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Date : 20191016


Dossier : T-573-18

Référence : 2019 CF 1302

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

JUSTIN PHILIP ABBOTT

demandeur

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) et FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE‑NEUVE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Vue d’ensemble

[1]  En 2008, les défendeurs, le gouvernement du Canada [le Canada] et la Fédération des Indiens de Terre‑Neuve [la FITN], ont conclu un accord [l’Accord] pour la création d’une bande sans assise territoriale en vertu de la Loi sur les Indiens, LRC, c I‑5 [la Loi sur les Indiens] pour les Indiens mi’kmaq de l’île de Terre‑Neuve ayant un « lien culturel fort » avec certaines collectivités. Cette bande sans assise territoriale est devenue la Première Nation Qalipu Mi’kmaq [la PNQM].

[2]  L’Accord établissait les conditions à remplir pour pouvoir devenir membre de la PNQM [les critères d’admissibilité]. Les critères d’admissibilité exigeaient une preuve d’ascendance autochtone canadienne, l’identification en tant que membre du groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve et l’acceptation au sein du groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve [les critères d’acceptation par le groupe]. L’Accord prévoyait aussi une procédure d’inscription en deux étapes et l’évaluation des demandes d’adhésion par un comité chargé de l’inscription, assisté d’un comité de mise en œuvre, et désignait un responsable des appels chargé d’examiner les appels.

[3]  En 2013, le Canada et la FITN ont signé une entente supplémentaire [l’Accord supplémentaire] qui prévoyait que toutes les demandes déjà acceptées devaient faire l’objet d’un nouvel examen. Des lignes directrices [lignes directrices] à l’intention du comité chargé de l’inscription étaient annexées à l’Accord supplémentaire. Les lignes directrices précisaient la nature des preuves que les demandeurs devaient fournir pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe, ainsi que la façon dont ces preuves seraient évaluées.

[4]  Le demandeur, Justin Philip Abbott, a présenté une demande d’adhésion à la PNQM en 2009. Il a été au départ admis comme membre en 2011. Toutefois, après avoir réévalué sa demande, le comité chargé de l’inscription a jugé que M. Abbott n’avait pas satisfait aux critères d’acceptation par le groupe et il a refusé sa demande en 2017. L’appel que M. Abbott a interjeté devant le responsable des appels a été rejeté en 2018.

[5]  Dans la présente instance, M. Abbott sollicite le contrôle judiciaire de deux décisions. La première décision est celle par laquelle le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de l’époque, M. Bernard Valcourt [le ministre], avait décidé de [traduction« conclure l’Accord supplémentaire du 4 juillet 2013 afin de donner les lignes directrices annexées aux présentes au comité chargé de l’inscription et au responsable des appels ». La seconde décision est celle par laquelle le responsable des appels a, le 19 janvier 2018, confirmé la décision du comité chargé de l’inscription rejetant la demande d’adhésion de M. Abbott à la PNQM.

[6]  En résumé, M. Abbott affirme que le responsable des appels a rendu sa décision à la suite de modifications illégales et non autorisées à l’Accord, et qu’il a imposé des exigences arbitraires et trop limitatives pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe et à son évaluation. Le Canada et la FITN rétorquent que les clarifications apportées aux critères à satisfaire en matière de preuve pour pouvoir être accepté par le groupe aux termes des lignes directrices étaient autorisées par l’Accord et étaient conformes à la volonté initiale du Canada et de la FITN.

[7]  Pour les motifs qui suivent, j’estime que les défendeurs étaient autorisés à établir les lignes directrices, que la décision d’établir les lignes directrices était raisonnable et que les exigences contenues dans les lignes directrices n’étaient ni arbitraires ni trop limitatives. Compte tenu du fait que la décision du responsable des appels reposait sur une application appropriée des lignes directrices et qu’aucune injustice procédurale n’a été démontrée, je conclus que la demande doit être rejetée.

II.  Preuve présentée par les parties

[8]  M. Abbott a déposé deux affidavits à l’appui de sa demande – le sien et celui de Hayward George Young. M. Young œuvre depuis 1982 au sein du mouvement pour la reconnaissance des Mi’kmaq de l’île de Terre‑Neuve. Il a siégé à titre d’observateur au comité négociateur pendant une partie des négociations de l’entente de principe à l’origine de l’Accord.

[9]  La FITN a répondu au moyen de l’affidavit de son ancien président, Brendan Sheppard. M. Sheppard a été président de la FITN de 1994 à 2005 et a participé directement aux négociations en vue de la signature de l’entente de principe et de l’Accord supplémentaire.

[10]  Le Canada table sur l’affidavit de Me Martin Reiher, sous‑ministre adjoint chargé depuis 2017 du Secteur de résolution et des affaires individuelles de Relations Couronne‑Autochtones et Affaires du Nord Canada. Avant d’occuper son poste actuel, Me Reiher a travaillé pendant une vingtaine d’années comme conseiller juridique au sein des Services juridiques d’Affaires autochtones et du Nord Canada. Il a pris part aux négociations ayant abouti à la conclusion de l’entente de principe et de l’Accord supplémentaire et il a également fait partie du comité de mise en œuvre de 2009 à 2017.

[11]  Le Canada s’appuie aussi sur l’affidavit souscrit par Keith Desjardins, gestionnaire à l’unité de traitement de Winnipeg d’Affaires autochtones et du Nord Canada qui offre un soutien administratif au comité chargé de l’inscription en ce qui concerne le traitement des demandes d’adhésion à la PNQM.

[12]  MM. Abbott, Sheppard et Reiher ont été longuement contre‑interrogés au sujet de leur affidavit. En fin de compte, une grande partie de la preuve des auteurs des affidavits est factuelle et n’est pas controversée. Le principal point de divergence entre les parties concerne la question de savoir si le Canada et la FITN souhaitaient à l’origine que la PNQM soit principalement composée de Mi’kmaq ayant un lien culturel fort avec l’une des 67 collectivités de l’île de Terre‑Neuve énumérées à l’annexe B de l’Accord et qu’une preuve plus stricte soit exigée de la part des non‑résidents vivant dans les collectivités mentionnées à l’annexe B pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe.

III.  Faits à l’origine du litige

[13]  Afin de situer les présents motifs dans le contexte approprié, il est nécessaire d’exposer en détail le contexte factuel à l’origine de l’Accord supplémentaire qui a finalement mené à la décision du responsable des appels de rejeter l’appel de M. Abbott.

A.  Contexte et négociation de l’Accord : 1949 – 2008

[14]  Lorsque Terre‑Neuve a intégré la Confédération en 1949, les conditions de l’Union de Terre‑Neuve au Canada ne comportaient aucune disposition au sujet de la reconnaissance et de l’inscription des peuples autochtones de la province en vertu de la Loi sur les Indiens (voir Loi sur Terre‑Neuve, 1949, 12‑13 Geo VI, c 22 (R.‑U.)). La Loi sur les Indiens ne s’est donc pas appliquée aux Mi’kmaq de l’île de Terre‑Neuve.

[15]  Créé en 1972, la FITN est issue du regroupement des bandes Mi’kmaq de l’île de Terre‑Neuve. Les membres des bandes affiliées sont devenus, du fait de leur appartenance aux bandes en question, membres de la FITN.

[16]  En 1989, la FITN a introduit une action devant la Cour (dossier no T‑129‑89) en vue d’obtenir un jugement déclarant que les membres de ces bandes affiliées – sept bandes locales et trois bandes régionales – étaient des « Indiens » au sens du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30‑31 Vict, c 3 (R.‑U.)

[17]  Une dizaine d’années plus tard, le Canada a entamé des pourparlers avec la FITN pour déterminer si la création d’une bande sans assise territoriale pouvait être un moyen de régler cette action.

[18]  Entre 2003 ou 2004 et 2006, la FITN et le Canada [les parties] ont négocié une entente de principe en vue de la création d’une bande sans assise territoriale pour les Mi’kmacs de l’île de Terre‑Neuve et l’adhésion de ses membres fondateurs à titre d’« Indiens inscrits » au sens de l’alinéa 6(1)b) de la Loi sur les Indiens.

[19]  Pour que la FITN soit ratifiée, il était nécessaire que le président de la FITN signe l’entente de principe à la suite de l’approbation, par une majorité des membres votants admissibles, de l’entente de principe lors d’un vote de ratification. Après avoir consulté ses membres, la FITN a tenu le 29 mars 2008 un vote de ratification au cours duquel l’entente de principe a été adoptée. Des 3 232 membres qui ont voté, 2 913 se sont prononcés en faveur de l’entente de principe.

[20]  La ratification par le Canada était assujettie à la signature de l’entente de principe par le ministre, dûment autorisé par le gouverneur en conseil.

[21]  Le 23 juin 2008, M. Sheppard et Chuck Strahl, qui était alors le ministre en poste, ont signé l’entente de principe, qui est devenue l’Accord pour la reconnaissance de la bande de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq (autrement dit, l’Accord).

[22]  L’Accord a mis fin à l’action intentée par la FITN devant la Cour.

B.  Principales dispositions de l’Accord

[23]  Le « groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve » est défini à l’article 1.14 de l’Accord comme renvoyant collectivement aux groupes mi’kmaq situés aux divers endroits de l’île de Terre‑Neuve énumérés à l’Annexe B de l’Accord. L’annexe B est une liste des collectivités mi’kmaq dressée par les conseils de bandes locaux de la FITN.

[24]  L’article 4.1 énonce les critères d’appartenance à la bande :

[TRADUCTION]

4.1  Critères d’admissibilité

Est admissible à l’inscription en tant que membre fondateur la personne qui est vivante au moment du décret de reconnaissance et qui, selon l’appréciation du comité chargé de l’inscription, remplit toutes les conditions suivantes :

a) elle est d’ascendance autochtone canadienne, de naissance ou par adoption;

b) selon le cas :

(i) au plus tard le 31 mars 1949, elle était membre d’une collectivité mi’kmac de Terre‑Neuve avant la Confédération;

(ii) elle est un descendant, de naissance ou par adoption, d’une personne visée au sous‑alinéa 4.1b)(i);

c) elle n’était pas inscrite au Registre des Indiens à la date du décret de reconnaissance;

d) à la date du décret de reconnaissance :

(i) elle s’identifiait en tant que membre du groupe des Indiens mi’kmac de Terre‑Neuve;

(ii) elle était reconnue comme membre par le groupe des Indiens mi’kmac de Terre‑Neuve.

[Non souligné dans l’original.]

[25]  Le chapitre 1 de l’Accord définit le « membre » comme toute personne [traduction« ayant un lien fort avec le groupe des Indiens mi’kmac de Terre‑Neuve ou, dans le cas d’une personne visée à l’alinéa 4.1b)(i), toute personne ayant, au plus tard le 31 mars 1949, un lien fort avec une collectivité mi’kmac de Terre‑Neuve avant la Confédération » [non souligné dans l’original].

[26]  L’article 4.1 de l’Accord établit un comité chargé de l’inscription, composé d’un nombre égal de représentants du Canada et de la FITN, ainsi que d’un président indépendant. Le comité chargé de l’inscription est chargé d’évaluer les demandes d’inscription en fonction des Lignes directrices à l’intention du Comité d’inscription [les lignes directrices], jointe en annexe A à l’Accord, et en fonction des critères d’admissibilité.

[27]  L’article 25 des lignes directrices prévoit deux façons de satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe.

[TRADUCTION]

25.  L’acceptation d’une personne en tant que membre du groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve est établie au moyen de la preuve d’un lien fort de cette personne avec le groupe par, selon le cas :

a)  la résidence dans une des localités du groupe des Indiens mi’kmaq ou aux alentours, sur l’île de Terre‑Neuve;

b)  i)   des visites et/ou des communications fréquentes à des membres du groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve.

ET

ii)   le maintien de la culture et du mode de vie mi’kmaq, grâce à la connaissance de la culture mi’kmaq et à la participation à des activités et à des cérémonies culturelles, religieuses et traditionnelles du groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve ou la participation à des activités traditionnelles.

[28]  L’article 28 des lignes directrices prévoit en outre que le comité chargé de l’inscription peut tenir compte des affidavits souscrits par au moins deux membres résidents précisant la nature et la fréquence des visites et des communications du demandeur, pour déterminer si les critères énumérés au sous‑alinéa 25b)(i) des lignes directrices sont satisfaits. L’article 28 est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

28.   Aux fins de l’évaluation prévue à l’alinéa 25b)(i), le comité chargé de l’inscription peut tenir compte des affidavits souscrits par au moins deux résidents du groupe des Indiens mi’kmaq de l’île de Terre‑Neuve exposant en détail les visites du demandeur dans la collectivité ou les communications qu’il a eues avec les résidents, ainsi que la fréquence de ses visites et de ses communications.

[29]  L’article 29 des lignes directrices fournit une liste non exhaustive d’exemples de documents et de dossiers dont le comité chargé de l’inscription peut tenir compte pour déterminer si le demandeur a maintenu la culture ou le mode de vie mi’kmaq au sens du sous‑alinéa 25b)(ii) des lignes directrices.

[30]  L’article 30 des lignes directrices prévoit en outre que, lorsqu’il évalue une demande en vertu du sous‑alinéa 25b)(ii), le comité chargé de l’inscription peut également tenir compte des preuves d’appartenance à toute organisation mi’kmaq existante.

[31]  Le chapitre 10 de l’Accord prévoit la mise sur pied d’un comité de mise en œuvre, composé d’un nombre égal de représentants du Canada et de la FITN et dirigé par un président indépendant. L’article 10.4 de l’Accord précise les attributions du comité de mise en œuvre :

[TRADUCTION]

10.4   Le comité de mise en œuvre supervise et coordonne la mise en application du présent accord et conseille les parties sur toute question relative à la mise en œuvre du présent accord. Le comité de mise en œuvre n’a pas le pouvoir de lier les parties. Sans limiter la portée générale de ce qui précède, le comité de mise en œuvre :

  élabore le plan de mise en œuvre,

  sert de tribune pour la négociation des ententes de financement dont il est question au présent chapitre, y compris toute modification requise à ces ententes de financement,

  aide au besoin le comité chargé de l’inscription,

  surveille le déroulement du processus d’inscription,

  facilite le règlement de tout problème de mise en œuvre.

[32]  Les décisions du comité chargé de l’inscription ne sont pas forcément définitives. L’article 4.3.1 de l’Accord prévoit la sélection d’un responsable des appels indépendant ayant reçu une formation en droit, et l’article 4.3.3 de l’Accord donne à tous les demandeurs, ainsi qu’au Canada et à la FITN, le droit d’en appeler auprès du responsable des appels des décisions du comité chargé de l’inscription.

[33]  Enfin, l’article 2.15 de l’Accord prévoit un mécanisme de modification. En règle générale, toutes les modifications doivent faire l’objet d’une entente écrite entre les parties et être ratifiées selon la même procédure que celle suivie pour la ratification de l’Accord lui‑même. Les alinéas a), b) et c) de l’article 2.15 prévoient des exceptions à cette règle générale et permettent de modifier l’Accord sans ratification dans trois situations particulières.

C.  Processus d’inscription et création de la bande : 2008 ‑ 2012

[34]  L’Accord prévoit un processus d’inscription en deux étapes échelonnées sur une période de quatre ans qui se solde par la confection d’une liste de personnes enregistrées en tant que membres fondateurs de la PNQM. La première étape concerne les demandes présentées au cours de la première année comprise entre le 30 novembre 2008 et le 30 novembre 2009, et elle a pour objet de déterminer si le nombre de demandes est suffisant pour justifier la création d’une bande. La seconde étape concerne les demandes présentées au cours des trois années comprises entre le 1er décembre 2009 et le 30 novembre 2012. Aucune demande n’était acceptée après le 30 novembre 2012.

[35]  Au cours de la première étape du processus d’inscription, près de 26 000 demandes ont été soumises. Environ 75 000 demandes ont été présentées au cours de la deuxième étape, dont les deux tiers au cours des trois mois précédant la date limite du 30 novembre 2012.

[36]  La PNQM a été créée le 22 septembre 2011 par décret [le décret de reconnaissance]. Le décret de reconnaissance a été modifié le 30 mars 2012 et le 20 juin 2012 pour permettre l’ajout d’autres membres fondateurs. En date du 21 juin 2012, la PNQM comptait 23 877 membres fondateurs.

D.  L’Accord supplémentaire

[37]  Lorsque l’Accord a été signé en 2008, les parties estimaient que la PNQM serait composée d’environ 8 700 à 12 500 membres (le Canada estimait entre 8 700 et 12 000 le nombre de membres et la FITN l’estimait à 12 500). M. Reiher explique, au paragraphe 26 de son affidavit, comment les parties en étaient parvenues à cette estimation :

[TRADUCTION]

21.  La négociation de l’Accord de 2008 était fondée sur le critère d’adhésion relatif à l’identification comme membre d’une collectivité historique, la reconnaissance de cette personne en tant que membre par cette collectivité et l’ascendance autochtone établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Powley. Les parties se sont penchées sur l’importance accordée par la Cour suprême à la participation passée et présente à une culture commune et à des coutumes et traditions constituant l’identité d’une collectivité dans un lieu géographique donné.

22.   Les parties souhaitaient que la Première Nation soit composée principalement de Mi’kmaq ayant un lien fort avec les 67 collectivités de l’île de Terre‑Neuve énumérées dans l’Accord de 2008 et pouvant contribuer activement au développement de la culture, des traditions et des activités des collectivités mi’kmaq de l’île de Terre‑Neuve au sens de l’article 1.13 de l’Accord de 2008 (voir le témoignage du ministre Valcourt devant le comité parlementaire chargé d’étudier le projet de loi C‑25, le 25 mars 2014, pièce jointe D).

23.  L’accord de 2008 prévoyait aussi expressément que les personnes qui vivaient à l’extérieur des 67 collectivités désignées pouvaient devenir membres si elles s’identifiaient comme membres du Groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve et étaient reconnues comme telles par ce groupe. Toutefois, pour que ces personnes puissent devenir membres, elles devaient démontrer qu’elles avaient alors un lien fort avec une collectivité mi’kmaq de Terre‑Neuve (voir le témoignage du ministre Valcourt devant le comité parlementaire chargé d’étudier le projet de loi C‑25 le 25 mars 2014, pièce jointe D).

24.  Lors de la négociation de l’Accord de 2008, les parties ont tenu compte de la volonté de participer activement aux activités culturelles des collectivités mi’kmaq de Terre‑Neuve. Ces nombreuses collectivités mi’kmac géographiquement dispersées souhaitaient depuis longtemps être reconnues comme bandes des Premières Nations. Parmi les activités communautaires favorisant la culture et les traditions communes des Mi’kmaq de Terre‑Neuve, mentionnons les pow‑wow organisés régulièrement à divers endroits, ainsi que les célébrations annuelles entourant la fête de sainte Anne. La participation à ces événements, qui favorisaient la culture Mi’kmac, était considérée comme un élément important de l’adhésion à la collectivité.

25.  Au moment de la signature de l’accord initial, en 2008, on estimait que la nouvelle Première Nation comprendrait environ 8 700 à 12 000 membres, puisque, selon les données du recensement de 2006, il y avait environ 23 450 résidents de Terre‑Neuve‑et‑Labrador qui s’identifiaient comme Autochtones. De ce nombre, environ 7 765 personnes s’identifiaient comme membres d’une Première Nation, ainsi qu’il ressort de la copie des données du recensement de 2006 jointe comme à l’annexe E. Suivant les renseignements fournis par la FITN, cette estimation était crédible.

26.  Au cours des négociations qui ont mené à l’Accord de 2008, le Canada et la FITN ne s’attendaient pas à ce que plus de 20 000 personnes soumettent une demande d’adhésion.

[38]  Au total, le comité chargé de l’inscription a reçu plus de 100 000 demandes d’adhésion à titre de membres fondateurs au cours de la période de quatre ans prévue pour s’inscrire, dont près de 46 000 au cours des trois derniers mois.

[39]  M. Reiher a cité dans son affidavit des données du recensement qui confirment les préoccupations exprimées par le Canada et la FITN au sujet du nombre élevé et inattendu de demandes reçues. (Certains des pourcentages inexacts cités par M. Reiher ont été corrigés pour les besoins des présents motifs). Selon les données du recensement de 2001, 2,0 % des habitants du Canada s’identifiaient comme membres d’une Première Nation (1,4 % des citoyens dans le cas de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, ce qui incluait les Innus et les Mi’kmaq). Lors du recensement de 2006, 2,0 % des citoyens canadiens s’identifiaient comme membres d’une Première Nation (1,6 % des résidents pour ce qui était de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, ce qui comprenait les Innus et les Mi’kmaq). D’après les données du recensement de 2011, 2,5 % de la population canadienne, et 3,7 % des résidents de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, s’identifiaient comme membres d’une Première Nation (ce qui incluait les Innus et les Mi’kmaq) (soit 19 315 habitants sur 514 536).

[40]  Après avoir reçu un nombre de demandes beaucoup plus élevé que prévu, les parties se sont demandé s’il était possible de traiter toutes les demandes avant la date limite prévue par l’Accord. Après avoir examiné le processus d’inscription, les parties se sont également dites préoccupées par le fait que le comité chargé de l’inscription acceptait des affidavits types contenant des déclarations générales sur le maintien, par les demandeurs, du mode de vie et de la culture mi’kmaq, lorsqu’on a constaté que les demandeurs non‑résidents satisfaisaient aux critères critères d’acceptation par le groupe.

[41]  Les motifs de leurs préoccupations sont bien résumés aux paragraphes 34 à 38 de l’affidavit souscrit par M. Sheppard.

[TRADUCTION]

34.   Après la création de la Première Nation Qalipu, des dizaines de milliers de demandes ont continué à être présentées. Grâce à ma participation au sein du comité de mise en œuvre mis sur pied aux termes l’Accord, j’ai appris que la plupart des demandes reçues après la formation de la Première Nation Qalipu provenaient de demandeurs qui vivaient à l’extérieur des lieux occupés par les groupes d’Indiens mi’kmaq énumérés à l’annexe B de l’Accord, ce qui m’a fort étonné. Si ces personnes avaient cherché à maintenir la culture ou le mode de vie mi’kmaq, je me serais attendu à ce qu’un plus grand nombre d’entre elles participent à des événements culturels comme les pow‑wow de Conne River ou de Flat Bay ou les cérémonies entourant la fête de sainte Anne. Avant la création de la Première Nation Qalipu, le nombre de personnes qui participaient aux événements culturels organisés par la FITN n’avait jamais dépassé quelques centaines de personnes.

35.  Je me serais également attendu à ce qu’un plus grand nombre de personnes vivant à l’extérieur des lieux occupés par le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve aient demandé à adhérer à la FITN ou que ces chiffres se répercutent sur l’adhésion à d’autres organisations représentant les Mi’kmaq sur l’île de Terre‑Neuve, en particulier la KMA, qui, si je ne m’abuse, accepte l’adhésion de personnes vivant hors de l’île de Terre‑Neuve. Après que le règlement intérieur de la FITN eut été modifié en 2003 pour permettre à des personnes de présenter une demande pour devenir des membres généraux, à peine quelques centaines de personnes sont devenues membres généraux de la FITN jusqu’au 30 novembre 2007, date à laquelle la FITN a cessé d’accepter de nouveaux membres.

36.  L’examen d’un échantillon aléatoire des demandes effectuées par le registraire des Indiens a révélé que des demandeurs soumettaient des affidavits types en laissant des espaces vides pour inscrire les noms, et indiquant que la chasse, la pêche et la cueillette de petits fruits constituaient des éléments du mode de vie des Mi’kmaq. Le nombre élevé de demandes reçues, notamment de la part de demandeurs vivant à l’extérieur des lieux occupés par le groupe des Indiens mi’kmaq énumérés à l’annexe B de l’Accord, soulevait des préoccupations quant à savoir si des demandeurs se fondaient toujours sur de tels affidavits pour appuyer leur demande.

37.  De plus, aux dernières étapes du processus d’inscription, la FITN a également relevé des dispositions incompatibles de l’Accord qui pouvaient faire en sorte que des demandeurs qui ne s’étaient pas identifiés comme membres du groupe des Indiens mi’kmaq avant la formation de la Première Nation Qalipu soient néanmoins considérés comme ayant satisfait aux critères d’admissibilité. L’Accord précisait qu’il était possible de satisfaire aux critères d’identification en signant la demande. Les critères d’admissibilité exigeaient que l’identification ait eu lieu avant la formation de la Première Nation Qalipu. La signature d’une demande après la date de la création de la bande signifiait que les demandeurs qui ne pouvaient pas établir objectivement qu’ils s’étaient identifiés comme membres du groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve avant la formation de la Première Nation Qalipu pouvaient néanmoins être considérés comme répondant à ce critère.

38.  Le nombre élevé de demandes reçues, combiné à la découverte que certains demandeurs, vivant à l’extérieur des lieux occupés par le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve visés à l’annexe B soumettaient des affidavits types et la constatation que des dispositions incompatibles de l’Accord pouvaient faire en sorte que des demandeurs soient considérés par erreur comme ayant satisfait aux critères d’identification ont amené les parties à revoir le processus d’inscription pour s’assurer que le comité chargé de l’inscription applique l’Accord selon la volonté initiale des parties.

[42]  La crédibilité des demandes et du processus d’inscription a été remise en question non seulement par les parties, mais aussi par d’autres organisations autochtones.

[43]  Dans une lettre datée du 22 mars 2011 adressée au comité chargé de l’inscription, le Canada a remis en question la solidité des preuves soumises par des demandeurs non‑résidents. Ces doutes ont été repris dans une lettre ultérieure adressée au comité chargé de l’inscription. Le Canada a ensuite interjeté appel de décisions par lesquelles le comité chargé de l’inscription avait conclu au respect des critères d’acceptation par le groupe.

[44]  Le responsable des appels a fait droit à un certain nombre des appels interjetés par le Canada, en acceptant le point de vue du Canada selon lequel certaines preuves soumises par des demandeurs au sujet de l’acceptation par le groupe étaient insuffisantes pour justifier le comité chargé de l’inscription d’accepter leur adhésion à la PNQM. Pour en arriver à cette conclusion, le responsable des appels a jugé que des affidavits types indiquant simplement que le demandeur s’adonnait à la chasse, à la pêche et à la cueillette de petits fruits – qui ne sont pas des activités exclusives aux Mi’kmaq –, ne permettaient pas de conclure de façon catégorique que les demandeurs participaient aux activités d’une collectivité Mi’kmac et étaient acceptés par elle. Le responsable des appels a également conclu que, pour être accepté par le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve, un demandeur ne pouvait pas se contenter d’invoquer le fait qu’il avait maintenu des liens avec les membres de sa famille.

[45]  Il est devenu évident pour les parties à l’été 2012 qu’il ne serait pas possible d’évaluer toutes les demandes d’adhésion à la PNQM avant la date limite du 23 mars 2013 prévue par l’Accord. Par conséquent, M. Sheppard a écrit au Canada pour demander une prorogation de la date limite afin de permettre au comité chargé de l’inscription de traiter toutes les demandes d’adhésion.

[46]  Les parties ont alors entamé des pourparlers. Leurs discussions ont porté sur les préoccupations soulevées quant à l’intégrité du processus d’inscription, particulièrement en ce qui avait trait à la suffisance des preuves présentées par les demandeurs pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe et aux dispositions incompatibles de l’Accord sur le respect des critères d’identification. En ce qui concerne les exigences en matière de preuve devant être respectées pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe, les parties ont discuté de la question de savoir si les décisions du responsable des appels traitaient adéquatement du type de preuves qui devaient être considérées comme suffisantes pour satisfaire aux critères, notamment en ce qui concerne le maintien par les demandeurs de la culture et du mode de vie mi’kmaq. Ces pourparlers ont débouché sur l’Accord supplémentaire signé par les parties le 30 juin 2013.

[47]  Le Canada et la FITN ont annoncé la signature de l’Accord supplémentaire lors d’une conférence de presse conjointe tenue le 4 juillet 2013, au cours de laquelle elles ont déclaré que le nombre élevé de demandes n’était pas crédible et minait l’intégrité de la PNQM.

E.  Modalités de l’Accord supplémentaire et des Lignes directrices concernant les critères d’acceptation par le groupe

[48]  Le préambule de l’Accord supplémentaire énonce les raisons pour lesquelles les parties l’ont signé. En voici le texte intégral :

ATTENDU QUE le préambule de l’Accord pour la reconnaissance de la Bande de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq (l’« Accord ») énonçait l’intention d’établir une bande sans assise territoriale pour le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve;

QUE les critères d’admissibilité à l’inscription en tant que membre fondateur de la Première Nation Qalipu Mi’Kmaq (article 4.1 de l’Accord) nécessitaient, notamment, qu’un individu :

i) se définisse comme membre du groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve,

ii) soit accepté comme membre du groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve,

en date du 22 septembre 2011, date à laquelle le gouverneur en conseil a adopté le décret de reconnaissance établissant le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve en tant que bande indienne au sens de la Loi sur les Indiens;

QUE le terme « membre » est défini dans l’Accord comme désignant une personne ayant un lien actuel important avec le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve;

QUE le « groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve » est défini dans l’Accord comme renvoyant collectivement aux groupes mi’kmaq situés aux divers endroits sur l’île de Terre‑Neuve énumérés à l’Annexe B de l’Accord;

QUE l’Accord a été signé par les parties le 23 juin 2008;

QUE, aux termes de l’Accord, chaque demandeur est tenu d’établir qu’il avait un lien actuel important avec le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve avant la date du décret de reconnaissance, et le jour même, et les demandeurs résidant à l’extérieur des lieux énumérés à l’Annexe B de l’Accord sont tenus de fournir des preuves tangibles d’un lien fort et continu avec le groupe en question;

QUE la fondation pour la création d’une bande indienne, au sens de la Loi sur les Indiens, sans assise territoriale reposait sur les membres des groupes d’Indiens mi’kmaq suivants, qui revendiquaient depuis des années avant la signature de l’Accord le droit de leurs membres d’être reconnus comme membres d’une bande créée conformément à la Loi sur les Indiens : la Fédération des Indiens de Terre‑Neuve; l’Alliance des Mi’kmaq de Ktaqamkuk; la Première Nation de Benoit; la Bande des Kitpu; la Bande des Mi’kmaq sip’kop;

QUE l’application de l’article 24 des Lignes directrices du Comité d’inscription (Annexe A de l’Accord) aux demandes signées après le 22 septembre 2011 ferait en sorte qu’on accueillerait une preuve insuffisante pour répondre au critère selon lequel le demandeur doit s’être identifié comme membre du groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve avant et à la date du décret de reconnaissance, comme prévu au sous‑alinéa 4.1d)(i) de l’Accord;

QUE, par conséquent, le fait de s’appuyer uniquement sur la preuve autorisée à l’article 24 des Lignes directrices du Comité d’inscription va à l’encontre des exigences prévues au sous‑alinéa 4.1d)(i) de l’Accord dans le cas des demandes signées après le 22 septembre 2011, ce qui nécessite donc la correction d’une disposition lacunaire de l’Accord;

QUE les parties souhaitent préciser davantage la nature de la preuve que les demandeurs doivent fournir pour prouver qu’ils ont été acceptés par le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve conformément au critère du sous‑alinéa 4.1d)(ii) de l’Accord;

QUE les parties souhaitent émettre la ligne directrice ci‑jointe au comité d’inscription qui a été créé conformément à l’Accord afin de traiter de la nature de la preuve que les demandeurs doivent présenter pour respecter le critère du sous‑alinéa 4.1d)(ii) de l’Accord et la manière dont la preuve sera évaluée;

QUE le volume des demandes soumises par des personnes qui souhaitent devenir membres de la bande a grandement dépassé les attentes raisonnables des parties et la capacité du processus d’inscription établi conformément à l’Accord dans le but d’évaluer les demandes reçues pendant la période déterminée dans l’Accord;

QUE l’intention d’origine des parties était, et continue d’être, que tous les demandeurs soient traités de façon juste et égale;

QUE l’article 2.15 de l’Accord permet aux parties de modifier ses dispositions sans d’autres ratifications pour éliminer des conflits ou des incohérences avec la loi, pour régler des erreurs manifestes qui découlent de dispositions défectueuses ou incohérentes et de prolonger les échéanciers.

[…]

[49]  L’article 2 de l’Accord supplémentaire prévoit que toutes les demandes reçues au cours du processus d’inscription (du 30 novembre 2008 au 30 novembre 2012) qui n’ont pas été rejetées par le comité chargé de l’inscription seront évaluées ou réévaluées.

[50]  L’article 9 de l’Accord supplémentaire prévoit que les parties établiront conjointement des lignes directrices à l’intention du comité chargé de l’inscription et du responsable des appels au sujet de l’application des critères d’acceptation par le groupe :

9. Supervision et lignes directrices. Les parties confirment que l’article 10.4 de l’Accord les habilite à surveiller le travail du Comité d’inscription et du responsable des appels, à demander des rapports rédigés conformément aux exigences du comité de mise en œuvre, à produire conjointement des Lignes directrices à l’intention du Comité d’inscription et du responsable des appels ainsi qu’à enjoindre à ces derniers de les consulter, par l’entremise du comité de mise en œuvre, dès lors que survient une situation nouvelle et imprévue ou qu’il serait utile de préciser certains termes de l’Accord.
On trouvera ci‑joint (Annexe A de l’Accord) une ligne directrice concernant l’application du sous‑alinéa 4.1
d)(ii) de l’Accord ainsi que de l’article 25 des Lignes directrices à l’intention du Comité d’inscription.

F.  Les lignes directrices

[51]  Le préambule des lignes directrices précise que celles‑ci visent à fournir des orientations sur l’application du sous‑alinéa 4.1d)(ii) et il précise le contexte dans lequel elles sont établies.

Le préambule de l’Accord pour la reconnaissance de la bande Qalipu Mi’kmaq prévoyait la création d’une bande sans assise territoriale pour le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve. Le « groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve » renvoie collectivement aux groupes mi’kmaq répartis sur l’île de Terre‑Neuve énumérés dans l’Accord. « Membre » est défini en vertu de l’article 1.13 de l’Accord comme désignant des personnes ayant un lien actuel important avec le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve. Le statut de membre fondateur de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq devait être conféré d’abord et avant tout aux personnes vivant dans les régions précisées dans l’Accord, ou dans les environs, et qui répondent aux autres critères mentionnés. Par contre, l’Accord prévoyait aussi que les personnes vivant à l’extérieur de ces régions pourraient devenir membres de la bande précitée si elles se sont identifiées au groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve et ont été acceptées par le groupe.  Ces personnes devaient avoir un lien actuel important avec le groupe pour se voir reconnaître le statut de membres fondateurs.

Les mots « actuel important » méritent qu’on leur accorde toute l’importance qui leur est due dans le contexte de l’Accord. L’acceptation par la collectivité repose essentiellement sur la participation, passée et présente, à une culture commune, à des coutumes et traditions qui constituent l’identité de la communauté et qui la distinguent d’autres groupes. Il appartient au demandeur de prouver qu’il entretient avec le groupe mi’kmaq un lien actuel substantiel de par sa nature et sa durée, un lien véritable, profond et ancien. Le demandeur doit prouver l’existence d’un lien étroit avec le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve qui précède ou est contemporain de la signature de l’Accord et qui s’est poursuivi jusqu’à la date du décret de reconnaissance.

Les renvois fréquents au groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve dans l’Accord indiquent que pour les parties, l’acceptation par le groupe devait dépasser les simples liens familiaux. L’article 25 des Lignes directrices prévoit qu’il faut faire la preuve d’une participation à des activités traditionnelles et culturelles du groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve, l’accent étant mis sur l’appartenance à une collectivité mi’kmaq représentée par une organisation ou une bande établie sur l’île, ou encore sur une acceptation attestée par la participation assidue aux activités et aux cérémonies du groupe.

[52]  Le corps des lignes directrices a un double effet. Premièrement, il énumère un certain nombre de principes et d’exigences d’ordre général que le comité chargé de l’inscription et le responsable des appels sont tenus d’appliquer pour déterminer si un demandeur satisfait aux critères d’acceptation par le groupe. En second lieu, il établit un système de cotation pour l’évaluation prévue au sous‑alinéa 4.1d)(ii) et il fournit des orientations précises en ce qui concerne l’application du système.

[53]  L’article 7 des lignes directrices prévoit expressément, pour les demandeurs non‑résidents, une norme de preuve plus exigeante pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe, en particulier pour ceux qui résident depuis longtemps hors du lieu où est établie la collectivité avec laquelle ces personnes prétendent entretenir un lien fort.

[54]  L’article 8 des lignes directrices prévoit par ailleurs que le lien évoqué par un demandeur « ne saurait se limiter aux contacts étroits avec les membres de la famille. Il doit tenir notamment à la participation à la vie socioculturelle des communautés formant le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve ».

[55]  L’article 9 des lignes directrices prévoit que les demandeurs doivent produire des éléments de preuve documentaire objectifs qui précèdent ou rejoignent dans le temps la signature de l’Accord. Il précise que le lien évoqué doit avoir été continu et clairement attesté au moment de la prise du décret de reconnaissance, et que toute preuve se rapportant à des faits survenus après le la prise du décret de reconnaissance n’est pas pertinente et ne sera pas retenue.

[56]  L’article 11 des lignes directrices exige que les preuves documentaires soumises en vue de démontrer l’acceptation par le groupe soient accompagnées d’au moins deux affidavits signés par des résidents d’une communauté appartenant au groupe des Indiens Mi’kmac, préciser leurs liens avec le demandeur et fournir les éléments prévus au sous‑alinéas 25b)(i) et 25b)(ii) des lignes directrices.

[57]  Enfin, l’article 12 des lignes directrices oblige les demandeurs qui soumettent de nouveaux éléments de preuve à déclarer sous serment que les documents fournis sont authentiques.

G.  Système de cotation pour répondre aux critères d’acceptation par le groupe en vue de l’adhésion

[58]  L’article 6 des lignes directrices oblige le comité chargé de l’inscription à procéder à l’évaluation prévue au sous‑alinéa 25b) des lignes directrices à partir du système de cotation annexée aux lignes directrices.

[59]  Le demandeur qui, à la date du décret de reconnaissance, ne résidait pas au sein d’un groupe Mi’kmac d’Indiens de Terre‑Neuve doit accumuler au moins 13 points en vertu du système de cotation pour satisfaire aux exigences de l’alinéa 25b) (et, par conséquent pour répondre aux critères d’acceptation par le groupe).

[60]  Un demandeur peut accumuler jusqu’à quatre points s’il visite fréquemment des membres du groupe des Indiens Mi’kmac de Terre‑Neuve et jusqu’à deux points s’il communique fréquemment avec les membres en question.

[61]  L’article 13 des lignes directrices prévoit que pour être jugées « fréquentes » au sens du sous‑alinéa 25b)(i) des lignes directrices, les visites et les communications doivent être faites de façon régulière depuis longtemps à la date de la signature de l’Accord.

[62]  L’article 14 des lignes directrices précise que « les visites et les communications ne sauraient se limiter aux membres de la famille ». Il ajoute que « les éléments de preuve soumis doivent faire mention de contacts avec d’autres membres […] et d’une participation à des activités socioculturelles en un endroit où habitent des membres du groupe ».

[63]  L’article 15 des lignes directrices fournit des exemples de documents datés de la signature de l’Accord ou antérieurs à cette date qui peuvent être présentés en preuve pour satisfaire aux exigences du sous‑alinéa 25b)(i), dont des billets d’avion, des factures de téléphone, les versions originales, et datées, de lettres, courriels ou quelque autre communication écrite.

[64]  Jusqu’à neuf points peuvent être accordés au demandeur qui démontre qu’il a maintenu la culture et le mode de vie mi’kmaq (au sens du sous‑alinéa 25b)(ii)).

[65]  L’article 16 des lignes directrices prévoit que le maintien de la culture et du mode de vie Mi’kmac peut‑être attesté par l’appartenance à la Fédération des Indiens de Terre‑Neuve, à l’Alliance des Mi’kmaq de Ktaqamkuk, à la Première Nation de Benoit, à la Bande des Kitpu ou à la Bande des Mi’kmaq sip’kop avant la signature de l’Accord.

[66]  L’article 17 prévoit qu’on peut aussi démontrer le maintien de la culture et du mode de vie mi’kmaq grâce à des preuves datant d’avant la signature de l’Accord montrant que le demandeur a assisté à des activités ou des cérémonies religieuses, traditionnelles ou culturelles du groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve ou qu’il a pris des mesures pour se familiariser avec le mode de vie mi’kmaq et interagir avec le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve.

[67]  L’article 18 donne des exemples d’activités ou de cérémonies religieuses, culturelles ou traditionnelles pour l’application de l’article 17.

[68]  L’article 19 donne une liste d’exemples de types de preuves pouvant être soumise pour satisfaire à l’article 17.

[69]  Enfin, selon le système de cotation, un demandeur peut accumuler trois points au titre de la résidence sur l’île de Terre‑Neuve et neuf points pour son appartenance à l’une des organisations mi’kmaq énumérées à l’article 16 des lignes directrices.

H.  Grille détaillée du système de cotation pour l’évaluation des critères d’acceptation par le groupe

[70]  Le 30 juin 2013, les parties ont publié les Lignes directrices à l’intention du Comité d’inscription et du(des) responsable(s) des appels concernent l’application du sous‑alinéa 4.1d)(ii) de l’Accord pour la reconnaissance de la bande Qalipu Mi’kmaq au chapitre de l’acceptation au sein du groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve (les lignes directrices). Les lignes directrices ont été mises à la disposition du public.

[71]  Au cours de l’année suivant la signature de l’Accord supplémentaire, les parties ont, par l’entremise du comité de mise en œuvre, élaboré une deuxième version plus précise du système de cotation [la grille détaillée du système de cotation]. La grille détaillée du système de cotation n’a pas été mise à la disposition des demandeurs. Elle a été élaborée avec la collaboration du comité chargé de l’inscription, qui a été encouragé à recommander d’autres activités culturelles mi’kmaq que le comité de mise en œuvre n’avait pas envisagées au départ en vue de les inclure dans la grille détaillée du système de cotation en tant que critères d’acceptation par le groupe. Par la suite, le comité chargé de l’inscription a appliqué la grille détaillée du système de cotation pour déterminer si des demandeurs non‑résidents satisfaisaient aux critères d’acceptation par le groupe.

[72]  La grille détaillée du système de cotation permettait également au comité chargé de l’inscription d’accorder à sa discrétion deux points supplémentaires lorsqu’il estimait que les preuves fournies par le demandeur montraient un degré exceptionnel de participation au sein de la collectivité mi’kmaq de Terre‑Neuve.

[73]  Comme le précise le préambule de la grille détaillée du système de cotation : [traduction« [l]’Accord, y compris l’Accord supplémentaire et les lignes directrices, prévoit les règles de fond et de procédure relatives à l’inscription en tant que membre fondateur de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq et il a préséance sur la grille en cas de contradiction ».

I.  Évaluation et réévaluation des demandes conformément à l’Accord supplémentaire

[74]  En juillet 2013, le Canada et la FITN ont publié un communiqué de presse conjoint informant les demandeurs que toutes les demandes d’adhésion à la PNQM seraient examinées pour s’assurer de leur conformité avec les conditions de validité des lignes directrices à l’intention du comité chargé de l’inscription. Les demandeurs ont également été informés des exigences en matière de preuve de l’Accord supplémentaire et des lignes directrices et on leur a rappelé qu’il leur incombait de décider quels documents ils souhaitaient fournir à l’appui de leur demande.

[75]  En novembre 2013, le président du comité chargé de l’inscription a envoyé une lettre à tous les candidats à l’adhésion à la PNQM, à l’exception de ceux qui avaient été rejetés au cours de la première étape, les informant que leur demande était soit invalide et rejetée, soit valide et susceptible d’être examinée. Ceux dont les demandes étaient valides ont été autorisés à fournir des documents supplémentaires pour satisfaire aux exigences en matière de preuve qui avaient été précisées dans l’Accord supplémentaire et les lignes directrices. La brochure jointe à cette lettre intitulée [traductionNovembre 2013 – Mise à jour à l’intention des candidats à l’adhésion à la Première Nation Mi’kmaq  de Qaliup, précisait les preuves qui seraient acceptées. Elle prévenait les candidats qu’il leur incombait à eux seuls [traduction« de déterminer quels documents supplémentaires, le cas échéant, [ils souhaitaient] présenter pour appuyer leur demande », même si on leur demandait de soumettre autant de documents que possible.

[76]  L’article 2 de l’Accord supplémentaire précisait que toutes les demandes reçues qui n’avaient pas été rejetées pendant la période d’inscription seraient réévaluées. Le comité chargé de l’inscription a terminé le 31 janvier 2017 sa réévaluation d’environ 100 000 demandes d’adhésion à titre de membre fondateur et a informé par lettre les candidats des résultats de son examen.

[77]  Le comité a estimé que 78 632 de ces individus ne remplissaient plus les critères pour devenir membres fondateurs et il a retiré le nom de 10 396 des quelque 21 500 membres fondateurs initiaux de la liste des membres fondateurs. Le comité a conclu que 18 473 candidats ne satisfaisaient pas aux nouvelles exigences en matière de preuve relatives aux critères d’acceptation par le groupe prévus par l’Accord supplémentaire et les lignes directrices. Parmi ceux‑ci, 10 363 étaient des membres fondateurs initiaux à qui la qualité de membre a été retirée parce qu’ils n’avaient pas accumulé le minimum de 13 points exigés dans le cas des candidats non‑résidents.

[78]  Le Canada et la FITN ont convenu que les décisions prises par le comité chargé de l’inscription relativement à la totalité des plus de 100 000 demandes reçues seraient communiquées au même moment. Après plusieurs prolongations de délai pour compléter le processus d’inscription et d’appel, le processus d’appel a finalement pris fin le 28 février 2018.

J.  Le demandeur

[79]  M. Abbott a soumis sa demande d’adhésion signée à la PNQM le 26 octobre 2009. Sa demande faisait partie d’un dossier familial dans lequel sa tante, Judy Penney, était la demanderesse principale. Il a ajouté ses fils, Hayden et Lucas, dans sa demande à titre d’enfants demandeurs.

[80]  Dans sa demande, M. Abbott a indiqué que son grand‑père, Roland Leonard Young, était son lien ancestral avec la collectivité mi’kmaq de Chance Port (Twillingate) avant la Confédération, et il a déclaré qu’il avait des liens actuels avec la collectivité de Gander Bay South (Musgrave Harbour), une collectivité visée à l’annexe B.

[81]  M. Abbott a quitté Terre‑Neuve‑et‑Labrador pour poursuivre une carrière en génie et il habite maintenant à Ottawa (Ontario). En tant que non‑résident, M. Abbott devait satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe énumérés au sous‑alinéa 25b) des lignes directrices.

[82]  Pour satisfaire au sous‑alinéa 25b)(i), M. Abbott a fourni les affidavits souscrits par Glenys Abbott, Sharla Abbott, Verlie Sharpe et Judy Penney faisant état de ses communications avec des membres de la collectivité de Gander Bay South et de ses visites à ceux‑ci. Pour satisfaire au sous‑alinéa 25b)(ii), M. Abbott a fourni un autre affidavit de Glenys Abbott attestant le maintien par lui de la culture et du mode de vie mi’kmaq par la pêche, la chasse, la cueillette de petits fruits et le camping. M. Abbott a également inclus une lettre dans laquelle le chef Nellie Power de la Première Nation Sple’tk confirmait qu’il était d’origine mi’kmaq, qu’il était membre de la Première Nation Sple’tk et qu’il était affilié à la FITN en tant qu’Indien non inscrit.

[83]  Le 17 mai 2011 ou vers cette date, M. Abbott a reçu une lettre du président du comité chargé de l’inscription l’informant que sa demande d’adhésion avait été approuvée. Aucun des défendeurs n’a interjeté appel de l’évaluation du comité chargé de l’inscription. À la suite de la création de la PNQM en vertu du décret de reconnaissance, M. Abbott et ses fils sont devenus des membres fondateurs.

[84]  En novembre 2013, M. Abbott a reçu une lettre du comité chargé de l’inscription l’informant que sa demande ferait l’objet d’une réévaluation. M. Abbott n’a pas demandé le contrôle judiciaire de cette décision. De plus, il n’a pas contesté les exigences en matière de preuve énoncées dans les lignes directrices pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe.

[85]  Il a plutôt décidé de suivre la procédure de réévaluation prévue par le comité chargé de l’inscription. Après avoir examiné les lignes directrices et son système de cotation, M. Abbott a fourni les preuves suivantes pour satisfaire aux nouvelles exigences en matière de preuve imposées par les lignes directrices:

  • 1) une lettre personnelle écrite par M. Abbott en date du 5 février 2014 indiquant notamment qu’il avait quitté sa collectivité en 1992 pour obtenir un diplôme d’ingénieur et qu’il avait quitté la province en 1999 pour trouver un emploi dans son domaine, et qu’il avait initié ses fils aux traditions de la cueillette de petits fruits, de la chasse et de la pêche;

  • 2) deux autres affidavits confirmant les fréquentes communications et visites de M. Abbott et sa participation à des activités traditionnelles, notamment la pêche, la fabrication de conserves et la cueillette de racines et d’écorces pour la fabrication de médicaments;

  • 3) les itinéraires de vol pour cinq voyages familiaux entre Ottawa et Gander, entre août 2008 et mars 2012;

4)  un reçu pour paiement des frais d’adhésion à la Première Nation de Sple’tk pour la période du 1er avril 2011 au 31 mars 2012.

[86]  Le 31 janvier 2017 ou vers cette date, M. Abbott a reçu une lettre du comité chargé de l’inscription l’informant que sa demande d’adhésion à titre de membre fondateur de la PNQM avait été rejetée. La lettre indiquait qu’il n’avait pas recueilli le minimum de 13 points nécessaire pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe. M. Abbott avait recueilli en tout 12 points : 3 points sur 4 pour ses visites fréquentes, 0 point sur 2 pour ses communications, 0 point sur 3 pour la résidence sur l’île de Terre‑Neuve, 9 points sur 9 pour son appartenance à une organisation mi’kmaq et 0 point sur 9 pour le maintien de la culture et du mode de vie mi’kmaq.

[87]  M. Abbott a demandé et obtenu une copie de son dossier de demande, qui comprenait l’évaluation de sa demande par le comité chargé de l’inscription en fonction de la grille détaillée du système de cotation.

[88]  M. Abbott a interjeté appel de la réévaluation de sa demande par le comité chargé de l’inscription auprès du responsable des appels, en faisant valoir qu’il avait droit à des points pour le maintien de la culture et du mode de vie mi’kmaq et que le processus d’évaluation soulevait des questions au regard de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte].

[89]  Le 19 janvier 2018 ou vers cette date, M. Abbott a reçu une lettre dans laquelle le responsable des appels l’informait qu’il rejetait son appel au motif qu’il n’avait pas démontré que le comité chargé de l’inscription avait commis une erreur.

[90]  Après avoir reçu la décision du responsable des appels, M. Abbott a déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

[91]  M. Abbott et ses fils ont été retirés de la liste des membres fondateurs. M. Abbott, qui était auparavant un Indien inscrit au sens de l’alinéa 6(1)b) de la Loi sur les Indiens, est maintenant inscrit comme enfant d’un membre fondateur conformément au paragraphe 6(2). Ces enfants n’ont donc plus aucun statut sous le régime de la Loi sur les Indiens.

[92]  La mère, la sœur et le frère de M. Abbott ont tous été acceptés comme membres à la suite du processus de réévaluation. À l’instar de M. Abbott, son frère a lui aussi déménagé à Ottawa pour poursuivre une carrière en génie.

IV.  Questions en litige

[93]  Bien que de nombreux moyens aient été invoqués dans l’avis de demande, y compris des questions relatives à la Charte, les parties conviennent que la présente demande se limite aux questions suivantes :

  1. La Cour a‑t‑elle compétence pour statuer sur la présente demande de contrôle judiciaire?

  2. Quelles sont les normes de contrôle applicables aux décisions en cause?

  3. La décision de conclure l’Accord supplémentaire et d’établir les lignes directrices était‑elle déraisonnable?

  4. La décision du responsable des appels de rejeter la demande d’adhésion de M. Abbott était‑elle raisonnable?

  5. M. Abbott a‑t‑il été privé de son droit à l’équité procédurale?

V.  Analyse

[94]  Avant d’examiner les principaux points en litige, il est nécessaire d’aborder une question de procédure. Dans l’avis de demande, M. Abbott demande l’autorisation, en vertu de l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, de contester plusieurs décisions dans le cadre de la présente instance. Il soutient qu’il convient d’ordonner l’instruction de cette demande même si, à proprement parler, elle ne se limite pas à une seule décision, comme l’a reconnu le juge Russel Zinn dans le jugement Wells c Canada (Procureur général) 2018 CF 483 [Wells].

[95]  Dans l’affaire Wells, les demandeurs contestaient les décisions par lesquelles le comité chargé de l’inscription avait rejeté chacune de leurs demandes d’inscription à la PNQM. Ils contestaient également la légitimité des modifications apportées à l’Accord original, notamment celles apportées aux lignes directrices du comité chargé de l’inscription concernant la preuve requise pour établir qu’un demandeur s’était identifié comme membre du groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve et restreignant le droit d’interjeter appel des décisions du comité chargé de l’inscription.

[96]  Le 8 mai 2018, le juge Zinn a conclu que l’obligation de produire une preuve d’identification antérieure à l’Accord pour pouvoir satisfaire au critère d’identification n’était pas raisonnable et qu’il y avait lieu d’accorder aux demandeurs le droit d’interjeter appel de la décision rendue dans leur dossier.

[97]  La présente demande concerne strictement le sous‑alinéa 4.ld)(ii) de l’Accord, qui exige que le demandeur soit, à la date du décret de reconnaissance, « reconnu comme membre par le groupe des Indiens mi’kmac de Terre‑Neuve ». Toutefois, bon nombre des questions de fait et de droit soulevé dans l’affaire Wells se posent à nouveau en l’espèce, y compris la question de la compétence de la Cour pour connaître de l’instance, et la question de la norme de contrôle applicable.

[98]  En l’espèce, M. Abbott demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 19 janvier 2018 par le responsable des appels, ainsi que la décision du ministre, prise presque cinq ans plus tôt, en juin 2013, de conclure l’Accord supplémentaire et d’établir les lignes directrices.

[99]  L’article 302 des Règles prévoit que la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée, sauf ordonnance contraire de la Cour. La règle générale est qu’une demande de contrôle judiciaire ne devrait pas être utilisée pour contester plus d’une décision.

[100]  La Cour peut faire une exception à la règle lorsqu’il existe un lien entre les décisions que le demandeur souhaite contester. En règle générale, ce lien résulte du fait que les décisions contestées concernent les mêmes parties, découlent des mêmes faits et ont été rendues par le même décideur. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Les décisions en question portent sur deux situations factuelles très différentes et deux décideurs différents (le ministre et le responsable des appels).

[101]  À l’audience, les avocats des parties ont indiqué qu’il s’agissait d’une cause type et qu’il serait dans l’intérêt de toutes les parties, ainsi que des membres de la PNQM et des autres demandeurs d’adhésion à la PNQM, que tous les aspects du litige soient examinés dans une seule et même décision, pour mettre un point final à l’affaire.

[102]  Étant donné qu’il existe un lien entre les deux décisions à l’examen, en ce sens qu’elles s’inscrivent dans un continuum factuel et décisionnel, et que les allégations formulées par M. Abbott ne peuvent être examinées de façon isolée, j’estime juste et à propos d’accorder la réparation demandée en vertu de l’article 302 des Règles.

A.  La Cour a‑t‑elle compétence pour statuer sur la présente demande de contrôle judiciaire?

[103]  Les parties affirment – et j’accepte – que la Cour a compétence pour examiner les décisions contestées.

[104]  Le juge Zinn a conclu dans le jugement Wells que la Cour avait compétence pour réviser les décisions du comité chargé de l’inscription, en se fondant sur l’analyse effectuée par le juge Michael Manson dans les jugements Howse c Procureur général du Canada, 2015 CF 1063 [Howse], aux paragraphes 19, 20 et 21 et Foster c Procureur général du Canada, 2015 CF 1065 [Foster]. La décision rendue dans l’affaire Howse au sujet de la compétence reposait sur le fait que les pouvoirs du comité chargé de l’inscription découlaient du processus de reconnaissance des membres établi par une loi fédérale.

[105]  Le juge Zinn a également conclu que la Cour avait compétence pour examiner les décisions prises par le Canada portant que l’Accord original ne traitait pas adéquatement de l’identification après la création de la PNQM, et pour examiner les décisions prises quant à la manière de modifier les modalités de l’Accord à cet égard. Voici ce qu’il écrit au paragraphe 46 :

L’Accord original a été conclu par le Canada grâce à sa prérogative de créer de nouvelles bandes et de décider de l’appartenance à une bande et de l’octroi du statut d’Indien conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens. La décision du Canada, prise par l’entremise du ministre, qui consiste à modifier les modalités de l’Accord original, découle également de cette prérogative. Cette décision a une incidence sur les droits des demandeurs d’adhérer à la PNQM. Ainsi, je conclus que les deux décisions ayant mené à la conclusion de l’Accord supplémentaire, et la décision prise relativement à ses modalités, peuvent faire l’objet d’un contrôle par la Cour, conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

[106]  Je souscris à l’analyse juridique et aux conclusions formulées par mes collègues sur la question de la compétence.

B.  Quelles sont les normes de contrôle applicables aux décisions en cause?

[107]  Les parties conviennent que toutes les questions en litige, à l’exception de celles liées à l’équité procédurale, sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[108]  S’agissant de la norme de contrôle à appliquer, la Cour suprême du Canada a déclaré, dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], qu’il n’est pas nécessaire de procéder systématiquement à une analyse relative à la norme de contrôle applicable. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs permettant d’arrêter la bonne norme de contrôle.

[109]  Dans le jugement Wells, le juge Zinn a estimé qu’il convenait de considérer que les décisions relatives aux modalités de l’Accord supplémentaire relevaient du pouvoir discrétionnaire ministériel. Il a ajouté ce qui suit, au paragraphe 52 :

Les questions dont la Cour est actuellement saisie diffèrent grandement de la plupart de celles qu’elle est appelée à trancher. Elles diffèrent en ce que, en l’espèce, ce sont les décideurs, le Canada et la FITN qui sont les auteurs de l’Accord original et que leur décision que cet Accord contient une erreur est donc une décision des auteurs d’origine de l’Accord. Il ne s’agit pas, comme c’est habituellement le cas, d’une décision prise par quelqu’un qui interprète une disposition qu’il n’a pas créée, ou d’une mésentente entre les auteurs d’un accord quant à l’interprétation qu’il convient de lui donner.

[110]  Étant donné que les questions touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique ne peuvent être aisément dissociées des faits (voir Dunsmuir, par. 51), la décision du ministre de conclure l’Accord supplémentaire est assujettie à la norme de la décision raisonnable. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir, par. 47).

[111]  La Cour suprême du Canada parle, au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, de la « norme déférente du caractère raisonnable ». Elle poursuit, aux paragraphes 48 et 49 en expliquant que la déférence se définit comme une attitude de respect – et non d’acceptation aveugle – envers les décideurs. Je souscris à cette approche et je l’applique aux questions dont je suis saisi.

[112]  Le juge Zinn a également précisé, au paragraphe 54, que parce que les accords qui lui étaient soumis concernaient les droits de Mi’kmaq et la protection de ces droits, la retenue dont font preuve les tribunaux ne devait pas « s’exercer au détriment d’un examen adéquat des actions posées par le Canada et la FITN, et ce, afin que les modalités de la création de la PNQM et de l’adhésion à celle‑ci soient respectées ».  Par conséquent, bien que je sois conscient du fait que les auteurs de l’Accord se soient exprimés sur la façon dont l’Accord devait être interprété et sur leur intention en ce qui concerne l’exécution de l’Accord, je retiens également l’invitation du juge Zinn d’examiner de façon adéquate les actions posées par le Canada pour s’assurer qu’elles étaient conformes aux modalités de l’Accord.

[113]  Dans les jugements Howse et Foster, le juge Manson a qualifié les décisions du comité chargé de l’inscription de questions mixtes de fait et de droit devant être examinées selon la norme de la décision raisonnable. Je conviens avec les parties que la même norme devrait s’appliquer à l’examen de la décision du responsable des appels.

[114]  Enfin, il est bien établi par la jurisprudence de la Cour que les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte et que le degré de retenue dont il y a lieu de faire preuve envers la présente décision est faible (voir Dunsmuir, par. 50).

C.  La décision de conclure l’Accord supplémentaire et d’établir les lignes directrices était‑elle déraisonnable?

[115]   M. Abbott soutient que la décision de conclure l’Accord supplémentaire et, plus particulièrement, d’établir les lignes directrices, n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et que cette décision est déraisonnable pour les raisons qui suivent. Premièrement, les changements apportés aux exigences en matière de preuve devant être respectées pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe et pour son évaluation sont des modifications irrégulières qui n’étaient pas autorisées par l’article 2.15 de l’Accord. Deuxièmement, les lignes directrices ont été régulièrement établies en vertu de l’article 10.4 de l’Accord. Troisièmement, les modifications apportées par les lignes directrices aux critères d’acceptation par le groupe étaient motivées par un but légitime et reposaient sur des considérations non pertinentes. Quatrièmement, les modifications apportées par les lignes directrices aux critères d’acceptation par le groupe dans le cas des demandeurs non‑résidents étaient arbitraires et trop limitatives.

[116]  Je traiterai ensemble les deux premiers motifs invoqués par M. Abbott, car les deux ont trait au pouvoir des parties d’établir des lignes directrices ainsi qu’au caractère raisonnable de leur décision de les établir.

  • 1) Les changements apportés aux preuves requises pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe et à l’évaluation des preuves sont‑ils des modifications irrégulières que ne permet pas l’article 2.15 de l’Accord?

  • 2) Les lignes directrices ont‑elles été établies de façon irrégulière, contrairement à l’article 10.4 de l’Accord?

[117]  M. Abbott soutient que les lignes directrices alourdissent considérablement le fardeau de la preuve et accroissent les exigences énoncées au sous‑alinéa 4.1d)(ii) de l’Accord et à l’alinéa 25b), auxquelles doivent satisfaire les demandeurs non‑résidents. Il soutient que les changements apportés aux preuves requises pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe et à l’évaluation des preuves sont des modifications qui auraient dû être apportées conformément au mécanisme de modification prévu à l’article 2.15 de l’Accord.

[118]  Les défendeurs soutiennent que l’Accord envisageait la possibilité que le processus d’inscription soulève des questions au cours de sa mise en œuvre et qu’il a donc offert aux parties divers moyens de régler ces questions, notamment par l’entremise du comité de mise en œuvre créé en vertu du chapitre 10 de l’Accord.

[119]  Selon les défendeurs, l’article 10.4 de l’Accord englobe le pouvoir des parties d’encadrer le travail du comité chargé de l’inscription et du responsable des appels, et d’établir à leur intention des lignes directrices conjointes, par l’entremise du comité de mise en œuvre.

[120]  Au paragraphe 45 de son affidavit, M. Sheppard déclare que les lignes directrices en cause n’étaient pas les premières lignes directrices communiquées au comité chargé de l’inscription. Il affirme qu’avant de conclure l’Accord supplémentaire les parties ont mis au point une « pratique » qui consiste à traiter les questions soulevées pendant la mise en œuvre de l’Accord en établissant des lignes directrices. M. Sheppard joint à son affidavit plus d’une douzaine de lettres et de courriels adressés au comité chargé de l’inscription, entre avril 2009 et décembre 2012, qu’il dit être des exemples de telles lignes directrices, à savoir les pièces F, G, H et N 1 à 12 de l’affidavit de Brendan Sheppard souscrit le 25 septembre 2018.

[121]  Le problème que me posent la plupart des documents que M. Sheppard a identifiés comme autant de preuves de lignes directrices établies à l’intention du comité chargé de l’inscription est que ces lignes directrices n’ont pas été établies par le comité de mise en œuvre, mais plutôt par un représentant de l’une ou l’autre partie. Les documents n’invoquent pas non plus l’article 10.4 de l’Accord pour « ordonner » ou exiger que le comité chargé de l’inscription applique des normes de preuve ou des processus d’évaluation particuliers. À l’exception des pièces N 11 et N 12, les documents apparaissent, selon M. Abbott, comme [traduction] « une série d’observations et de demandes détaillées » présentées au comité chargé de l’inscription.

[122]  À titre d’exemple, dans sa lettre datée du 12 août 2010, M. Stephen May, de la FITN, répond à une demande du président du comité chargé de l’inscription concernant le fait que certains demandeurs se sont basés sur les données du recensement de 1921 du district de Burgeo‑La Poile pour soutenir qu’ils étaient d’ascendance autochtone canadienne. M. May conclut sa lettre en disant ce qui suit : [traduction] « [S]i le comité chargé de l’inscription décide de rejeter les prétentions de la FITN », celle‑ci devrait être avisée de toute autre demande approuvée afin qu’elle ait le temps de décider s’il y a lieu d’interjeter appel auprès du responsable des appels. Les autres lettres et courriels produits par M. Sheppard sont tous rédigés dans des termes semblables.

[123]  De plus, seulement deux des documents sont en fait rédigés au nom du comité de mise en œuvre. Or, aucun de ces deux documents n’a pris la forme de lignes directrices visant à encadrer les activités ou les évaluations du comité chargé de l’inscription.

[124]  Avant la conclusion de l’Accord supplémentaire, le comité de mise en œuvre ou les parties elles‑mêmes ont présenté des observations au comité chargé de l’inscription et ont répondu aux demandes de renseignements, laissant au comité chargé de l’inscription le soin de décider s’il y avait lieu de les adopter ou de les rejeter. L’établissement de lignes directrices officielles a donc constitué un écart marqué par rapport aux démarches faites antérieurement auprès du comité chargé de l’inscription. Toutefois, le fait que les lettres adressées précédemment au comité chargé de l’inscription n’aient pas été formulées sous forme de lignes directrices ne signifie pas qu’elles n’étaient pas destinées à être traitées comme telles.

[125]  La création du comité de mise en œuvre et la compétence qui a été conférée à celui‑ci découlent de l’entente conclue entre les parties. Le rôle du comité était très vaste et consistait à superviser et à coordonner la mise en œuvre de l’Accord. Le comité de mise en œuvre a aidé aussi le comité chargé de l’inscription à surveiller le processus d’inscription et à faciliter la résolution des problèmes de mise en œuvre. À cet égard, le comité de mise en œuvre agissait en tant que représentant des parties. La tentative de M. Abbott d’établir une distinction nette entre le comité de mise en œuvre et les parties n’est aucunement fondée.

[126]  Au paragraphe 55 de son affidavit, M. Reiher confirme que le comité de mise en œuvre a joué plus qu’un rôle de défenseur :

[TRADUCTION]

Conformément à l’article 10.4 de l’Accord de 2008, le comité de mise en œuvre fournissait régulièrement des orientations au comité chargé de l’inscription pour l’aider à résoudre les problèmes liés à la mise en œuvre de l’Accord. Réciproquement, le comité chargé de l’inscription soumettait régulièrement des questions au comité de mise en œuvre pour trouver une solution.

[127]  Compte tenu de la preuve qui m’a été présentée, je suis convaincu que les lettres échangées par les parties ou en leur nom se voulaient des directives, et que le comité chargé de l’inscription les acceptées comme telles. Le comité chargé de l’inscription les a considérées et interprétées comme des orientations fournies conjointement par les parties. En ce qui concerne en particulier la question de l’acceptation par le groupe, M. Reiher a écrit au président du comité chargé de l’inscription, le 22 mars 2011, pour exprimer ses préoccupations quant au manque d’affidavits détaillés. Il a souligné l’importance pour les demandeurs de fournir suffisamment de preuves factuelles pour permettre au comité chargé de l’inscription d’évaluer la solidité des liens des demandeurs avec le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve. M. Reiher s’est dit préoccupé par le manque de détails dans de nombreux affidavits, notamment dans le cas des affidavits types, ainsi que par l’absence générale d’éléments de preuve documentaire supplémentaires pour étayer les affidavits peu détaillés. À la suite de cet échange de courriels et de lettres, le comité chargé de l’inscription a modifié sa façon de faire : il a cessé d’accepter les affidavits types et a exigé de nouveaux affidavits plus détaillés des demandeurs qui les avaient produits.

[128]  En raison de la quantité extraordinairement élevée de demandes, dont la plupart provenaient de personnes qui ne résidaient dans aucune des 67 collectivités mi’kmaq identifiées, les parties ont dû s’interroger sur la meilleure façon de procéder sans faire déraper le processus d’inscription. Compte tenu de l’incohérence des décisions prises par le comité chargé de l’inscription et de la faiblesse des affidavits types que le comité considérait comme satisfaisant aux critères d’acceptation par le groupe dans le cas des demandeurs non‑résidents, les parties étaient confrontées à la perspective de devoir faire appel de milliers de décisions pour s’assurer que les conditions et la fin de l’Accord ainsi que les échéances soient respectées.

[129]  Dans ces conditions, je conviens avec les défendeurs que les lignes directrices portaient sur les « problèmes de mise en œuvre » signalés par les parties au cours du processus d’examen et corroborés par le responsable des appels dans ses décisions.

[130]  Dans l’une de ces décisions, le responsable des appels a commenté les documents que le demandeur avait présentés pour satisfaire à l’exigence du maintien du mode de vie mi’kmaq :

[TRADUCTION]

En ce qui concerne le sous‑alinéa 25b)(ii), les affidavits sont muets sur la façon dont le demandeur maintient un mode de vie mi’kmaq, sur son appartenance à une organisation faisant la promotion des intérêts des Mi’kmaq, ou sur la connaissance des coutumes, des traditions et des croyances mi’kmaq. Il n’est pas fait mention non plus de sa participation à des cérémonies culturelles ou religieuses ni à des activités traditionnelles. [Le demandeur] chasse, pêche et cueille des baies, mais ce sont des activités auxquelles se livrent des milliers de citoyens de Terre‑Neuve, non pas exclusivement les Mi’kmaq.

[131]  Dans une décision distincte, le responsable des appels formule d’autres observations sur les exigences en matière de preuve :

[TRADUCTION]

Les affidavits qui ont été fournis n’abordent pas la question de l’acceptation par le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve. Ils montrent certes des liens familiaux, mais il faut plus que des liens avec les membres de la famille.

[132]  Dans une autre décision, le responsable des appels a apporté des précisions sur les preuves qu’un demandeur non‑résident devait présenter :

[TRADUCTION]

Ce qui me semble faire partie des exigences énoncées à l’article 25, ce sont des activités directement liées aux activités et à la culture du groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve. Tout ce qui précède souligne l’importance d’appartenir à une organisation mi’kmaq structurée, dans la mesure du possible, ou encore une participation assidue aux activités du groupe des Indiens mi’kmaq qui ne se limite pas aux simples liens familiaux.

[133]  Des précisions ont été apportées dans une décision distincte :

[TRADUCTION]

À mon avis, le sous‑alinéa 25b)(ii) de l’annexe A de l’Accord souligne l’importance d’appartenir, au sens large du terme, davantage au groupe mi’kmaq qu’uniquement à la famille ou à une organisation mi’kmaq, ce qui est un indice important de l’acceptation.

[134]  L’Accord exigeait des demandeurs qu’ils fournissent une preuve de leur acceptation par la collectivité. La nature des éléments de preuve servant à établir les critères d’acceptation par le groupe et la manière dont ces éléments de preuve devaient être évalués étaient précisées dans l’Accord, mais il appartenait aux parties de décider quels éléments de preuve seraient suffisants selon elles pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe. Les lignes directrices posent simplement des balises qui clarifient, à l’intention du comité chargé de l’inscription et du responsable des appels, le type et la quantité d’éléments de preuve que les parties jugent suffisants pour satisfaire aux conditions d’adhésion énoncées dans l’Accord.

[135]  L’une ou l’autre des parties aurait pu exercer le droit que lui confère l’alinéa 2.21b) de mettre fin à l’Accord pour défaut du comité chargé de l’inscription de se conformer aux modalités de l’Accord. Les parties ont plutôt choisi d’exiger que les demandes non conformes soient réévaluées et d’indiquer au comité chargé de l’inscription comment appliquer l’Accord pour s’assurer de la conformité des demandes.

[136]  Il est important de noter que M. Abbott n’a pas contesté la décision des parties de refuser son adhésion. Il n’a pas non plus contesté leur pouvoir de conclure l’Accord supplémentaire, ni les modalités des lignes directrices, avant de présenter une nouvelle demande d’adhésion. Dans son affidavit, M. Young déclare que les modifications apportées à l’Accord ont suscité l’indignation et l’inquiétude chez les demandeurs. Bien que cela soit possible, il semble que la plupart des demandeurs se soient pliés aux nouvelles exigences.

[137]  Les auteurs de l’Accord conviennent qu’ils avaient le droit de prendre les mesures nécessaires pour donner effet à l’intention des parties et des membres de la FITN qui ont ratifié l’Accord. À mon avis, la décision des parties d’établir des lignes directrices était une réponse raisonnable à une situation imprévue.

[138]  Si j’ai tort de conclure que les parties étaient autorisées à établir des lignes directrices en vertu de l’article 10.4 de l’Accord, je dois me demander si les parties auraient pu recourir à une autre disposition de l’Accord pour justifier les mesures qu’ils ont prises. Bien qu’il ne soit pas invoqué par les défendeurs, l’article 2.15 de l’Accord prévoit que l’Accord peut être [traduction] « modifié ou remplacé ou faire l’objet d’un ajout ». L’article prévoit ainsi deux moyens d’apporter une modification.

[139]  Le premier moyen est une règle générale qui permet d’apporter des modifications à n’importe quelle fin, pourvu que ces modifications soient effectuées par entente écrite entre les parties ratifiée selon les mêmes modalités que celles prévues à l’article 9 de l’Accord.

[140]  Le deuxième moyen est une exception à la règle générale énoncée à l’article 2.15, qui prévoit que le processus de ratification n’est pas requis lorsque le Canada et la FITN conviennent mutuellement de modifier, de changer, d’amender ou de remplacer les modalités de l’Accord original ou encore d’en ajouter aux fins suivantes :

[TRADUCTION]

a) afin d’éliminer toute contradiction ou incohérence qui pourrait exister entre les modalités du présent accord et les dispositions d’une loi ou d’un règlement applicable, pour autant que les parties conviennent que ces modifications ne porteront pas préjudice à leurs intérêts respectifs;

b) afin de corriger une erreur typographique dans le présent accord ou d’apporter les corrections ou les modifications requises afin de remédier à toute omission matérielle, erreur, erreur manifeste ou ambiguïté découlant des dispositions lacunaires ou incohérentes du présent accord;

c) afin de proroger tout délai prévu par le présent accord.

[141]  M. Abbott soutient que la preuve est loin d’être suffisante pour démontrer que les lignes directrices ont été établies pour [traduction] « remédier à toute […] erreur, erreur manifeste ou ambiguïté » découlant de dispositions lacunaires ou incohérentes au sens de l’alinéa 2.15b). Je ne suis pas de cet avis.

[142]  Les défendeurs soutiennent que l’un des objectifs de l’Accord supplémentaire et des lignes directrices est de « préciser » la nature des preuves que les demandeurs doivent fournir pour démontrer leur acceptation par le groupe des Indiens Mi’kmaq de Terre‑Neuve, conformément au critère prévu au sous‑alinéa 4.1d)(ii) de l’Accord, ce qui suppose qu’il peut y avoir eu une certaine ambiguïté dans le libellé de l’Accord.

[143]  Il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard des moyens choisis par les parties pour s’assurer que le comité chargé de l’inscription se conforme à leurs intentions lorsqu’il détermine qui satisfait aux critères d’acceptation par le groupe et si la preuve soumise par les demandeurs est suffisante pour répondre à ces critères. Dans le cas où une disposition de l’Accord aurait pu être imprécise ou comporter une lacune, les parties avaient, en vertu de l’alinéa 2.15b), la possibilité d’apporter des éclaircissements ou de corriger toute anomalie apparente.

(1)  Les modifications apportées par les lignes directrices aux critères d’acceptation par le groupe étaient‑elles motivées par un but illégitime ou reposaient‑elles sur des considérations non pertinentes?

[144]  M. Abbott avance trois raisons pour soutenir que les modifications apportées par les lignes directrices aux critères d’acceptation par le groupe n’étaient pas motivées par un but légitime ou reposaient sur des considérations non pertinentes : a) les lignes directrices visaient à réduire le nombre de demandeurs non‑résidents admis; b) les lignes directrices ont été établies pour répondre aux préoccupations des parties au sujet de la crédibilité suscitées par l’utilisation d’affidavits « types »; c) les lignes directrices ont été établies pour répondre aux préoccupations d’ordre pratique exprimées par les parties.

[145]  Pour les motifs qui suivent, je ne souscris pas à la thèse avancée par M. Abbott. M. Abbott n’a pas réussi à démontrer que la décision des parties d’établir les lignes directrices était motivée par leur volonté de réduire le nombre de demandeurs non‑résidents admis ou de leur imposer des exigences déraisonnables.

a)  Les lignes directrices ont‑elles été établies dans le but illégitime de réduire le nombre de demandeurs non‑résidents admis?

[146]  M. Abbott soutient que les lignes directrices ont été établies pour réduire le nombre de membres non‑résidents admis au sein de la PNQM, ce qui était contraire à l’objectif de l’Accord. Suivant M. Abbott, l’Accord avait pour objet de reconnaître le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve en tant que bande sans assise territoriale, donnant ainsi à ces individus le droit d’adhérer à la PNQM à titre d’Indiens inscrits en vertu de l’article 6.1 de la Loi sur les Indiens. Après la signature de l’Accord établissant le processus d’inscription et de reconnaissance, le ministre n’avait plus le loisir d’apporter de modifications allant à l’encontre de cet objectif en restreignant ou en annulant rétroactivement la reconnaissance de ces demandeurs.

[147]  À mon avis, ces arguments sont mal fondés.

[148]  C’est à M. Abbott qu’il incombe de démontrer que les parties étaient motivées par un but illégitime; il n’a toutefois présenté aucun élément de preuve pour appuyer son affirmation.

[149]  Le fait qu’il y a eu une réduction du nombre de demandeurs non‑résidents admis ne constitue pas, en soi, une preuve de fin illégitime. Cette situation reflète plutôt la légitimité des préoccupations soulevées au cours de la mise en œuvre de l’Accord.

[150]  La preuve qui m’a été présentée est claire et cohérente. Les parties avaient l’intention, lors de la négociation de l’entente de principe, de donner effet aux critères d’adhésion au groupe énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Powley, 2003 CSC 43 [Powley].

[151]  Dans l’affaire Powley, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur trois grands facteurs qui constituaient à son avis des indices de l’identité métisse aux fins de la revendication des droits reconnus aux Métis par l’article 35 de la Charte : l’identification, les liens ancestraux et l’acceptation par la collectivité. Dans le jugement Wells, le juge Zinn résume, aux paragraphes 69 et 70, certains extraits pertinents de l’arrêt Powley :

[69]  L’arrêt Powley concerne deux Métis qui ont abattu un orignal et qui ont été accusés d’avoir enfreint une loi ontarienne sur la chasse. En défense, ils ont fait valoir que l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 protège le droit des Métis de chasser pour se nourrir. Dans ses motifs, la Cour suprême du Canada a établi le critère pouvant être utilisé pour déterminer qui sont les titulaires des droits métis. Sans affirmer que le critère établi est exhaustif, la Cour suprême du Canada conclut, au paragraphe 30 de ses motifs, qu’elle retient les « trois facteurs principaux suivants comme indices tendant à établir l’identité métisse dans le cadre d’une revendication fondée sur l’art. 35 : auto‑identification, liens ancestraux et acceptation par la communauté. 

[70]  En ce qui concerne le facteur de l’auto‑identification, la Cour suprême du Canada dit, au paragraphe 29, qu’il faut tenir compte de « la nécessité que l’identité puisse se vérifier objectivement » et, au paragraphe 31, que l’auto‑identification ne doit pas être récente :

[…] Cette auto‑identification ne doit pas être récente : en effet, bien qu’il ne soit pas nécessaire que l’auto‑identification soit constante ou monolithique, les revendications présentées tardivement, dans le but de tirer avantage d’un droit visé à l’art. 35, ne seront pas considérées conformes à la condition relative à l’auto‑identification.

[152]  Au sujet de l’acceptation par la communauté, voici ce que la Cour suprême du Canada a déclaré dans l’arrêt Powley :

33.  Troisièmement, le demandeur doit prouver qu’il est accepté par la communauté actuelle dont la continuité avec la communauté historique constitue le fondement juridique du droit revendiqué. L’appartenance à une organisation politique métisse peut se révéler pertinente à cet égard, mais elle ne suffit pas en l’absence de données contextuelles sur les conditions d’adhésion à l’entité et sur le rôle que joue cette dernière au sein de la communauté métisse. L’élément central du critère de l’acceptation par la communauté est la participation, passée et présente, à une culture commune, à des coutumes et traditions qui constituent l’identité de la communauté métisse et qui la distinguent d’autres groupes. Voilà en quoi consiste le critère de l’appartenance à la communauté. La participation aux activités de la communauté et le témoignage d’autres membres sur les liens du demandeur avec la communauté et sa culture peuvent également s’avérer des indices de l’acceptation par la communauté. La diversité des formes de preuve acceptables ne réduit pas le besoin de démontrer objectivement l’existence, entre le demandeur et d’autres membres de la communauté titulaire des droits, d’un lien solide formé d’une identification mutuelle présente et passée et d’un sentiment commun d’appartenance.

[153]  Je suis convaincu que les parties avaient l’intention, tout au long des pourparlers ayant mené à l’Accord et lors de la signature de l’Accord supplémentaire, que la PNQM se regroupe dans les lieux visés à l’annexe B, ou à proximité. Comme ces collectivités sont dispersées sur le territoire, les parties ont pris des mesures pour s’assurer que les collectivités visées à l’annexe B ne soient pas désavantagées. Les parties comprenaient que les collectivités bénéficieraient d’une participation active des membres non‑résidents et elles ont facilité l’adhésion des non‑résidents ayant un « lien solide » avec ces collectivités. L’Accord n’a jamais eu pour but d’inclure des non‑résidents qui n’avaient pas d’antécédents de visites ou de communications fréquentes avec ces collectivités et qui n’avaient pas maintenu le mode de vie mi’kcmaq. Ces facteurs ont toujours été considérés comme des indices importants et essentiels d’une participation active dans les collectivités visées à l’annexe B.

[154]  M. Abbott affirme que les défendeurs voulaient que l’Accord prévoie deux méthodes distinctes, mais aussi facilement accessibles l’une que l’autre, pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe tant pour les résidents que pour les non‑résidents. Toutefois, même si l’Accord permettait aux non‑résidents des collectivités visées à l’annexe B d’être membres fondateurs, le fardeau de la preuve qui leur incombait était nettement plus lourd que pour les résidents. Alors que les résidents des collectivités visées à l’annexe B n’avaient qu’à prouver leur résidence au moment pertinent, les non‑résidents devaient faire la preuve à la fois de visites et de communications fréquentes et du maintien de la culture et du mode de vie mi’kmaq.

[155]  M. Abbott n’a pas démontré que les parties ont établi les lignes directrices dans le but de soumettre les non‑résidents à des exigences déraisonnables pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe. En fait, les parties n’avaient pas le choix. Elles devaient veiller à ce que seuls les membres ayant un lien démontrable avec une des collectivités visées à l’annexe B puissent obtenir leur adhésion. Comme la Cour suprême l’a déclaré, dans l’arrêt Powley, au paragraphe 34 : « [i]l est […] crucial de vérifier l’appartenance à la communauté […] »

[156]  Je tiens à ajouter que je ne trouve rien de répréhensible dans la volonté des parties d’examiner attentivement les demandes présentées par des non‑résidents. Le fait est que le volume élevé de demandes présentées par des non‑résidents a incité les parties à réévaluer le processus d’inscription, à la suite de quoi elles ont constaté que les demandes d’adhésion de certains demandeurs non‑résidents étaient douteuses. Le juge Zinn en est venu essentiellement à la même conclusion dans l’affaire Wells :

[59]  Il ne fait aucun doute que les deux parties défenderesses ont été surprises par le nombre de demandes reçues. Ce nombre était cinq fois plus élevé que celui auquel elles s’attendaient. Or rien ne prouve qu’elles ont pour cette raison pris des mesures visant à limiter le nombre de personnes admises au sein de la bande […]

b)  Les lignes directrices ont‑elles été établies de façon irrégulière pour répondre aux préoccupations des parties quant à la crédibilité en raison de l’utilisation d’affidavits « types »?

[157]  M. Abbott soutient qu’il n’était pas approprié d’alourdir le fardeau de la preuve uniquement pour les demandeurs non‑résidents, et ce, pour quatre raisons. Premièrement, les affidavits sont des « documents sacro‑saints » qui jouissent, sauf preuve contraire, d’une présomption de véracité. Deuxièmement, les affidavits sont des « documents juridiques ésotériques » et il était raisonnable de la part des demandeurs de recevoir de l’aide pour les préparer. Troisièmement, rien dans les lignes directrices ne dit que la chasse, la pêche, la cueillette de petits fruits ou toute autre activité non exclusive aux Mi’kmaq ne peut satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe. Quatrièmement, les lignes directrices perpétuent les stéréotypes négatifs sur ce que signifie être « vraiment autochtone ».

[158]  Les défendeurs soutiennent que leurs préoccupations quant à la suffisance ou à la crédibilité des preuves soumises par les demandeurs non‑résidents étaient justifiées et que les lignes directrices constituaient une mesure raisonnable prise pour répondre à leurs préoccupations. Je suis du même avis.

[159]  L’article 28 des lignes directrices annexées à l’Accord précisait que les affidavits devaient exposer en détail les visites du demandeur dans la collectivité ou ses communications avec les résidents, ainsi que la fréquence de ses visites et de ses communications. Toutefois, comme l’a fait observer M. Reiher, on a découvert que les demandeurs, dont M. Abbott, soumettaient des affidavits types avec des espaces vides pour inscrire les noms et décrivant la pêche, la chasse et la cueillette de petits fruits comme preuve du maintien du mode de vie mi’kmaq.

[160]  Les affidavits vagues et impersonnels produits par les demandeurs ne démontrent pas suffisamment qu’ils contribueraient de façon générale au maintien de la culture des collectivités visées à l’annexe B et de la PNQM, comme l’a confirmé le responsable des appels en accueillant un certain nombre des appels interjetés par le Canada. Le responsable des appels a retenu l’argument du Canada suivant lequel la preuve de l’acceptation par le groupe de certains demandeurs était insuffisante pour justifier le comité chargé de l’inscription de leur permettre d’adhérer à la PNQM. Pour en arriver à cette conclusion, le responsable des appels a conclu que les affidavits types qui indiquaient seulement que le demandeur s’adonnait à la pêche, à la chasse et à la cueillette de petits fruits – toutes des activités qui ne sont pas exclusives aux Mi’kmaq –, ne permettaient pas de conclure de façon catégorique que les demandeurs participaient aux activités d’une collectivité Mi’kmac et étaient acceptés par elle.

[161]  Sans directives claires quant à savoir quelles preuves étaient considérées suffisantes pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe, le comité chargé de l’inscription risquait d’accepter des demandeurs qui répondaient aux exigences déclarées de l’Accord (selon l’interprétation du comité chargé de l’inscription), mais qui ne respectaient pas pour autant l’intention de l’Accord (selon les parties).

[162]  M. Abbott signale qu’on ne trouve pas l’expression « preuves objectives » dans le texte de l’Accord. C’est exact. Il n’en demeure pas moins que les demandeurs étaient tenus d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que leur « lien fort » précédait ou rejoignait dans le temps la signature de l’Accord. Il était donc raisonnable de la part des parties d’exiger des détails précis ou personnalisés dans les affidavits pour étayer les déclarations selon lesquelles les visites ou les communications étaient fréquentes ou selon lesquelles le demandeur maintenait un mode de vie mi’kmaq.

c)  Les lignes directrices ont‑elles été établies de façon irrégulière pour répondre aux préoccupations d’ordre pratique exprimées par les parties?

[163]  M. Abbott conteste la décision des parties d’établir les lignes directrices pour des raisons d’ordre pratique, comme le fait d’être confrontées à l’éventualité d’interjeter appel de milliers de décisions et leur opinion que les demandeurs non‑résidents [traduction« devraient être l’exception ».

[164]  M. Abbott affirme que ces raisons pratiques doivent être écartées pour deux raisons. Premièrement, il était loisible aux défendeurs de modifier toute date limite prévue dans l’Accord en vertu de l’alinéa 2.15c), y compris les dates limites avant lesquelles le responsable des appels devait avoir statué sur tous les appels aux termes de l’article 4.3.9. De plus, les défendeurs auraient pu modifier l’Accord pour augmenter l’effectif des responsables des appels. Deuxièmement, les décisions en litige tranchaient les droits constitutionnels de milliers de demandeurs. M. Abbott soutient que les problèmes de ressourcement – qui pouvait être réglé – ne constituaient pas une raison suffisante ou pertinente pour établir les lignes directrices.

[165]  Même s’il était loisible aux parties de modifier les délais et d’embaucher d’autres responsables des appels pour traiter l’afflux massif de demandes, les demandeurs soulignent à juste titre que s’ils avaient agi ainsi sans indiquer à l’avance les preuves qui seraient jugées acceptables, les demandeurs qui avaient déjà été acceptés comme membres fondateurs seraient refusés sans possibilité de présenter d’autres preuves. Il était donc nécessaire d’envoyer aux demandeurs un avis leur indiquant les éléments de preuve qu’ils devaient fournir pour s’assurer d’être traités équitablement.

[166]  Les parties ont conclu que la façon la plus efficace, pratique et équitable d’assurer le respect des conditions et de l’intention de l’Accord dans un délai raisonnable consistait à établir des lignes directrices concernant les preuves objectives exigées pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe. À mon avis, cette décision était raisonnable.

(1)  Les modifications apportées par les lignes directrices aux critères d’acceptation par le groupe dans le cas des demandeurs non‑résidents étaient‑elles arbitraires et trop limitatives?

[167]  M. Abbott soutient que les modifications apportées par les lignes directrices aux critères d’acceptation par le groupe étaient arbitraires et trop limitatives, et ce, pour trois raisons : a) l’exclusion des preuves pour la période comprise entre le 23 juin 2008 et le 22 septembre 2011 pour satisfaire à l’alinéa 25b) des lignes directrices était arbitraire; b) l’exigence que le « lien fort » évoqué ne se limite pas aux contacts étroits avec les membres de la famille proche était arbitraire; c) les types de preuves acceptables pour satisfaire au sous‑alinéa 25b)(ii) des lignes directrices étaient trop limitatives. Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas de cet avis.

a)  L’exclusion de preuves pour la période comprise entre le 23 août 2008 et le 22 septembre 2011 était‑elle arbitraire?

[168]  M. Abbott affirme que les lignes directrices sont arbitraires parce qu’elles empêchent les résidents non visés par l’annexe B de soumettre des preuves postérieures à la signature de l’Accord, le 23 juin 2008, pour satisfaire aux exigences des sous‑alinéas 25b)(i) et 25b)(ii), malgré le fait que l’Accord oblige seulement les demandeurs non‑résidents à démontrer qu’ils ont été acceptés par le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve à la date du décret de reconnaissance, le 22 septembre 2011. Ce n’est tout simplement pas le cas.

[169]  Le paragraphe 9 des lignes directrices prévoit en effet que les demandeurs doivent produire des éléments de preuve objectifs qui précèdent ou rejoignent dans le temps la signature de l’Accord et que le lien évoqué doit avoir été continu et clairement attesté à la date du décret de reconnaissance. Le paragraphe 9 précise également qu’[traduction] « [a]ux fins de l’évaluation du “lien actuel important”, on tiendra compte de prime abord de la période quinquennale précédant immédiatement la date de la demande ».

[170]  Conformément aux critères relatifs aux membres fondateurs exigeant que l’acceptation par le groupe soit attestée à la date du décret de reconnaissance, la brochure de novembre 2013 indiquait aux demandeurs que les activités visées par les éléments de preuve qu’ils soumettaient devaient être antérieures au 22 septembre 2011. M. Abbott a suivi cette consigne en présentant des documents de voyage exposant en détail les visites qu’il avait effectuées entre août 2008 et janvier 2010 et ses preuves ont été évaluées en conséquence.

[171]  M. Abbott allègue qu’il n’y a aucun lien logique entre la date à laquelle le « lien fort » doit être prouvé aux termes des lignes directrices et la date de l’Accord. Je ne suis pas de cet avis.

[172]  L’emploi de l’expression « lien fort » dans la définition du terme « membre » au chapitre 1 de l’Accord n’est pas fortuit. Les parties ont tenu compte de l’importance que la Cour suprême du Canada a accordée, dans l’arrêt Powley, à la participation passée et présente à une culture commune et aux coutumes et traditions d’une collectivité. Les lignes directrices ne font rien de plus que de clarifier la manière dont cette participation passée et continue doit être évaluée.

b)  L’exigence que le « lien fort » ne se limite pas aux contacts étroits avec les membres de la famille proche était‑elle arbitraire?

[173]  M. Abbott affirme que l’exigence prévue aux articles 8 et 14 des lignes directrices suivant laquelle le « lien fort » exigé pour pouvoir répondre aux critères d’acceptation par le groupe ne doit pas se limiter aux contacts étroits avec les membres de la famille et doit tenir notamment à la participation à la vie socioculturelle des collectivités visées à l’annexe B est arbitraire. Il soutient que rien ne permet de penser que les critères d’acceptation par le groupe prévus par l’Accord étaient censés englober la participation active à la vie socioculturelle des collectivités visées à l’annexe B et ne pas se limiter à la famille immédiate du demandeur. Il ajoute que l’article 14 impose arbitrairement un fardeau aux demandeurs non‑résidents par rapport aux demandeurs résidents parce que ces derniers ne sont pas tenus de démontrer une telle participation à la vie socioculturelle de leur collectivité visée à l’annexe B ou même avec des membres de leur famille proche. Je ne suis pas de son avis.

[174]  MM. Reiher et Sheppard confirment tous les deux que les parties voulaient que la PNQM soit composée principalement de Mi’kmaqs qui avaient un lien fort avec des collectivités visées à l’Annexe B et qui pourraient contribuer activement à l’essor de la culture, des traditions et des activités des collectivités mi’kmaq de l’île de Terre‑Neuve. Lorsqu’elles ont négocié l’Accord, les parties s’attendaient clairement à ce que les demandeurs soumettent des preuves de leur participation active aux activités culturelles des collectivités mi’kmaq de Terre‑Neuve, en plus de preuves concernant la fréquence de leurs visites familiales. Parmi ses preuves, mentionnons celles concernant la participation à des activités communautaires favorisant le partage de la culture et des traditions des Mi’kmaq de Terre‑Neuve, comme des pow‑wow et les célébrations annuelles entourant la fête de sainte Anne. La participation à ces activités, qui favorisaient la culture mi’kmaq, était considérée comme un élément important de l’adhésion à une collectivité.

[175]  L’obligation de démontrer l’existence d’un lien fort avec le groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve ne se limitant pas aux seuls membres de la famille n’était ni arbitraire ni appliquée de façon rigide. Parce que l’Accord insistait sur le maintien des collectivités visées à l’annexe B, il était loisible aux parties et raisonnables pour elles d’exiger des demandeurs qu’ils démontrent une participation qui ne se limitait pas aux seuls membres de leur proche famille.

[176]  M. Abbott n’a pas démontré que la décision des parties de clarifier la nature des preuves nécessaires pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe était déraisonnable. En fait, cette décision est conforme au principe fondamental de l’acceptation par la collectivité telle que définie dans l’arrêt Powley (au paragraphe 33).

c)  Les types de preuves acceptables étaient‑ils trop limitatifs?

[177]  M. Abbott affirme que la série de types de preuves acceptables énumérées dans les lignes directrices pour établir la fréquence des visites et des communications au sens du sous‑alinéa 25b)(ii) de l’Accord était trop limitative. M. Abbott cite le cas de son frère qui, comme lui, avait quitté Terre‑Neuve‑et‑Labrador pour étudier et poursuivre une carrière à l’extérieur et qui, contrairement à lui, répondait aux critères d’acceptation par le groupe, ayant joint des relevés de téléphone à titre de preuve documentaire de ses communications avec d’autres membres de l’île de Terre‑Neuve.

[178]  M. Abbott soutient que, même s’il a les mêmes antécédents généalogiques que son frère et des liens avec sa collectivité et ses racines mi’kmaq semblables à ceux de son frère, il a été désavantagé parce qu’il a choisi de communiquer avec les membres de l’île de Terre‑Neuve surtout par Skype. M. Abbott affirme que, comme il ne dispose pas de documents semblables à ceux de son frère, il n’a recueilli aucun point pour ses communications avec les membres du groupe des Indiens mi’kmaq de Terre‑Neuve, de sorte que sa demande a été rejetée. Cet argument est mal fondé.

[179]  M. Abbott a expliqué qu’il avait communiqué avec des membres de sa famille des collectivités mi’kmaq par téléphone et par courriel; pourtant, il n’a soumis aucun relevé téléphonique ou électronique au comité chargé de l’inscription. Il n’a pas non plus informé le comité chargé de l’inscription ou le responsable des appels des difficultés qu’il aurait eues à obtenir les relevés de ses conversations sur Skype.

[180]  En tout état de cause, les lignes directrices ne sont pas censées limiter le type de preuves acceptées pour établir la fréquence des visites ou des communications pour l’application du sous‑ alinéa 25b)(ii). L’article 15 des lignes directrices donne simplement des exemples de preuves documentaires qui peuvent être utilisées pour satisfaire aux exigences du sous‑alinéa 25b)(ii), notamment des factures de téléphone, des relevés de carte de crédit et des originaux de lettres, des courriels ou autres communications écrites. Les exemples fournis ne constituent pas une liste exhaustive du type de preuves acceptées. Si M. Abbott était vraiment incapable de fournir des preuves documentaires pour démontrer la fréquence de ses communications, rien ne l’empêchait d’expliquer dans sa demande cette difficulté au comité chargé de l’inscription.

D.  La décision par laquelle le responsable des appels a rejeté la demande d’adhésion de M. Abbott était‑elle raisonnable ?

[181]  M. Abbott affirme que le comité chargé de l’inscription a commis une erreur en ne lui accordant aucun point au titre du sous‑alinéa 25b)(ii) pour le maintien de la culture et du mode de vie mi’kmaq. L’article 16 des lignes directrices prévoit que le maintien de la culture et du mode de vie mi’kmaq peut être attesté par l’appartenance à la FITN avant le 23 juin 2008. Le comité chargé de l’inscription a reconnu que M. Abbott était membre de la Première Nation Sple’tk (et de la FITN), et lui a accordé neuf points à ce titre, mais, suivant M. Abbott, le comité n’a pas tiré la conclusion permise par l’article 16.

[182]  Cet argument précis a déjà été examiné et rejeté par le responsable des appels dans des décisions antérieures. Dans une des décisions rendues à la suite d’un appel interjeté par la FITN, le responsable des appels a déclaré que des points supplémentaires ne pouvaient être accordés en plus des neuf points indiqués dans le système de cotation au titre de l’appartenance à une organisation mi’kmaq pour des activités accessoires à cette appartenance. Dans une autre décision, le responsable des appels a déclaré que l’appartenance à une organisation mi’kmaq n’exigeait pas que l’on conclue qu’il y avait lieu d’accorder un point supplémentaire selon le système de cotation au titre du maintien de la culture et du mode de vie mi’kmaq.

[183]  L’article 16 des lignes directrices prévoit que le maintien de la culture et du mode de vie mi’kmaq peut être attesté par le fait que le demandeur est déjà membre de la FITN. Les parties ont confié le soin au comité chargé de l’inscription de décider au cas par cas de l’opportunité de tirer cette conclusion.

[184]  Les affidavits produits par M. Abbott à l’appui de sa demande étaient vagues et renfermaient peu ou pas de détails. De plus, l’un des autres auteurs des affidavits qui a confirmé que M. Abbott avait maintenu le mode de vie mi’kmaq était son beau‑frère, Neil Mouland, qui, comme M. Abbott l’a admis en contre‑interrogatoire, n’était pas lui‑même Mi’kmaq. Dans ces conditions, la décision par laquelle le responsable des appels a confirmé les conclusions du comité chargé de l’inscription était raisonnable, vu le dossier dont il disposait.

E.  M. Abbott a‑t‑il été privé de son droit à l’équité procédurale?

[185]  M. Abbott soutient qu’en raison du défaut des défendeurs de lui fournir la grille détaillée du système de cotation, il n’a pas été suffisamment informé de la preuve et des arguments qu’il devait réfuter. M. Abbott était d’avis, lorsqu’il a soumis sa demande de réévaluation, que les renseignements complémentaires qu’il avait fournis établissaient la fréquence de ses visites et de ses communications sur une longue période de temps. Après le refus de sa demande et après avoir reçu une copie de la grille détaillée du système de cotation relative à sa demande, M. Abbott a constaté que le comité chargé de l’inscription avait appliqué un critère différent, formaliste et beaucoup plus rigoureux. M. Abbott affirme que, s’il avait été au courant de la grille détaillée du système de cotation, il aurait fourni plus de documents sur la fréquence de ses visites et de ses communications. Cet argument est mal fondé.

[186]  Premièrement, il n’y a aucune preuve pour appuyer l’affirmation de M. Abbott suivant laquelle il aurait pu présenter des éléments de preuve supplémentaires plus complets.

[187]  En second lieu, tous les demandeurs, y compris M. Abbott, ont reçu un avis précisant qu’ils devaient fournir tous les documents susceptibles de les aider à satisfaire aux exigences relatives à la fréquence des visites et des communications et au maintien de la culture du mode de vie mi’kmaq. L’avis était clair et ne laissait place à aucune ambiguïté. D’autres membres de la famille, qui ont également présenté une demande à titre de non‑résidents, ont été en mesure de fournir suffisamment de documents pour être admissibles à titre de membres fondateurs.

[188]  Vu l’ensemble de la preuve qui m’a été soumise, je suis convaincu que M. Abbott était au courant de la preuve et des arguments qu’il devait réfuter et qu’il a eu amplement l’occasion d’y répondre. De plus, je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il n’est pas nécessaire que les demandeurs sachent, avant de présenter une demande, le poids qui sera accordé à leurs observations. Bien que M. Abbott n’ait pas eu en main la grille détaillée du système de cotation, il était au courant de la preuve à laquelle il devait répondre, ainsi que du système de cotation et de la brochure de novembre 2013.

[189]  Bien que la grille détaillée du système de cotation n’ait pas été rendue publique, l’Accord supplémentaire et les lignes directrices l’ont été, et il n’est pas nécessaire de divulguer les critères d’évaluation, dès lors que les critères d’évaluation qui n’ont pas été divulgués s’apparentaient raisonnablement aux critères publiés ou pouvaient être raisonnablement déduits de ces critères (voir GCI Information Systems and Management Consultants Inc c Société canadienne des postes, 2015 CAF 272).

[190]  Bien que l’obligation d’équité procédurale soit élevée en ce qui concerne le processus d’inscription de la PNQM (voir Foster, par. 28 à 47; Howse, par. 22 à 41), j’estime que la procédure suivie en l’espèce était équitable compte tenu de l’ensemble des circonstances. M. Abbott a été mis au courant des exigences en matière de preuve auxquels il devait satisfaire pour devenir membre de la PNQM, ainsi que du système de cotation qui serait utilisé pour évaluer les demandes par le biais de la brochure qui lui a été envoyée en novembre 2013, ainsi que de l’Accord, l’Accord supplémentaire et les lignes directrices, auquel le public avait accès. Avec l’information dont il disposait, M. Abbott aurait dû faire de son mieux pour produire tous les éléments de preuve disponibles à l’appui de sa demande d’adhésion à la PNQM.

[191]  Enfin, je suis convaincu que la grille détaillée du système de cotation laissait au comité chargé de l’instruction suffisamment de marge de manœuvre pour faire une évaluation à sa discrétion, comme le démontre le fait qu’il a accordé deux points à M. Abbott pour ses visites.

VI.  Les dépens

[192]  Aucune des parties n’a demandé que les dépens lui soient adjugés et, par conséquent, aucuns ne seront adjugés.

VII.  Conclusion

[193]  Compte tenu des motifs qui précèdent, j’en arrive aux conclusions suivantes.

[194]  La décision du ministre de conclure l’Accord supplémentaire et d’établir les lignes directrices constituait une réponse modérée et appropriée compte tenu des circonstances particulières auxquelles les parties étaient confrontées.

[195]  Les éclaircissements apportés par les lignes directrices aux exigences en matière de preuve pour satisfaire aux critères d’acceptation par le groupe étaient raisonnables; ils étaient permis par l’Accord et ils n’étaient pas motivés par un but illégitime ni fondés sur des considérations non pertinentes.

[196]  La décision par laquelle le responsable des appels a confirmé la décision du comité chargé de l’inscription de refuser la demande d’adhésion de M. Abbott à la PNQM était raisonnable.

[197]  M. Abbott n’a pas été privé de droit à l’équité procédurale.


JUGEMENT dans le dossier T-573-18

LA COUR STATUE que :

  1. Le demandeur est autorisé, en vertu de l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, à contester plus d’une décision dans la présente instance.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de novembre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-573-18

 

INTITULÉ :

JUSTIN PHILIP ABBOTT c CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) ET FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE‑NEUVE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 FÉVRIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Jaimie Lickers

John J. Wilson

 

POUR Le demandeur

 

Stephen J. May, c.r.

Robert MacKinnon

Helene Robertson

POUR LA DÉFENDERESSE,

FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE‑NEUVE

POUR LE DÉFENDEUR,

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) LLP

Hamilton (Ontario)

Gowling WLG

Ottawa, Ontario

Cox & Palmer

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

pour Le demandeur

POUR LA DÉFENDERESSE,

FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE‑NEUVE

POUR LE DÉFENDEUR,

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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