinéa 92(1)b) autorise l'arbitre à juger les griefs relatifs à un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) (licenciement pour manquement à la discipline ou pour inconduite) ou 11(2)g) (licenciement pour des raisons autres qu'un manquement à la discipline ou une inconduite) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

[18]            Appliquant l'analyse pragmatique et fonctionnelle exposée dans l'arrêt Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of BC, [2003] 1 R.C.S. 226, nous devons tenir compte des quatre facteurs contextuels suivants pour déterminer la norme de contrôle appropriée dans le cas des décisions de la CRTFP : (1) la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; (2) l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; (3) l'objet de la loi et de la disposition particulière; (4) la nature de la question - de droit, de fait ou mixte de fait et de droit.

[19]            Il est vrai que la Loi sur les RTFP a déjà renfermé une clause privative mais cette clause a depuis été abrogée (voir la Loi sur la réforme de la fonction publique, L.C. 1992, ch. 54, abrogeant l'article 101 de la Loi sur les RTFP). Mais ainsi que le juge Iacobucci (s'exprimant au nom de la Cour) l'a dit dans l'arrêt Ryan c. Barreau du Nouveau-Brunswick ([2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 29) :


L'existence d'un large droit d'appel dans la loi indique un degré de déférence moins élevé à l'égard des décisions du comité de discipline. Toutefois, comme le souligne le juge Bastarache dans Pushpanathan, précité, par. 30 : « L'absence de clause privative n'implique pas une norme élevée de contrôle, si d'autres facteurs commandent une norme peu exigeante. » La spécialisation des fonctions voulue par le législateur peut appeler à la déférence malgré l'absence de clause privative.

[20]            D'ailleurs, c'est précisément la conclusion à laquelle en est arrivée la Cour d'appel fédérale, qui était saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par un arbitre en vertu de la Loi sur les RTFP, dans l'affaire Barry c. Canada (Conseil du Trésor) ((1997) 221 N.R. 223). Le juge Robertson écrit ce qui suit (au paragraphe 3) :

Il est vrai qu'avant l'abrogation de la clause privative, la Cour suprême avait statué dans Canada (Procureur général) c. AFPC[1993] 1 R.C.S. 941 (AFPC no 2) que la norme de contrôle appropriée au regard des décisions d'un arbitre agissant en vertu de la Loi était de déterminer si la décision était « manifestement déraisonnable » . Ànotre avis, rien n'a changédu fait de l'abrogation de la clause privative. Dans Fraternitéunie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, aux pp. 337 et 338, le juge Sopinka, s'exprimant au nom de la Cour, a statuéque, même en l'absence d'une clause privative, la norme de contrôle pour les décisions arbitrales portant sur l'interprétation des conventions collectives est circonscrite par la notion du caractère manifestement déraisonnable :

            Dans un certain nombre d'arrêts antérieurs, notre Cour a indiquéque les tribunaux devraient faire preuve de retenue à l'égard des décisions arbitrales qui interprètent une convention collective, même en l'absence de clause privative. Par exemple, dans l'arrêt Douglas Aircraft Co. of Canada c. McConnell, [1980] 1 R.C.S. 245, aux pp. 275 et 276, le juge Estey fait l'observation suivante, à laquelle souscrit le reste de la Cour : [...] le droit relatif au contrôle judiciaire a évolué, même en l'absence de clause privative, au point oùl'on reconnaît l'objectif de l'arbitrage prévu par la loi mais d'origine contractuelle, soit le règlement rapide, sûr et peu coûteux des différends sans interruption du travail des parties. L'étendue du pouvoir de révision ne fait que refléter cet objectif s'il ne s'intéresse qu'aux questions de droit à incidences juridictionnelles.


[21]       Quant aux trois autres critères, il n'est pas vraiment contesté que la CRTFP possède davantage de connaissances spécialisées que notre Cour pour statuer sur les griefs portant sur un licenciement pour des raisons disciplinaires ou non disciplinaires, que la raison d'être de la création de la CRTFP était d'assurer des négociations collectives efficaces dans la fonction publique et que la nature de la question, c'est-à-dire si l'employeur était justifié de licencier le demandeur, est essentiellement une question de fait. Pour tous ces motifs, il convient de faire preuve d'un degré élevé de retenue envers la décision de l'arbitre.

[22]       C'est précisément la conclusion à laquelle en sont venues la Cour d'appel fédérale et la présente Cour chaque fois que cette question a été soulevée dans le passé :Barry c. Canada (Conseil du Trésor), précité, Green c. Canada (Conseil du Trésor), [2000] A.C.F. no 379 (C.A.F.); McCormick c. Canada (Procureur général), (1998) 161 F.T.R. 83 (C.F.) et très récemment,Ryan c. P.G. du Canada, [2005] A.C.F. no 65 (C.F.). Les parties s'entendent aussi sur la norme de contrôle applicable. En conséquence, il est inutile de s'attarder davantage sur la question.


[23]       Notre Cour devrait par conséquent appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable - norme qui appelle un degré élevé de retenue - pour examiner la décision de l'arbitre. Il s'ensuit qu'à moins qu'elle soit manifestement irrationnelle ou qu'elle ne soit de toute évidence pas conforme à la raison, la décision ne doit pas être modifiée. Il s'agit là d'un critère manifestement très élevé, comme il se doit, et il va sans dire que je ne vais pas modifier la conclusion de M. Tarte simplement parce que j'aurais pu en arriver à une autre conclusion. Ainsi que la Cour suprême l'a dit dans l'arrêt CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983, à la page 1003 :

Le critère de contrôle constitue un « test sévère » : voir Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476, à la p. 493. Cette portée restreinte du contrôle oblige les cours de justice à adopter une attitude de retenue à l'égard des décisions du tribunal administratif. La retenue judiciaire est plus qu'une fiction invoquée par les cours de justice lorsque celles-ci sont d'accord avec les décisions du tribunal. Un simple désaccord avec le résultat atteint par le tribunal administratif ne suffit pas à rendre ce résultat « manifestement déraisonnable » . Les cours de justice doivent prendre soin de vérifier si la décision du tribunal a un fondement rationnel plutôt que de se demander si elles sont d'accord avec celle-ci. L'accent devrait être mis non pas sur le résultat auquel est arrivéle tribunal, mais plutôt sur la façon dont le tribunal est arrivéà ce résultat.

Voir aussi, dans le même sens :

-         Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, à la page 953;

-         Canada Safeway Ltd. c. SDGMR, section locale 454, [1998] 1 R.C.S. 1079, à la page 1109;

-         Green c. Canada (Conseil du Trésor), précité, au paragraphe 8;

-         McCormick c. Canada (Procureur général), précité, aux paragraphes 14 et 15.


[24]       Se fondant sur ces décisions, le demandeur soutient que la décision de la Commission est manifestement déraisonnable car elle n'explique pas comment le demandeur aurait pu être admis à l'examen à quelque moment que ce soit avant son licenciement. Pour citer le mémoire du demandeur : [traduction] « La conclusion de la Commission que le licenciement du demandeur était motivé était manifestement déraisonnable car elle reposait manifestement sur la prémisse erronée que le demandeur refusait de se présenter à l'examen alors que, suivant les faits, il ne satisfaisait pas aux critères qui lui auraient donné le droit de contester l'examen » .

[25]       Le demandeur insiste beaucoup sur la lettre précitée (au paragraphe 12) écrite le 30 octobre 2001 par le Ministère de la Formation et des Collèges et Universités suivant laquelle il lui faudrait démontrer qu'il avait acquis une expérience correspondant au reste du nombre d'heures de montage de conduites de vapeur pour pouvoir être autorisé à contester l'examen. Selon l'avocat du demandeur, l'employeur forçait en fait M. Jamieson à faire quelque chose de répréhensible et d'illégal et il ajoute que l'arbitre a choisi de faire fi de la loi et de la preuve soumise par le Ministère en approuvant la décision de l'employeur de licencier son client.

[26]       Cet argument est mal fondé pour deux raisons. Tout d'abord, cet argument contredit la preuve dont disposait M. Tarte, étant donné que le comportement que le demandeur a affiché du début à la fin ne démontre pas un réel souci de sa part de respecter les prescriptions de la législation provinciale. En second lieu, même si le demandeur devait être pris au mot, il était loisible à l'arbitre de conclure que M. Jamieson avait le droit de contester l'examen.


[27]       Sur le premier point, la preuve semble laisser entrevoir que le demandeur n'a jamais vu l'utilité de la double qualification professionnelle. Il a d'ailleurs exprimé l'avis qu'il n'était pas nécessaire qu'il soit accrédité comme monteur de conduites de vapeur puisqu'il y avait suffisamment de travail de plomberie pour l'occuper. Ces affirmations contredisent son témoignage suivant lequel il a refusé de se présenter à l'examen uniquement parce qu'il croyait qu'il ne possédait pas les qualifications requises.

[28]       Mais surtout, il convient de rappeler que le demandeur s'est effectivement présenté à l'examen à l'été 1999 et qu'il a reconnu qu'il savait alors que la double qualification professionnelle était nécessaire. Il a expliqué qu'il s'était présenté à l'examen parce qu'il ignorait à l'époque qu'il ne possédait pas les qualifications requises et qu'il lui manquait 4 000 heures d'expérience pertinente.

[29]       Enfin, l'employeur a fait l'impossible pour offrir la formation nécessaire à M. Jamieson, faisant preuve d'une patience à toute épreuve pour essayer de tenir compte de la situation particulière du demandeur malgré le fait que ce dernier n'a respecté aucun des délais qui lui étaient impartis et qu'il n'a jamais entrepris de démarches concrètes pour obtenir la formation qui lui aurait permis de réussir l'examen en question.


[30]       Pour ces raisons, et compte tenu du fait que tous les autres plombiers qui travaillaient à la BFC de Kingston avaient réussi l'examen de monteur de conduites de vapeur, l'arbitre était certainement en droit de conclure que M. Jamieson n'avait pas collaboré avec l'employeur et qu'il « a constamment mis des bâtons dans les roues de l'employeur en refusant toutes les offres qui lui étaient faites » . Cette conclusion était appuyée par les faits portés à la connaissance de l'arbitre et, en raison de la retenue dont il convient de faire preuve envers la Commission au regard de la norme de la décision manifestement déraisonnable, cette décision ne doit pas être modifiée.

[31]       Quant à la conclusion de M. Tarte suivant laquelle le demandeur remplissait les conditions requises pour être admis à l'examen et qu'il possédait le nombre requis d'heures d'expérience pertinente, il ressort d'une lecture attentive de sa décision que M. Tarte a tenu compte des dispositions législatives provinciales applicables et qu'il en est arrivé à la conclusion que c'était avec raison que l'employeur avait estimé que le demandeur possédait les qualités requises. Il faut se rappeler que M. Tarte n'était pas appelé à décider, à proprement parler, si M. Jamieson répondait effectivement aux conditions prescrites par la loi provinciale pour pouvoir se présenter à l'examen, mais plutôt à se prononcer sur l'existence d'un motif suffisant pour justifier le licenciement de M. Jamieson au sens de l'alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques.


[32]       Il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour permettre à M. Tarte de conclure que M. Jamieson répondait aux exigences de la loi provinciale et il n'y a aucun doute qu'il a tenu compte de ce facteur dans sa décision. Ainsi, dans la lettre qu'il a écrite à M. Jamieson le 2 septembre 1999, l'officier du service d'ingénierie déclare : [traduction] « Je suis maintenant en mesure de vous confirmer que le ministère de l'Éducation et de la Formation de l'Ontario (l'autorité chargée de la délivrance des permis), ainsi que la section locale 221 du syndicat des plombiers et des monteurs de conduites de vapeur, appuient entièrement notre façon de voir l'accréditation de nos plombiers comme monteurs de conduites de vapeur » .

[33]       À la suite de l'affidavit que M. Jamieson a envoyé le 7 décembre 1999 au Ministère de l'Éducation et de la Formation de l'Ontario et dans lequel il déclarait qu'il n'avait effectué aucune tâche de montage de conduites de vapeur alors qu'il travaillait comme plombier au MDN, l'officier du service d'ingénierie a récrit au Ministère pour expliquer que [traduction] « depuis 1996, les antécédents professionnels de M. Jamieson sont fidèlement consignés sur les feuilles de main-d'oeuvre quotidiennes, les commandes de travail et les relevés de temps supplémentaire, pour rendre compte de centaines d'heures de tâches assignées en matière de montage de conduites de vapeur. De plus, le superviseur de M. Jamieson atteste que ce dernier a effectué avec succès du travail de montage de conduite de vapeur avant 1996 » .

[34]       M. Tarte a par ailleurs fortement tablé sur le témoignage de M. Telford, suivant lequel il existe de nombreuses similitudes entre le métier de plombier et celui de monteur de conduites de vapeur. M. Telford, qui est accrédité à la fois comme monteur de conduites de vapeur et comme plombier, et qui oeuvre dans l'industrie depuis 27 ans et qui était le coordonnateur de la formation et de l'apprentissage à la section locale 221, s'est dit d'avis que tout homme de métier qui exerce le métier de plombier depuis aussi longtemps que M. Jamieson possède incontestablement les qualités requises pour contester l'examen de monteur de conduites de vapeur.


[35]       Il vaut la peine de mentionner qu'il semble que ces éléments de preuve n'aient pas été contredits par le demandeur, qui était vraisemblablement d'accord avec l'évaluation faite par M. Telford quant aux aspects communs des métiers de plombier et de monteur de conduites de vapeur (voir paragraphe 45 de la décision de M. Tarte).

[36]       Enfin, l'arbitre a cité une partie de la lettre envoyée par le Ministère de la Formation, des Collèges et des Universités le 30 octobre 2001 (reproduite au paragraphe 12 des présents motifs), suivant laquelle il n'est pas « évident » qu'une personne qui a travaillé comme plombier pendant 19 ans ait probablement acquis le nombre d'heures d'expérience requises en montage de conduites de vapeur. Bien que, comme on peut le comprendre, le Ministère poursuit la lettre en expliquant qu'il voulait s'assurer « que l'intéressé a effectivement effectué des tâches communes à la plomberie et au montage de conduites de vapeur pendant les 19 années en question » , on reste avec la nette impression qu'il serait « inusité » , qu'un plombier accrédité n'effectue pas des tâches communes au métier de plombier et à celui de monteur de conduites de vapeur. En citant l'exemple d'un plombier accrédité qui effectuerait exclusivement des tâches administratives de plomberie pour illustrer cette possibilité, le Ministère fournissait en fait (bien qu'après-coup) des armes permettant de justifier la conclusion de l'employeur et de l'arbitre suivant laquelle M. Jamieson n'était pas visé par ces cas exceptionnels.


[37]       Vu la preuve qui précède et compte tenu par ailleurs du fait que tous les autres plombiers de la BFC de Kingston avaient passé avec succès l'examen de monteur de conduites de vapeur (ce qui constitue une preuve supplémentaire que le Ministère ontarien considérait qu'un plombier expérimenté comme M. Jamieson remplissait les conditions préalables nécessaires pour être admis à l'examen de monteur de conduites de vapeur), il était certainement loisible à l'arbitre de conclure que la décision de l'employeur de licencier M. Jamieson était justifiée selon l'alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Le fait que le Ministère de la Formation et des Collèges et Universités de l'Ontario aurait pu décider, en fin de compte, que M. Jamieson ne pouvait pas se présenter à l'examen était sans importance, dès lors que l'employeur était de bonne foi en exigeant de son employé qu'il satisfasse à l'obligation d'obtenir la qualification professionnelle à la fois comme monteur de conduites de vapeur et comme plombier.

DISPOSITIF

[38]       La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée sans frais.

                                                                                                                            « Yves de Montigny »                 

        Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-39-03

INTITULÉ :                                       MICHAEL JAMIESON c. PROCUREUR

GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 15 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :LE JUGE de MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :                     LE 24 MARS 2005

COMPARUTIONS:

MIREILLE J.S.M. LANDRY                                                   POUR LE DEMANDEUR

JENNIFER CHAMPAGNE                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CABINET JURIDIQUE LANDRY                                          POUR LE DEMANDEUR

OTTAWA (ONTARIO)

JOHN H. SIMS, c.r.                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA


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