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Date : 20191010


Dossier : T-1434-14

Référence : 2019 CF 1272

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

PHARMASCIENCE INC.

demanderesse

et

PFIZER CANADA ULC

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

LE JUGE O’REILLY :

I.  Aperçu

[1]  Depuis 2004, Pfizer, la défenderesse, détient un brevet pour la prégabaline, un analgésique vendu sous la marque commerciale LYRICA. En 2013, Pharmascience, la demanderesse, a obtenu un avis de conformité [l’AC] lui permettant de commercialiser une version générique de la prégabaline : la PMS‑prégabaline. Pharmascience avait originellement tenté d’entrer dans le marché de la prégabaline en 2011, mais on l’avait empêché de le faire lorsque Pfizer a sollicité une ordonnance, au titre du Règlement, interdisant au ministre de la Santé d’accorder un AC à Pharmascience. La tentative de Pfizer d’obtenir cette ordonnance a échoué. Pharmascience a alors intenté la présente action en dommages‑intérêts contre Pfizer pour les ventes qu’elle aurait perdues pendant la période où elle a été écartée du marché. Pharmascience invoque le paragraphe 8(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/98‑166, modifié par DORS/93‑133 (la disposition réglementaire citée est reproduite dans l’Annexe).

[2]  Pfizer a sollicité l’autorisation de modifier sa défense relativement à la capacité de Pharmascience à approvisionner le marché en prégabaline. Elle a soutenu que la question de savoir si Pharmascience pouvait obtenir des quantités suffisantes de l’ingrédient pharmaceutique actif [IPA] et commercialiser son produit sur le marché canadien des médicaments génériques pendant la période pertinente devait être jugée dans le cadre de la poursuite en dommages‑intérêts de Pharmascience.

[3]  Pfizer a demandé au protonotaire Kevin Aalto de rendre une ordonnance à cet égard, mais celui-ci a rejeté la demande. Le protonotaire Aalto a conclu que les modifications demandées équivalaient à un abus de procédure, parce que la question de savoir s’il y avait suffisamment d’IPA pour approvisionner le marché canadien a déjà été tranchée de manière positive par le juge Michael Phelan dans la décision Teva Canada Limitée c Pfizer Canada Inc, 2017 CF 333.

[4]  Pfizer interjette appel de la décision du protonotaire Aalto au motif qu’il a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a conclu que la demande de modifications présentée par Pfizer constituait un abus de procédure.

II.  La décision faisant l’objet de l’appel

[5]  La demande de modifications que Pfizer a présentée au protonotaire Aalto ne soulevait pas de nouvelle question litigieuse; dans sa défense, Pfizer a déjà remis en cause, dans sa défense, la capacité de Pharmascience à approvisionner le marché du médicament générique. La demande de modifications soulevait plutôt des questions plus précises quant aux éléments suivants : l’accord d’approvisionnement de Pharmascience concernant l’IPA de la prégabaline, une modification dans le mémoire descriptif de Pharmascience concernant l’IPA de la prégabaline, la date de mise en marché proposée pour le produit de Pharmascience, et la capacité de production de Pharmascience.

[6]  Le protonotaire Aalto a rejeté la requête présentée par Pfizer en vue de modifier sa défense par l’ajout de ces précisions. Il a souscrit aux arguments suivants de Pharmascience : le fournisseur d’IPA dans l’affaire Teva pouvait et aurait fourni suffisamment d’IPA pour approvisionner l’ensemble du marché du médicament générique, et Pfizer, qui était partie dans l’affaire Teva et qui ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver l’incapacité de Teva à entrer dans le marché, ne pouvait pas se voit accorder une deuxième chance.

[7]  Le protonotaire Aalto a souligné que le fait de remettre en litige une question ayant déjà été tranchée de manière concluante et définitive équivaut à un abus de procédure. En l’espèce, parce qu’il était convaincu que les personnes qui ont déjà témoigné dans l’instance Teva témoigneraient dans la présente instance, le protonotaire Aalto a conclu qu’il était évident et manifeste que Pfizer ne pourrait pas réussir à établir l’incapacité de Pharmascience à approvisionner le marché. En outre, il a affirmé que, puisque Pfizer, grâce à l’instance Teva, aurait déjà été informée de l’accord d’approvisionnement de Pharmascience, Pfizer ne devrait pas être autorisée à remettre en litige dans la présente instance les répercussions de cet accord.

III.  Le protonotaire a‑t‑il commis une erreur?

[8]  La décision du protonotaire Aalto de rejeter la demande de modifications doit faire l’objet d’une grande retenue (Corporation de Soins de la Santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, [2017] 1 RCF 331, 2016 CAF 215).

[9]  Pharmascience soutient que le protonotaire Aalto a décidé à bon droit que les doctrines de la préclusion et de l’abus de procédure s’appliquaient à la demande de Pfizer.

[10]  Je ne suis pas de cet avis. Les doctrines de la préclusion et de l’abus de procédure ne s’appliquent pas en l’espèce. La demande de modifications présentée par Pfizer n’entraînerait pas une remise en litige d’une question déjà tranchée.

[11]  Dans l’instance Teva, il incombait à Teva d’établir sa capacité à entrer dans le marché en temps opportun et à produire des éléments de preuve et à faire témoigner des personnes étayant sa cause. Il incombait à Pfizer de prouver que Teva aurait été exposée à des difficultés dans le cadre du lancement de son produit. Le juge Phelan a conclu que Teva avait prouvé que son fournisseur pouvait approvisionner en abondance le marché canadien en IPA de la prégabaline, et que les arguments de Pfizer allant en sens contraire n’étaient pas convaincants. Le juge Phelan a accepté les éléments de preuve provenant des employés de Teva à ce sujet, et il les a préférés à l’opinion de l’expert de Pfizer.

[12]  En l’espèce, il incombe à Pharmascience de prouver qu’elle est en mesure d’entrer sur le marché en temps opportun, et il incombe à Pfizer de démontrer que Pharmascience aurait de la difficulté à le faire. Il est probable que Pharmascience présentera des témoins factuels et, possiblement, des experts, afin de prouver le bien-fondé de sa cause. Pfizer présentera ses propres témoins, notamment, et possiblement certaines des mêmes personnes qui ont témoigné dans l’instance Teva.

[13]  Selon moi, la conclusion tirée par le juge Phelan relativement à Teva ne peut pas être superposée en l’espèce. La défense de Pfizer et les modifications proposées ont trait à une question factuelle précise dans la présente action. La conclusion tirée par le juge Phelan dans la décision Teva, qui mettait en cause des parties et des témoins différents, ne peut pas être appliqué à la présente instance.

[14]  La Cour entendra les témoins de Pharmascience, et non pas ceux de Teva, sur la question des sources de l’IPA de Pharmascience, et la capacité de celle‑ci à procéder au lancement du produit. La Cour entendra aussi les témoins de Pfizer sur les difficultés possibles auxquelles Pharmascience, et non pas Teva, pourrait être exposée. La preuve produite dans les deux instances sera indubitablement différente. Le monde hypothétique de Pharmascience diffère vraisemblablement de manière significative de celui de Teva. Par conséquent, aucun abus de procédure ne résultera de l’instruction des allégations de Pfizer concernant l’approvisionnement.

[15]  Vu que le protonotaire Aalto n’a pas expressément traité la question de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, je dois m’exprimer quelque peu à ce sujet. Je mentionnerais simplement que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, un volet de la doctrine de l’autorité de la chose jugée, peut uniquement être soulevée lorsqu’une question, opposant les mêmes parties, a déjà été tranchée. Manifestement, les parties dans l’instance Teva ne sont pas les mêmes que celles dans l’affaire dont je suis saisi, ainsi, la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique pas.

IV.  Conclusion et dispositif

[16]  Le protonotaire Aalto a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a conclu que les modifications proposées par Pfizer entraîneraient une remise en litige de questions déjà tranchées. Je dois donc accueillir l’appel interjeté par Pfizer, avec dépens, et permettre à celle‑ci de modifier sa défense en conséquence.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1434-14

LA COUR STATUE que l’appel est accueilli avec dépens.

« James W. O’Reilly »

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 10 octobre 2019

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour d’octobre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


Annexe

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133

Patented Medicines (Notice of Compliance) Regulations, SOR/98-166, as amended SOR/93-133

Avis de conformité

Notice of Compliance

8 (1) La seconde personne peut demander à la Cour fédérale ou à toute autre cour supérieure compétente de rendre une ordonnance enjoignant à tous les plaignants dans l’action intentée en vertu du paragraphe 6(1) de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (2).

8 (1) A second person may apply to the Federal Court or another superior court of competent jurisdiction for an order requiring all plaintiffs in an action brought under subsection 6(1) to compensate the second person for the loss referred to in subsection (2).

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1434-14

 

INTITULÉ :

PHARMASCIENCE INC. c PFIZER CANADA ULC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 juin 2019

 

Ordonnance et motifS :

Le juge O’reilly

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

Le 10 octobre 2019

 

COMPARUTIONS :

Maracus Klee

Jonathan Giraldi

Jonathan Stainsby

 

Pour la demanderesse

 

Orestes Pasparakis

Adam Haller

David Yi

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aitken Klee

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour la demanderesse

 

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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