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Date : 19981229


Dossier : IMM-688-98

Entre :

     ESPÉRANCE KALENGA

     et GUANI KALENGA

     Requérantes

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Intimé

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ :

[1]      Il s'agit ici d'une demande d'autorisation de contrôle judiciaire en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration1 à l'encontre d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration ("le tribunal") rendue le 16 janvier 1998 à l'effet que les deux requérantes ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention.

1. Les faits

[2]      Les requérantes sont deux soeurs nées respectivement les 18 décembre 1977 et 1er janvier 1979 à Kinshasa. Elles sont des citoyennes de la République démocratique du Congo (RDC) (ex-Zaïre). Leurs craintes subjectives de persécution sont basées sur le risque qu'elles soient perçues comme étant associées à des Rwandais et des Hutus. En effet, leur grand-père maternel et leur beau-père (leur père biologique est décédé en 1980) étaient des Hutus de nationalité rwandaise. Selon leurs témoignages, tout le monde dans leur quartier savait qu'elles étaient des Hutus de nationalité rwandaise. En plus, l'une des deux requérantes affirme avoir les traits physiques caractéristiques des Hutus du Rwanda.

[3]      Les requérantes affirment avoir vécu paisiblement à Kinshasa jusqu'à ce que la guerre civile éclate à l'automne 1996. Le 12 décembre 1996, des militaires sont entrés de force dans leur maison à Kinshasa, ont battu leur beau-père et l'ont amené avec eux. Leur mère a également été enlevée le 25 février 1997 et leur maison a été pillée.

[4]      Les requérantes ont réussi à quitter le Kinshasa en canot le 17 mars 1997. Elles sont arrivées au Canada via le Congo et la France le 26 mars 1997 et ont revendiqué le statut de réfugié le lendemain. À ce jour, les requérantes sont sans nouvelles de leurs parents.

2. La décision

[5]      Le tribunal a cerné le problème de la façon suivante:

                 ...Il s'agit en l'occurrence de déterminer si les personnes associées aux étrangers, aux Rwandais ou aux Hutus sont, en R.D.C., aux mains de la population, victimes d'actes constituant de la persécution.                 

[6]      Le tribunal a reposé sa décision sur la documentation déposée devant lui et l'a résumée de la façon suivante:

                 La documentation dont nous disposons en cette affaire nous indique qu'au moment de la guerre civile qui, d'octobre 1996 à mai 1997, a mené au renversement du régime de l'ex-président Mobutu, les Rwandais ont eu des difficultés en R.D.C. D'un côté, les forces armées fidèles à l'ex-président Mobutu ont eu tendance à maltraiter les Tutsis, congolais et rwandais, les soupçonnant de soutenir les rebelles et, d'un autre côté, les troupes rebelles loyales au président Kabila et appuyées par les Tutsis du Rwanda ont maltraité les Hutus, en particulier, les Hutus, réfugiés dans l'est de la R.D.C. en 1994.2 Nous remarquons à cet égard que le beau-père et la mère des revendicatrices ont été arrêtés à Kinshasa par les soldats de l'ancien régime au moment de la guerre civile qui a entraîné la chute de ce régime. La documentation nous indique, en outre, que les Hutus ayant fui le Rwanda en 1994 et s'étant réfugiés dans l'est de la R.D.C. ont toujours des problèmes dans l'est de la R.D.C.3. Enfin, la documentation nous indique qu'il y a présentement un certain ressentiment dans la population congolaise à l'égard des Rwandais, en particulier à l'égard des Tutsis rwandais à cause de l'influence très grande qu'on leur attribue sur le gouvernement de la R.D.C.4 Par ailleurs, la documentation ne nous indique pas que les étrangers sont victimes d'actes constituant de la persécution en R.D.C., elle ne nous indique pas non plus que les Rwandais ou les Hutus sont victimes d'actes constituant de la persécution ailleurs que dans l'est de la R.D.C. La documentation ne nous indique naturellement pas que les personnes simplement associées à des étrangers ou à des Rwandais ou à des Hutus sont victimes d'actes                 

                 constituant de la persécution en R.D.C., à l'exception peut-être de l'est de ce pays.                 
                 (mes soulignements)                 

[7]      Le tribunal en a donc conclu que les personnes simplement associées à des étrangers ou à des Rwandais ou à des Hutus ne sont pas victimes d'actes constituant de la persécution en R.D.C., à l'exception peut-être dans l'est de ce pays.

3. Analyse

[8]      L'argument fondamental des requérantes est à l'effet que le tribunal n'a pas tenu compte de la totalité de la preuve. Leur procureur a passé en revue un grand nombre d'extraits de la documentation pour en conclure qu'il y avait sûrement possibilité de persécution à l'endroit des Hutus rwandais à Kinshasa. Globalement, la preuve démontre qu'une telle possibilité existe surtout dans l'est de la République démocratique du Congo, à la frontière du Rwanda, et non dans la région de Kinshasa tout à fait à l'ouest du pays. Il était donc loisible au tribunal d'en conclure que la crainte subjective des requérantes ne reposait pas sur une crainte objective relativement à la région où elles doivent retourner.

[9]      Il faut retenir qu'en matière d'interprétation de la documentation, il n'appartient pas à cette Cour de substituer ses propres conclusions à celles du tribunal, à moins qu'une telle interprétation soit manifestement déraisonnable. Tel n'est pas le cas ici.

[10]      En conséquence, cette demande en contrôle judiciaire ne peut être accueillie.

[11]      Les deux parties sont d'accord qu'il n'y a pas ici de question d'importance générale à être certifiée.

OTTAWA, Ontario

le 29 décembre 1998

    

     Juge

__________________

     1      L.R.C. 1985, c. I-2.

     2      Confédération Helvétique, Office fédéral des réfugiés, "Zaïre: Racines et acteurs du conflit civil", Givisiez, le 30 avril 1997, p. 12 - 13, piece A1, 4ième section.

     3      Entraide Missionnaire, "Info-Congo/Kinshasa, No. 131", Montréal, le 12 septembre 1997, p. 2, pièce A1, 3ième section.

     4      "Au nouveau Congo, les cent jours du pouvoir éclaté de Kabila, Radioscopie du régime du tombeur de Mobutu", dans Libération , Paris, le 26 août 1997, pièce A1, 3ième section.

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