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Date : 20040116

Dossier : IMM-5023-02

Référence : 2004 CF 66

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                LYUDMYLA VASYLIVNA VOYTIK

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                          - et -

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                La demanderesse sollicite, en application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 9 septembre 2002, qui avait refusé à la demanderesse le statut de réfugié au sens de la Convention et le statut de personne à protéger.

[2]                La demanderesse voudrait que la Cour fasse droit à sa demande, qu'elle annule la décision de la Commission et qu'elle renvoie l'affaire pour nouvelle audition par un tribunal différemment constitué.

Les faits

Introduction

[3]                La demanderesse, de nationalité ukrainienne, revendique le statut de réfugié au sens de la Convention, en alléguant son appartenance à un groupe social, à savoir celui des femmes victimes de violence conjugale. Elle dit que, si elle retournait en Ukraine, elle subirait un préjudice grave équivalant à persécution aux mains de son ex-conjoint. Elle dit aussi que les autorités ne la protégeront pas adéquatement.

[4]                La demanderesse a épousé son ex-conjoint en 1977. Des difficultés ont surgi dans le couple au tout début du mariage, et, à partir de 1979, son conjoint s'est mis à la battre. En juin 1983, la demanderesse engageait des procédures de divorce, et le divorce lui fut accordé. Le couple s'est réconcilié pendant quelque temps, mais, en 1986, elle s'est séparée définitivement de son conjoint.


[5]                La demanderesse dit que, depuis leur séparation définitive en 1986, son ex-conjoint n'a cessé de la harceler, de la traquer et de l'intimider. Elle dit qu'il la soumettait à un chantage pour lui extorquer de l'argent et que, à plusieurs reprises, il l'a battue, lui causant un préjudice sérieux qui équivalait à persécution.

[6]                La demanderesse a pris soin de sa mère jusqu'au décès de celle-ci en 1993. La fille de la demanderesse a quitté l'Ukraine en 1997 pour se rendre au Canada afin d'y étudier, et elle travaille actuellement à Regina, en Saskatchewan.

[7]                La demanderesse est venue au Canada pour visiter sa fille en mai 1998, puis elle est retournée en Ukraine. En mai 1999, la demanderesse a décidé de quitter l'Ukraine. Elle est arrivée au Canada le 1er juin 1999. Elle a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention le 7 décembre 1999, après l'expiration de son visa de visiteur.

Motifs de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section de la protection des réfugiés)

[8]                Une audience a eu lieu le 2 juillet 2002 et le 9 juillet 2002. Dans ses motifs datés du 9 septembre 2002, la Commission a estimé que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.


[9]                La Commission a jugé que la demanderesse n'avait pas produit une preuve suffisamment crédible concernant les aspects essentiels de sa revendication. Elle a estimé que, selon la prépondérance des probabilités, l'ex-conjoint de la demanderesse n'avait pas infligé à la demanderesse, après leur séparation en 1986, un préjudice grave équivalant à persécution.

[10]            La Commission a estimé que le témoignage de la demanderesse renfermait des contradictions concernant la date à laquelle elle avait signalé à la police les sévices dont elle était victime, des contradictions entre son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et son témoignage sur la question de savoir si son ex-conjoint cessait de la battre lorsque des témoins étaient présents, des contradictions à propos de certains documents appartenant à la demanderesse et à propos de leur mise en sécurité, des omissions dans le FRP de la demanderesse à propos de certaines violences dont faisaient état son rapport médical et son témoignage, enfin un comportement de la part de la demanderesse qui, de l'avis de la Commission, ne s'accordait pas avec celui auquel on serait en droit de s'attendre chez une personne fuyant la persécution.

[11]            La Commission n'a pas accordé beaucoup de crédit à l'affidavit de la fille de la demanderesse. Par ailleurs, comme elle n'a pas admis que la demanderesse avait produit un témoignage crédible concernant les présumés sévices subis par elle après 1986, elle n'a pas ajouté foi au rapport médical et autres documents du genre produits par la demanderesse.

[12]            Il s'agit ici du contrôle judiciaire de la décision de la Commission selon laquelle la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.


Conclusions de la demanderesse

[13]            Selon la demanderesse, même si la Commission a jugé que la demanderesse n'est pas un témoin crédible, elle devait tenir compte de la preuve documentaire et dire si cette preuve offrait une attestation impartiale de la version donnée par la demanderesse. La demanderesse affirme que, en ignorant les rapports médicaux, qui faisaient état d'une série de traitements administrés pour une diversité de lésions traumatiques entre 1996 et 1999, ou en ne se demandant pas si les rapports en question offraient une attestation impartiale du témoignage de la demanderesse, la Commission n'a pas tenu compte de l'intégralité de la preuve dont elle disposait et elle a donc commis une erreur de droit. Selon la demanderesse, les autres motifs avancés par la Commission pour ignorer certains documents justificatifs dont elle disposait, notamment une évaluation psychologique de la demanderesse, étaient déraisonnables.


[14]            Selon la demanderesse, la Commission ne pouvait en toute logique se fonder sur l'inadéquation du comportement de la demanderesse au regard de la sécurité de ses documents pour dire que la demanderesse n'était pas crédible, car c'était là un aspect qui n'intéressait en aucune manière les points que devait décider la Commission. La demanderesse affirme aussi que les sévices qui lui furent infligés par son ex-mari et dont il n'est pas fait état dans son FRP sont attestés par des rapports médicaux. Elle affirme également qu'il n'apparaît pas que la Commission ait tenu compte des Directives concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe (les Lignes directrices) lorsqu'elle s'est demandé si l'absence de mention des incidents dans le FRP écornait la crédibilité de la demanderesse.

Conclusions du défendeur

[15]            Le défendeur affirme que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable. Il dit que la demanderesse n'a pas prouvé que la Commission n'était pas fondée à tirer les conclusions qu'elle a tirées.

[16]            Selon le défendeur, après que la Commission a conclu que la version de la demanderesse n'était pas crédible, elle n'était nullement tenue d'évaluer la preuve documentaire pour savoir si elle offrait une attestation impartiale de la revendication de la demanderesse. Le défendeur affirme que, ayant récusé la véracité des faits sur lesquels reposaient les rapports médicaux, la Commission pouvait parfaitement n'accorder aucun poids aux rapports en question. Le défendeur affirme que la Cour devrait s'abstenir de revoir la manière dont la Commission a apprécié la preuve, et notamment le poids qu'elle a décidé d'accorder à l'affidavit de la fille de la demanderesse.


[17]            Selon le défendeur, la Commission est fondée à conclure à l'absence de crédibilité d'un revendicateur en se fondant sur des aspects accessoires, dans la mesure où la Commission a évalué la crédibilité du fond de la revendication, ce qu'a fait ici la Commission. Le défendeur avance aussi que la Commission peut se fonder sur l'omission d'événements importants dans le FRP d'un revendicateur pour conclure à la non-crédibilité de celui-ci.

[18]            Selon le défendeur, la Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a jugé inutile de s'en rapporter aux Lignes directrices dans le cas de la demanderesse, puisque ces Lignes directrices ne doivent être considérées que dans les cas qui le justifient. Selon le défendeur, l'application des Lignes directrices n'aurait pas modifié l'issue de la revendication de la demanderesse, et une scrupuleuse prise en compte des Lignes directrices ne saurait tout bonnement conduire à la conclusion que les contradictions, invraisemblances et omissions relevées par la Commission étaient toutes le résultat du syndrome de la femme battue.

Point litigieux

[19]            La Commission a-t-elle commis une erreur parce qu'elle a ignoré des preuves dont elle disposait, parce qu'elle a conclu à la non-crédibilité de la demanderesse en se fondant sur des considérations hors de propos et/ou déraisonnables et parce qu'elle a donc négligé de considérer l'ensemble de la preuve qu'elle avait devant elle?


Analyse et décision

[20]            La Commission avait devant elle deux rapports médicaux délivrés par une polyclinique municipale de Kharkov, en Ukraine, qui se rapportaient aux sévices prétendument subis par la demanderesse après 1986. La Commission n'a pas ajouté foi aux rapports médicaux parce que, à son avis, la demanderesse n'avait pas apporté une preuve crédible ou acceptable des sévices en question. Une lecture attentive des rapports médicaux montre que nombre des mentions qu'ils contiennent font état de lésions qui s'accordent avec des violences physiques (lésions à la partie gauche du thorax, lésions aux parties molles du visage et nombreux hématomes dans la région des extrémités supérieures). Il était manifestement déraisonnable pour la Commission de rejeter purement et simplement les rapports médicaux, sans se demander s'ils renforçaient la crédibilité du témoignage de la demanderesse touchant les présumés sévices ou s'ils attestaient de manière impartiale un préjudice équivalant à persécution. Ainsi que l'a jugé la Cour dans l'affaire Vijayarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 731 (1re inst.) (QL), dans l'affaire Seevaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 167 F.T.R. 130 et dans l'affaire Baranyi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n ° 987 (QL), 2001 CFPI 664, même si la Commission estime qu'un revendicateur n'est pas crédible, elle doit néanmoins tenir compte de la preuve documentaire. Ici, la Commission a commis une erreur parce qu'elle a usé de sa conclusion défavorable sur la crédibilité de la demanderesse comme motif pour n'accorder aucune valeur à une preuve documentaire qui pouvait être d'une importance cruciale, vu la nature de la revendication et du témoignage de la demanderesse.


[21]            Je ne me propose pas d'examiner les autres arguments de la demanderesse, car selon moi mon appréciation de la manière dont la Commission a traité les rapports médicaux de la demanderesse dispose de cette demande.

[22]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[23]            Aucune des parties n'a souhaité que soit certifiée une question grave de portée générale.

ORDONNANCE

[24]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à une autre formation de la Commission pour être de nouveau instruite.

            « John A. O'Keefe »           

Juge

Ottawa (Ontario)

le 16 janvier 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                                                             

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          IMM-5023-02

INTITULÉ :                                         LYUDMYLA VASYLIVNA VOYTIK

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE JEUDI 7 AOÛT 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                        LE VENDREDI 16 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Steven Beiles                                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Robert Bafaro

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Steven Beiles                                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg, c.r.                                                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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