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Date : 20191021


Dossiers : IMM‑4426‑18

IMM‑4427‑18

Référence : 2019 CF 1314

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Barnes

Dossier : IMM‑4426‑18

ENTRE :

EVERAD WESTON WOLLERY SURGEON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

Dossier : IMM‑4427‑18

ET ENTRE :

EVERAD WESTON WOLLERY SURGEON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie de deux demandes par lesquelles le demandeur conteste des décisions connexes ayant une incidence sur son statut de résident permanent, et le présent ensemble de motifs vise à régler ces deux instances. La première décision à l’étude dans le contexte du présent contrôle a été rendue par un délégué du ministre [le délégué] en application de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), c 27 [la LIPR] le 20 novembre 2017. Cette décision a eu pour effet de renvoyer le dossier de M. Surgeon à la Section de l’immigration [SI] en vue de la tenue d’une enquête, et était fondée sur l’opinion du délégué que M. Surgeon était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, aux termes de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. La seconde décision à l’étude dans le contexte du présent contrôle a été rendue par la SI le 31 juillet 2018; cette dernière a conclu que M. Surgeon était interdit de territoire et elle a ordonné son expulsion. Les parties conviennent que la décision de la SI sera confirmée ou annulée, selon l’issue du contrôle par la Cour de la décision du délégué. Il n’est pas contesté non plus que la norme de contrôle applicable dans les deux cas est celle de la décision raisonnable.

[2]  Il est admis que M. Surgeon est citoyen de la Jamaïque. Il est arrivé au Canada à l’âge de huit ans et a obtenu le statut de résident permanent, vraisemblablement sur la foi du statut qu’avait sa mère ici. Maltraité par cette dernière, il a été placé en foyer d’accueil à l’âge de 12 ans. Sa mère a fini par céder sa tutelle à la province de l’Ontario. Il semble que le demandeur ait été déplacé avec une certaine fréquence d’un foyer de groupe à un autre jusqu’à l’âge de 18 ans. Il va sans dire que ses conditions de vie ont été moins qu’idéales et, fait peut-être peu surprenant, il s’est retrouvé impliqué dans la culture des gangs et de la drogue. Pendant les années qui ont suivi, M. Surgeon s’est constitué un lourd casier judiciaire, comptant plus d’une quarantaine de déclarations de culpabilités. À l’heure actuelle, il purge une peine d’emprisonnement de cinq ans et demi à la suite de condamnations pour agression armée, usage illégal d’une arme à feu et possession d’une arme prohibée. Ce sont ces déclarations de culpabilité qui ont déclenché la procédure relative à l’interdiction de territoire qui fait l’objet des présentes instances.

[3]  M. Surgeon prétend que la décision du délégué est déraisonnable, en affirmant que ce dernier n’a pas apprécié de façon convenable les circonstances personnelles atténuantes, plus particulièrement son enfance défavorisée et le fait que les autorités de protection de la jeunesse n’ont pas présenté, pour son compte, une demande de citoyenneté canadienne avant qu’il contrevienne au Code criminel. Sa situation, dit-il aussi, correspond [traduction] « en tout point » à la décision Abdi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 733, 294 ACWS (3d) 818. Dans cette affaire, la juge Ann Marie McDonald traitait d’une situation semblable à la présente, qui mettait en cause un prétendu manquement de la part des autorités de protection de la jeunesse de demandeur en temps opportun la citoyenneté canadienne pour le demandeur. Comme dans la décision Abdi, il est allégué en l’espèce que le délégué a omis de prendre en compte les valeurs consacrées par la Charte qui sont inhérentes à la situation défavorisée qu’a vécue M. Surgeon dans son enfance. Pour cela, il invoque l’arrêt Law Society of British Columbia c Trinity Western University, 2018 CSC 32, aux paragraphes 58 et 59, [2018] 2 RCS 293, où il est dit que les décideurs administratifs sont tenus de mettre en balance de manière proportionnée les protections garanties par la Charte qui sont en jeu et le mandat pertinent que la loi leur confère. Cet argument est exposé plus en détail dans le mémoire de M. Surgeon, aux paragraphes 56 et 57 :

[traduction]

56.  En l’espèce, comme dans Abdi, il existe des faits uniques qui exigeaient, à tout le moins, une prise en compte des valeurs consacrées par la Charte qui étaient en jeu. En tant que non-citoyen de sexe masculin, jeune et noir, ancien pupille de l’État et personne souffrant d’une maladie mentale, le demandeur fait manifestement partie de plusieurs groupes historiquement défavorisés. Pour décider s’il y avait lieu de déférer son cas en vue d’une enquête qui se solderait par la prise d’une mesure de renvoi à son encontre, le délégué du ministre était tenu de prendre en considération la garantie de non-discrimination que prévoit le paragraphe 15(1) de la Charte. L’omission du délégué à cet égard reflète l’erreur que la Cour a relevée dans Abdi :

[87] En l’espèce, M. Abdi a présenté des observations détaillées concernant les faits qui lui sont propres et uniques, y compris le fait qu’il a été longtemps un pupille de l’État. En ce qui concerne le fait qu’il n’a pas la citoyenneté canadienne, il a souligné que le MSC était intervenu pour retirer son nom de la demande de citoyenneté de sa tante. Ces facteurs auraient pu constituer des considérations pertinentes dans la décision de renvoi rendue par la déléguée du ministre, en ce qui a trait à la non‑discrimination consacrée par l’article 15 de la Charte. Mais elle ne les a pas pris en considération. Rien dans le dossier ou dans la décision de la déléguée du ministre n’indique qu’elle s’est penchée sur ces considérations.

57.  Comme la Cour l’a conclu dans Abdi, le fait qu’un décideur omette d’examiner ne serait-ce que les valeurs consacrées par la Charte vicie la décision en soi, car il est ainsi impossible de procéder à un contrôle judiciaire, car la Cour est empêchée de contrôler selon la norme de la décision raisonnable la manière dont ce décideur a mis en balance les objectifs prévus par la loi et les droits et les valeurs que la Charte consacre.

[Voir aussi le par. 21 de la réponse du demandeur.] [Notes de bas de page omises.]

[4]  M. Surgeon admet que, contrairement à la décision Abdi, il n’a soumis aucun argument fondé sur la Charte au délégué ou à la SI. Il allègue néanmoins qu’il incombait au délégué de relever les questions relatives à la Charte et d’en traiter, que celles-ci aient été expressément évoquées ou non. Cela, dit‑il, porte un coup fatal aux deux décisions qui font l’objet du présent contrôle. Avant d’examiner le caractère approprié des raisons pour lesquelles le délégué a transmis le dossier de M. Surgeon à la SI, il est important d’examiner l’étendue du pouvoir que la loi confère au délégué. Ce pouvoir est très restreint.

[5]  Dans la décision McAlpin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 422, [2018] ACF no 423 [McAlpin], le juge en chef Paul Crampton a décrété que, pour ce qui est des affaires de grande criminalité, le délégué est en droit de donner la priorité à la sûreté et à la sécurité publique, au point même de s’abstenir de tenir compte des circonstances personnelles atténuantes [voir le par. 65]. Plus récemment, dans la décision Lin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 862, 308 ACWS (3d) 609, j’ai décrit le pouvoir restreint du délégué en ces termes :

[16]  Au reste, ni l’agent ni le délégué ne sont autorisés à tirer des conclusions de fait ou de droit et ne sont tenus de le faire. Ils procèdent à un examen sommaire du dossier dont ils sont saisis et, à partir de celui‑ci, ils expriment une opinion non exécutoire sur une potentielle interdiction de territoire. Il n’y a là rien de plus qu’une simple démarche de présélection qui enclenche un processus décisionnel. C’est à l’étape de la décision que les questions controversées de droit et de preuve peuvent être appréciées et réglées. Comme l’a statué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Cha, 2006 CAF 126 aux paragraphes 47 et 48, [2007] 1 RCF 409, le processus de renvoi ne vise que l’appréciation des faits qui peuvent être facilement et objectivement vérifiés au niveau de l’enquête. Une appréciation longue et détaillée des questions qui peuvent être dûment appréciées et réglées dans des procédures ultérieures n’est pas nécessaire. Lorsqu’il existe un quelconque pouvoir discrétionnaire de ne pas renvoyer l’affaire à la SI, il incombe à l’agent et au délégué de déterminer la façon dont ce pouvoir sera exercé, de même que les éléments de preuve qui seront utilisés à cet effet. C’est ce qu’a affirmé le juge James Russell dans la décision Faci, précitée, au paragraphe 63 :

[63] La jurisprudence de notre Cour indique clairement que, pour décider si la tenue d’une enquête doit être recommandée, le représentant du ministre a le pouvoir discrétionnaire, et non l’obligation, de prendre en considération les facteurs énoncés dans l’ENF 6. Voir la décision Lee, précitée, au paragraphe 44; Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, aux paragraphes 22 et 23. Dans la présente affaire, la représentante du ministre a conclu à juste titre qu’il n’y avait pas lieu de considérer la situation dans le pays d’origine à cette étape du processus parce qu’une évaluation des risques devrait être faite avant que le demandeur ne puisse être renvoyé.

[17]  Bien que dans l’arrêt Cha, précité, la Cour ait pris soin de limiter l’application de ses motifs aux affaires concernant des étrangers, je ne puis trouver de fondement rationnel justifiant que l’exercice du pouvoir discrétionnaire visé à l’article 44 soit exercé de manière plus importante et libérale à l’égard des résidents permanents. J’admets que des exigences plus strictes en matière d’application régulière de la loi puissent s’appliquer aux résidents permanents, compte tenu du fait qu’ils risquent de perdre leur statut de résident permanent. Toutefois, contrairement à certaines dispositions de la LIPR qui accordent des droits substantiels plus importants aux résidents permanents, l’article 44 traite les étrangers et les résidents permanents de la même façon. Par conséquent, quel que soit le motif d’interdiction de territoire, le pouvoir discrétionnaire de ne pas renvoyer le dossier à la SI est le même pour les deux catégories.

[18]  La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 319, 274 ACWS 3d 382, renseigne également quant à l’étendue du pouvoir discrétionnaire dont disposent l’agent et le délégué dans l’exercice de leurs pouvoirs au titre de l’article 44. Monsieur Sharma était un résident permanent qui s’exposait à une enquête pour motif de grande criminalité. La Cour a reconnu que l’agent et le délégué semblaient avoir « une certaine latitude pour ce qui est de décider s’il convient ou non de rédiger un rapport d’interdiction de territoire », mais que leur pouvoir discrétionnaire était « très restreint » à l’égard des étrangers comme des résidents permanents. Sinon pour faire observer qu’un résident permanent pourrait avoir droit à « un degré quelque peu supérieur de droits de participation », la décision n’établit pas un pouvoir discrétionnaire de fond plus généreux pour cette classe de résidents. En fait, la Cour a appliqué à M. Sharma le raisonnement propre à la sécurité énoncé dans sa décision antérieure dans l’arrêt Cha, précité, en statuant qu’il s’appliquait avec une force égale aux étrangers comme aux résidents permanents (voir le paragraphe 23). La décision décrivait l’objet très limité du processus visé à l’article 44 en ces termes :

[33] L’examen des décisions mettant en cause des recommandations formulées avant l’avis de danger pour le public ou l’avis de risque intérieur que déclenche une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire montre que ces décisions sont de nature différente et ne peuvent pas être comparées au rapport et au renvoi qu’envisagent les paragraphes 44(1) et (2). Je conviens avec l’intimé que le rapport d’interdiction de territoire et les faits marquants de l’affaire ressemblent davantage à des documents pro forma, dont l’objet essentiel est d’énumérer des informations pertinentes extraites du dossier (à propos de la déclaration de culpabilité au criminel et des faits objectifs connexes) ainsi que de justifier brièvement les mesures prises et la recommandation formulée par l’agente. Ces éléments se distinguent nettement d’une revue de recommandations formulées dans le contexte d’un avis de danger pour le public et d’un avis de risque intérieur, qui ressemblent davantage à des outils de plaidoyer.

[37] […] Toutefois, comme il a été mentionné plus tôt, les décisions d’établir un rapport et de le renvoyer à la SI sont de nature administrative, et ne mènent à aucun changement au statut de l’appelant. Seul la SI peut prendre une mesure de renvoi en l’espèce, et l’appelant peut se prévaloir d’un certain nombre d’autres recours avant d’être effectivement renvoyé du pays (demandes en vue de soumettre à un contrôle judiciaire le rapport, le renvoi et les décisions de la SI, une évaluation de risques avant renvoi, de même qu’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire).

[19]  De toute évidence, la Cour n’était pas sensible au genre d’arguments avancés par les demandeurs en l’espèce, selon lesquels le processus de renvoi au titre de l’article 44 comporte une obligation de régler des questions complexes de preuve et de crédibilité, ou d’apprécier des questions de droit allant au‑delà de se faire une simple opinion quant à savoir si une personne est ou non interdite de territoire.

[20]  Pour ces raisons, je conclus que l’étendue du pouvoir discrétionnaire pouvant être exercé à l’égard des demandeurs en l’espèce n’est pas plus grande que celle décrite dans l’arrêt Cha, précité, c’est‑à‑dire que les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes contestées n’entrent pas en ligne de compte. Il est loisible à l’agent et au délégué de réfléchir à des faits « clairs et ne prêtant pas à controverse » concernant les motifs d’interdiction de territoire, et vraisemblablement de prendre en compte des observations sur ceux‑ci. Mais l’obligation légale ne va pas plus loin [1] .

[6]  M. Surgeon dit que la décision du délégué est déraisonnable, car elle consiste, [traduction] « tout au plus, en une énonciation d’éléments de preuve, sans analyse ». Cet argument est détaillé dans son mémoire supplémentaire aux paragraphes 43 et 49 :

[traduction]

43.  Les notes font état de la preuve produite par le demandeur selon laquelle il a été pris en charge pendant toute son enfance au Canada, qu’il a eu une enfance difficile, et qu’il croyait qu’il était citoyen canadien et que la question de son statut relevait des services de protection de la jeunesse qui assuraient sa garde; elles font également état de son diagnostic précoce de maladie mentale. Cependant, les notes de l’agent n’évaluent pas réellement ces facteurs en tant que considérations pertinentes quant au fait de savoir s’il y a lieu de renvoyer le dossier ou non, ou elles n’expliquent pas pourquoi ces facteurs ne constituaient pas un fondement suffisant pour exercer le pouvoir discrétionnaire de ne pas transmettre le rapport. L’agent met plutôt l’accent sur la gravité des infractions du demandeur, sur le fait qu’il a reçu des avertissements dans le passé ainsi que sur sa conviction que le demandeur est un mauvais exemple pour ses enfants, et il conclut ses notes ainsi :

Après avoir pris en considération la totalité des facteurs en l’espèce, dont le temps passé au Canada, ses enfants et sa conjointe de fait qui sont canadiens, et après avoir tenu compte des objectifs énoncés par le législateur dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ainsi que dans la Loi sur le renvoi accéléré des criminels étrangers, je recommande la tenue d’une enquête.

[...]

49.  Il n’y a, en l’espèce, aucune analyse que ce soit. Rien n’explique pourquoi le délégué du ministre a décidé que les antécédents du demandeur au Canada, et en particulier le fait qu’il avait été pupille de l’État au cours de son enfance et que l’État n’avait rien fait pour qu’il obtienne la citoyenneté, ne constituaient pas un fondement suffisant, de pair avec les autres facteurs évoqués, dont sa racialisation et son état de santé mentale, pour surmonter la gravité de ses déclarations de culpabilité, de sorte que son cas ne devrait pas être déféré à la Section d’immigration en vue de la prise d’une mesure de renvoi. Comme ce fut le cas dans la décision Ayyad, les motifs et le dossier ne sont pas suffisamment étoffés pour que la Cour puisse contrôler le caractère raisonnable du processus décisionnel.

[Notes de bas de page omises.]

[7]  Les trois décisions que M. Surgeon a citées à l’appui de cet argument sont Ayyad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1101, 246 ACWS (3d) 513, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Arastu, 2008 CF 1222, [2008] ACF no 1561 et Melendez c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2016 CF 1363, [2016] ACF no 1434. Les décisions Ayyad et Arastu concernaient le caractère suffisant des motifs exposés dans des affaires de citoyenneté et elles ne sont pas utiles dans le contexte d’un renvoi fondé sur l’article 44. La décision Melendez avait bel et bien trait à un renvoi fait par le délégué en vertu de l’article 44, et la Cour a accordé la réparation sollicitée pour les motifs suivants :

[37]  Il se peut que les arguments avancés par le demandeur aient appelé un complément d’information, mais, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour ne peut pas se livrer à des suppositions quant à ce qui aurait porté l’agent, puis le délégué, à écarter les arguments que faisait valoir le demandeur. Dans Spencer, l’agent avait, dans son rapport circonstancié, tout de même précisé qu’il était « sensible à l’intérêt supérieur des enfants de la partie intéressée nés au Canada ». Or, en l’occurrence, la seule mention qui soit faite des jeunes sœurs du demandeur, et de son enfant à naître, se trouve dans la phrase résumant les [traduction] « renseignements qui n’avaient pas, avant cela, été portés à notre connaissance ». Pas la moindre mention, même sommaire, du fait que l’intérêt des enfants aurait été pris en compte, et encore moins que leur intérêt ait été tant soit peu reconnu, ou évalué.

[38]  Compte tenu des circonstances de l’espèce, il était, de la part du délégué, à la fois insuffisant et déraisonnable de simplement indiquer que les arguments avancés par le demandeur avaient été [traduction] « examinés et pris en compte ». Ni l’agent ni le délégué n’ont expliqué pourquoi les arguments du demandeur avaient été jugés insuffisants. Compte tenu de la décision en cause, on ne peut pas savoir en l’espèce si le délégué s’est penché de manière raisonnable sur les arguments avancés par le demandeur, étant donné que ni le délégué ni l’agent n’expliquent pourquoi les arguments du demandeur ont été écartés.

[39]  Il est vrai que le délégué s’est dit d’accord avec l’agent qui estimait que [traduction] « compte tenu de la gravité des infractions commises », le demandeur devrait voir son cas déféré pour enquête. Or, la gravité des infractions commises ne suffit pas en soi à écarter, sans les évoquer, ne serait‑ce que brièvement, les arguments du demandeur, en ne faisant que mentionner qu’ils ont été examinés et pris en compte. La gravité des infractions commises est en l’espèce l’unique conclusion avancée, sans le moindre motif expliquant pourquoi ce facteur devrait l’emporter sur les diverses considérations d’ordre humanitaire invoquées par le demandeur. La décision de renvoi est donc déséquilibrée. Elle est, par voie de conséquence, non intelligible et ne se justifie pas au regard des faits et du droit.

[8]  Les motifs fournis dans le cas de M. Surgeon, lesquels revêtent la forme d’un rapport circonstancié prévu à l’article 44, sont nettement plus solides que les vagues références mentionnées plus tôt. Dans la présente affaire, les motifs contiennent des informations sur les antécédents de M. Surgeon en matière d’emplois et d’études, sur les facteurs d’ordre humanitaire pertinents, ainsi que sur ses plans de vie après sa mise en liberté. La justification ultime du renvoi du dossier de M. Surgeon à la SI est la suivante :

[traduction]

Le 19 octobre 2017, M. Wollery a été informé des allégations, conformément à l’alinéa 36.(1)a).

Il a reconnu avoir reçu la lettre de l’ASFC datée du 18 octobre 2017. Il a reconnu avoir eu la possibilité de lire cette lettre et d’en comprendre la teneur.

Le 19 octobre 2017, M. Wollery a été informé du processus d’établissement d’un rapport, de la possibilité que son dossier soit déféré en vue d’une enquête, ainsi que des conséquences de cette enquête. Il a de plus été informé que si une mesure d’expulsion était prise, il perdrait le droit d’interjeter appel, car il a été déclaré coupable de grande criminalité et condamné à une peine d’emprisonnement d’au moins six mois. Il a indiqué qu’il comprenait la situation.

Le 19 octobre 2017, M. Wollery a été informé que si une mesure d’expulsion était prise contre lui, il lui serait possible de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi avant que l’on procède à son renvoi du Canada.

Il a indiqué qu’il souhaitait aller de l’avant.

Le 19 octobre 2017, M. Wollery a été informé de la possibilité de présenter des lettres d’appui ou d’autres informations à prendre en considération avant le 10 novembre 2017. Il a été informé qu’il pouvait solliciter l’assistance d’un avocat pour ses observations s’il le souhaitait.

Des observations ont été reçues le 6 novembre 2017 et, une fois de plus, le 9 novembre 2017. Celles‑ci ont été lues et examinées dans leur intégralité.

M. Woolery Surgeon est présent au Canada depuis l’âge de huit ans. Il a été pris en charge par la Société d’aide à l’enfance (SAE) peu après son arrivée au Canada et il a grandi dans des foyers d’accueil. Il croyait que la SAE allait présenter une demande pour qu’on lui attribue la citoyenneté, car il était un enfant, et il soutient qu’il n’a jamais su qu’il n’était pas citoyen canadien. Il est résident permanent de longue date. Il a été reconnu coupable de grande criminalité à de nombreuses reprises au cours des 10 premières années suivant son arrivée au Canada, mais étant donné qu’il était âgé entre 8 et 18 ans, ses infractions ont été considérées comme des infractions prévues dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et, comme il s’agit de déclarations de culpabilité n’ayant pas fait l’objet de rapport, il a toujours le statut de résident permanent de longue date.

Ses lettres d’observations illustrent bel et bien qu’en transitant de foyer d’accueil en foyer d’accueil il a eu une enfance et des années formatrices difficiles. Les lettres montrent qu’il souffre d’un trouble bipolaire qui, non diagnostiqué, l’a empêché de fonctionner normalement. Privé d’un milieu stable lui apportant le soutien dont il avait besoin, il s’est appuyé sur ses amis et sur ses fréquentations plutôt que sur les membres de sa famille. Ses amis ont fini par être de mauvais amis, qui l’ont entraîné dans une vie de criminalité.

Ses propres observations décrivent en détail la mesure dans laquelle la plupart de ses déclarations de culpabilité ont été prononcées à l’époque où il était un adolescent vivant en foyer de groupe et ne bénéficiant d’aucun système de soutien. Il ne fait pas l’objet d’un rapport établi en vertu de l’article 44 pour les infractions qu’il a commises dans son adolescence. Il décrit comment, lors de sa première déclaration de culpabilité pour possession d’une arme à feu, il a plaidé coupable sur l’avis de ses avocats, après avoir passé près de deux ans en détention préventive, alors que les deux autres individus accusés avaient eu droit à une mise en liberté sous caution, parce que des membres de leur famille s’étaient portés garants d’eux. Il a déclaré que l’arme n’était pas à lui et qu’il se trouvait à la maison d’un ami quand le mandat de perquisition avait été exécuté, mais que, comme il n’avait pas obtenu de caution, il avait de toute façon déjà purgé le temps que le ministère public souhaitait obtenir pour cette infraction. S’il plaidait coupable, il serait mis en liberté, compte tenu du temps purgé. Il nie tout à fait être impliqué d’une manière quelconque ou être responsable du fait qu’il vivait à la résidence au moment en question, l’arme à feu était bien en vue au moment de l’arrestation, il était en probation pour de nombreuses condamnations antérieures et le mandat de perquisition faisait suite à une enquête en matière de trafic de drogue qui s’était soldée également par des accusations de trafic de drogue. Néanmoins, on lui avait remis une lettre d’avertissement pour cet incident, car l’ASFC n’avait pris aucune mesure. Cette déclaration de culpabilité constitue sa troisième infraction liée à des armes à feu.

Ses lettres d’appui indiquent que son seul soutien familial est formé de ses enfants, de sa conjointe de fait, ainsi que de ses frères et ses sœurs au Canada. Il est un homme jeune, en bonne santé physique, qui sera à la longue en mesure de s’adapter à la vie en Jamaïque. Il parle la langue, a vécu là‑bas jusqu’à l’âge de huit ans et est physiquement apte à travailler.

M. Woolery Surgeon est un criminel endurci. Il a des démêlés avec le système canadien de justice pénale depuis sa première condamnation en tant qu’adolescent en 2004, à l’âge de 14 ans seulement. Depuis ce temps, il a amassé 46 déclarations de culpabilité, et 28 autres accusations criminelles ont été retirées. Il purge une peine fédérale à Kingston (Ontario) à la suite de sa troisième condamnation pour possession d’une arme à feu prohibée chargée. Les infractions qu’il a commises sont de nature très violente, et elles comprennent l’utilisation d’armes et le trafic de drogue. Il est évident qu’il n’a aucun respect pour les lois canadiennes.

Il a reçu dans le passé des lettres d’avertissement qui n’ont rien fait pour prévenir son comportement criminel, lequel s’est aggravé au point où il est aujourd’hui un détenu fédéral.

Il a deux enfants au Canada, ainsi qu’un beau-fils. Il prétend être présent dans leur vie depuis leur naissance. Cependant, comme il a passé une bonne part de sa vie en prison depuis leur naissance, il est difficile d’avoir une influence aimante et constante en étant derrière les barreaux. Il n’est pas un exemple positif pour ses enfants et il les a mis en danger dans le passé le jour où il a été arrêté pendant qu’il prenait soin de l’un d’eux.

Après avoir pris en considération la totalité des facteurs en l’espèce, dont le temps passé au Canada et ses enfants et sa conjointe de fait qui sont Canadiens, et après avoir pris en compte les objectifs que le législateur a énoncés dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ainsi que dans la Loi sur le renvoi accéléré des criminels étrangers, je recommande la tenue d’une enquête.

[9]  Compte tenu du mandat très restreint que l’article 44 confère au délégué, ainsi qu’il est décrit dans les décisions McAlpin et Lin, précitées, et cela inclut la conclusion du juge en chef Crampton dans la décision McAlpin, à savoir qu’il n’est pas nécessaire dans les affaires de grande criminalité que le délégué tienne compte de circonstances personnelles atténuantes, je suis convaincu que ces motifs sont acceptables. En fait, ils sont suffisants pour que M. Surgeon comprenne pourquoi son dossier a été renvoyé à la SI. Ses antécédents criminels étaient flagrants, violents, de longue durée et croissants, et ils avaient plus de poids que les circonstances atténuantes qu’il avait présentées en opposition à un renvoi. Comme l’a signalé le délégué, M. Surgeon avait été prévenu en 2013 que la perpétuation d’autres actes criminels pouvait donner lieu à son expulsion. Néanmoins, il s’est livré à une agression armée, dans le contexte d’une apparente transaction de drogue qui a mal tourné. Il s’agissait là de sa troisième déclaration de culpabilité, sur une période d’environ six ans, pour une infraction liée à une arme à feu. Il avait alors la fin de la vingtaine et avait nettement passé le cap de l’immaturité adolescente. Il s’est souvent retrouvé en prison et n’a pas été un exemple positif pour ses enfants. Je suis donc persuadé que les motifs du délégué pour renvoyer le dossier de M. Surgeon à la SI étaient suffisants et que la décision rendue était, à cet égard, raisonnable.

[10]  L’argument selon lequel, en l’absence d’observations, le délégué était légalement tenu d’analyser au regard de la Charte l’importance des difficultés que M. Surgeon a vécues dans son enfance est lui aussi sans fondement. Comme il a été dit dans les décisions Lin et McAlpin, précitées, le délégué a un vaste pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de la prise en considération des éléments de preuve produits par la personne visée et il est tenu seulement de faire part à la SI d’une opinion non exécutoire quant à l’interdiction de territoire de cette personne. Avec un mandat aussi restreint, rien n’oblige le délégué à mettre au jour des questions de droit complexes ou à accepter sans réserve chaque affirmation qu’une personne lui fait sur ses difficultés personnelles. Il s’ensuit que le délégué n’est pas tenu de réfléchir de manière indépendante à ce qu’il est convenu d’appeler les valeurs consacrées par la Charte avant de déférer un dossier à la SI. L’idée qu’un délégué a l’obligation positive de chercher des arguments juridiques ou des éléments de preuve a été rejetée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sharma c Canada, 2016 CAF 319, au par. 51, 274 ACWS (3d) 382. Il me semble aussi que, si l’agente qui avait procédé à un examen approfondi des motifs d’ordre humanitaire dans l’affaire Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 RCF 635, n’était pas tenue de faire des recherches indépendantes ou de compléter une demande présentant des lacunes, il ne peut exister une telle obligation dans l’exercice du mandat que l’article 44 confère à un délégué [voir les par. 8 à 10]. De plus, sans exprimer d’opinion sur la justesse de la décision rendue dans la décision Abdi, précitée, je signale que les arguments fondés sur la Charte qui ont été invoqués pour le compte de M. Abdi ont été pleinement exposés au délégué, mais que celui‑ci en a fait abstraction. Il s’agit là d’une distinction importante par rapport au dossier de M. Surgeon.

[11]  M. Surgeon soutient également que le délégué a commis une erreur en prenant en considération quelque 28 accusations criminelles retirées comme preuve de ses antécédents criminels et de sa propension au crime. Les accusations retirées sont mentionnées à deux reprises dans le rapport circonstancié prévu à l’article 44. La première de ces mentions se trouve au bas de la section 4, qui énumère aussi de nombreuses condamnations n’ayant pas fait l’objet de rapport, dont des condamnations pour voies de fait, agressions armées, résistance à arrestation avec voies de fait, obstruction et trafic de drogue. La mention contestée indique : [traduction] « 28 accusations retirées découlant de 9 dates d’incident d’arrestation différentes ». La seconde mention figure dans la description suivante des antécédents criminels de M. Surgeon :

[traduction]

M. Woolery Surgeon est un criminel endurci. Il a des démêlés avec le système canadien de justice pénale depuis sa première condamnation en tant qu’adolescent en 2004, à l’âge de 14 ans seulement. Depuis ce temps, il a amassé 46 déclarations de culpabilité, et 28 autres accusations criminelles ont été retirées. Il purge une peine fédérale à Kingston (Ontario) à la suite de sa troisième condamnation pour possession d’une arme à feu prohibée chargée. Les infractions qu’il a commises sont de nature très violente, et elles comprennent l’utilisation d’armes et le trafic de drogue. Il est évident qu’il n’a aucun respect pour les lois canadiennes.

[12]  M. Surgeon soutient que, par ces observations, l’agent s’est servi de manière inadmissible de la preuve des accusations retirées en traitant ce retrait comme un facteur aggravant. Cette manière de procéder, dit‑il, va à l’encontre des enseignements découlant des affaires telles que McAlpin, précitée, et Abdi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 950, 285 ACWS (3d) 141 [Abdi no 2].

[13]  Dans la décision Abdi no 2, le juge Richard Southcott a infirmé un renvoi par le délégué aux fins d’enquête en vertu de l’article 44, parce que ce dernier avait pris en compte plus d’une centaine d’accusations principalement portées devant des tribunaux pour la jeunesse comme preuve de « son activité criminelle profondément ancrée ». Le juge Southcott a bien exprimé ses réserves au paragraphe 40 :

[40]  Il n’est pas possible pour la Cour de décider si le délégué aurait décrit les antécédents de M. Abdi de la même manière et en serait arrivé à la décision de déférer son cas à une enquête sur l’admissibilité, s’il n’avait pas tenu compte de la centaine d’accusations que l’agent avait relevée. Par conséquent, s’il s’agissait d’une erreur pour le délégué de tenir compte de ces renseignements, je dois en conclure que la décision est déraisonnable. Comme je l’ai déjà souligné, le défendeur n’a fourni aucune autre explication du rôle que ces renseignements ont joué dans l’analyse du décideur, c’est‑à‑dire d’une utilisation autre que celle de la preuve de la criminalité de M. Abdi, et à mon avis, le dossier incite à conclure que ces renseignements constituaient en partie le fondement de la conclusion selon laquelle M. Abdi avait démontré une activité criminelle bien ancrée. À ce titre, même si cette activité criminelle n’a pas été considérée comme une infraction à l’origine de la peine en application de l’al. 36(1)a) de la LIPR, mais a plutôt été assimilée à un facteur ayant joué dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du délégué, je conclus que les accusations ont été invoquées dans un but interdit.

[14]  Le juge Southcott a reconnu qu’une preuve digne de foi d’activités criminelles pouvait être prise en compte pour faire une telle description, mais le simple fait qu’il y avait des accusations non prouvées ou retirées n’était pas un facteur pertinent.

[15]  La décision du juge en chef Crampton dans McAlpin, précitée, où il a conclu que le délégué avait accordé de manière déraisonnable un poids considérable à une preuve d’accusations retirées pour conclure qu’il y avait un mode de comportement criminel essentiellement ininterrompu, va dans le même sens général que ce qui précède. Il a fait part de ses réserves de la manière suivante :

[97]  Comme il a été précisé au paragraphe 87 ci‑dessus, les principaux facteurs sur lesquels l’agent semble s’être fondé pour recommander M. McAlpin pour enquête incluent ses « antécédents historiques importants » et « de nombreuses infractions différentes impliquant le fait d’avoir braqué une arme à feu et commis des actes de violence contre des danseuses exotiques ». L’agent a qualifié ces antécédents criminels comme s’étendant sur « les trente-cinq dernières années avec peu d’écarts ». Il ressort de la décision de l’agent que beaucoup d’importance a été accordée à ces facteurs dans cette décision.

[98]  La qualification de l’agent des « antécédents criminels » de M. McAlpin comme s’étendant sur « les trente-cinq dernières années avec peu d’écarts » n’a de sens que si les antécédents sont considérés comme incluant les [traduction] « nombreuses accusations distinctes retirées lors de cette période » qui ont déjà été soulignées dans le rapport de l’agent. Toutefois, ces accusations n’ont jamais été prouvées, et ne sont donc pas la preuve d’« antécédents criminels » : Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, au paragraphe 50 [Sittampalam]; Balan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 691, au paragraphe 21; Kharrat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 842, au paragraphe 21 [Kharrat].

[99]  Une fois que ces accusations sont exclues de l’examen, les « antécédents criminels » de M. McAlpin consistent en cinq déclarations non déclarées en plus de quatre accusations auxquelles il a plaidé coupable en 2014. Ces dernières sont décrites au paragraphe 15 ci‑dessus. Les cinq accusations non déclarées étaient pour omission d’être resté sur les lieux d’un accident (1975), agression (1983), conduite avec des facultés affaiblies (1987), méfait de moins de 5 000 $ (1996), et omission de s’être arrêté sur les lieux d’un accident (1997).

[100]  Il est bien évident, à partir du résumé des condamnations de M. McAlpin, qu’il y a en effet des écarts importants dans ses antécédents criminels, à savoir l’écart de huit ans entre ses deux premières condamnations, l’écart de neuf ans entre sa troisième et sa quatrième condamnation, et l’écart de dix-sept ans entre sa cinquième et sa sixième condamnation en 1997 et ses quatre condamnations en 2016. En fait, à la suite du dernier écart, le juge Arrell a qualifié le casier judiciaire de M. McAlpin comme étant [traduction] « à jour ».

[101]  Vu ce qui précède, il est raisonnable de déduire que l’agent s’est fondé de manière inacceptable sur les accusations retirées de M. McAlpin pour conclure qu’il « a des antécédents criminels importants qui s’étendent sur les trente-cinq dernières années avec peu d’écarts ». Dans la mesure où l’agent et le délégué ont ensuite accordé beaucoup d’importance à cette conclusion pour prendre leurs décisions, ces décisions étaient déraisonnables.

[16]  Je souscris à la prémisse de M. Surgeon selon laquelle les accusations criminelles non prouvées ou retirées sont, en soi, non pertinentes une évaluation de l’interdiction de territoire en vertu de l’article 44. Cependant, le simple fait que ces accusations soient mentionnées dans la décision du délégué de renvoyer un cas à la SI n’est pas une raison pour conclure qu’on leur a accordé un poids important. Dans les deux décisions Abdi et McAlpin, précitées, il était évident que les délégués respectifs avaient bel et bien tenu compte des accusations non prouvées pour se former une opinion sur la constance des activités criminelles et pour combler essentiellement des lacunes dans les antécédents criminels prouvés. Cela n’est pas le cas en l’espèce. M. Surgeon avait de nombreux antécédents établis de comportement criminel grave, violent et croissant qui étayaient amplement l’opinion du délégué selon laquelle le demandeur n’avait « aucun respect pour les lois canadiennes ». Cette preuve établie d’une grande criminalité constante de la part de M. Surgeon n’avait pas besoin d’être étayée par des éléments supplémentaires, et je ne suis pas disposé à tenir pour acquis que les deux seules mentions relatives aux accusations retirées ont été importantes pour la décision de renvoyer le cas : voir Brace c Canada, 2010 CF 582, au par. 9, [2010] WDFL 4955.

[17]  Indépendamment du caractère raisonnable de ces décisions, les affaires telles que celle-ci soulèvent bel et bien des questions de principe défendables. M. Surgeon est arrivé au Canada lorsqu’il était enfant. Sa vie familiale a été chaotique et il est devenu pupille des services de protection de la jeunesse de l’Ontario. Son comportement criminel est en grande partie le fruit d’une famille dysfonctionnelle, de problèmes de santé mentale et de sa vie en foyers d’accueil au Canada. Si les autorités publiques ont omis de nombreuses années durant de prendre des mesures raisonnables pour parfaire sa citoyenneté, le caractère approprié de son expulsion suscite effectivement des doutes légitimes. Il s’agit toutefois là d’une question qu’il incombe au ministre d’examiner, et non à la Cour.

[18]  Pour les motifs qui précèdent, les présentes demandes sont rejetées.

[19]  L’avocat de M. Surgeon a proposé les questions qui suivent en vue de leur certification :

[traduction]

Un délégué du ministre agissant en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR est‑il tenu de prendre en considération les valeurs consacrées par la Charte, dont l’égalité et la non-discrimination, pour décider s’il convient de transmettre un rapport sur l’interdiction de territoire à la Section de l’immigration en vue de la tenue d’une enquête?

Cette obligation, le cas échéant, dépend-elle du fait que le sujet du rapport soulève les valeurs consacrées par la Charte et demande qu’on les prenne en considération?

[20]  Mis à part le fait qu’elle soit liée à la première question, je ne suis pas tout à fait sûr du sens de la seconde question. Le ministre s’oppose à la demande de certification pour la raison suivante :

[traduction]

Plus précisément, le demandeur n’a pas établi que les protections garanties par la Charte sont effectivement applicables en l’espèce, ce qui doit être fait avant que l’on puisse évaluer si une décision est le reflet d’une mise en balance proportionnelle des protections garanties par la Charte qui sont en jeu. Voir l’arrêt Trinity Western University c Barreau du Haut‑Canada, 2018 CSC 33, au par. 31, et l’arrêt Kreishan et al c Canada (MCI), 2019 CAF 223, au par. 88.

[21]  Malgré quelques réserves quant à savoir si les questions posées seront déterminantes et en gardant à l’esprit que la décision que j’ai rendue dans l’affaire Lin c Canada, précitée, fait l’objet d’un appel, je certifierai les questions suivantes :

[traduction]

Dans quelle mesure le délégué du ministre agissant conformément au par. 44(2) de la LIPR est‑il tenu de prendre en considération les circonstances personnelles atténuantes, y compris les valeurs consacrées par la Charte, avant de déférer le cas d’un résident permanent à la Section de l’immigration pour grande criminalité, et le pouvoir discrétionnaire a‑t‑il été exercé de façon raisonnable en l’espèce?


JUGEMENT dans les dossiers IMM‑4426‑18 et IMM‑4427‑18

LA COUR ORDONNE que les présentes demandes soient rejetées, mais que les questions suivantes soient certifiées :

[TRADUCTION]

Dans quelle mesure le délégué du ministre agissant conformément au par. 44(2) de la LIPR est‑il tenu de prendre en considération les circonstances personnelles atténuantes, y compris les valeurs consacrées par la Charte, avant de déférer le cas d’un résident permanent à la Section de l’immigration pour grande criminalité, et le pouvoir discrétionnaire a‑t‑il été exercé de façon raisonnable en l’espèce?

To what extent does a Minister’s Delegate acting pursuant to s 44(2) of the IRPA have an obligation to consider personal mitigating circumstances including Charter values before referring the case of a permanent resident to the Immigration Division on the ground of serious criminality, and was the discretion reasonably exercised in this case?

 

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de novembre 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIERS :

IMM‑4426‑18 et IMM‑4427‑18

 

DOSSIER :

IMM‑4426‑18

INTITULÉ :

EVERAD WESTON WOLLERY SURGEON c MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

ET DOSSIER :

IMM‑4427‑18

INTITULÉ :

EVERAD WESTON WOLLERY SURGEON c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AOÛT 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :

LE 21 OctobRE 2019

COMPARUTIONS :

Andrew Brouwer

POUR LE DEMANDEUR

 

James Todd

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

The Refugee Law Office

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 



[1] Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.

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