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Date : 20010820

Dossier : T-851-00

Référence neutre : 2001 CFPI 924

ENTRE :

                                                                 JEAN-YVES CÔTÉ

                                                                                                                                               Demandeur

                                                                              - et -

                             DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA

                                          COMMISSION DE L'ASSURANCE-EMPLOI et

                             CENTRE DES RESSOURCES HUMAINES CANADA-QUÉBEC

                                                                                                                                               Défendeurs

                                                        MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER:

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision datée du 13 avril 2000, rendue par la Commission de l'assurance-emploi du Canada (la Commission), refusant à M. Jean-Yves Côté de défalquer le trop-payé de prestations, conformément à son pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 56 du Règlement sur l'assurance-emploi, DORS/96-332 (Règlement).

[2]                 Le 2 octobre 1998, le demandeur a fait l'objet d'une mise à pied par son employeur, Les entreprises industrielles Westburne Ltée. Suite à cette mise à pied, le demandeur a présenté une demande de prestation de chômage auprès de la Commission, le 14 octobre 1998. Trois relevés d'emploi ont été émis par l'employeur du demandeur pour la même période d'emploi. Or, chacun de ces relevés d'emploi indiquait un nombre d'heures ou une rémunération assurable différente, ce qui a entraîné la modification du taux de prestation dont pouvait bénéficier le demandeur.

[3]                 L'ambiguïté causée par les trois relevés d'emploi a entraîné l'émission d'un avis de réclamation de trop-payé, daté du 18 juillet 1999, au montant de 3 042,00$. Le 1er août 1999, le demandeur a contesté l'avis de réclamation de trop-payé devant le conseil arbitral qui a décidé, le 2 février 2000, de retourner le dossier à la Commission afin qu'elle établisse le montant exact du trop-payé en tenant compte de la rémunération de 17 674,05$. Également, le conseil arbitral a fortement recommandé à l'unanimité à la Commission de défalquer le trop-payé.

[4]                 La Commission a d'abord examiné la possibilité de défalquer le trop-payé selon le paragraphe 56(2) du Règlement et elle a conclu qu'il ne pouvait y avoir de défalcation en vertu de ce paragraphe puisque le trop-payé se rapportait à des prestations reçues moins de 12 mois avant que le demandeur ait été avisé du versement excédentaire.

[5]                 La Commission a par la suite examiné la recommandation faite par le conseil arbitral en fonction du sous-alinéa 56(1)f)ii) du Règlement et elle a décidé de ne pas défalquer le trop-payé des prestations ayant conclu, après étude du dossier, que le remboursement de cette somme n'imposerait pas au demandeur un préjudice abusif.

[6]                 Le demandeur prétend que cette décision est entachée d'une erreur de droit, qu'elle est manifestement déraisonnable, arbitraire et clairement irrationnelle.

[7]                 En premier lieu, le demandeur soutient que la Commission a interprété de façon erronée le sous-alinéa 56(1)f)(ii) du Règlement, qui prévoit que la Commission peut défalquer une somme due lorsque "le remboursement de la pénalité ou de la somme imposerait au débiteur un préjudice abusif", en exigeant qu'il établisse que le remboursement de la somme due allait lui causer beaucoup plus qu'un préjudice abusif.

[8]                 Selon le demandeur, le fait que le législateur ait choisi de changer les termes "privation injustifiable" par les termes "préjudice abusif" indique clairement que le législateur voulait adoucir la portée de l'application de ce sous-alinéa. Le demandeur soutient donc qu'un débiteur n'a pas besoin de prouver qu'il sera amené à subir de graves privations afin de pouvoir bénéficier de la défalcation d'une somme due.

[9]                 Pour sa part, le défendeur soutient que le changement par le législateur des termes "privation injustifiable" utilisés au sous-alinéa 60(1)f)ii) du Règlement de l'assurance-chômage par les termes "préjudice abusif" au sous-alinéa 56(1)f)(ii) du Règlement ne visait qu'à reformuler le droit et non pas à le réformer. Je suis de cet avis.

[10]            Tel que mentionné par le défendeur, le paragraphe 44(f) de la Loi concernant l'interprétation des lois et des règlements prévoit que:


44. En cas d'abrogation et de remplacement, les règles suivantes s'appliquent:

[...]

f) sauf dans la mesure ou les deux textes diffèrent au fond, le nouveau texte n'est pas réputé de droit nouveau, sa teneur étant censé constituer une refonte et une clarification des règles de droit du texte antérieur; [...].

44. Where an enactment, in this section called the "former enactment", is repealed and another enactment, in this section called the "new enactment", is substituted therefor,

[...]

f) except to the extent that the provisions of the new enactment are not in substance the same as those of the former enactment, the new enactment shall not be held to operate as new law, but shall be construed and have effect as a consolidation and as declaratory of the law as contained in the former enactment; [...]


[11]            Je ne considère pas que le nouveau texte du sous-alinéa 56(1)f)ii) du Règlement diffère quant au fond du texte antérieur du sous-alinéa 60(1)f)ii) du Règlement de l'assurance-chômage, compte tenu du fait que les termes "undue hardship" utilisés dans la version anglaise sont demeurés les mêmes depuis 1971. Je conclue donc que la Commission a interprété le sous-alinéa 56(1)f)(ii) du Règlement correctement.

[12]               Le demandeur soutient en second lieu que la Commission a rendu une décision fondée sur une conclusion de faits erronée, tirée de façon abusive, arbitraire et sans tenir compte des éléments de preuve qui ont été déposés au dossier.

[13]            Il prétend avoir clairement démontré que le remboursement du trop-payé de prestations allait lui occasionner de sérieux ennuis financiers. Il soutient avoir subi une baisse importante de revenus à son nouvel emploi, ce qui a créé un manque à gagner l'ayant endetté de façon encore plus importante. Il ajoute qu'il a peine à remplir ses obligations financières, son revenu net mensuel ne couvrant même pas le total de ses dépenses.

[14]            Pour sa part, la défenderesse soutient que la décision discrétionnaire de la Commission de refuser de défalquer la somme due par le demandeur est fondée sur des considérations pertinentes, conformes à l'esprit de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (Loi), reposant sur la preuve au dossier et qu'elle n'est pas arbitraire, vexatoire ou capricieuse.

[15]            Considérant le caractère d'exception de la défalcation du trop-payé de prestations, la défenderesse prétend que les termes "préjudice abusif" doivent être analysés eu égard au devoir de la Commission de gérer les fonds publics de la caisse d'assurance-emploi.

[16]            La défenderesse soutient que la Commission a conclu qu'elle n'exercerait pas sa discrétion en faveur du demandeur puisque l'ensemble des faits ne lui permettait pas de conclure que le demandeur ne pouvait pas rembourser, soit même en partie ou par versement périodique le trop-payé de prestations, sans lui imposer un préjudice abusif. Plus particulièrement, la Commission a tenu compte des faits suivants:

a) le demandeur travaillait et avait des revenus mensuels nets de 1 475,18$ par mois;

b) le demandeur était copropriétaire de sa résidence dont la valeur marchande est de 80 000,00$ avec hypothèque de 10 000,00$, laissant donc une équité de 70 000,00$

c) le demandeur remboursait ses autres créanciers;

d) certaines dépenses mensuelles étaient exagérées et pouvaient être compressées;

e) les dépenses pouvaient être partagées avec sa conjointe qui a un revenu d'emploi (dont le demandeur a refusé de dévoiler l'étendue)

f) le trop-payé se prescrivait en janvier 2006;

[17]            En premier lieu, j'aimerais préciser que vu le caractère d'exception de la défalcation, l'expertise en cette matière des agents de recouvrements et l'absence de droit d'appel à l'encontre d'une décision refusant la défalcation, je suis d'avis que la norme de contrôle judiciaire en est une très élevée, soit celle de la décision manifestement déraisonnable.

[18]            En l'espèce, je suis satisfaite que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire conformément aux conditions prévues à l'article 56 du Règlement.


[19]            La preuve au dossier n'appuie pas la prétention du demandeur qu'il ne peut rembourser même en partie le trop-payé sans lui imposer un préjudice abusif, d'autant plus que celui-ci peut convenir des modalités de paiement pour rembourser, tenant compte de sa capacité financière de payer.

[20]            Compte tenu de l'ensemble de la preuve, je considère que la Commission était justifiée de conclure qu'elle ne devait pas exercer sa discrétion en faveur du demandeur et que cette conclusion n'est pas manifestement déraisonnable.

[21]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                          « Danièle Tremblay-Lamer »

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 20 août 2001.

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