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Date : 20191010


Dossier : IMM-5563-18

Référence : 2019 CF 1280

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 10 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

AHMED BARRE FARAH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 1er octobre 2019)

[1]  La présente demande vise une demande d’asile présentée par le demandeur, un Somalien. La décision visée par le contrôle judiciaire est celle rendue le 12 octobre 2018 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR), en appel de la décision datée du 6 octobre 2017 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile.

[2]  La SAR a résumé la demande d’asile du demandeur comme suit :

L’appelant prétend qu’il est citoyen de la Somalie et qu’il est membre du clan Marehan. Il exploitait un magasin qui vendait des produits à des employés de la police et du gouvernement. Un conflit a éclaté entre la police et Al Chabaab dans la région. En mars 2017, l’appelant a reçu des menaces de la part d’Al Chabaab parce qu’il vendait des biens à des employés du gouvernement et à la police, et il a été accusé d’être un espion pour le compte de ceux‑ci.

Le 21 mars 2017, le frère de l’appelant, qui travaillait également au magasin de l’appelant, a été tué par des membres d’Al Chabaab. Par la suite, l’appelant et son épouse ont fui la Somalie et se sont rendus à Nairobi, au Kenya, le 2 avril 2017.

L’appelant, avec l’aide d’un agent, s’est ensuite enfui au Canada, où il est arrivé le 6 mai 2017, alors que son épouse est demeurée au Kenya. L’appelant a présenté sa demande d’asile, que la SPR a rejetée au motif qu’il n’avait pas établi son identité et que le récit de ce qui lui était arrivé en Somalie n’était pas crédible.

(DCT, pages 7 et 8)

[3]  Dans sa décision, la SPR a conclu relativement à plusieurs questions litigieuses que le demandeur n’avait pas été en mesure de prouver son identité au moyen d’une preuve convaincante. La SPR a tiré des conclusions conjecturales quant à l’invraisemblance sur chacune des questions litigieuses, notamment de la manière suivante :

[traduction]

[…] Le tribunal n’accepte pas qu’une personne qui, comme le demandeur d’asile, a passé 44 années de sa vie dans une région ne soit pas en mesure de fournir une estimation générale du nombre de personnes vivant dans cette région ni de la distance entre son village et d’autres grandes villes et frontières. Le tribunal tire une inférence défavorable quant à la crédibilité.

[…] Le tribunal n’accepte pas comme étant crédible le témoignage du demandeur d’asile selon lequel il a obtenu sa carte SIM sans présenter une carte nationale d’identité. De plus, le tribunal n’accepte pas que le demandeur d’asile ne sache pas si le gouvernement somalien délivre des documents d’identité, s’il a vécu dans ce pays pendant toute sa vie jusqu’en avril 2017. Le tribunal tire une inférence défavorable quant à la crédibilité.

(DCT, par. 17 et 28) [Non souligné dans l’original.]

[4]  En appel devant la SAR, le demandeur a fait valoir que la SPR a commis des erreurs en concluant que les éléments de preuve présentés par le demandeur sur son identité n’étaient pas crédibles, en évaluant le bien‑fondé de la demande d’asile après avoir conclu que les preuves présentées par le demandeur sur son identité n’étaient pas crédibles, et en rejetant le risque auquel le demandeur était exposé en raison d’Al Chabaab (DCT, page 65). Le demandeur propose aussi, dans les arguments présentés à la SAR, l’admission des trois documents suivants à titre de nouvelles preuves :

[traduction]

En l’espèce, l’appelant propose un affidavit souscrit par Abdullahi Mohamed Adam à titre de nouvelle preuve. Le témoin confirme l’identité personnelle, nationale et clanique de l’appelant et explique comment il le connaît. Le témoin vit à Edmonton, en Alberta, et il est allé à Toronto le 13 décembre 2017 pour rendre visite à son fils. Le 14 décembre 2017, il est allé à un restaurant somalien, Hamdi, pour dîner et il y a vu l’appelant. Le témoin est retourné à Edmonton le 31 décembre 2017. Il a produit son permis de conduire de l’Alberta et ses billets d’avion confirmant son voyage. Avant son audience, l’appelant a cherché le témoin à Toronto, en vain. Ainsi, l’affidavit n’était pas normalement accessible et devrait être admis à titre de nouvelle preuve.

L’appelant propose une lettre d’un bureau du gouvernement du district de Garbahaaray à titre de nouvelle preuve. Le gestionnaire du district confirme l’identité nationale et personnelle de l’appelant. Il confirme aussi que l’appelant était un berger qui vendait des animaux et qui a par la suite ouvert un magasin. Il confirme que l’appelant a été accusé par Al Chabaab d’être un espion à la solde du gouvernement et que ce groupe a tué son frère. L’appelant avait demandé cette lettre, mais n’avait pas été en mesure de l’obtenir avant son audience en raison de la lenteur du bureau du gouvernement à lui répondre, chose qui était hors du contrôle de l’appelant. Par conséquent, la lettre n’était pas normalement accessible avant l’audience et devrait être admise à titre de nouvelle preuve.

L’appelant propose une lettre d’un magasin de matériel électronique où il a acheté son téléphone cellulaire et sa carte SIM à titre de nouvelle preuve. La lettre confirme que les acheteurs de téléphone cellulaire, de carte SIM et de temps d’appel peuvent acheter ces produits sans avoir à présenter de documents d’identité. Le propriétaire du magasin a aussi joint des photos de l’extérieur et de l’intérieur de son magasin, lesquelles montrent une enseigne avec le nom du magasin. L’appelant ne pouvait pas prévoir que sa capacité d’acheter un téléphone cellulaire, sans présenter de carte d’identité, pourrait devenir une question litigieuse lors de son audience et entraîner une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Par conséquent, il ne pouvait pas demander cette lettre à l’avance. Il s’ensuit que la lettre et les photos devraient être admises à titre de nouvelles preuves, car elles n’étaient pas normalement accessibles avant l’audience.

(DCT, pages 66 et 67.) [Renvois dans le texte omis.] [Non souligné dans l’original.]

[5]  Dans sa décision, la SAR a jugé que la question déterminante était la crédibilité, et non l’identité, et ce, sans en expliquer la raison et malgré le fait que la SPR s’était concentrée sur l’identité. Comme le demandeur l’a fait valoir dans le cadre du contrôle judiciaire, la SAR a de manière inappropriée [traduction« changé les règles du jeu » de l’appel.

[6]  La SAR a modifié la question déterminante afin d’en faire une question de crédibilité, sans aviser le demandeur ni lui donner l’occasion de présenter des arguments de fond sur cette question. En fait, la SAR n’a pas donné au demandeur l’occasion de répondre, et ce, en violation de l’obligation d’équité qui lui était due.

[7]  De plus, la SAR a conclu que les nouveaux éléments de preuve dont elle disposait portaient sur l’identité et n’étaient pas liés à la question de la crédibilité. La SAR a donc conclu que les nouveaux éléments de preuve n’étaient ni pertinents ni admissibles.

[8]  Je conclus que la SAR n’a pas adéquatement examiné les arguments du demandeur, en particulier ses arguments portant sur les nouveaux éléments de preuve. Les nouveaux documents contenaient des éléments de preuve convaincants concernant les questions d’identité et de crédibilité. La lettre du bureau du gouvernement du district de Garbahaaray traitait du risque auquel le demandeur était exposé en raison d’Al Chabaab. La lettre du magasin de matériel électronique était une réponse directe à la conclusion conjecturale relative à l’invraisemblance que la SPR a tirée, selon laquelle le demandeur ne pouvait pas acheter de carte SIM sans présenter de document d’identité.

[9]  Pour les motifs susmentionnés, je juge que la SAR a tiré des conclusions susceptibles de contrôle qui rendent la décision déraisonnable.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-5563-18

LA COUR STATUE que la décision faisant l’objet du contrôle est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour qu’il rende une nouvelle décision.

Il n’y a pas de question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour d’octobre 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

dossier :

IMM-5563-18

 

INTITULÉ :

AHMED BARRE FARAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er octobre 2019

Jugement et motifS :

Le juge CAMPBELL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 10 octobre 2019

COMPARUTIONS :

Lina Anani

Pour le demandeur

Christopher Ezrin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lina Anani

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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