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Date : 20191010

Dossier : IMM‑363‑19

Référence : 2019 CF 1287

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

AMENDE VIOLET OKOJIE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR), de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, a fait droit à la demande présentée par le ministre, au titre du paragraphe 108(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), pour qu’il soit constaté que la demanderesse avait perdu l’asile. La SPR a conclu que la demanderesse s’était réclamée de nouveau et volontairement de la protection du Nigéria, aux termes de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR.

Le contexte

[2]  La demanderesse, Amende Violet Okojie, est arrivée au Canada en 2001 et a présenté une demande d’asile fondée sur sa crainte de devoir subir un mariage forcé et une mutilation génitale féminine (MGF), à laquelle Obaro Umukoro (M. Umukoro), l’homme qu’elle devait épouser, voulait la soumettre avant leur mariage. En juillet 2003, elle a obtenu la qualité de réfugiée au sens de la Convention et est devenue résidente permanente du Canada en 2004.

[3]  Depuis 2004, la demanderesse est retournée dix à douze fois au Nigéria, son pays de nationalité. Durant trois de ces séjours, en 2004, en 2009, puis encore une fois en 2014, elle a demandé et obtenu des passeports nigérians. Elle a voyagé avec ces passeports en 2004 pour rendre visite à son petit-ami d’alors, qui est aujourd’hui son époux; en 2005 pour l’épouser; en 2006 lorsqu’elle était enceinte, se sentait déprimée et voulait le voir; en 2007, 2009 et 2013 pour tenter de concevoir une deuxième fois et pour obtenir le réconfort de son mari après des fausses couches; en 2010 et en 2015 pour voir ses parents qui étaient alors chacun gravement malades; en 2013 à cause de problèmes conjugaux. Son époux est devenu résident permanent en 2007, mais, ayant trouvé difficile de s’adapter à la vie au Canada, il est retourné à sa pratique du droit au Nigéria.

[4]  M. Umukoro, qui était l’agent de persécution de la demanderesse, est mort en 2004. Elle a toutefois déclaré durant son témoignage devant la SPR qu’elle n’avait appris sa mort qu’en 2014.

[5]  En mars 2015, le ministre a présenté une demande, au titre du paragraphe 108(2) de la LIPR, pour qu’il soit constaté que la demanderesse avait perdu son statut de réfugiée au sens de la Convention, demande à laquelle la SPR a fait droit dans une décision datée du 19 décembre 2018. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

La décision faisant l’objet du contrôle

[6]  Notant que la demanderesse et son époux avaient tous deux témoigné à l’audience, la SPR a déclaré avoir tenu compte, pour rendre sa décision, de la preuve du ministre, de la preuve et du témoignage de la demanderesse, des observations écrites des deux parties, des dispositions applicables de la LIPR, du Guide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) ainsi que de la jurisprudence. Le défendeur a fait valoir devant la SPR qu’en demandant et obtenant un passeport nigérian, et en se rendant au Nigéria, la demanderesse s’était, selon la prépondérance des probabilités, volontairement, intentionnellement et vraiment réclamée de nouveau de la protection du Nigéria, et une preuve prima facie en ce sens avait donc été établie au titre de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR. Il incombait donc à la demanderesse de réfuter cette présomption.

[7]  La SPR a fait remarquer que, bien que le fait d’obtenir un passeport de son pays d’origine démontrait normalement que le réfugié se réclamait de nouveau de la protection du pays en cause, il était loisible à la demanderesse de fournir une preuve à l’effet contraire. La SPR a alors énoncé et examiné les explications fournies par la demanderesse pour justifier ses voyages au Nigéria ainsi que l’obtention de ses trois passeports nigérians.

[8]  La SPR a pris note de l’explication fournie par la demanderesse quant à la raison pour laquelle elle avait décidé de demander et avait obtenu ses passeports nigérians au Nigéria, plutôt que par l’entremise de l’ambassade du Nigéria au Canada. Cependant, ce que la SPR a trouvé significatif tenait au fait qu’elle avait demandé et obtenu des passeports nigérians à trois reprises, et qu’elle avait voyagé au Nigéria, munie de ces passeports, à dix occasions distinctes. La SPR a également noté que la demanderesse avait choisi de se rendre au Nigéria au moins cinq fois avant d’apprendre la mort de son agent de persécution.

[9]  La SPR a rejeté l’observation de la demanderesse portant que le paragraphe 108(4) s’appliquait à sa situation. La SPR a ensuite examiné son argument subsidiaire suivant lequel, si des motifs de cessation devaient trouver à s’appliquer, ce devait être ceux prévus à l’alinéa 108(1)e); la SPR a toutefois conclu que la demanderesse avait volontairement commencé à retourner au Nigéria dix ans avant d’apprendre la mort de son agent de persécution en 2014 et que l’alinéa 108(1)e) ne s’appliquait pas. La SPR a aussi conclu que tous les voyages de la demanderesse avaient été volontaires, intentionnels et superflus. Même ceux qu’elle avait faits pour rendre visite à ses parents lorsqu’ils étaient malades n’étaient pas nécessaires, parce que d’autres membres de sa famille s’occupaient d’eux.

[10]  La SPR a conclu à l’insuffisance de la preuve réfutant la présomption selon laquelle la demanderesse s’était volontairement et intentionnellement réclamée de nouveau de la protection du Nigéria lorsqu’elle avait demandé, avait obtenu et s’était vraiment servie de ses nouveaux passeports nigérians pour se rendre dans ce pays. Ses visites au Nigéria avec un passeport nigérian valide, en utilisant sa propre identité, ont signalé sa présence aux autorités et en se réclamant de nouveau de la protection de ce pays, la demanderesse « a démontré qu’elle faisait confiance au gouvernement du Nigéria pour la protéger bien qu’elle s’était vue accorder l’asile parce qu’elle craignait de rester au Nigéria ».

Le cadre législatif

LIPR

108 (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108 (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances :

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

b) il recouvre volontairement sa nationalité;

(b) the person has voluntarily reacquired their nationality;

c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

(c) the person has acquired a new nationality and enjoys the protection of the country of that new nationality;

d) il retourne volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré et en raison duquel il a demandé l’asile au Canada;

(d) the person has voluntarily become re‑established in the country that the person left or remained outside of and in respect of which the person claimed refugee protection in Canada; or

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

(3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d’asile.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected.

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

[11]  En plus du paragraphe 108(1) de la LIPR, la SPR a également reproduit dans sa décision des dispositions du Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le Guide du HCNUR) auxquelles elle s’est référée. À titre de mise en contexte, je note que le Canada est signataire de la Convention relative au statut des réfugiés (la Convention sur les réfugiés). La section A de l’article premier de la Convention sur les réfugiés définit ce qu’est un réfugié au sens de la Convention, définition qui a été incorporée en droit canadien au moyen de l’article 96 de la LIPR. Les conditions dans lesquelles un réfugié perd ce statut, fréquemment désignées comme les « clauses de cessation » (Guide du HCNUR, art. 111), sont énoncées aux paragraphes (1) à (6) de la section C de l’article premier de la Convention sur les réfugiés et sont reprises à l’article 108 de la LIPR.

[12]  La section C de l’article premier, à laquelle la SPR fait référence dans sa décision, prévoit ceci : « Cette Convention cessera, dans les cas ci‑après, d’être applicable à toute personne visée par les dispositions de la section A ci‑dessus : 1) Si elle s’est volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité ». Cette disposition correspond à l’alinéa 108(1)a) de la LIPR.

[13]  Le Guide du HCNUR n’est pas contraignant, mais il s’agit d’un texte supplémentaire persuasif dont la Cour a jugé qu’il pouvait orienter l’interprétation des clauses de cessation de la Convention sur les réfugiés (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Bashir, 2015 CF 51, au par. 43 (Bashir); Din c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 425, au par. 31)).

[14]  Les dispositions pertinentes du Guide du HCNUR sont les suivantes :

113. Le texte de la section C de l’article premier de la Convention de 1951 est le suivant :

« Cette Convention cessera, dans les cas ci‑après, d’être applicable à toute personne visée par les dispositions de la section A ci‑dessus;

1) Si elle s’est volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité; ou

2) Si, ayant perdu sa nationalité, elle l’a volontairement recouvrée; ou

3) Si elle a acquis une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays dont elle a acquis la nationalité; ou

4) Si elle est retournée volontairement s’établir dans le pays qu’elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d’être persécutée; ou

5) Si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d’exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité.

Étant entendu, toutefois, que les dispositions du présent paragraphe ne s’appliqueront pas à tout réfugié visé au paragraphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures.

6) S’agissant d’une personne qui n’a pas de nationalité, si, les circonstances la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugié ayant cessé d’exister, elle est en mesure de retourner dans le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle;

Étant entendu, toutefois, que les dispositions du présent paragraphe ne s’appliqueront pas à tout réfugié visé au paragraphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de retourner dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures. »

114. Parmi les six clauses de cessation, les quatre premières correspondent à un changement dans la situation du réfugié dont lui-même a pris l’initiative, à savoir :

1) Il s’est volontairement réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité;

2) Il a volontairement recouvré sa nationalité;

3) Il a acquis une nouvelle nationalité;

4) Il est retourné volontairement s’établir dans le pays où il craignait d’être persécuté.

115. Les deux dernières clauses de cessation 5 et 6 se fondent sur la considération que la protection internationale ne se justifie plus par suite de changements survenus dans le pays où l’intéressé craignait d’être persécuté, les raisons pour lesquelles l’intéressé est devenu réfugié ayant disparu.

[…]

B. Interprétation des termes employés

(1) Reprise, à titre volontaire, de la protection nationale

Le libellé du paragraphe 1 de la section C de l’article premier de la Convention de 1951 est le suivant :

« Si elle s’est volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité; »

118. Cette clause de cessation s’applique à un réfugié qui possède une nationalité et qui demeure hors du pays dont il a la nationalité. (Le cas du réfugié qui est effectivement retourné « s’établir » dans le pays dont il a la nationalité est prévu par la quatrième clause de cessation.) Le réfugié qui s’est volontairement réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité n’a plus besoin de la protection internationale. Il a montré qu’il n’était plus dans la situation de celui qui ne peut ou ne veut se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité.

119. L’application de cette clause de cessation suppose la réalisation de trois conditions :

a) la volonté : le réfugié doit avoir agi volontairement;

b) l’intention : le réfugié doit avoir accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’est réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité;

c) le succès de l’action : le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection.

120. Si le réfugié n’agit pas volontairement, il ne cessera pas d’être un réfugié. S’il reçoit d’une autorité, par exemple d’une autorité de son pays de résidence, l’ordre d’accomplir contre son gré un acte qui peut être interprété comme le fait de réclamer à nouveau la protection du pays dont il a la nationalité, par exemple de demander à son consulat la délivrance d’un passeport national, il ne cessera pas d’être réfugié du seul fait qu’il a obéi à cet ordre. Des circonstances indépendantes de sa volonté peuvent également le contraindre d’avoir recours à une mesure de protection de la part du pays dont il a la nationalité. Il peut être amené, par exemple, à intenter une procédure de divorce dans son pays d’origine, parce qu’un jugement de divorce qui serait rendu par des tribunaux autres que ceux de son pays ne serait pas internationalement reconnu. Un acte de cette nature ne peut être considéré comme le fait de s’être « volontairement réclamé à nouveau de la protection » du pays considéré et n’entraînera pas la perte du statut de réfugié.

121. Lorsqu’on cherche à déterminer si le statut de réfugié a été perdu dans des circonstances de cet ordre, il convient d’établir une distinction entre le fait de se réclamer à nouveau de la protection du pays considéré et des rapports occasionnels et fortuits avec les autorités de ce pays. Si un réfugié demande et obtient un passeport national ou le renouvellement de ce passeport, il sera présumé, en l’absence de preuves contraires, avoir voulu se réclamer à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité. En revanche, l’obtention de certaines pièces auprès des autorités d’un pays, auxquelles en des circonstances analogues des non‑ressortissants seraient également tenus de s’adresser, par exemple l’obtention d’un certificat de naissance ou de mariage, ou autres services de ce genre, ne peut être assimilée au fait de se réclamer à nouveau de la protection du pays en question.

122. Un réfugié qui demande la protection des autorités du pays dont il a la nationalité ne peut être considéré comme s’étant « réclamé » de cette protection que lorsque sa demande a effectivement abouti. Le cas le plus fréquent de réclamation de la protection du pays sera celui où le réfugié veut retourner dans le pays dont il a la nationalité. Il ne cessera pas d’être un réfugié du simple fait qu’il demande le rapatriement. En revanche, l’obtention d’une autorisation de rentrer dans le pays ou d’un passeport national aux fins de retourner dans le pays sera considérée, sauf preuve contraire, comme entraînant la perte du statut de réfugié. Cependant, cela n’exclut pas qu’une assistance puisse être accordée – y compris par le Haut Commissariat – à celui qui a choisi le rapatriement afin de lui faciliter le retour dans son pays.

123. Un réfugié peut avoir volontairement obtenu un passeport national, avec l’intention soit de se réclamer de la protection de son pays d’origine, tout en demeurant hors de ce pays, soit de retourner dans ce pays. Comme on l’a indiqué précédemment, dès réception de ce document, l’intéressé cesse normalement d’être un réfugié. S’il renonce ultérieurement à l’une ou l’autre intention, il y aura lieu de procéder à une nouvelle détermination de sa qualité de réfugié. Il devra expliquer les raisons pour lesquelles il a changé d’avis et montrer qu’il n’y a eu aucun changement fondamental en ce qui concerne les circonstances qui, à l’origine, ont fait de lui un réfugié.

124. L’obtention d’un passeport national ou la prorogation de la validité de ce passeport peut, dans certaines circonstances exceptionnelles, ne pas impliquer la perte du statut de réfugié (voir, ci‑dessus, le paragraphe 120). Il pourrait en être ainsi dans le cas où il ne serait pas permis au détenteur d’un passeport national de retourner dans le pays de sa nationalité sans autorisation expresse.

[Italiques ajoutés.]

Les questions en litige et la norme de contrôle

[15]  À mon avis, la présente affaire soulève une seule question, soit de savoir si la décision était raisonnable. Les parties soutiennent que la norme de contrôle est la décision raisonnable, et je suis d’accord avec elles, parce que les enjeux soulevés renvoient à des questions de fait et de droit intéressant l’interprétation et l’application de l’article 108 de la LIPR (Bashir, au par. 23; Maqbool c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1146, au par. 22; Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 134, au par. 11; Mun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 246, au par. 10; Abadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 29, au par. 14 (Abadi)).

Analyse

L’application de l’alinéa 108(1)e)

[16]  La demanderesse fait valoir que la SPR a commis une erreur en interprétant l’alinéa 108(1)e) de la LIPR comme exigeant la connaissance subjective d’un changement dans la situation, réfutant le besoin de bénéficier de l’asile, pour que cet alinéa s’applique. Selon la demanderesse, la perception par le réfugié des conditions dans son pays d’origine n’est pas pertinente au regard de la décision de la SPR au sujet de la question de savoir si, objectivement, un changement est survenu dans la situation. La demanderesse soutient que cela ressort d’une simple lecture de l’alinéa 108(1)e), qui n’exige nulle part une connaissance subjective d’un changement dans la situation. Elle soutient que la SPR a conclu à tort que sa connaissance subjective de la mort de son agent de persécution était pertinente au regard de l’analyse relative à l’alinéa 108(1)e), et que, par conséquent, la SPR a conclu de manière déraisonnable que cette disposition ne s’appliquait pas à sa situation, commettant ainsi une erreur susceptible de contrôle.

[17]  Le défendeur soutient que l’argument de la demanderesse ne peut soulever une erreur susceptible de contrôle, parce que la SPR n’a pas fondé sa conclusion de perte du droit d’asile sur l’alinéa 108(1)e); elle a plutôt déclaré que la demande était accueillie au titre de l’alinéa 108(1)a) et elle a fondé sa conclusion sur le fait que la demanderesse s’était volontairement, intentionnellement et vraiment réclamée de nouveau de la protection de son pays. Par conséquent, les erreurs que pourrait avoir commises la SPR quant à l’alinéa 108(1)e) n’ont eu aucun effet sur l’issue et ne devraient pas entraîner l’annulation de la décision. En outre, la SPR a conclu que la connaissance par la demanderesse du changement de circonstances était pertinente au regard de l’alinéa 108(1)a) et de sa volonté de retourner au Nigéria malgré une menace continue. La SPR n’était pas non plus tenue d’accepter la proposition de la demanderesse et de fonder sa conclusion de perte de l’asile sur l’alinéa 108(1)e), puisqu’elle a le pouvoir discrétionnaire de décider quel alinéa du paragraphe 108(1) s’applique dans son analyse (Lu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1060, aux par. 34 et 35 (Lu)).

[18]  Comme point de départ, je fais remarquer que l’alinéa 46(1)c.1) de la LIPR énonce ce qui suit : « Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants : […] la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile ». Ainsi, si l’asile est perdu au titre de l’alinéa 108(1)e), plutôt que des alinéas 108(1)a) à d), l’intéressé ne perd pas son statut de résident permanent. Bien que la demanderesse n’en fasse pas mention dans ses observations, cela explique pourquoi il est important pour elle d’invoquer l’alinéa 108(1)e).

[19]  Je ferai remarquer également que la Cour a déjà jugé que la SPR jouissait du pouvoir discrétionnaire de fonder sa conclusion de perte de l’asile sur n’importe quelle disposition du paragraphe 108(1) et qu’elle n’est pas tenue d’appliquer celles proposées par le ministre ou un demandeur.

[20]  Par exemple, dans Tung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1224 (Tung), la SPR a conclu que la demanderesse s’était de nouveau réclamée de la protection de la Chine, après avoir obtenu un passeport chinois et s’être rendue en Chine à douze reprises pour des raisons personnelles, notamment pour s’occuper de ses parents malades et rendre visite à son époux incarcéré. Dans cette affaire, le ministre et la demanderesse s’étaient entendus pour soutenir devant la SPR que l’asile ne devait être perdu qu’en raison d’un changement de circonstances au titre de l’alinéa 108(1)e). Cependant, la SPR a fondé sa décision sur cette disposition ainsi que sur l’alinéa 108(1)a). Lors du contrôle judiciaire, le juge McDonald a conclu que la SPR pouvait, en vertu d’un large pouvoir discrétionnaire, considérer d’autres motifs applicables, et a cité la décision du juge O’Reilly dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Al‑Obeidi, 2015 CF 1041 (Al‑Obeidi), dans laquelle ce dernier déclarait :

[15]  Le libellé de la loi énonçant la compétence de la Commission est clair. Selon la LIPR, à la demande du ministre, « l’asile [...] est perdu [...] sur constat [...] de tels faits mentionnés au [paragraphe 108 (1)] ». Au nombre de ces motifs figurent le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays (alinéa 108(1)a)) et le changement de la situation dans le pays (alinéa 108(1)e)), de même que le fait de se rétablir dans le pays quitté et celui de recouvrer volontairement sa nationalité.

[16]  Si le Parlement avait souhaité imposer à la Commission l’obligation d’examiner précisément le motif soulevé dans la demande du ministre, il aurait clairement pu le faire. Par exemple, il aurait pu ordonner à la Commission d’examiner les autres motifs de perte de l’asile uniquement dans les cas où le ministre n’a pas justifié la perte de l’asile pour le motif soulevé dans la demande. Or, il ne l’a pas fait.

[17]  […] Il ressort clairement d’une simple lecture de la LIPR que le Parlement a accordé à la Commission le pouvoir discrétionnaire d’examiner des motifs de perte de l’asile autres que ceux qui sont soulevés dans la demande du ministre, y compris un changement dans la situation du pays d’origine. Il a également été précisé qu’une personne ne devrait perdre son statut de résident permanent que si la Commission juge qu’elle n’a plus qualité de réfugié pour des motifs autres qu’une amélioration des conditions dans le pays. L’approche de la Commission semble, à mon avis, cadrer avec le régime adopté par le Parlement.

[…]

[21]  […] Comme il a été mentionné, la Commission est autorisée, selon la LIPR, à examiner tout motif de perte de l’asile énoncé au paragraphe 108(1). Le fait qu’un défendeur concède que l’un des motifs existe ne devrait pas empêcher la Commission de tenir compte d’un autre motif. Dans les circonstances de cette affaire, la Commission s’est sentie obligée d’examiner d’autres motifs de perte de l’asile ayant été avancés par le ministre. Le fait que la Commission ait tenu compte de ces autres motifs ne signifie pas qu’elle a commis une erreur en ne les examinant pas en l’espèce.

[22]  En somme, dans le cadre d’une demande de constat de perte de l’asile présentée par le ministre, la Commission peut examiner tout motif énoncé au paragraphe 108(1) de la LIPR. Si le réfugié intimé convainc la Commission, ou concède, qu’il a perdu son statut en raison du changement de la situation dans le pays (alinéa 108(1)e)), la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire de tenir compte d’autres motifs. On ne peut ni l’obliger à le faire, ni l’empêcher de le faire. Toutefois, lorsqu’il existe une preuve non contredite et non contestée de la perte de l’asile pour un autre motif (p. ex. l’acquisition d’une nationalité d’un pays offrant une protection), la Commission devrait en tenir compte.

[21]  Dans Tung, le juge McDonald a conclu que la SPR avait raisonnablement décidé de trancher la question ultime de la perte de l’asile en s’appuyant sur un motif que les parties n’avaient pas soulevé, ce qui était conforme au pouvoir discrétionnaire que lui conférait la LIPR. Le juge Walker a subséquemment tiré une conclusion semblable dans Lu.

[22]  Dans l’affaire dont je suis saisie, la SPR a clairement déclaré dans la section de la décision intitulée « Décision » que la demande de perte de l’asile présentée par le ministre était accueillie au titre de l’alinéa 108(1)a). Il est vrai, comme le souligne la demanderesse, que la SPR a également précisé dans ses conclusions, ou dans la partie de ses motifs consacrés à l’analyse que « la question déterminante dans le cadre de la présente demande est le premier motif sur lequel elle se fonde, c’est‑à‑dire la question de savoir si l’intimée, par ses actes, s’est effectivement réclamée à nouveau volontairement et intentionnellement de la protection des autorités nigérianes ainsi que celle de savoir si les raisons qui l’ont poussée à demander l’asile existent toujours, comme il est mentionné à l’alinéa 108(1)e) ». Mais, en fin de compte, la décision reposait uniquement sur l’alinéa 108(1)a).

[23]  Dans les observations qu’elle a présentées à la SPR, la demanderesse affirmait que l’affaire devait être tranchée aux termes de l’alinéa 108(1)e). La SPR a examiné ce motif, mais a conclu qu’il ne trouvait pas à s’appliquer. La SPR a déclaré que la connaissance subjective par la demanderesse de la mort de son agent de persécution était pertinente et qu’elle était volontairement retournée au Nigéria, alors qu’elle ignorait que l’agent en question était mort et croyait qu’il représentait encore une menace. En outre, si la demanderesse avait renouvelé ses passeports nigérians ou était retournée au Nigéria après avoir appris la mort de son agent de persécution en 2014, la disposition aurait pu alors s’appliquer, mais ce n’était pas le cas. La SPR s’est ensuite penchée sur le caractère volontaire, intentionnel et réel du fait de se réclamer de nouveau de la protection du Nigéria.

[24]  La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur dans son interprétation de l’alinéa 108(1)e), en exigeant une connaissance subjective de l’absence de risque continu. Toutefois, à mon avis, quand bien même l’interprétation de la SPR serait déraisonnable, et je ne tire aucune conclusion à ce sujet, la jurisprudence établit clairement qu’elle pouvait rendre sa décision en s’appuyant sur, au moins, l’un des motifs prévus au paragraphe 108(1). En l’espèce, la SPR a mentionné et appliqué deux motifs. Sa conclusion ultime reposait sur l’alinéa 108(1)a). En outre, pour les motifs énoncés ci‑après, la décision qu’elle a rendue en s’appuyant sur cette disposition était raisonnable. Par conséquent, même si la SPR a eu tort de conclure que l’alinéa 108(1)e) ne s’appliquait pas, cela n’est ni déterminant ni fatal à la décision faisant l’objet du contrôle, puisque l’issue demeurerait la même, compte tenu de l’analyse relative à l’alinéa 108(1)a) (voir Maple Lodge Farms Ltd c Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45, au par. 51).

L’agent de persécution

[25]  Dans Cerna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1074 (Cerna), le juge O’Reilly faisait remarquer que :

[12]  Le fait de s’être réclamé de nouveau de la protection du pays dont on a la nationalité comporte trois éléments : (1) le réfugié doit avoir agi volontairement; (2) le réfugié doit avoir eu l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité; et (3) le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection (Nsende c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 531, aux paragraphes 12 à 15; Cabrera Cadena c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 67, au paragraphe 22).

[26]  La demanderesse affirme que la SPR a commis une erreur en omettant d’examiner explicitement son argument concernant le fait que l’agent de persécution était un acteur non étatique, un fait important que la SPR n’a pas pris en compte et qui est lié, selon elle, à son intention de se réclamer de nouveau de la protection du Nigéria.

[27]  Elle soutient que la SPR a [traduction] « commis une erreur de droit en concluant au fait de se réclamer de nouveau de la protection du Nigéria, alors que l’agent de persécution était un acteur non étatique ». Elle soutient en outre qu’elle avait posé devant la SPR la question de savoir si [traduction] « […] la personne qui n’avait pas réussi à obtenir la protection de son État [pouvait] se réclamer de nouveau d’une protection inexistante lorsque la demande d’asile a été tranchée ». À cet égard, elle soutient que celui qui a obtenu la qualité de réfugié au sens de la Convention en raison d’une crainte fondée de persécution par des acteurs étatiques pouvait [traduction] « se réclamer de nouveau » de la protection qu’il n’avait pas voulu accepter précédemment. Mais en l’absence de protection, [traduction] « parce que les agents de persécution étaient des acteurs non étatiques, celui qui bénéficie d’une protection l’obtient alors pour la première fois et ne peut donc passer pour s’en réclamer de nouveau ». Dans le contexte de la persécution par un acteur non étatique, la demanderesse fait valoir que [traduction] « la SPR doit avoir conclu que l’État n’était pas en mesure d’assurer une protection » et qu’elle ne peut se réclamer de nouveau d’une protection, parce qu’elle n’en a jamais bénéficié en premier lieu.

[28]  À mon avis, bien que la SPR n’ait pas explicitement mentionné l’argument de la demanderesse, il ressort de ses motifs qu’elle était consciente que l’agent de persécution était un acteur non étatique. La SPR a également pris acte de la preuve de la demanderesse portant qu’elle avait pris des précautions durant ses visites : elle ne séjournait généralement que 10 à 14 jours à la fois, chez son époux, sans informer quiconque de ses visites, et elle ne s’est rendue dans son village natal qu’à une seule occasion lorsque son père était malade, effectuant le voyage de nuit sans s’entretenir avec les membres de la famille présents chez lui – toutes ces mesures visaient à ne pas signaler sa présence à son agent de persécution au Nigéria. La SPR a aussi pris acte du témoignage de la demanderesse selon lequel elle a été avisée par son ancien avocat qu’elle pouvait retourner au Nigéria sans inquiétude, mais la SPR a rejeté cette explication en l’absence de preuve établissant que la demanderesse avait déposé une plainte contre son ancien avocat. Ayant examiné ses explications, la SPR a conclu qu’elles ne réfutaient pas la présomption selon laquelle elle s’était volontairement et intentionnellement réclamée de nouveau de la protection du Nigéria et qu’elle l’avait vraiment obtenue lorsqu’elle s’était servie de ses passeports nigérians pour se rendre dans ce pays. En outre, par les actes qu’elle a posés – en se réclamant de nouveau de la protection du pays – la demanderesse reconnaissait avoir confiance en la capacité du gouvernement du Nigéria de la protéger.

[29]  Quant à l’intention de la demanderesse, elle a déclaré dans son témoignage que, lorsqu’elle avait obtenu et utilisé ses passeports nigérians à l’occasion de ses voyages, elle croyait que son agent de persécution était encore en vie et qu’il représentait un risque pour elle. La SPR a apprécié dans ce contexte son intention de se réclamer de nouveau de la protection de l’État, tout en sachant que son agent de persécution était un acteur non étatique.

[30]  Je prends note également du fait qu’une distinction a été établie entre la protection de l’État accordée pour un motif sur lequel un demandeur a fondé sa demande d’asile, et la protection diplomatique, celle-ci étant pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer, dans le cadre de l’appréciation d’une demande de perte de l’asile, si le demandeur s’est de nouveau réclamé de la protection du pays dont il a la nationalité. Dans Cerna, le juge O’Reilly a déclaré ce qui suit :

[13]  Le fait que le réfugié ait obtenu ou renouvelé un passeport délivré par le pays dont il a la nationalité crée une présomption réfutable selon laquelle le réfugié avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de ce pays (Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 459, au paragraphe 39). Si le réfugié se procure le passeport pour retourner dans son pays d’origine, comme l’a fait M. Cerna, alors il a aussi effectivement obtenu la protection de cet État. Dans ces circonstances, à moins que le réfugié n’ait réfuté la présomption d’intention, il ne reste qu’à déterminer s’il s’est procuré volontairement son passeport.

Et dans Lu, le juge Walker a formulé un commentaire analogue :

[60]  […] [La demanderesse] semble confondre la protection de l’État découlant du motif pour lequel elle a présenté sa demande d’asile et la protection diplomatique, qui s’applique au moment de déterminer si la personne s’est de nouveau réclamée de la protection de son pays. La demanderesse a effectivement bénéficié d’une protection lorsqu’elle a décidé de se rendre en Chine et aux États‑Unis, alors qu’elle comptait sur la protection diplomatique internationale de son pays d’origine.

(Voir également Abadi, aux par. 19 et 21; Peiqrishvili c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1205, au par. 22.)

[31]  Le critère aux fins de la protection de l’État consiste à déterminer si un pays est capable d’offrir une protection adéquate à ses citoyens et s’il est disposé à le faire. Vraisemblablement, la demanderesse a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention, parce que la SPR a cru son témoignage portant qu’elle risquait de subir un mariage forcé et une MGF et que l’État, le Nigéria, ne pouvait la protéger adéquatement contre la source de ce risque, M. Umukoro, son agent de persécution. Comme l’a subséquemment fait remarquer la SPR à l’audition de la demande relative à la perte de l’asile, en se procurant des passeports nigérians et en retournant plusieurs fois au Nigéria, la demanderesse a reconnu par ses actes qu’elle avait confiance en la capacité du gouvernement du Nigéria de la protéger. C’est‑à‑dire qu’elle bénéficiait maintenant d’une protection de l’État adéquate contre les préjudices que pouvait lui faire subir un agent de persécution non étatique. Elle avait démontré qu’elle n’était plus réticente à se réclamer de la protection de son pays de nationalité ou qu’elle n’était plus dans l’incapacité de le faire (art. 96 de la LIPR, art. 118 du Guide du HCNUR).

[32]  En somme, lorsqu’elle a examiné la demande relative à la perte de l’asile, la SPR n’ignorait pas que l’agent de persécution de la demanderesse était un acteur non étatique. La SPR s’est plutôt demandée si les actes posés par la demanderesse même satisfaisaient au critère en trois volets pour conclure au fait de se réclamer de nouveau de la protection du Nigéria, lequel critère n’établit pas de distinction entre les agents de persécution étatiques et non étatiques. La SPR a conclu qu’elle n’avait pas réfuté la présomption du fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité découlant du fait qu’elle avait obtenu et utilisé des passeports nigérians et qu’elle s’était volontairement, intentionnellement et vraiment réclamée de nouveau de la protection du Nigéria.

[33]  Il convient aussi de noter que les observations présentées par la demanderesse à la SPR ne comportaient pas une analyse de l’interprétation législative et que les deux jugements auxquelles elle a fait référence, l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, et ma décision dans Hasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 270, n’appuient pas sa proposition, mais traitent plutôt du critère relatif à la protection de l’État, qui consiste à déterminer s’il existe une protection adéquate de l’État au niveau opérationnel. Ces jugements n’appuient pas non plus l’hypothèse de la demanderesse selon laquelle, si un réfugié [traduction] « n’a pas été en mesure » de se prévaloir de la protection de l’État, une telle protection doit avoir été totalement inexistante. Quoi qu’il en soit, bien que la SPR n’ait pas explicitement abordé l’argument de la demanderesse, elle a déclaré avoir considéré la preuve, son témoignage, les observations écrites des deux parties et a reconnu que l’avocat de la demanderesse avait soutenu que la demande du ministre devait échouer pour plusieurs motifs. De plus, comme l’a jugé la Cour suprême du Canada dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 :

[15]  La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen, mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

[16]  Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

(Voir aussi Ktunaxa Nation c Colombie‑Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, aux par. 137 à 140.)

[34]  Même s’ils ne sont pas parfaits, je suis convaincue que les motifs de la SPR me permettent de comprendre pourquoi elle a rendu la décision qu’elle a rendue, malgré l’absence d’une référence explicite aux arguments de la demanderesse concernant le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays de nationalité lorsque l’agent de persécution est un acteur non étatique. Je ne vois pas non plus d’erreur dans la conclusion de la SPR portant que la demanderesse s’est volontairement, intentionnellement et vraiment réclamée de nouveau de la protection de son pays d’origine. La décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).


JUGEMENT dans le dossier IMM‑363‑19

LA COUR STATUE :

  1. que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. qu’aucuns dépens ne sont adjugés;

  3. qu’aucune question de portée générale n’a été proposée et que l’affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de novembre 2019

Christian Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑363‑19

INTITULÉ :

AMENDE VIOLET OKOJIE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 SEPTEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 10 OCTOBRE 2019

COMPARUTIONS :

Tara McElroy

POUR La demanderesse

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR La demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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