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Date : 20191016


Dossier : IMM-2231-18

Référence : 2019 CF 1299

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

RUPINDER KAUR MANGAT

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Rupinder Kaur Mangat demande le contrôle judiciaire de la décision du 20 avril 2018 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a rejeté son appel en matière de parrainage. La SAI a conclu qu’elle avait obtenu le statut de résident permanent au moyen de fausses déclarations : elle a prétendu qu’elle était célibataire lorsqu’elle est arrivée au Canada, mais la SAI a découvert qu’elle était mariée.

[2]  Dans le même ordre d’idées, la demanderesse conteste également la décision préliminaire de la SAI, rendue le 1er juin 2016, selon laquelle le principe de l’autorité de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer et empêcher un examen sur le fond de l’appel.

[3]  La demanderesse prétend que la SAI a commis deux erreurs clés : (i) elle n’a pas appliqué correctement le principe de l’autorité de la chose jugée et n’a ainsi pas donné effet à une décision antérieure de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Section de l’immigration), qui avait conclu que la demanderesse n’était pas mariée, et (ii) son interprétation des nouveaux éléments de preuve sur la question de la date de son mariage n’était pas raisonnable.

II.  Le contexte et l’historique procédural

[4]  Avant son arrivée au Canada en juillet 2004 pour travailler comme aide familiale résidante, la demanderesse vivait en Inde. Le 5 mars 2007, elle a présenté une demande de résidence permanente au Canada. Dans son formulaire de demande, elle a déclaré qu’elle n’était pas mariée. En août 2007, un agent d’immigration a établi un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], dans lequel il a indiqué que la demanderesse avait omis de divulguer qu’elle avait épousé Rajinder Singh Mangat en mars 2003. Il a été allégué qu’elle avait fait une présentation erronée sur un fait important qui aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi, en violation de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[5]  Une audience sur cette allégation a été convoquée le 18 février 2009. Après avoir examiné la preuve et les observations des parties, la Section de l’immigration a conclu que le ministre n’avait pas établi l’existence de fausses déclarations selon la prépondérance des probabilités et a donc rejeté le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1). Le ministre n’a pas interjeté appel de cette décision ou ne l’a pas autrement contestée. Le 24 mars 2010, la demanderesse a obtenu la résidence permanente au Canada.

[6]  Le 24 août 2010, la demanderesse a présenté une demande pour parrainer Rajinder Singh Mangat, affirmant qu’elle l’avait épousé le 28 mai 2010. Sa demande de parrainage a été refusée au motif qu’elle avait fait une présentation erronée sur son état matrimonial, au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, parce qu’elle avait omis de déclarer son époux lorsqu’elle a demandé la résidence permanente en mars 2007, en contravention de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement].

[7]  La demanderesse a interjeté appel de ce refus devant la SAI et a présenté une requête préliminaire, faisant valoir que le principe de l’autorité de la chose jugée devrait s’appliquer et demandant à la SAI de conclure que le défendeur était lié par la décision antérieure de la Section de l’immigration. Il a été convenu que cette requête préliminaire serait traitée par écrit. Le 1er juin 2016, le commissaire de la SAI a statué que le principe de l’autorité de la chose jugée ne s’appliquait pas et que l’appel pouvait être instruit. La SAI a tiré cette conclusion à la fois parce que les conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée – un volet du principe de l’autorité de la chose jugée – n’étaient pas remplies et parce que la nouvelle preuve produite par le ministre était une circonstance particulière justifiant que le principe ne soit pas appliqué. Cette décision est examinée plus en détail dans l’analyse qui suit.

[8]  La demanderesse a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la SAI sur la question de la chose jugée. Le 1er décembre 2016, la juge Susan Elliott de la Cour a rejeté la demande au motif qu’elle était prématurée, mais « sans préjudice au droit de la demanderesse de présenter les mêmes arguments lors de tout contrôle judiciaire éventuel une fois que la SAI [aura] rendu une décision finale » (Mangat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1336, au par. 17).

[9]  La SAI a tenu une audience sur le fond de l’appel le 27 novembre 2017 et a rendu sa décision rejetant l’appel le 20 avril 2018. La SAI a fait remarquer que « [l]es éléments de preuve en l’espèce sont loin d’être parfaits, tant d’un côté que de l’autre ». Néanmoins, elle était convaincue que la nouvelle preuve présentée par le ministre était suffisante pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse s’était mariée en 2003. La SAI a constaté que ni la demanderesse ni son époux n’ont témoigné à l’audience tenue devant elle et que, par conséquent, bon nombre des questions soulevées par la preuve sont restées sans réponse. La commissaire a conclu que la demanderesse avait omis de déclarer son époux lorsqu’elle a présenté sa première demande de résidence permanente et qu’elle avait ainsi contrevenu à l’alinéa 117(9)d) du Règlement. Il avait été convenu par les parties que cette conclusion serait déterminante pour la question des fausses déclarations puisqu’elles se fondaient sur les mêmes faits. La SAI a donc rejeté l’appel. Cette décision est aussi examinée plus en détail ci-dessous.

[10]  La présente demande de contrôle judiciaire concerne les deux décisions de la SAI.

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[11]  Il y a deux questions en litige dans la présente affaire :

  1. La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que le principe de l’autorité de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer?
  2. L’appréciation des nouveaux éléments de preuve par la SAI était-elle raisonnable?

[12]  La demanderesse soutient que la norme de contrôle applicable aux deux questions est celle de la décision correcte, invoquant à cet égard la décision Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1321 [Rahman]. Elle affirme que la question de savoir si les conditions préalables à l’application du principe de l’autorité de la chose jugée sont remplies est une question de droit qui touche les droits d’un demandeur, et que la SAI n’est pas plus compétente que la Cour pour appliquer ce principe. En l’espèce, l’affaire a fait l’objet d’une requête préliminaire par écrit, de sorte que la SAI n’a pas eu l’avantage d’observer les témoins en personne. C’est pourquoi la demanderesse est d’avis que la norme de la décision correcte devrait s’appliquer aux deux questions.

[13]  Je ne suis pas d’accord. Je conclus que la décision Rahman ne reflète pas l’évolution de la jurisprudence, en ce qui concerne tant l’autorité de la chose jugée dans le contexte de l’immigration que, plus généralement, les normes de contrôle. Sur cette question, j’adopterais l’analyse effectuée dans la décision Dhaliwal c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 157 [Dhaliwal]). La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable pour ce qui est de la question de savoir si les conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée – le volet du principe de l’autorité de la chose jugée qui s’applique en l’espèce – sont remplies, de même qu’à l’égard de l’application du principe aux faits.

[14]  Cette approche est également conforme à l’évolution plus générale en ce qui concerne l’analyse des normes de contrôle (voir, par exemple : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 [Canada (CCDP)]; Nor-Man Regional Health Authority Inc. c Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, aux par. 35 à 39; West Fraser Mills Ltd. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, au par. 8).

[15]  La norme de contrôle à l’égard de l’appréciation des nouveaux éléments de preuve par la SAI est celle de la décision raisonnable, dans la mesure où cette détermination était au cœur de sa décision de déclarer la demanderesse interdite de territoire pour fausses déclarations (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 422, au par. 19).

IV.  Analyse

A.  La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que le principe de l’autorité de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer?

[16]  La demanderesse soutient que, dans la décision relative à la requête préliminaire, la SAI a commis une erreur dans son application du critère lié à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, qui est le volet du principe de l’autorité de la chose jugée qui s’applique en l’espèce. Le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêche que ne soient soumis à nouveau aux tribunaux des faits importants et des conclusions de droit ou des conclusions mixtes de fait et de droit qui ont nécessairement été tirées dans le cadre d’une instance antérieure. Lorsque le gouvernement intente de nouveau une action en justice contre une personne, les principes qui sous-tendent la préclusion devraient être appliqués avec encore plus de force.

[17]  En l’espèce, la demanderesse soutient que la SAI a eu tort de ne pas conclure que les trois conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ont été remplies (Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, au par. 25 [Danyluk]). Premièrement, la même question – à savoir si la demanderesse s’était mariée en 2003 – avait déjà été tranchée par la Section de l’immigration dans sa décision antérieure. Deuxièmement, cette décision est devenue « définitive » lorsque le ministre a décidé de ne pas en appeler. Troisièmement, les mêmes parties étaient engagées dans les deux instances. La demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur dans l’application du critère et que, par conséquent, la deuxième audience devant la SAI n’aurait jamais dû avoir lieu. Sur ce fondement, la demanderesse soutient que les deux décisions de la SAI devraient être annulées.

[18]  Le défendeur soutient que même si les conditions préalables avaient été remplies, elles sont assorties du pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer le principe lorsqu’il est dans l’intérêt de la justice de traiter l’affaire sur le fond (Penner c Niagara (Commission régionale des services policiers), 2013 CSC 19, aux par. 29 à 31 [Penner]). Le défendeur soutient que c’est le cas en l’espèce, à la lumière des nouveaux éléments de preuve importants concernant le moment du mariage qui ont été présentés à la SAI lors de la plus récente audience. La jurisprudence a établi que la SAI est tenue d’examiner les nouveaux éléments de preuve produits avant de déterminer si l’appel devrait être empêché par la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, et c’est ce qui a été fait en l’espèce (Kular c Canada (Citoyenneté et Immigration), dossier no IMM-4990-99, 2000 CanLII 16016 (CF); Sekhon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 1354).

[19]  Les parties concentrent leur attention sur différents aspects du processus décisionnel. La demanderesse affirme que la décision de la SAI sur la requête préliminaire est erronée parce qu’elle est fondée sur des problèmes fondamentaux d’interprétation du critère. Le défendeur soutient que l’accent devrait être mis sur l’issue de la deuxième décision – sur le bien-fondé de la demande; il soutient que cette décision est raisonnable parce qu’elle reflète l’accent mis dans des décisions plus récentes sur la question de savoir si l’application du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée donnerait lieu à une injustice, et parce que la demande a été examinée à la lumière des nouveaux éléments de preuve.

[20]  Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la déclaration de la SAI au sujet du critère juridique relatif à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est inexacte. Je ne suis toutefois pas convaincu qu’il s’agit d’une erreur fatale parce que je conclus que la SAI a finalement appliqué le principe approprié aux faits de l’affaire et que le résultat est, en fin de compte, raisonnable. Ce résultat peut sembler surprenant, mais, comme je l’explique ci-dessous, il est conforme aux motifs précis formulés par la SAI, lorsqu’on le considère de la manière exigée par la norme de contrôle de la décision raisonnable. Il est également conforme à la récente décision Dhaliwal de la Cour, qui traite de faits quelque peu similaires et sur laquelle les deux parties se sont appuyées dans la présente instance.

[21]  Essentiellement, l’argument de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée avancé par la demanderesse est que le ministre et la SAI étaient liés par la décision antérieure de la Section de l’immigration selon laquelle la demanderesse n’était pas mariée. Cette décision est devenue définitive et exécutoire parce que le ministre a choisi de ne pas en interjeter appel, et ni l’agent d’immigration qui examinait sa demande de parrainage ni la SAI qui entendait l’appel ne pouvaient la rouvrir. Le ministre a présenté la contestation initiale et avait l’obligation de présenter ses meilleurs arguments en déposant tous les éléments de preuve qui étaient disponibles ou qui auraient raisonnablement pu être obtenus. La Section de l’immigration a examiné la question après une audience complète et a rendu une décision en faveur de la demanderesse. Le ministre a choisi de ne pas interjeter appel de la décision. Par souci d’équité et dans l’intérêt du caractère définitif, la demanderesse avait le droit de s’appuyer sur cette décision.

[22]  Dans sa décision sur la requête préliminaire de la demanderesse, la SAI a commencé par citer les règles de droit énoncées par le juge Binnie dans l’arrêt Danyluk, en soulignant les trois conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ainsi que l’importance d’éviter une application mécanique du principe. Comme la SAI l’a fait remarquer à juste titre, le juge Binnie a établi un processus en deux étapes : la première consiste à déterminer si les conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’appliquent; la deuxième consiste à déterminer si la préclusion découlant d’une question déjà tranchée devrait s’appliquer et, en particulier, si son application donnerait lieu à une injustice. Il s’agit d’une interprétation juste de la règle de droit (Penner, au par. 93; Danyluk, au par. 80).

[23]  Toutefois, la SAI a ensuite conclu que les conditions préalables n’étaient pas remplies en l’espèce parce que « [l]a SAI ne s’est pas fondée sur le même ensemble de faits et les mêmes motifs d’interdiction de territoire pour rendre sa décision relativement à l’appel interjeté par [la demanderesse]. La décision favorable rendue par la [Section de l’immigration] ne donne pas du tout à penser que l’agent des visas disposait d’exactement les mêmes éléments de preuve lorsqu’il a refusé [d’approuver la demande de parrainage] » (au par. 10). Je conviens avec la demanderesse qu’il s’agit là d’un énoncé inexact du critère, dans la mesure où il limite l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée aux cas où la même question a été tranchée d’après la même preuve. C’est tout simplement faux – la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est déclenchée lorsque la même question fait l’objet d’une nouvelle action en justice, que les mêmes faits soient devant le décideur ou non. Les nouveaux éléments de preuve peuvent être pertinents à la deuxième étape de l’analyse, mais la référence citée ci‑dessus figure dans l’analyse de la SAI visant à déterminer si les conditions préalables sont remplies, c’est-à-dire à la première étape de l’analyse.

[24]  Je suis également d’accord avec la demanderesse pour dire que la SAI a commis une erreur en concluant que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne pouvait s’appliquer pour empêcher la SAI, en tant qu’organisme d’appel, d’examiner une question qui avait déjà été tranchée par la Section de l’immigration, à titre de décideur au premier palier. Il s’agit également d’un énoncé inexact des règles de droit. Lorsque la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique, elle empêche un décideur subséquent, à n’importe quel échelon, de réexaminer la question (Donald J. Lange, The Doctrine of Res Judicata in Canada, 4e édition (Markham (Ont.) : Lexis Nexis, 2015), aux p. 1 à 4 et 27.)

[25]  Toutefois, je ne considère pas qu’il s’agit là d’erreurs justifiant l’infirmation d’une décision parce que la SAI a poursuivi son analyse, et j’estime qu’elle a bien considéré la deuxième étape du processus, qui comprend la question de savoir si la préclusion découlant d’une question déjà tranchée devrait être appliquée. Le tribunal a correctement énoncé et appliqué cet élément du critère :

14.  La question de savoir si le principe de l’autorité de la chose jugée doit s’appliquer à un cas donné relève du pouvoir discrétionnaire de la SAI, sous réserve de toute circonstance particulière qui ferait de l’appel une exception au principe de l’autorité de la chose jugée. L’exception en raison de circonstances particulières s’applique, entre autres, à la présentation de nouveaux éléments de preuve décisifs qui n’auraient pu être découverts au cours de la première instance en exerçant une diligence raisonnable. L’existence de nouveaux éléments de preuve décisifs est un motif valide permettant de refuser d’appliquer le principe de l’autorité de la chose jugée. Les nouveaux éléments de preuve décisifs sont ceux [traduction] « dont la capacité de modifier l’issue de l’instance précédente peut se démontrer ».

[26]  La SAI a alors conclu : « [e]n conséquence, compte tenu de l’ensemble de la preuve en l’espèce, le principe de l’autorité de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer » (au par. 17). Cette conclusion est raisonnable, dans les circonstances de l’espèce, et je conclus qu’il n’y a pas lieu d’infirmer cet aspect de la décision simplement en raison d’un énoncé du droit erroné en ce qui concerne les conditions préalables à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Renverser la décision sur ce fondement serait incompatible avec la jurisprudence claire et contraignante selon laquelle le contrôle judiciaire ne doit pas être une « chasse au trésor [...] à la recherche d’une erreur » et que les motifs doivent être lus comme un tout, à la lumière du dossier, pour déterminer si la décision appartient aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au par. 54); et Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 14).

[27]  Il est important de rappeler que la SAI rendait une décision sur une requête préliminaire présentée par la demanderesse, qui lui demandait de déterminer si le ministre et la SAI étaient liés par la décision antérieure par application du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. La SAI ne se prononçait pas sur le bien-fondé de l’affaire, mais plutôt sur une requête préliminaire, présentée par écrit. Après avoir examiné la jurisprudence applicable et les faits dont elle était saisie, la SAI a conclu que le principe de l’autorité de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer à ce stade de l’instance et empêcher toute autre enquête visant à déterminer si la demanderesse avait déjà été mariée. Elle a conclu qu’il existait de nouveaux éléments de preuve potentiellement « décisifs » sur la question, ce qui a l’a amenée à conclure que le principe ne devrait pas s’appliquer.

[28]  La SAI a conclu que les nouveaux éléments de preuve produits par le défendeur étaient de ceux « dont la capacité de modifier l’issue de l’instance précédente peut se démontrer » (au par. 14, citant Lundrigan Group Ltd c Pilgrim (1989), 75 Nfld & PEIR 217, (1989) CanLII 3952 (CA T.N.-L.), à la p. 223). Il s’agissait d’une conclusion raisonnable à l’égard de la requête préliminaire, et elle est conforme à la jurisprudence de la Cour (voir Vo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 230, au par. 27, citant Toronto (Ville) c S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63 [SCFP], et Ping c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1121).

[29]  Il convient également de noter que la décision sur la requête préliminaire, selon laquelle le principe de l’autorité de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer et empêcher la tenue d’une audience sur le fond, n’a pas empêché la demanderesse de soutenir, lors de cette audience subséquente, que les nouveaux éléments de preuve ne satisfaisaient pas au critère rigoureux établi par la jurisprudence. La décision de la juge Elliott sur le contrôle judiciaire de la décision préliminaire ne l’a pas empêché non plus. La demanderesse a décidé de présenter la question à titre de requête préliminaire et n’a pas réussi à convaincre le commissaire de la SAI chargé de trancher la requête que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêchait la poursuite de l’affaire. La question de savoir si les nouveaux éléments de preuve répondaient au critère énoncé dans la jurisprudence n’a apparemment pas été soulevée devant la SAI au cours de l’audience sur le fond.

[30]  Ce résultat est également conforme à la décision Dhaliwal, que les deux parties ont cité comme faisant autorité sur la question de la chose jugée dans le contexte de l’immigration. Cette affaire portait également sur la question de savoir si la demanderesse avait fait de fausses déclarations quant à son état matrimonial. La demanderesse avait épousé un citoyen canadien, qui a ensuite présenté une demande de parrainage pour elle. Le parrainage a été refusé parce que l’agent des visas n’était pas convaincu de l’authenticité du mariage. Avec le consentement du ministre, la SAI a infirmé la décision et la demanderesse est devenue résidente permanente du Canada en juillet 2003. Environ un mois plus tard, l’époux de la demanderesse a demandé le divorce auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, disant qu’elle et lui étaient séparés depuis février 2001. Le mariage a été dissous en novembre 2003.

[31]  La demanderesse dans cette affaire a ensuite épousé Navdeep Singh et a présenté une demande de parrainage afin qu’il obtienne sa résidence permanente. Sur les formulaires de parrainage, elle a déclaré qu’elle s’était séparée de son ancien époux en janvier 2004. Après avoir examiné son dossier, un agent d’immigration a conclu qu’elle avait contracté son premier mariage dans le seul but d’entrer au Canada; elle a donc été renvoyée à une enquête pour fausses déclarations, au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[32]  La Section de l’immigration a tenu une audience sur cette question et a conclu qu’elle avait fait une présentation erronée sur un fait important au sujet de son premier mariage. Elle a aussi pris une mesure d’exclusion contre la demanderesse. Cette dernière a interjeté appel auprès de la SAI et a présenté des requêtes préliminaires, soutenant qu’il était interdit au ministre de remettre en question l’authenticité de son premier mariage et que les services d’interprétation à l’audience étaient inadéquats. Seule la question de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est pertinente en l’espèce.

[33]  La SAI a conclu que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’avait pas pour effet d’exclure toute question portant sur l’authenticité de son premier mariage. Elle a conclu que les deux audiences portaient sur des questions distinctes, mais connexes : la première portait sur la question de savoir si le mariage était authentique, tandis que la deuxième portait sur la question de savoir si la demanderesse avait fait de fausses déclarations quant à son authenticité. En outre, la SAI a conclu que les parties n’étaient pas les mêmes dans les deux instances : la première opposait son répondant (son premier époux) et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, tandis que la deuxième opposait la demanderesse et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. Enfin, la SAI a conclu qu’on minerait l’intention du législateur qui sous-tend l’article 40 de la LIPR si on appliquait strictement le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, par exemple si la conclusion de la SAI selon laquelle un mariage est vraisemblablement authentique empêchait une enquête ultérieure visant à déterminer s’il y a eu fausse déclaration importante.

[34]  La demanderesse a demandé qu’on soumette cette décision à un contrôle judiciaire. En ce qui concerne la conclusion relative à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, le juge Keith Boswell a d’abord examiné le droit applicable, puis il a analysé la décision. Le juge Boswell a jugé déraisonnable la conclusion de la SAI selon laquelle les questions en litige dans les deux instances étaient différentes, parce que l’audience sur les fausses déclarations exigeait une évaluation de l’authenticité du mariage; ainsi, la question déterminante dans la deuxième audience était la même que celle tranchée dans la première (aux par. 40 à 42, citant Ramkissoon c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2000] ACF no 971 (QL), au par. 8, 6 Imm LR (3d) 223 (1re inst.)).

[35]  Deuxièmement, le juge Boswell a estimé erronée la conclusion de la SAI selon laquelle les parties n’étaient pas les mêmes, parce qu’elle n’a pas examiné si la demanderesse avait néanmoins un lien avec la décision antérieure. Il a conclu que, puisque le répondant (le premier époux) était la seule partie autorisée à interjeter appel de la première décision, et que cela touchait directement la demanderesse, il n’était pas raisonnable de conclure qu’elle n’avait pas de lien avec la première décision. En outre, la relation entre le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile était étroitement liée en ce qui concerne l’application de la LIPR, et il n’était donc pas raisonnable de les considérer comme des parties non liées.

[36]  Malgré ces constatations, le juge Boswell a toutefois conclu que la décision de la SAI était raisonnable dans l’ensemble. Ses motifs pour arriver à cette conclusion sont exposés dans les paragraphes suivants :

[51]  La SAI aurait probablement exercé son pouvoir discrétionnaire d’entendre la preuve pesant contre la demanderesse même en étant convaincue que les conditions préalables à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée étaient remplies. Au paragraphe 28 de sa décision, la SAI a écrit que l’on minerait l’intention du législateur qui sous-tend l’article 40 de la Loi en décrétant que [traduction] « une décision antérieure de la SAI selon laquelle un mariage est probablement authentique lie les formations futures qui sont tenues de par la [Loi] d’évaluer s’il y a eu une fausse déclaration importante au sens de l’article 40. »

[52]  C’est là une conclusion raisonnable. Une fausse déclaration importante « entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi » (la Loi, alinéa 40(1)a)). Cet énoncé reconnaît expressément que la fausse déclaration aurait déjà pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi, et il ne faudrait pas que l’on empêche la SAI d’analyser cette possibilité juste parce que c’est la SAI elle-même qui a été censément induite en erreur.

[53]  Par ailleurs, même la demanderesse a reconnu, aux paragraphes 24 à 26 de son mémoire en réponse, que de nouvelles preuves importantes pourraient raisonnablement justifier une décision de ne pas appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. La SAI avait en main des preuves selon lesquelles le répondant de la demanderesse avait divorcé de cette dernière un mois seulement après son arrivée au Canada - et la date de séparation était nettement antérieure à celle à laquelle elle avait obtenu la résidence permanente – et il avait expressément informé CIC qu’elle ne l’avait épousé que pour pouvoir entrer au Canada. Même si la SAI n’a jamais envisagé expressément de recourir au pouvoir discrétionnaire qu’elle avait de ne pas appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, il est bien évident qu’elle aurait décidé d’entendre la preuve pesant contre la demanderesse même si elle avait été convaincue que les conditions préalables étaient remplies.

[Souligné dans l’original.]

[37]  En résumé, dans la décision Dhaliwal, le juge Boswell a conclu que la décision de la SAI sur les éléments de la première étape du critère de la préclusion était déraisonnable, mais il a finalement maintenu la décision parce qu’il a conclu que la SAI aurait appliqué l’exception à la deuxième étape du critère en raison de l’apparition de nouveaux éléments de preuve importants, et compte tenu de la nature du régime législatif et des différents examens requis aux diverses étapes du processus d’immigration.

[38]  En l’espèce, la demanderesse a soutenu que cette conclusion ne s’appliquait pas à l’affaire dont je suis saisi. Je ne suis pas d’accord. J’estime que la décision Dhaliwal offre une orientation utile sur l’application du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et sur la bonne façon d’aborder le contrôle judiciaire d’une décision de la SAI sur cette question.

[39]  En examinant cette question, le point de départ est le fait que le principe de common law de l’autorité de la chose jugée, et en particulier le volet de ce principe relatif à la préclusion, a été appliqué aux instances administratives, mais la jurisprudence enseigne de manière constante que le principe devrait être adapté pour refléter les circonstances particulières du processus administratif. Comme il a été établi dans l’arrêt Danyluk, au paragraphe 21, et cité avec approbation dans l’arrêt Penner, au paragraphe 94, « [dans le contexte du droit administratif], l’objectif spécifique poursuivi consiste à assurer l’équilibre entre le respect de l’équité envers les parties et la protection du processus décisionnel administratif, dont l’intégrité serait compromise si on autorisait trop facilement les contestations indirectes ou l’engagement d’une nouvelle instance à l’égard de questions déjà tranchées ».

[40]  La question a été soulevée dans de nombreuses circonstances différentes, mettant souvent en jeu l’interaction du droit administratif et des systèmes de common law (ou de droit civil) ou de droit pénal. Ainsi, la décision d’un agent des normes d’emploi quant à savoir si des commissions impayées étaient dues à un ancien employé n’a pas été jugée comme empêchant un tribunal de common law d’examiner la même question dans le cadre d’une action pour congédiement injustifié (Danyluk). Inversement, la décision définitive d’une cour criminelle ne pourrait pas être réexaminée par un arbitre du travail régi par une convention collective (SCFP). L’application des deux étapes du critère, mais en particulier l’examen de la deuxième étape (la question de savoir si le principe de la préclusion devrait s’appliquer), a été examinée à la lumière de la nature du régime de droit administratif, dans le contexte de l’objet de la loi, des intérêts des parties et de l’intérêt général à l’égard du caractère définitif des procédures judiciaires (Danyluk, aux par. 68 à 80; Penner, aux par. 36 à 48). La pierre de touche est l’équité.

[41]  En l’espèce, les facteurs à prendre en considération comprennent la nature et l’objet du régime législatif, les obligations de la demanderesse, de son premier époux ainsi que du défendeur relativement à ce régime, et la nécessité de concilier les intérêts de la demanderesse à l’égard du caractère définitif de la décision avec les obligations continues du ministre d’administrer le régime législatif. La jurisprudence établit que le maintien de la confiance du public dans l’application de la LIPR est un but important, qui est nécessaire pour donner effet aux objectifs de la Loi énoncés à l’article 3. L’une des façons d’y parvenir est l’interprétation « stricte » des dispositions sur les fausses déclarations énoncées à l’article 40; une autre est la reconnaissance et l’exécution de l’obligation qu’ont les demandeurs de divulguer tous les renseignements dont ils disposent de manière pleine, entière et continue, souvent appelée l’« obligation de franchise » (voir Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 169).

[42]  En ce qui concerne les faits de l’espèce, il est pertinent que les deux examens menés par la Section de l’immigration et la SAI ont porté sur des demandes différentes présentées à des moments différents par la demanderesse, visant des résultats différents en matière d’immigration et fondées sur des dispositions différentes. L’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans le contexte d’un régime législatif qui comprendra souvent une série d’étapes et d’applications différentes doit tenir compte de cette réalité. Comme l’a fait remarquer le juge Boswell, les dispositions relatives à une « fausse déclaration importante » s’appliquent aux déclarations qui pourraient entraîner des erreurs dans le traitement d’une demande à l’avenir et aux déclarations qui ont déjà entraîné des erreurs, qui n’ont été mises en lumière que récemment. Les obligations d’un demandeur qui demande le statut d’immigrant au Canada sont permanentes, et lorsque de nouveaux éléments de preuve apparaissent qui pourraient appuyer une conclusion selon laquelle une fausse déclaration a été faite à une étape antérieure, il n’est pas déraisonnable d’en tenir compte pour décider si la préclusion devrait empêcher tout examen de la conclusion antérieure. J’estime que cette approche est conforme à l’intention du législateur reflétée dans la LIPR et aux attentes raisonnables des demandeurs du statut d’immigrant.

[43]  Une dernière considération en l’espèce est le fait qu’il est clair que si la question de la préclusion avait été soulevée à l’audience sur le fond, la SAI aurait conclu que la nouvelle preuve était suffisante pour que l’affaire soit visée par l’exception, surtout que la demanderesse et son époux n’ont pas témoigné. À cet égard, cette affaire est similaire à l’affaire Dhaliwal et j’estime que le même raisonnement devrait s’appliquer en l’espèce.

[44]  Pour ces motifs, je conclus que la décision de la SAI sur la question de la préclusion, considérée dans son ensemble et à la lumière du dossier, est raisonnable.

B.  L’appréciation des nouveaux éléments de preuve par la SAI était-elle raisonnable?

[45]  La contestation par la demanderesse du caractère raisonnable de la décision de la SAI sur le fond porte sur deux éléments : (1) l’importance accordée par la SAI à une lettre prétendument écrite à la demanderesse par son époux en octobre 2004, et (2) l’importance que la SAI a accordée aux résultats d’une enquête sur le terrain menée par un agent des visas.

(1)  La lettre de l’époux

[46]  La SAI a examiné la lettre d’octobre 2004 en détail, soulignant qu’elle avait été présentée en preuve à la Section de l’immigration lors de l’audience précédente et que la demanderesse avait déclaré à la Section de l’immigration qu’elle n’avait jamais reçu cette lettre et qu’elle ne reconnaissait pas l’écriture. La demanderesse avait laissé entendre que cette lettre avait été fournie à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) par « quelqu’un qui [voulait la] mettre dans le pétrin ». La SAI a conclu que la lettre avait été envoyée à une adresse où la demanderesse avait vécu pendant son séjour au Canada. Elle a également fait remarquer que la preuve montrait que la demanderesse était « une femme qui a de nombreuses adresses » (par. 14).

[47]  Il y avait des divergences entre les renseignements fournis par l’ASFC, les déclarations fiscales et les relevés téléphoniques concernant l’endroit où la demanderesse vivait et pour qui elle travaillait à divers moments. La SAI a conclu que l’adresse à laquelle la lettre avait été envoyée n’avait pas été choisie au hasard; elle n’a pas accepté l’argument de la demanderesse selon lequel elle ne vivait pas à cette adresse au moment où la lettre était censée avoir été envoyée. La commissaire a souligné qu’en l’absence de toute explication de la demanderesse concernant ces nombreuses divergences, elle n’acceptait pas ses arguments. La SAI a conclu que la lettre semblait être une véritable expression du chagrin de son premier époux du fait qu’elle a quitté l’Inde si peu de temps après leur mariage. La SAI a conclu qu’elle étayait la conclusion selon laquelle la demanderesse s’était mariée en 2003.

[48]  Il convient de souligner en l’espèce que la SAI a tiré une conclusion fortement défavorable à la demanderesse et à son deuxième époux parce qu’ils n’ont pas témoigné à l’audience devant elle. La SAI s’est fondée sur une décision de la Cour, Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 509, qui déclare au paragraphe 2 : « la raisonnabilité veut [...] que l’on puisse tirer une conclusion défavorable lorsqu’une preuve est accessible, qu’elle pourrait devenir accessible, mais qu’elle n’est pas produite, ou lorsqu’une personne peut témoigner, qu’on lui a offert la possibilité de témoigner, mais qu’elle ne témoigne pas ».

[49]  La demanderesse soutient que la SAI a accordé un poids déraisonnable à cette lettre, soulignant : (i) qu’il s’agissait d’une lettre manuscrite non authentifiée; (ii) qu’elle avait été fournie à l’ASFC par une personne inconnue; (iii) que rien n’indiquait qu’elle avait été effectivement écrite par l’époux de la demanderesse; et (iv) que la preuve au dossier montrait que la demanderesse ne vivait pas à l’adresse où elle avait été envoyée. La demanderesse soutient que la question centrale par rapport à la lettre est de savoir si la demanderesse vivait à l’adresse à laquelle elle a été envoyée, et qu’en l’absence de preuve à cet effet, aucune valeur n’aurait dû être accordée à la lettre. Compte tenu de ce qui précède, elle soutient qu’il était déraisonnable pour la SAI de se fonder sur cette lettre.

[50]  Je ne suis pas convaincu. La SAI était consciente des difficultés liées à la lettre. En fait, la SAI s’est dite préoccupée par les éléments de preuve présentés par le défendeur dans le cadre de l’appel. En outre, il n’était pas nécessaire que la SAI détermine si la demanderesse avait effectivement reçu la lettre pour conclure qu’il s’agissait d’une lettre authentique d’un époux à son épouse. C’est ce que la SAI a conclu et il n’y a aucune raison de remettre en question cette conclusion. Essentiellement, la demanderesse me demande d’apprécier de nouveau la preuve présentée à la SAI, et ce n’est pas mon rôle dans le cadre d’un contrôle judiciaire, en l’absence d’un vice fondamental dans la façon dont le décideur l’a examinée (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 64; Canada (CCDP), au par. 55).

[51]  En l’espèce, la SAI a considéré la lettre comme l’un des nombreux éléments de preuve qui, pris ensemble, appuyaient sa conclusion selon laquelle la demanderesse s’était mariée en 2003. Les autres éléments de preuve comprenaient un programme de mariage qui énonçait les détails auxquels on s’attendait pour un mariage ainsi qu’une demande de confirmation des invités présents dûment remplie indiquant les noms des membres de la famille qui avaient accepté l’invitation. Ils comprenaient également des éléments de preuve provenant de l’enquête sur le terrain, analysée ci‑dessous, ainsi que des dossiers d’une école, qui indiquaient que « Mme Rupinder Kaur Mangat » y avait travaillé en 2003.

[52]  Je ne peux conclure que l’évaluation de la lettre par la SAI est déraisonnable. La SAI a examiné l’ensemble de la preuve, a souligné l’absence de réponse de la demanderesse aux nombreuses questions soulevées par la preuve et a conclu que la lettre était authentique et qu’elle avait contribué à établir que le mariage avait été contracté en 2003. Cette conclusion était raisonnable.

(2)  L’enquête sur le terrain

[53]  La demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur en accordant du poids à la nouvelle preuve sur les résultats d’une enquête sur le terrain menée par un agent d’immigration en février 2012.

[54]  Cette preuve comprenait le rapport de l’agent sur son séjour dans le village de l’époux et les entretiens qu’il a eus avec plusieurs villageois ainsi qu’avec le père de l’époux. Les villageois connaissaient tous l’époux et ont dit qu’il s’était marié [traduction] « il y a cinq ou six ans ». Ils connaissaient également la demanderesse et savaient qu’elle était enceinte lors de son dernier séjour au village. La SAI a conclu que cela étayait la conclusion selon laquelle la demanderesse s’était mariée en 2003. Les villageois la connaissaient et connaissaient son époux; ils ont tous dit que la cérémonie de mariage avait eu lieu à l’endroit indiqué dans certains documents (par exemple, dans l’invitation au mariage); ils ont tous dit qu’elle avait eu lieu il y a cinq ou six ans. La SAI a conclu que l’écart entre les dates était compréhensible, en ce sens qu’une personne serait plus susceptible de se rappeler l’endroit précis où le mariage a eu lieu, plutôt que l’année exacte.

[55]  La demanderesse soutient que l’interprétation par la SAI de ces éléments de preuve et l’importance qu’elle leur a accordée sont déraisonnables. Par exemple, les déclarations selon lesquelles le mariage a eu lieu cinq ou six ans avant une entrevue tenue en 2012 placeraient l’événement en 2007 ou 2008. Aucun des villageois n’a dit que le mariage avait été célébré il y a neuf ou dix ans, mais la SAI a conclu que cela appuyait la conclusion selon laquelle le mariage a eu lieu en 2003. De même, la SAI a accepté les déclarations quant au lieu du mariage, tout en écartant le témoignage de la demanderesse selon lequel l’endroit mentionné par les villageois est l’endroit où la cérémonie de fiançailles a eu lieu. Enfin, la demanderesse soutient que les éléments de preuve issus de l’enquête sur le terrain ne devraient pas être pris en compte parce qu’ils reposaient sur les déclarations solennelles des villageois, qui ont été préparées par l’agent et reflètent son résumé unilatéral et subjectif des déclarations réelles, qui ne traduit peut-être pas les nuances ou les détails de la conversation. La demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur en accordant beaucoup d’importance à ces éléments de preuve contradictoires.

[56]  Je ne suis pas d’accord. Les éléments de preuve issus de l’enquête sur le terrain sont objectifs, en ce sens qu’ils sont fournis par un agent qui n’a aucun « intérêt » dans l’issue de la procédure et qu’ils reflètent les déclarations faites par des villageois qui n’avaient aucun intérêt dans l’issue de la procédure. Le témoignage du beau-père de la demanderesse, qui avait vraisemblablement un certain intérêt dans le résultat, était essentiellement identique à celui des villageois. La SAI a examiné les détails de la preuve, le contexte dans lequel elle a été présentée et la pertinence des déclarations par rapport à la question dont elle était saisie et a conclu qu’elle accorderait beaucoup de poids à cette preuve. Ce n’est pas le rôle d’une cour de révision d’apprécier à nouveau cette preuve, en l’absence d’une erreur grave de la part du décideur. Je ne relève aucune erreur grave en l’espèce.

[57]  Pour ces motifs, je conclus que l’évaluation par la SAI des éléments de preuve issus de l’enquête sur le terrain est raisonnable, compte tenu de l’ensemble du dossier.

V.  Conclusion

[58]  Pour les motifs qui précèdent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question de portée générale n’a été proposée par les parties et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2231-18

LA COUR STATUE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de novembre 2019.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2231-18

INTITULÉ :

RUPINDER KAUR MANGAT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 décembre 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 16 OCTOBRE 2019

COMPARUTIONS :

Shoshana T. Green

Aris Daghigian

Pour la demanderesse

Kristina Dragaitis

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green et Spiegel

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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