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Date : 20191025


Dossier : IMM‑4767‑18

Référence : 2019 CF 1339

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

A.B.

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  Le demandeur est un citoyen des Bahamas. Après son arrivée au Canada en mai 2016, il a présenté une demande d’asile. Cependant, le désistement de la demande d’asile en question a été prononcé, après que le demandeur a omis de présenter un formulaire Fondement de la demande d’asile.

[2]  En juillet 2017, le demandeur a présenté une demande en vue d’un examen des risques avant renvoi [ERAR], en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Il a allégué qu’il courait un risque aux Bahamas, parce qu’il était homosexuel et séropositif, et parce qu’il exprimait son orientation sexuelle d’une façon ouvertement efféminée. Comme le demandeur le dit lui‑même, il est une [traduction« fière diva gaie noire ». Il craint que son profil ne le place dans une situation risquée aux Bahamas. Il craint d’être agressé physiquement si jamais il devait retourner là‑bas. Il a déclaré ce qui suit dans sa demande d’ERAR : [traduction« Je devrai recommencer à cacher qui je suis sans pouvoir m’habiller ni agir comme je veux, ni être celui que je veux être. » Il a soutenu que les organismes gouvernementaux aux Bahamas ne le protégeraient pas contre des préjudices et ne lui fourniraient pas de recours significatif s’il était victime de persécution. Un agent de police aux Bahamas a déjà agressé le demandeur et, à une autre occasion, lorsqu’il a été victime d’une autre agression violente en raison de son orientation sexuelle, les policiers ont minimisé la gravité de la situation et l’ont pressé d’abandonner les accusations (ce qu’il a fait). La demande d’ERAR du demandeur était fondée sur ses propres expériences de vie aux Bahamas, les expériences de personnes dont la situation est similaire, des éléments de preuve concernant l’ampleur de l’homophobie aux Bahamas et des éléments de preuve démontrant l’inefficacité de la protection offerte par l’État aux personnes possédant un profil comme le sien là‑bas.

[3]  Puisque le demandeur n’a pas fait l’objet d’une audience relative au statut de réfugié, le paragraphe 113(1) de la LIPR ne limite pas les éléments de preuve sur lesquels il pourrait s’appuyer. De même, le demandeur n’a pas eu l’occasion de présenter sa cause dans le cadre d’une audience. Dans les observations écrites à l’appui de la demande d’ERAR, l’avocate du demandeur a déclaré ce qui suit : [traduction« S’il y a des questions soulevées par la présente demande ou en cas de préoccupations relativement à la crédibilité [d’A.B.], nous demandons la tenue d’une audience ».

[4]  La demande a été rejetée dans une décision datée du 11 juillet 2018. En bref, l’agent principal a conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il [traduction« serait à risque aux Bahamas en raison de son orientation sexuelle et de sa séropositivité, et que la protection de l’État ne lui serait pas assurée en cas de besoin ». Par conséquent, l’agent a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences des articles 96 ou 97 de la LIPR. L’agent n’a pas abordé la demande d’audience, à part pour souligner qu’aucune n’avait été tenue.

[5]  Le demandeur présente maintenant une demande de contrôle judiciaire de cette décision au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR.

[6]  À la lumière des positions des parties, je formulerais ainsi les questions en litige dans le cadre de la présente demande :

  • 1) L’agent a‑t‑il commis une erreur dans le cadre de son évaluation du risque de persécution du demandeur aux Bahamas?

  • 2) Si l’agent a commis une erreur dans l’analyse du risque, la conclusion générale est‑elle tout de même justifiée par son analyse relative à la protection de l’État?

[7]  Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la présente demande devait être accueillie. L’analyse du risque réalisée par l’agent est déraisonnable, et la décision ne peut pas être justifiée par l’analyse relative à la protection de l’État, parce que celle‑ci est aussi fondamentalement viciée.

II.  LA NORME DE CONTRÔLE

[8]  Les parties n’ont pas abordé la question des normes de contrôle que je devrais appliquer dans le cadre de mon examen de ces questions en litige, mais elles sont bien établies. De façon générale, les décisions découlant en matière d’ERAR font l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, puisque, en grande partie, elles font intervenir des questions mixtes de fait et de droit (Lakatos c Canada (Immigration et Citoyenneté), 2018 CF 367, au par. 13 [Lakatos]). Au moment d’appliquer cette norme, la cour de révision qui examine la décision s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c NouveauBrunswick, 2008 CSC 9, au par. 47). Les cours de révision doivent faire preuve d’une grande déférence à l’égard des agents d’ERAR. Ce n’est pas le rôle d’une cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve ou de substituer la solution qu’elle juge elle‑même appropriée à celle qui a été retenue (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux par. 59 et 61).

[9]  La norme de la décision raisonnable s’applique aussi à l’analyse relative à la protection de l’État réalisée par l’agent (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Neubauer, 2015 CF 260, au par. 11; Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au par. 38 [Hinzman]). Cela dit, la jurisprudence a défini un critère bien précis en ce qui concerne la protection de l’État, et il n’est pas loisible au décideur d’appliquer un critère différent. Par conséquent, la question de savoir si le bon critère a été appliqué relativement à la protection de l’État est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au par. 22 [Ruszo]; Kina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 284, au par. 24; Kaneza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 231, au par. 25). Une conclusion ne sera pas rationnelle ni justifiable si le décideur n’a pas réalisé l’analyse voulue (Lake c Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, au par. 41 [Lake]; Németh c Canada (Justice), 2010 CSC 56, au par. 10).

III.  ANALYSE

A.  L’agent a‑t‑il commis une erreur dans le cadre de son évaluation du risque de persécution du demandeur aux Bahamas?

[10]  Le risque auquel le demandeur allègue être exposé aux Bahamas est énoncé de façon succincte dans les observations écrites à l’appui de sa demande d’ERAR :

[traduction]

[A.B.] est à risque aux Bahamas en tant qu’homme gai vivant avec le VIH. Les documents sur le pays établissent que les hommes gais aux Bahamas continuent d’être victimes de discrimination pouvant équivaloir à de la persécution, en plus de courir le risque de violence physique, y compris le meurtre.

[A.B.] est un homme ouvertement homosexuel au Canada qui est actif au sein de la communauté gaie. Le fait de vivre au Canada lui a permis de trouver des partenaires sexuels et d’être aussi efféminé et flamboyant qu’il veut l’être. Il ne pourrait pas bénéficier de cette liberté sans risquer la persécution aux Bahamas. Même si [A.B.] ne communique pas publiquement sa séropositivité, nous soulignons qu’il faut tenir compte de cet aspect de sa demande d’asile à la lumière des conséquences auxquelles il serait confronté si sa séropositivité devait être révélée aux Bahamas. [Italiques dans l’original.]

[11]  La demande d’ERAR était soutenue par un long affidavit du demandeur, des éléments de preuve corroborants, comme des photos et le profil de médias sociaux du demandeur, des déclarations d’amis, des lettres d’un psychothérapeute et d’un travailleur social ainsi que des documents sur les conditions dans le pays. Le demandeur a fourni une grande quantité d’éléments de preuve détaillés pour démontrer que les attitudes homophobes imprégnaient de nombreux aspects de la société aux Bahamas, notamment la vie politique, les services de police, les institutions religieuses et les médias, que de telles attitudes sont souvent exprimées par des actes de violence contre les hommes gais et que la protection de l’État n’est pas offerte ou est inefficace.

[12]  Un élément de preuve clé à l’appui de la demande d’ERAR est l’affidavit du demandeur. Dans ce document, il décrit en détail son expérience du fait de grandir aux Bahamas, la mesure limitée dans laquelle il pouvait exprimer son orientation sexuelle là‑bas, les mesures qu’il a prises pour cacher son orientation à ceux qui risquaient de ne pas l’accepter, la persécution dont il a tout de même été victime (y compris des agressions physiques) et la façon dont, au Canada, il a pu exprimer ouvertement son orientation sexuelle à sa façon particulière.

[13]  L’agent d’ERAR a conclu que l’affidavit était insuffisant pour établir le besoin de protection du demandeur. Selon moi, l’appréciation qu’a faite l’agent de l’affidavit est viciée à au moins trois égards.

[14]  Premièrement, selon l’agent, [traduction« les éléments de preuve objectifs qui ont été présentés étaient insuffisants pour corroborer les déclarations formulées par le demandeur d’asile ». Le demandeur a fait de nombreuses déclarations dans son affidavit : sur sa jeunesse aux Bahamas, sur la découverte de son orientation sexuelle là‑bas, sur le traitement dont il a fait l’objet, sur sa vie au Canada, de même que sur de nombreux autres sujets. Est‑ce que chaque énoncé devait être corroboré? S’il n’était pas nécessaire de tous les corroborer, lesquels devaient l’être? Sans connaître les déclarations que l’agent avait en tête, il est impossible de savoir s’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il y ait des éléments de preuve corroborants ou non. De plus, l’agent n’a pas expliqué la raison pour laquelle une preuve corroborante était nécessaire en premier lieu. L’énoncé vague et catégorique de l’agent fait en sorte que l’appréciation de cet élément de preuve clé manque de transparence, d’intelligibilité et de justification.

[15]  Deuxièmement, l’agent a conclu que [traduction« de l’aveu même du demandeur », à de nombreux égards, il avait vécu sans persécution aux Bahamas. Par exemple, il avait pu fréquenter l’école et trouver un emploi. L’agent a jugé que ces expériences antérieures étaient contradictoires avec le lien qu’il tentait de faire entre sa situation personnelle et une protection future. En procédant ainsi, cependant, l’agent a simplement fait fi des éléments de preuve du demandeur selon lesquels il avait tenté de cacher son orientation sexuelle et que, malgré tout, il avait tout de même été victime de discrimination et de violence aux Bahamas. De plus, le demandeur n’avait pas été diagnostiqué séropositif au VIH lorsqu’il vivait aux Bahamas. Il a maintenu qu’il s’agissait là d’un changement important pouvant avoir une incidence sur la façon dont il serait traité à l’avenir. L’agent a conclu que le demandeur aurait accès à des services médicaux, mais il n’a abordé aucune des autres façons dont le demandeur a allégué être à risque de persécution en raison de sa séropositivité.

[16]  Troisièmement, l’agent a de même fait fi d’un élément central de la demande d’asile du demandeur. Le demandeur a décrit de quelle façon, au Canada, il avait non seulement pu s’ouvrir au sujet de son orientation sexuelle, mais aussi l’exprimer ouvertement, et même, en fait, de façon flamboyante. Il a maintenu qu’agir ainsi aux Bahamas lui ferait courir des risques et que le fait d’avoir à supprimer son identité équivalait en tant que tel à de la persécution. À l’appui de cette dernière observation, le demandeur a cité les Directives numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre [OSIGEG] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Plus précisément, le paragraphe 8.5.1.1 des Directives porte que : « [i]l est bien établi en droit que le fait d’être forcé à cacher son OSIGEG constitue une atteinte grave à un droit fondamental de la personne, ce qui peut alors constituer de la persécution, et qu’il ne peut être attendu des demandeurs d’asile qu’ils cachent leur OSIGEG pour éviter d’être persécutés dans le pays de référence ». Plusieurs éléments de jurisprudence et de doctrine sont cités à l’appui de cette déclaration, notamment la décision SadeghiPari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 282, au par. 29, les Principes directeurs sur la protection internationale no 9 du HCR (voir les paragraphes 30 à 33) et l’arrêt HJ (Iran) and HT (Cameroon) c Secretary of State for the Home Department, 2010 UKSC 31. Malgré le fait que la demande présentée par le demandeur s’appuyait sur des éléments de preuve détaillés, bien appuyés par des éléments de jurisprudence et de doctrine, et formulés directement dans les observations, l’agent ne s’est pas penché sur la façon dont le profil précis du demandeur pouvait influer sur le risque auquel il était confronté, ni sur la question de savoir si le fait de cacher cette identité pour se protéger équivalait, en soi, à de la persécution. L’agent n’avait pas à accepter les observations du demandeur, mais il devait les étudier. Ces omissions importantes rendent la décision déraisonnable.

[17]  Le demandeur soutient également que l’agent a commis une erreur en confondant les critères au titre des articles 96 et 97 de la LIPR et en reprenant l’analyse relative au risque susceptible de peser sur le demandeur dans celle relative à la protection de l’État. Les observations du demandeur sont très solides. Cependant, puisque les conclusions précédentes sont suffisantes pour conclure que l’analyse du risque faite par l’agent est déraisonnable, il n’est pas nécessaire d’aborder ces autres enjeux.

B.  Si l’agent a commis une erreur dans l’analyse du risque, la conclusion générale est‑elle tout de même justifiée par son analyse relative à la protection de l’État?

[18]  Le défendeur soutient que, même si l’analyse du risque faite par l’agent d’ERAR contient des erreurs susceptibles de contrôle (ce qui n’est pas concédé), la conclusion générale est raisonnable du fait que la décision selon laquelle le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État est raisonnable. Je ne suis pas d’accord.

[19]  Je commencerai par formuler certains principes fondamentaux.

[20]  Il est du devoir de tous les États de protéger leurs ressortissants, y compris contre la persécution. Le droit international relatif aux réfugiés « a été établi afin de suppléer à la protection qu’on s’attend à ce que l’État fournisse à ses ressortissants. Il ne devait s’appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement » (Canada (procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la p. 709 [Ward]). La protection des réfugiés est une [traduction« protection auxiliaire ou supplétive » (ibid., citant James Hathaway, The Law of Refugee Status (1991)). Par conséquent, elle ne s’applique que lorsque l’État d’origine fait défaut de s’acquitter de son obligation, parce qu’il ne possède pas la capacité ou n’a pas la volonté de le faire, ou si le demandeur d’asile, en raison de sa crainte fondée de persécution, ne veut pas se prévaloir de la protection du pays en question. Les personnes persécutées sont donc « tenues de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée » (ibid.). Il ne s’agit pas d’une exigence juridique. Il s’agit plutôt de savoir si le demandeur d’asile s’est acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait de réfuter la présomption de protection de l’État (Lakatos, au par. 20; Orsos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 248, au par. 18). Même ainsi, le défaut du demandeur de s’adresser à l’État pour obtenir une protection entraînerait le rejet de la demande d’asile seulement s’il était objectivement déraisonnable pour le demandeur d’asile de ne pas solliciter une telle protection (Ward, à la page 724). Il en est ainsi parce que « le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d’un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l’encontre de l’objet de la protection internationale » (ibid.). De la même façon, du point de vue prospectif, on s’attend à ce qu’un demandeur d’asile cherche à obtenir la protection de son pays d’origine, sauf s’il est déraisonnable de le faire, soit parce qu’une telle protection ne serait raisonnablement pas assurée ou soit parce que le faire pourrait mettre le demandeur d’asile en danger.

[21]  Ces principes sont reflétés dans la définition de réfugié au sens de la Convention à l’article 96 de la LIPR. Entre autres, un demandeur d’asile doit établir qu’il « ne peut ou, du fait [d’une crainte fondée de persécution] ne veut » se réclamer de la protection de son pays de nationalité. Le fardeau de persuasion (ou le risque de non‑persuasion) à cet égard repose sur le demandeur d’asile. Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Ward, en l’absence « d’un effondrement complet de l’appareil étatique », à moins (comme c’était le cas dans cette affaire) que l’État en question n’admette ne pas pouvoir protéger le demandeur d’asile, « il faut confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et montrer que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidé, ou son propre témoignage au sujet d’incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l’État ne s’est pas concrétisée ». La Cour suprême poursuit ainsi : « En l’absence d’une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens » (aux pages 724 et 725). En d’autres mots, en l’absence d’une preuve contraire, le décideur doit présumer que l’État en question est en mesure de protéger le demandeur d’asile. Selon la nature de l’État, il peut être plus difficile dans certains cas que dans d’autres de réfuter cette présomption (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94, au par. 26). Au bout du compte, la question consiste à déterminer si un demandeur d’asile a établi qu’une protection adéquate de l’État ne serait pas assurée, soit parce que l’État est incapable de la fournir ou qu’il n’est pas prêt à le faire, soit parce qu’il serait déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur d’asile la demande au départ. Dans la négative, la demande d’asile doit être rejetée, parce que, peu importe à quel point le demandeur d’asile craint vraiment d’être persécuté, si l’État en question peut le protéger, alors, objectivement, ce dernier ne craint pas avec raison d’être persécuté (Ward, à la p. 712; Hinzman, au par. 42).

[22]  Ce en quoi consiste une protection adéquate de l’État peut être difficile à définir dans une affaire donnée. D’un côté, les mesures et les mécanismes en place n’ont pas à être parfaits ni à garantir la protection de tous les citoyens en tout temps pour être considérés comme adéquats (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, 1992 CanLII 8569 (CAF), au par. 7; Resulaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 269, au par. 20). D’un autre côté, même des efforts sincères d’un État pour assurer une protection peuvent ne pas être adéquats. Une analyse relative à la protection de l’État doit tenir compte non seulement des efforts de l’État, mais des résultats en tant que tels obtenus au moment de la présentation de la demande de protection (Hercegi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250, aux par. 5 et 6; AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 237, au par. 17 [AB]). L’analyse exige une appréciation du caractère adéquat et réel ou de l’efficacité de la protection sur le plan opérationnel (Ruszo, aux par. 26 et 27; Lakatos, au par. 21; Galamb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1230, aux par. 32 et 33; Benko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1032, au par. 18). L’État doit être à la fois disposé à offrir une protection et capable de le faire (Soe c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 557, au par. 118). Par conséquent, la présomption de la protection de l’État peut être réfutée par une preuve claire et convaincante que la protection contre la forme de persécution alléguée n’est pas offerte ou est inefficace (Hinzman, au par. 54).

[23]  Dans la décision Lakatos, le juge Diner a souligné que la Cour « a statué à maintes reprises que la question de savoir si une analyse relative à la protection de l’État résistera à l’examen dans le cadre d’un contrôle judiciaire est effectuée expressément pour chaque affaire, et dépend de la façon dont le décideur a effectué son analyse compte tenu des éléments de preuve produits à l’égard des circonstances particulières du demandeur » (au par. 23; voir aussi la décision Odeesh c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 661, au par. 31).

[24]  Comme cela a aussi été souligné, la nature de l’État en question (p. ex. le fait d’être démocratique ou fondé sur la primauté du droit) à elle seule n’est pas un gage d’une protection adéquate de l’État (Sow c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 646, au par. 11, et AB, au par. 22). Bien que des élections démocratiques et d’autres types de responsabilités similaires puissent, du moins en théorie, promouvoir l’efficacité des organes étatiques pour protéger les citoyens contre la persécution, « la question de savoir si un État offre ou non une protection doit toujours s’appuyer sur une analyse plus nuancée, qui prenne en compte la situation particulière du demandeur d’asile, de même que l’État concerné » (Alassouli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 998, au par. 42).

[25]  En l’espèce, le demandeur s’est fondé sur les éléments suivants pour réfuter la présomption que les Bahamas le protégeraient contre la persécution :

  • les autorités policières aux Bahamas font souvent défaut de protéger les membres de la communauté LGBT, en refusant de prendre au sérieux les infractions commises contre eux ou de mener des enquêtes connexes. Elles peuvent même être, elles‑mêmes, des agents de persécution;

  • même lorsqu’il y a des enquêtes et des poursuites relativement à des crimes violents contre des membres de la communauté LGBT, bon nombre d’agresseurs voient leurs chefs d’accusation atténués ou sont acquittés, parce que la loi accorde une importante marge de manœuvre à ceux qui réagissent avec violence à des [traduction« avances » homosexuelles;

  • même s’il y a une loi interdisant la discrimination en milieu du travail en raison de la séropositivité (entre autres motifs), le gouvernement ne l’applique pas efficacement, de telle sorte que la discrimination se poursuit et que les victimes ont peu de recours efficaces;

  • il n’y a pas de loi qui protège les gens contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, et les membres de la communauté LGBT qui souffrent de discrimination n’ont aucun recours juridique;

  • un certain nombre de lois aux Bahamas sont expressément discriminatoires contre la communauté LGBT. Par exemple, les lois concernant la violence conjugale ne protègent pas les membres de couples de même sexe.

[26]  Ces allégations étaient soutenues par des éléments de preuve relatifs aux expériences personnelles du demandeur aux Bahamas. Le demandeur a aussi souligné des expériences de personnes dans des situations similaires ainsi que de façon plus générale, les conditions juridiques, sociales, culturelles et politiques prévalant aux Bahamas, tel qu’elles sont documentées dans la preuve qu’il a fournie.

[27]  Comme cela a été mentionné, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État. Le demandeur conteste cette conclusion pour plusieurs motifs, mais il suffit d’en aborder deux. Premièrement, l’appréciation qu’a faite l’agent des éléments de preuve du demandeur relativement à ses interactions précédentes avec la police est déraisonnable. Deuxièmement, l’agent a commis une erreur en traitant les éléments de preuve selon lesquels l’État déployait de grands efforts pour lutter contre la discrimination visant des personnes ayant le même profil que le demandeur comme étant suffisants pour l’emporter sur la preuve du demandeur selon laquelle la protection de l’État est inadéquate. Je suis d’accord avec le demandeur dans les deux cas.

[28]  Avant d’aborder ces motifs, je tiens à souligner que la façon dont l’agent a rédigé sa décision fait en sorte qu’il est difficile de suivre le raisonnement au sujet de la protection de l’État. L’agent se penche à la fois sur la question du risque et celle de la protection de l’État en même temps tout au long de la décision. Il décrit la preuve en détail, mais son analyse va rarement plus loin que des énoncés catégoriques. De même, plutôt que d’apprécier la preuve sur laquelle le demandeur s’est appuyé de façon holistique, l’agent aborde la preuve élément par élément, et ses conclusions, l’une après l’autre, portent que les éléments de preuve individuels n’établissent pas, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État ne serait pas assurée, quoique bon nombre des éléments de preuve en question n’aient pas du tout été présentés à cette fin, et malgré le fait que c’est l’accumulation des éléments de preuve à cet égard qu’il faut prendre en considération. Je suis prêt à admettre que, peu importe la façon dont la décision est rédigée, l’agent a vraiment pris en considération les éléments de preuve de façon cumulative. Cependant, même en examinant la décision d’un point de vue global, l’analyse qu’a faite l’agent des expériences du demandeur avec la police aux Bahamas comporte de graves vices. Cette preuve était susceptible d’avoir une valeur probante importante tant en elle‑même qu’à la lumière des éléments de preuve sur les conditions dans le pays. Par conséquent, toute erreur commise par l’agent dans le cadre de son appréciation de cette preuve a d’importantes ramifications en ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.

[29]  Passons maintenant aux interactions antérieures du demandeur avec la police aux Bahamas. Il a décrit deux incidents clés. Le premier, c’est lorsqu’il a été victime d’une agression violente par un agent de police en 2013. Le demandeur retournait chez lui tôt un matin d’une boîte de nuit gaie clandestine à Nassau. Il a lui‑même dit qu’il ressemblait [traduction« à une tapette ». Il portait des vêtements serrés et des bijoux [traduction« gais ». Il se sentait plus en sécurité qu’à l’habitude, parce que les rues étaient désertes. Une voiture de police s’est approchée et a arrêté. Un agent est sorti, et l’autre est resté dans la voiture. Le premier agent a proféré des insultes homophobes contre le demandeur, puis l’a frappé au visage plusieurs fois avec la crosse de son arme à feu, disant ceci : [traduction« C’est ce qui arrive aux grandes folles et aux tapettes, par ici. » Le deuxième agent n’a rien fait. Pour ce qui est de l’autre incident, le demandeur a été victime d’une attaque violente par un membre de sa famille en raison de son orientation sexuelle (il a été attaqué avec une machette). L’attaque a mené au dépôt d’accusations de tentative de meurtre, mais la police a convaincu le demandeur de ne pas poursuivre les accusations, et elles ont fini par tomber. Le demandeur a tiré de cette expérience la croyance que la police ne prenait pas la situation au sérieux en raison du fait qu’il était gai.

[30]  L’agent a ainsi traité du premier incident : [traduction« Le demandeur déclare avoir été agressé par un agent de police alors qu’il revenait chez lui, d’une boîte de nuit gaie. Cependant, il ne fournit pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour montrer qu’il a tenté d’obtenir un redressement auprès d’organisations comme le Police Complaints and Corruption Branch [le Service des plaintes et de la lutte à la corruption de la police], qui relève directement du sous‑commissaire et qui est chargé des enquêtes sur les allégations de brutalité policière. » Pour cette raison, l’agent conclut que l’affidavit du demandeur n’était pas suffisant pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que [traduction« la protection de l’État ne serait pas assurée en cas de besoin ».

[31]  Pour commencer, je fais remarquer que la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’avait pas fourni [traduction« suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour montrer qu’il a tenté d’obtenir un redressement » après avoir été agressé par un agent de police est troublante. Il n’était pas ici question du caractère suffisant ou non de la preuve. Le demandeur a reconnu sans équivoque dans son affidavit qu’il n’avait pas poursuivi l’affaire. Il a aussi expliqué la raison pour laquelle il avait agi ainsi, déclarant : [traduction« Je n’ai jamais parlé de l’incident à quiconque. À qui aurais‑je pu en parler, alors que c’était la police qui avait fait cela? Je savais que, puisqu’il s’agissait de la police, cela n’allait rien donner ». L’agent n’aborde nulle part dans sa décision cette explication.

[32]  Comme il en a été question ci‑dessus, la valeur probante du fait que le demandeur n’a pas déposé une plainte au sujet de l’agression dépend de la question de savoir s’il était objectivement déraisonnable pour lui d’avoir agi comme il l’a fait. Le demandeur a déclaré dans son affidavit qu’il croyait que l’État n’allait pas assurer sa protection, parce que son agresseur était un agent de police. L’agent d’ERAR ne pouvait pas raisonnablement tirer une conclusion défavorable du défaut du demandeur de déposer une plainte, sans aborder l’explication de ce dernier quant à la raison pour laquelle il avait agi de la sorte ni examiner la question de savoir si, vu la situation précise du demandeur, solliciter la protection de l’État était une option raisonnable.

[33]  En ce qui concerne le deuxième incident, l’agent d’ERAR conclut que, contrairement aux observations du demandeur, il s’agit en fait d’une preuve de l’accessibilité de la protection de l’État aux Bahamas. Après avoir examiné les circonstances de l’attaque à la machette et ce qui est arrivé par la suite, l’agent écrit ce qui suit :

[traduction] Dans cette situation, le demandeur a pu se tourner vers la police, déposer les rapports nécessaires, et la police allait déposer des accusations [contre l’agresseur] en conséquence. Je conclus donc, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est accessible aux Bahamas à ceux qui la sollicitent.

L’agent poursuit et conclut que, par conséquent, le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État, [traduction« étant donné qu’il a pu se tourner vers la police et avoir accès à un soutien après [l’attaque à la machette] ».

[34]  Bien sûr, le demandeur avait utilisé cet incident comme élément de preuve devant mener à la conclusion contraire. Il avait fait valoir que la protection de l’État n’était pas accessible, parce que, entre autres raisons, la police ne prenait pas les infractions criminelles contre les hommes gais au sérieux. Sa propre expérience en était un exemple. Pour le demandeur, les efforts de la police pour le convaincre de ne pas poursuivre cette affaire, malgré sa gravité, témoignent d’une attitude répandue au sein des forces policières. L’agent d’ERAR n’a abordé d’aucune façon cette observation. Comme le juge Grammond l’a souligné dans la décision A.B., « [d]es lacunes isolées dans le travail de la police ne prouvent pas que la protection de l’État est inadéquate, tout comme le fait que des policiers ont pris certaines mesures dans un cas particulier ne prouve pas que la protection de l’État est adéquate » (au par. 19). L’agent n’avait pas à accepter l’interprétation faite par le demandeur de ces faits, mais il devait l’analyser afin d’établir de façon appropriée la valeur probante des faits. Encore une fois, il s’agit d’une omission importante qui sape le caractère raisonnable de la décision.

[35]  Le demandeur ne s’est pas seulement appuyé sur ses propres expériences pour réfuter la présomption de protection de l’État. Il s’est aussi appuyé sur la preuve relative aux conditions du pays pour montrer que ses expériences étaient conformes à celles d’autres personnes dans des situations similaires. Comme je viens tout juste de l’expliquer, selon moi, l’appréciation qu’a faite l’agent des expériences du demandeur est déraisonnable. J’ai aussi conclu que, en dehors de cela, l’analyse relative à la protection de l’État qu’a faite l’agent est viciée, parce qu’il a utilisé le mauvais critère. C’est ce dont je vais parler maintenant.

[36]  Le demandeur s’est appuyé sur une grande quantité d’éléments de preuve concernant les conditions dans le pays pour soutenir sa demande d’ERAR. L’agent a fait allusion à certains de ces éléments dans la décision, mais il a aussi prétendu procéder à un examen [traduction« indépendant » des conditions dans le pays. L’agent a expliqué avoir donné préséance aux résultats de cet examen aux dépens de l’information présentée par le demandeur, déclarant ce qui suit :

[traduction] Après un examen minutieux, je donne préséance aux nombreux documents que j’ai examinés en réalisant mes propres recherches indépendantes, et je leur accorde une plus grande valeur probante, parce que ces documents sont impartiaux, actuels et détaillés, et qu’ils viennent d’une grande diversité de sources qui n’ont pas d’intérêt quant à l’issue de la demande de protection. Je les préfère à l’opinion du demandeur, aux arguments de son avocate ou à la preuve documentaire de cette dernière.

[37]  Même si l’agent ne l’a pas dit directement, de toute évidence, ce qui précède laisse entendre que, selon l’agent, les documents du demandeur étaient biaisés, périmés, pas assez détaillés et entachés par un intérêt quant à l’issue de la demande. À mon avis, cette caractérisation de la preuve sur laquelle le demandeur s’est appuyé est à la fois inexacte et injuste. Cependant, le résultat de la présente demande de contrôle judiciaire n’a pas à reposer sur ce point, parce qu’il y a un problème plus grave relativement à l’analyse de l’agent.

[38]  Les éléments de preuve auxquels l’agent a donné préséance et auxquels il a accordé une plus grande valeur probante soutiennent en fait la position du demandeur, et ce, à plusieurs égards importants, notamment :

  • la loi aux Bahamas n’offre pas de protection contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle;

  • la loi aux Bahamas interdit la discrimination dans le milieu de travail fondée sur la séropositivité au VIH, mais le gouvernement n’a pas appliqué efficacement la loi, et de nombreux citoyens n’ont pas été en mesure de bénéficier de recours judiciaires contre la discrimination;

  • les Bahamas affichent les mêmes attitudes anti-gaies marquées que le reste des Caraïbes britanniques, et l’homophobie imprègne les attitudes culturelles comme l’expriment la religion, la musique et d’autres formes d’expression;

  • les minorités sexuelles aux Bahamas sont confrontées à de la stigmatisation. En effet, le premier ministre des Bahamas a concédé qu’il y avait encore là‑bas une [traduction« importante stigmatisation » contre l’homosexualité.

[39]  Malgré ce qui précède, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État. Il a écrit ce qui suit :

[traduction]

À la lumière de l’ensemble de la preuve dont je dispose, je suis convaincu que, si le demandeur a besoin d’assistance, il y a des recours qui s’offrent à lui en tant qu’homosexuel et personne vivant avec le VIH aux Bahamas. Le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour établir que, s’il devait retourner aux Bahamas aujourd’hui, une protection ne serait pas raisonnablement assurée ou qu’il est objectivement déraisonnable pour lui d’en solliciter une. Le gouvernement des Bahamas contrôle son territoire et compte sur une structure de sécurité qui fonctionne, tant sur le plan de la défense que sur celui des forces de l’ordre. Il n’y a aucun élément de preuve d’un effondrement du pouvoir étatique dans le pays. Le gouvernement a aussi des mécanismes en place pour soutenir la communauté LGBT. J’accepte le fait que les Bahamas continuent d’être confrontés à des défis en ce qui a trait à la situation de la population LGBT. Cependant, je souligne que la preuve révèle aussi que le pays a mis en place des initiatives et qu’il poursuit ses efforts pour promouvoir l’intégration du groupe, de même que régler les problèmes liés à la situation et au traitement des LGBT, notamment la discrimination et les préjugés. Je suis convaincu que, si le demandeur devait rencontrer des difficultés aux Bahamas, des recours s’offriraient à lui. [Non souligné dans l’original].

[40]  Au moment d’examiner cette question, l’agent devait décider si le demandeur avait réfuté la présomption que les Bahamas lui fourniraient une protection adéquate. Comme cela a été analysé ci‑dessus au paragraphe 22, la question centrale consiste à déterminer si les mécanismes et les mesures qui sont en place sont efficaces sur le plan opérationnel pour quelqu’un affichant le profil particulier du demandeur. Les [traduction« initiatives » et les [traduction« efforts » sont, à eux seuls, insuffisants pour répondre à l’argument du demandeur (qui est fondé sur ses propres expériences et sur la documentation sur les conditions du pays) selon lequel il ne bénéficierait pas d’une protection adéquate aux Bahamas. L’agent disposait d’une grande quantité d’éléments de preuve qui donnaient à penser que, malgré les initiatives entreprises et les efforts déployés, et malgré l’existence d’organismes comme le Police Complaints and Corruption Branch et le Police Complaints Inspectorate Office [le Bureau d’inspection des plaintes contre la police], les personnes ayant le profil du demandeur continuent d’être exposées à de la persécution et à avoir accès à peu de recours efficaces. Les questions liées à l’attitude des policiers à l’égard des personnes ayant le profil du demandeur étaient tout particulièrement importantes, vu les expériences du demandeur et sa crainte d’être à nouveau victime d’agressions physiques. Même dans les éléments de preuve préférés par l’agent, la volonté des Bahamas de créer un cadre de protection juridique pour les hommes gais séropositifs au VIH comme le demandeur était sérieusement mise en doute. Par exemple, l’agent a fait remarquer que le gouvernement des Bahamas avait [traduction« reconnu » les recommandations du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés de 2012 concernant la protection contre la persécution fondée sur l’orientation sexuelle et en avait [traduction« pris note », mais, en fait, il avait expressément mentionné qu’il ne les [traduction« appuyait » pas, comme il l’avait fait pour un certain nombre d’autres recommandations.

[41]  Il revenait à l’agent d’ERAR d’apprécier la preuve et de rendre une décision raisonnable. Sans l’analyse appropriée, la décision du décideur n’est ni rationnelle ni justifiable (Lake, au par. 41). En n’abordant d’aucune façon l’efficacité sur le plan opérationnel des mesures et des mécanismes mis en place aux Bahamas, l’agent n’a pas réalisé une analyse appropriée de la protection de l’État. Par conséquent, cette analyse ne peut pas justifier la décision et faire oublier les erreurs susceptibles de contrôle susmentionnées que comportait l’analyse des risques faite par l’agent.

IV.  CONCLUSION

[42]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent d’ERAR datée du 11 juillet 2018 est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

[43]  Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale en vue de la certification au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑4767‑18

LA COUR STATUE :

  1. que la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. que la décision de l’agent d’ERAR datée du 11 juillet 2018 est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision;

  3. qu’aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour de novembre 2019

Christian Laroche, traducteur


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4767‑18

 

INTITULÉ :

A.B. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 MAI 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 25 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Meagan Johnston

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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