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Date : 20191016


Dossier : IMM-586-19

Référence : 2019 CF 1296

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 16 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

KARIM EL SBAYTI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Il s’agit d’une affaire concernant un jeune homme qui croyait avoir répondu à une question véridiquement, et c’est en fait probablement le cas, mais qui a été considéré comme ayant fait de fausses déclarations dans sa demande de visa.

[2]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas [l’agent des visas] au Haut-commissariat du Canada au Ghana, rejetant sa demande de visa de résident temporaire (visiteur). L’agent des visas a refusé la demande pour fausses déclarations en vertu du paragraphe 40(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], rendant ainsi le demandeur interdit de territoire au Canada pendant cinq ans. L’agent a aussi conclu qu’il n’était pas convaincu que le demandeur était un véritable visiteur qui quitterait le Canada.

[3]  Je conclus que la décision de l’agent des visas était déraisonnable. Pour cette raison, j’accueille la présente demande pour les motifs exposés ci-après.

II.  Faits

[4]  Le demandeur est un citoyen du Liban qui réside au Ghana. Il est né le 11 janvier 1990.

[5]  En 2010, après avoir fréquenté une école secondaire américaine privée au Ghana, le demandeur a déménagé aux États‑Unis [É.‑U.] pour poursuivre ses études. Il est entré aux É.‑U. muni d’un visa d’étudiant de catégorie F1 pour étudier au Collège Knox à Galesburg, en Illinois. Il a ensuite fréquenté le Collège Richland à Dallas, au Texas, puis l’Université du Texas.

[6]  Le demandeur a eu de la difficulté à transférer les renseignements relatifs à son visa et, par conséquent, n’a pas pu conserver son statut de non-immigrant de catégorie F1 parce qu’il ne s’était pas inscrit à l’Université du Texas avant la date limite fixée dans le Système d’information sur les étudiants et les visiteurs participant à un programme d’échange [le SEVIS] des É.‑U. Par conséquent, le dossier du demandeur a été supprimé du système SEVIS le 11 avril 2011, mais le demandeur n’a fait aucune démarche jusqu’au 31 août 2011, lorsqu’il a été arrêté par le Bureau de l’immigration et de l’application des mesures douanières [l’ICE] des États-Unis pour être resté dans ce pays après l’expiration de son visa. Il a été mis en liberté sous caution.

[7]  Après son arrestation par l’ICE, le demandeur a souffert d’une dépression qui a eu un effet sur sa capacité à faire rétablir son statut d’étudiant de catégorie F1. Quelque sept mois après son arrestation et sa mise en liberté, le 2 avril 2012, le demandeur a présenté une demande pour le rétablissement et la prolongation de son statut d’étudiant de catégorie F1. Le 26 mars 2013, les Services de citoyenneté et d’immigration des É.‑U. [les USCIS] ont rejeté sa demande [avis de refus].

[8]  Le 15 mai 2013, un juge de l’immigration des É.‑U. a rendu une ordonnance déclarant le demandeur admissible à un départ volontaire [ordonnance de départ volontaire] au lieu de l’assujettir à une mesure de renvoi. Le demandeur devait quitter les É.‑U. au plus tard le 12 septembre 2013. Plutôt que de s’exposer à une mesure d’expulsion, le demandeur est rentré volontairement au Ghana le 19 juin 2013, après avoir terminé ses études collégiales.

[9]  En 2017, pendant qu’il était au Ghana, le demandeur a rencontré une Canadienne, et les deux sont devenus amoureux. Ils ont plus tard décidé de se marier, et, en août 2018, ils ont rendu visite aux parents du demandeur au Liban de sorte qu’elle puisse rencontrer sa future belle‑famille. Le jeune couple avait l’intention ensuite d’aller au Canada pendant les fêtes de fin d’année, en décembre 2018, de sorte que le demandeur puisse rencontrer sa future belle-famille.

[10]  Le 23 octobre 2018, le demandeur a fait une demande de visa de visiteur au Haut-commissariat du Canada au Ghana en remplissant un formulaire en ligne.

[11]  Le dossier du demandeur comportait une lettre d’invitation de sa future épouse, ainsi qu’un affidavit de son futur beau-père, un citoyen canadien résidant au Canada, confirmant l’objet de la visite du demandeur et le soutien financier qu’il apportera au demandeur pendant le séjour de celui-ci. Le dossier comprenait aussi une grande quantité de documents sur les opérations commerciales menées par le demandeur au Ghana, les entreprises avec lesquelles il faisait affaire, et d’autres renseignements personnels se rapportant au processus d’obtention d’un visa.

[12]  Le formulaire de demande de visa en ligne invitait le demandeur à répondre à la question suivante : [traduction] « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays ou territoire? » [la question]. Le demandeur a répondu « Non ».

[13]  Le 16 novembre 2018, une lettre d’équité procédurale a été envoyée au demandeur dans laquelle l’agent des visas écrivait qu’il craignait que le demandeur ne soit interdit de territoire pour fausse déclaration étant donné qu’il avait déclaré qu’on ne lui avait jamais refusé un visa ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays. L’agent des visas a souligné que cette déclaration contredisait des renseignements dont il disposait, selon lesquels le demandeur avait fait l’objet d’une mesure d’exécution de la loi aux É.‑U. assortie d’un mandat d’arrestation, probablement lié au fait qu’il était demeuré dans ce pays après l’expiration de son visa d’étudiant de catégorie F1.

[14]  Le demandeur a répondu à la lettre d’équité procédurale le 21 novembre 2018 en fournissant une lettre d’un avocat américain attestant les circonstances entourant les événements qui se sont produits entre 2011 et 2013. Il a aussi joint les documents suivants :

  • a) Une lettre de l’Université du Texas faisant état de la chronologie des efforts déployés par le demandeur en vue du rétablissement de son statut de catégorie F1;

  • b) Une lettre d’un psychologue du centre de counseling pour les étudiants de l’Université du Texas attestant la séance d’intervention en cas de crise à laquelle le demandeur a participé après sa mise en liberté par l’ICE le 31 août 2011;

  • c) L’avis de refus, dans lequel il était écrit : [traduction] « La présente décision vous laisse sans statut d’immigrant légal, ce qui fait que vous vous trouvez aux États‑Unis en contravention de la loi. Vous devez quitter les États‑Unis. »;

  • d) L’ordonnance de départ volontaire, dans laquelle il était écrit : [traduction] « au lieu d’une mesure de renvoi, le défendeur bénéficie d’un départ volontaire au titre de l’alinéa 240Ba) de la Loi, sans occasionner de dépenses pour les États‑Unis, qui doit avoir lieu au plus tard le 12 septembre 2013. »

[15]  Dans sa lettre, l’avocat américain a souligné que la profonde dépression dont a souffert le demandeur (après la suppression de son dossier du système SEVIS et son arrestation par l’ICE) a eu une incidence sur sa capacité à demander le rétablissement de son statut d’étudiant de catégorie F1 en temps opportun.

[16]  L’avocat américain a expliqué que, selon la loi américaine, le visa du demandeur pour les É.‑U. avait été annulé (et non pas refusé) et que le demandeur n’avait pas reçu l’ordre de quitter les É.‑U.; il avait plutôt été autorisé à partir volontairement après avoir obtenu son diplôme collégial.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[17]  Le 23 novembre 2018, l’agent des visas a rejeté la demande de visa de résident temporaire présentée par le demandeur [la décision]. Il a conclu que la réponse du demandeur à la question constituait une fausse déclaration importante et a rejeté la demande aux termes du paragraphe 40(1) de la LIPR.

[18]  Des motifs additionnels relatifs à la décision figurent dans les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [les notes du SMGC]. Les notes du SMGC révèlent que l’agent des visas a examiné la réponse à la lettre d’équité procédurale et que le demandeur avait écrit que [traduction] « son arrestation par les autorités américaines avait entraîné une dépression et qu’il avait fini par être autorisé à quitter les É.‑U. ». L’agent des visas a souligné que ces renseignements n’avaient pas été divulgués à l’origine dans la demande, et a par conséquent conclu que le demandeur avait caché un fait important quant à un objet pertinent qui aurait pu entraîner une erreur.

[19]  De plus, la décision précise que le demandeur n’a pas convaincu l'agent des visas qu’il quitterait le Canada à la fin de son séjour à titre de résident temporaire. L’agent des visas a coché la case [traduction] « Objet de la visite » en tant que facteur qu’il avait pris en compte pour rendre sa décision. À ce sujet, les notes du SMGC contiennent la déclaration suivante : [traduction] « Étant donné que le demandeur n’a pas fourni des renseignements de base véridiques, je ne suis pas convaincu quant à l’objet réel de la visite et je ne peux donc pas être convaincu que le demandeur est un véritable visiteur qui quittera le Canada avant la fin de la période autorisée pour son séjour. »

IV.  Dispositions pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Fausses déclarations

 

Misrepresentation

40(1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants : a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

 

40(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation (a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

[…]

 

[…]

 

Application

 

Application

2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) : a) l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

(2) The following provisions govern subsection (1): (a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of five years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination

of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced;

 

V.  Questions à trancher

  1. La décision était-elle déraisonnable parce que l’agent des visas n’a pas tenu compte d’éléments de preuve selon lesquels le demandeur n’a pas fait de présentation erronée sur un fait important ou parce que le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de présentation erronée sur un fait important?

  2. La décision était-elle déraisonnable parce que l’agent des visas a omis de fournir des motifs suffisants et d’analyser les éléments de preuve contredisant ses conclusions?

  3. La décision était-elle déraisonnable parce que l’agent des visas n’a pas tenu compte d’éléments de preuve se rapportant à l’objet de la visite du demandeur?

[20]  Sinon le fait que le demandeur a répondu à la question de manière inappropriée, aucune autre préoccupation relative à la crédibilité n’est soulevée dans la décision, et aucune préoccupation n’est soulevée par le demandeur en ce qui concerne le moindre manquement à l’équité procédurale de la part de l’agent des visas.

VI.  Norme de contrôle

[21]  Les deux parties soutiennent que la norme de contrôle appropriée qui s’applique à la conclusion d’interdiction de territoire pour fausses déclarations tirée par un agent des visas est celle de la décision raisonnable (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 401 au par. 14). Je suis d’accord.

VII.  Analyse

A.  La décision était-elle déraisonnable parce que l’agent des visas n’a pas tenu compte d’éléments de preuve selon lesquels le demandeur n’a pas fait de présentation erronée sur un fait important ou parce que le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de présentation erronée sur un fait important?

[22]  Le demandeur soutient qu’il n’a pas fait de présentation erronée sur un fait important, ou qu’il croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de présentation erronée sur un fait important. Il invoque la lettre que l’avocat américain a présentée à l’agent des visas, selon laquelle il ne s’était pas vu refuser un visa aux É.‑U., mais plutôt que son visa avait été annulé. Le demandeur affirme que la mesure de renvoi qui a été prise contre lui n’est jamais devenue exécutoire parce qu’il avait quitté les É.‑U. volontairement.

[23]  Le défendeur estime qu’il conviendrait de donner une interprétation large à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR (Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 512 au par. 25 [Khan]). Par conséquent, la disposition devrait s’appliquer, sauf dans des « circonstances véritablement exceptionnelles » (Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428 au par. 32 [Oloumi]). Le défendeur affirme que l’agent des visas a raisonnablement refusé la demande de visa de visiteur parce que le demandeur avait fait une fausse déclaration directe dans sa demande de visa.

[24]  Selon le paragraphe 16(1) de la LIPR, « [l]’auteur d’une demande […] doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle […] ». Il est manifeste que tous les demandeurs de visa ont une obligation de franchise et doivent fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada (Oloumi aux par. 37 à 39; Bodine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 848 aux par. 41 et 42 [Bodine]; Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299 au par. 15).

[25]  En tant que disposition corollaire au paragraphe 16(1) de la LIPR, l’article 40 de la LIPR a été interprété largement par la Cour de manière à être applicable à n’importe quelle fausse déclaration, qu’elle soit directe ou indirecte, qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur de la part de l’agent des visas dans l’exercice de ses fonctions, donc appuyant ainsi l’objectif sous-jacent de la LIPR, soit faire obstacle aux abus et assurer la présentation de déclarations véridiques aux autorités de l’immigration (Khan au par. 25; Kazzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153 au par. 38). Par conséquent, la règle générale veut que les agents des visas disposent d’un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les issues possibles raisonnables lorsqu’ils établissent si un demandeur a fait une présentation erronée sur un fait important (Tuiran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 324 aux par. 25 et 26).

[26]  La Cour a fait valoir ce qui suit dans la décision Bodine au paragraphe 44 :

[…] L’objectif de l’alinéa 40(1)a) de la Loi est de veiller à ce que les demandeurs fournissent des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada (voir De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 512, et Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, confirmée pour d’autres motifs dans l’arrêt 2006 CAF 345). Dans certains cas, même le silence peut constituer une fausse déclaration (voir Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 C.F. 299) et les faits en l’espèce constituaient bien plus qu’un simple silence.

[27]  Je conviens avec le défendeur que l’obtention d’un visa n’est pas un droit. Le demandeur assume ce qui équivaut à un fardeau négatif; il doit montrer pourquoi il n’est pas inadmissible à un visa. D’une certaine façon, en l’espèce, on ne donne pas la chance au coureur (le demandeur), mais plutôt à une décision défavorable en ce qui a trait à sa demande de visa.

[28]  Il a aussi été établi qu’une fausse déclaration qui s’avère déterminante peut se produire à l’insu du demandeur (Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059 [Wang]).

[29]  Il existe, toutefois, une exception à l’application de l’article 40 de la LIPR, soit dans des circonstances exceptionnelles où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important (Medel c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 CF 345, [1990] ACF no318 (CAF) (QL); Oloumi au par. 32).

[30]  La décision Osisanwo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1126, une affaire mettant en cause une demanderesse qui ignorait que son époux n’était pas le père biologique de l’un de ses enfants jusqu’à ce que Citoyenneté et Immigration Canada ordonne un test d’ADN, offre un bon exemple de fausse déclaration de bonne foi visée par l’exception. Le juge Hughes a passé en revue la jurisprudence se rapportant aux fausses déclarations et a conclu que les affaires présentaient toutes un élément de mens rea ou d’intention subjective de la part du demandeur ou de tiers lorsque le demandeur avait reçu l’aide d’un tiers, probablement un consultant, qui pouvait être à l’origine de la fausse déclaration.

[31]  Dans la décision Appiah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1043 [Appiah], le juge Martineau a statué ce qui suit au paragraphe 18:

L’exception relative à l’erreur de bonne foi concernant une fausse déclaration est restreinte et ne peut qu’excuser la non-divulgation de renseignements importants que dans des circonstances extraordinaires où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de présentation erronée sur un fait important, qu’il était impossible pour le demandeur d’avoir connaissance de la déclaration inexacte et que le demandeur n'avait pas connaissance de la fausse déclaration (Wang, au paragraphe 17; Li c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 87, au paragraphe 22; Medel c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 CF 345). L’exception a été appliquée dans certains cas, lorsque les renseignements fournis par erreur ont pu être corrigés par l’examen d’autres documents présentés dans le cadre de la demande, laissant entendre qu’il n’y avait pas eu intention d’induire en erreur : Karunaratna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 421, au paragraphe 16; Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117, au paragraphe 1820. Les tribunaux n’ont pas appliqué cette exception lorsque le demandeur était au courant des renseignements, mais affirmait ne pas savoir honnêtement et raisonnablement qu’ils étaient importants pour la demande; la connaissance de ces renseignements n’échappait pas à la volonté du demandeur et il est de son devoir de remplir la demande avec exactitude : Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, aux paragraphes 31 à 34; Diwalpitiye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 885; Oloumi, au paragraphe 39; Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 18; Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1020, au paragraphe 10.

[32]  Après avoir examiné l’affaire, j’estime que les faits en l’espèce auraient dû avoir amené l’agent des visas à prendre en compte cette exception (Agapi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 923 aux par. 16 et 17 [Agapi]).

[33]  Je crois que la façon la plus simple de décrire la présente affaire serait d’établir d’abord ce qu’elle n’est pas :

  • a) Il ne s’agit pas d’une affaire où le demandeur, après avoir été interrogé par un agent des visas, a cherché à corriger une fausse déclaration qu’il avait initialement adoptée pour faire avancer sa demande (voir par exemple la décision Khan).

  • b) Il ne s’agit pas d’une affaire où le demandeur prétend tout ignorer d’une fraude commise dans son dossier de demande, peut-être même à son insu (voir par exemple les décisions Oloumi; Agapi).

  • c) Il ne s’agit pas d’une affaire où le demandeur cherchait à faire valoir une [traduction] « erreur de bonne foi » parce qu’il aurait oublié les événements qui se sont produits entre 2011 et 2013 (voir par exemple la décision Appiah), ou qu’il avait mal interprété la question posée dans la demande de visa (voir par exemple la décision Alalami c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 328).

  • d) Il ne s’agit pas d’une affaire où le demandeur a tout simplement oublié les événements qu’il était précisément incité à divulguer, puis a demandé plus tard que soit pardonné cet oubli (voir par exemple les décisions Diwalpitiye c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2012 CF 885; Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971).

  • e) Il ne s’agit pas non plus d’une affaire où le demandeur n’a pas révélé des activités illégales commises par le passé parce qu’il croyait que celles‑ci n’étaient plus pertinentes (voir par exemple la décision Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1020).

[34]  Il s’agit d’une affaire où le demandeur a répondu « Non » à une question à laquelle l’agent des visas estime qu’il aurait dû répondre « Oui », mais pour laquelle la bonne réponse reste à ce jour en litige.

[35]  Si l’on accepte la position de l’avocat américain, le demandeur n’a jamais été officiellement expulsé des É.‑U. ni ne s’est jamais vu refuser un visa, et, par conséquent, une simple lecture de la question nécessiterait une réponse négative vu la situation factuelle du demandeur.

[36]  Il ne m’appartient pas de tirer une conclusion selon la loi américaine sur la question de savoir si l’expiration d’un visa d’étudiant équivaut au « refus » d’un visa ou de savoir si le fait de choisir de quitter volontairement un pays au lieu de faire l’objet d’une mesure d’expulsion officielle constitue une [traduction] « mesure » de renvoi d’un pays, voire de savoir si l’avocat américain avait raison quant à ce qui constitue certainement une distinction subtile dans le droit américain. Il ne m’appartient pas non plus d’établir l’effet d’une ordonnance de départ volontaire.

[37]  Il s’agit en l’espèce d’établir si la conclusion tirée par l’agent des visas voulant que le demandeur a fait une fausse déclaration est raisonnable; plus particulièrement, d’établir si l’agent des visas aurait dû se demander si les fausses déclarations, s’il y a lieu, étaient de bonne foi du fait d’avoir été faites parce que le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il disait la vérité.

[38]  Dans la demande elle-même, le demandeur était invité à répondre « Oui » ou « Non » à une question très précise. Ce n’est que lorsque le demandeur répond « Oui » que s’ouvre une liste déroulante demandant des précisions.

[39]  Il me semble que si le demandeur répond « Non », en croyant honnêtement et raisonnablement que c’est la vérité, il n’a aucune raison de préciser ce qui s’est passé aux É.‑U. entre 2011 et 2013 étant donné que le formulaire de demande en ligne ne le demande pas et ne prévoit pas d’espace pour ce faire.

[40]  Le défendeur estime que l’ordonnance de départ volontaire confirmait que le demandeur faisait l’objet d’une mesure de renvoi, ce qui équivaut à un « ordre de quitter » les États‑Unis. Je ne perçois pas l’ordonnance de départ volontaire ainsi.

[41]  L’ordonnance de départ volontaire contient l’énoncé suivant : [traduction] « Il est ordonné par les présentes que le défendeur, au lieu d’une mesure de renvoi, est visé par [une ordonnance de] départ volontaire au titre de l’alinéa 240Ba) de la Loi » et « que si le défendeur omet de partir comme il lui est enjoint […] l’ordonnance précitée sera annulée […] et l’ordonnance qui suit deviendra exécutoire immédiatement : le défendeur sera renvoyé au Liban […] » [non souligné dans l’original].

[42]  Il ne s’agit pas d’une simple question de sémantique, comme l’a laissé entendre le défendeur. Il est possible que l’expression [traduction] « faire l’objet de » ne signifie pas tout à fait la même chose que [traduction] « recevoir l’ordre de quitter » les États-Unis.

[43]  De plus, le défendeur est d’avis qu’il serait, sinon, trop facile pour un demandeur de taire, ou de décider d’« oublier », des faits qui sont nécessaires pour que le gouvernement du Canada puisse apprécier la question de savoir s’il devrait être autorisé à entrer au pays. Je suis d’accord, et la Cour a fait savoir à de nombreuses occasions qu’une personne ne peut pas se jouer de la vérité, donner des réponses incomplètes à des questions plutôt ouvertes ou fournir des réponses inexactes à des questions très précises pour ensuite chercher à rectifier les faits après coup (Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 856 [Navaratnam]).

[44]  Toutefois, tel n’est pas le cas en l’espèce. Il y a des éléments de preuve qui donnent réellement à penser que le demandeur a répondu à la question correctement et sans faire de présentation erronée. Il me semble que l’agent des visas aurait dû prendre en compte la question de savoir si le demandeur tombait sous le coup de l’exception de la fausse déclaration de bonne foi.

[45]  Le défendeur laisse entendre qu’en révélant le contexte des événements qui se sont produits aux É.‑U. uniquement pour répondre à la lettre d’équité procédurale, le demandeur cherchait à corriger une fausse déclaration après coup. Je ne suis pas de cet avis. Le demandeur a produit la lettre de l’avocat américain en réponse à la demande de renseignement précise. Il ne s’ensuit pas automatiquement que l’information fournie visait à corriger une déclaration initiale, voire qu’elle était même requise pour bien répondre à la question.

[46]  De plus, le défendeur laisse entendre que la conclusion de l’agent des visas voulant que le demandeur a fait une présentation erronée sur un fait important ou a fait preuve de réticence sur ce fait était raisonnable étant donné que les événements comme ceux que le demandeur a vécus de 2011 à 2013 ne s’oublient pas facilement. J’en conviens; ce qui est arrivé au demandeur entre 2011 et 2013 est sans aucun doute gravé dans sa mémoire. Pourtant, là n’est pas la question.

[47]  Il ne s’agit pas de savoir si le demandeur aurait dû fournir les renseignements de base, mais plutôt de savoir s’il aurait dû répondre « Oui » à la question au lieu de « Non ». C’est de là que provient la nécessité de fournir les renseignements de base. En tirant cette conclusion, et vu les renseignements contenus dans le dossier qui laissent entendre que la bonne réponse est, en fait, « Non », l’agent des visas aurait dû prendre en compte la question de savoir si le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il disait la vérité. À mon avis, cela peut fort bien être le cas.

[48]  Il est difficile de blâmer le demandeur, qui peut avoir répondu véridiquement à la question, de ne pas avoir produit des renseignements de base lorsque le système de demande de visa en ligne ne le permet pas dans les circonstances.

[49]  Le défendeur a aussi déploré le temps qui s’est écoulé entre l’annulation du visa de catégorie F1 du demandeur, le 1er avril 2011, et son arrestation, le 31 août 2011. Il ne m’appartient pas de décider si le manque de diligence du demandeur aux É.‑U. pour présenter une demande de rétablissement de son visa a joué un rôle déterminant dans le refus. La question concerne le Département de l’immigration des É.‑U., lequel a en fait décidé que l’omission du demandeur de faire des démarches sans tarder justifiait que lui soit refusé le droit de reconduire son statut d’étudiant de catégorie F1.

[50]  Le défendeur laisse entendre que la question était suffisamment ouverte pour signifier que le demandeur aurait dû fournir les renseignements de base qu’il a fini par produire à la suite de la lettre d’équité procédurale. Je ne suis pas d’accord. Un simple examen du formulaire montre qu’il n’y a pas d’espace – ce qui laisse entendre que cela n’est pas nécessaire – pour fournir des renseignements de base lorsque le demandeur répond « Non ». Par conséquent, quand il s’agit d’établir s’il y a eu ou non une fausse déclaration, il conviendrait de s’intéresser surtout à la façon dont le demandeur a répondu à la question. L’agent des visas a plutôt concentré son attention sur l’absence des renseignements de base comme étant la source de la présentation erronée.

[51]  Lorsqu’il n’est pas demandé au demandeur de fournir les renseignements de base, l’on ne peut pas conclure à une présentation erronée pour ne pas les avoir produits.

[52]  Je souligne l’exhortation du juge Shore dans la décision Seraj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 38, selon qui les conclusions quant à l’existence de fausses déclarations ne doivent pas être tirées à la légère et doivent être appuyées par des éléments de preuve convaincants, selon lesquels un demandeur a fait une fausse déclaration.

[53]  À ce jour, et selon l’avocat américain, la réponse juridique exacte à la question – aux termes du droit américain – est « Non ». Toutefois, si la réponse exacte du point de vue juridique est en fait « Oui », j’estime qu’il s’agit d’une affaire qui aurait dû amener l’agent des visas à prendre en compte expressément l’exception de la fausse déclaration de bonne foi.

B.  La décision était-elle déraisonnable parce que l’agent des visas a omis de fournir des motifs suffisants et d’analyser les éléments de preuve contredisant ses conclusions?

[54]  Le demandeur affirme que la décision est une simple formule type et que, à l’exception d’une courte mention de la dépression dont a souffert le demandeur après son arrestation par l’ICE, les notes du SMGC ne représentent qu’un simple copier-coller.

[55]  J’ai fait savoir aux deux avocats que je n’ai rien, en principe, contre l’utilisation des formules types, en soi. Les agents des visas ont manifestement une lourde charge de travail. Ils reçoivent et traitent d’innombrables demandes de visas, et le recours à des méthodes plus efficaces pour rendre ces décisions n’est pas fatal, en soi.

[56]  Ce qui compte, c’est que l’ensemble de la décision – même lorsque celle-ci est faite en majorité de formules types – soit adapté à la situation en l’espèce. L’agent des visas devrait fournir au demandeur et à la Cour suffisamment d’information pour leur permettre de bien comprendre la décision qui a été rendue eu égard aux questions fondamentales qui étaient en jeu. La norme de la décision raisonnable suppose que les motifs soient énoncés de sorte que la décision soit transparente et intelligible.

[57]  Dans la décision Boukhanfra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 4, le juge Grammond a affirmé ce qui suit au paragraphe 9 :

Pour faire face à un fort volume de dossiers, les décideurs peuvent être tentés de recourir à un libellé standard ou à une « formule type » qui a résisté au contrôle judiciaire ou que les tribunaux ont utilisé pour décrire le critère qu’ils doivent appliquer. Rien n’interdit une telle pratique. Les décideurs doivent être transparents, mais n’ont pas à être originaux (Cojocaru c British Columbia Women’s Hospital and Health Centre, 2013 CSC 30, [2013] 2 RCS 357, aux paragraphes 31 à 33). Toutefois, le recours à un libellé standard ne constitue pas un vaccin contre le contrôle judiciaire. Si la conclusion ne découle pas des prémisses ou si le recours à une formule type laisse planer le doute quant au fait que le décideur a dûment pris en considération les faits particuliers de l’affaire, il se peut bien que la décision soit déraisonnable. Au contraire, l’absence de libellé standard ou l’omission du décideur d’énoncer le critère qu’il applique ne conduit pas inexorablement à l’intervention de la Cour. Ce qui importe, c’est que les motifs soient intelligibles et qu’ils décrivent un raisonnement valable menant à la décision qui a été rendue. 

Voir aussi la décision Song c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 72.

[58]  De plus, les agents des visas doivent bénéficier d’une grande latitude pour rendre leur décision. J’accepte la position du défendeur selon laquelle le processus de traitement des demandes est simplifié, qu’il n’y a généralement pas d’entrevues, et que le tout s’effectue souvent en ligne. Je reconnais aussi que, dans un processus simplifié, les décideurs ne peuvent être aussi minutieux qu’ils le seraient nécessairement dans un processus plus structuré comme le régime qui s’applique aux demandes d’asile.

[59]  Cependant, cela ne diminue pas l’obligation faite aux agents des visas d’analyser la partie du dossier qui se prêterait, supposément, à une décision différente de celle qu’ils sont en train de rendre, particulièrement en ce qui concerne une conclusion de fausse déclaration.

[60]  Lorsqu’il y a une question fondamentale au cœur de l’affaire, il convient de renvoyer à tout document crédible qui concerne directement l’affaire. Si l’agent des visas n’était pas d’accord avec l’avocat américain, c’était son droit, mais il aurait dû, à tout le moins, aborder la position énoncée par celui-ci et fournir les raisons pour lesquelles il n’était pas d’accord avec lui.

[61]  Dans la décision Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 409 [Begum], le juge Russell a affirmé ce qui suit au paragraphe 81 :

Selon la jurisprudence pertinente, la Cour peut inférer qu’un décideur a tiré une conclusion de fait erronée, sans tenir compte des éléments de preuve, si ce dernier a omis de mentionner dans ses motifs des éléments de preuve pertinents qui appellent une conclusion différente : Cepeda-Guiterrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 15. De telles erreurs, qui sont commises sans tenir compte de la preuve et qui influencent de façon importante la décision, justifient une intervention judiciaire, même s’il n’est pas clair que ces erreurs ont été commises de façon abusive ou arbitraire : Maqsood c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF n1699, au paragraphe 18. La Cour a également statué que la SAI ne peut faire abstraction d’éléments de preuve importants qui vont à l’encontre de sa conclusion, sans quoi on présumera qu’elle n’en a pas tenu compte : Ivanov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1055, au paragraphe 23.

Voir aussi la décision Winifred c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 827 [Winifred].

[62]  Les lettres reçues de gouvernements étrangers portant sur l’interprétation du droit étranger constituent des éléments de preuve pertinents qui se rapportent directement à l’affaire en l’espèce (Xiao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 195, [2009] 4 RCF 510 aux par. 24 et 25). Bien qu’elle ne constitue pas (en soi) un élément de preuve relatif au droit étranger, la lettre en l’espèce étaye la croyance du demandeur qu’il n’a jamais été expulsé des États‑Unis ni que ce pays ne lui a jamais refusé un visa.

[63]  Il ne s’agit pas ici de savoir si la méthode pour prouver le droit étranger a été suivie comme il se devait ou si la position de l’avocat américain était fondée ou ne l’était pas. Je dois simplement trancher la question de savoir si l’agent des visas, en cherchant à établir si le demandeur a fait une présentation erronée en répondant à la question sur les visas et les mesures de renvoi antérieurs, aurait dû analyser expressément l’élément de preuve qui, à première vue, étayerait la conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas fait de fausse déclaration. En concluant que le demandeur avait fait de fausses déclarations, l’agent des visas n’a pas le moindrement renvoyé à la lettre de l’avocat américain prétendant le contraire.

[64]  En fait, il semble que l’agent des visas a bel et bien lu la lettre de l’avocat américain étant donné que ce qu’il a relaté dans les faits relatifs à la décision en ce qui concerne la dépression dont a souffert le demandeur après son arrestation, en août 2011, découlait directement de cette lettre et des documents qui y étaient annexés. Cependant, il est pour le moins bizarre que l’agent ait totalement omis de renvoyer à l’autre partie de la lettre de l’avocat américain abordant l’essence de la présentation erronée alléguée faite par le demandeur.

[65]  Comme je l’ai déjà dit, je ne laisse pas entendre que l’agent des visas était tenu d’accepter l’opinion de l’avocat américain, mais il me semble qu’il aurait dû la prendre en compte et l’analyser afin de respecter le principe voulant que les décideurs ne devraient pas laisser de côté la preuve d’expert qui est au cœur de l’affaire et qui est favorable au demandeur (Makomena c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 894 aux par. 32 à 42).

[66]  Qui plus est, lorsque l’agent des visas laisse de côté des éléments de preuve crédibles qui contrediraient ses conclusions, il sera présumé qu’il a fait abstraction de cette preuve (Ivanov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1055 au par. 23; Begum).

[67]  L’omission par l’agent des visas de prendre en compte de tels éléments de preuve rend sa décision déraisonnable.

[68]  Le défendeur me demande de mettre la décision en contexte et de tenir compte du fait qu’il ne s’agit pas d’une situation où une personne est expulsée vers un pays potentiellement hostile ou encore où une demande d’asile est rejetée. Il soutient que, en matière de gravité, les conséquences de la décision se situent à l’extrémité inférieure et, par conséquent, la Cour devrait être plus indulgente dans son analyse des motifs fournis par l’agent des visas pour rejeter la demande.

[69]  Je reconnais que les situations ne nécessitent pas toutes le même degré de vigilance, mais, en l’espèce, le fait de suspendre la capacité du demandeur de demander un visa pendant cinq ans de sorte qu’il ne pourrait pas rendre visite à ses beaux‑parents (peut-être accompagné de petits‑enfants, dans un proche avenir) m’apparaît être une conséquence grave de la décision.

C.  La décision était-elle déraisonnable parce que l’agent des visas n’a pas tenu compte d’éléments de preuve se rapportant à l’objet de la visite du demandeur?

[70]  En ce qui concerne le refus au motif que le demandeur n’a pas convaincu l’agent des visas qu’il quitterait le Canada à la fin de son séjour, la seule case de motif qui a été cochée est celle qui se rapporte expressément à l’[traduction] « Objet de la visite ». L’agent des visas n’a fourni aucun autre motif pour avoir tiré cette conclusion.

[71]  Comme il a été mentionné précédemment, il est clair qu’il est aujourd’hui courant que les agents des visas utilisent des lettres types comportant une série de motifs à cocher pour rendre leurs décisions, particulièrement lorsqu’ils doivent traiter un grand nombre de demandes. Rien n’interdit aux agents des visas de tenter de gagner du temps dans le traitement des demandes. Toutefois, leur obligation de fournir des motifs qui sont étayés par les éléments de preuve ne s’en trouve pas amoindrie pour autant.

[72]  Le demandeur a fourni un éventail de documents qui soutiendraient la position contraire. Aucune préoccupation quant à la crédibilité n'est soulevée à l’égard de ces documents, qui comprennent des éléments de preuve relatifs à des intérêts dans des entreprises au Ghana, une lettre d’invitation de sa fiancée, et un affidavit signé par le père de celle-ci, un citoyen canadien, à Montréal, attestant que l’objet de la visite du demandeur était de rencontrer sa future belle‑famille. Or, aucun de ces documents n’est abordé dans la décision.

[73]  L’agent des visas s’est plutôt contenté de laisser entendre qu’il avait cessé de croire les réponses données par le demandeur et, par conséquent, qu’il n’était pas convaincu quant au véritable objet de la visite. Dans les notes du SMGC, l’agent des visas cite la décision Navaratnam à l’appui de l’affirmation selon laquelle s’il est établi que le demandeur a menti, il pourrait être difficile de prêter foi au reste de son récit.

[74]  Toutefois, la décision Navaratnam était une affaire dans laquelle il y avait eu une conclusion de fausse déclaration après qu’aient été produits une grande quantité d’éléments de preuve et de témoignages. En l’espèce, l’idée même de fausses déclarations est contestable. Dans sa décision, l’agent des visas n’a pas renvoyé au moindre document soutenant l’affirmation du demandeur selon laquelle il venait au Canada pour rendre visite à sa nouvelle famille. Il n’a pas non plus abordé le moindre des documents figurant au dossier qui montrent que le demandeur a des liens commerciaux au Ghana et qu’il avait d’importantes opérations commerciales dans ce pays, documents qui servent souvent de critères dans l’examen de la question de savoir si un demandeur quittera le Canada avant l’expiration de son visa de visiteur (Ekpenyong c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1245).

[75]  Là encore, la décision de l’agent des visas était déraisonnable parce qu’elle n’abordait pas les critères fondamentaux permettant d’établir si le demandeur quittera le Canada avant l’expiration de son visa de visiteur, élément de preuve qui militerait contre une conclusion que ce ne serait pas le cas.

[76]  La décision selon laquelle le demandeur ne quitterait pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée reposait sur la conclusion de fausse déclaration. Puisque cette conclusion est déraisonnable, il en va de même pour la décision.

VIII.  Conclusion

[77]  Dans les circonstances, j’accueille la demande de contrôle judiciaire, et je renvoie l’affaire à un autre agent des visas pour nouvel examen.


JUGEMENT dans le dossier IMM-586-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent des visas est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de novembre 2019.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-586-19

 

INTITULÉ :

KARIM EL SBAYTI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 JUILLET  2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 OCTOBRE  2019

 

COMPARUTIONS :

Me David Berger

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Suzanne Trudel

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goldberg Berger

Montréal (Québec)

 

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

pour le défendeur

 

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