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Date : 20050317

Dossier : IMM-5962-04

Référence : 2005 CF 379

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

HOULEYMATOU SY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]         Mme Houleymatou Sy est une citoyenne du Mali qui est arrivée au Canada en 2000 afin d'y poursuivre des études. En 2002, elle a présenté une demande de protection dans laquelle elle a allégué qu'elle craignait dtre forcée dpouser un cousin plus âgé et d'avoir à subir une mutilation des organes génitaux (MGF) avant son mariage. Dans une décision datée du 9 juin 2004, un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (la Commission), a décidé qu'elle ntait ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]         La demanderesse soulève trois questions :

1.       En l'interrogeant de façon agressive et en l'interrompant, la Commission a-t-elle empêché la demanderesse de se faire entendre, contrevenant ainsi aux règles de l'équité procédurale?

2.       La Commission a-t-elle tiré sa conclusion sur le risque que la demanderesse doive se soumettre à une MGF sans tenir compte de la preuve documentaire?

3.       La Commission a-t-elle commis une erreur en n'appliquant pas les Directives no 4 de la CISR, Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe :Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3)de la Loi sur l'immigration, date d'entrée en vigueur : 13 novembre 1996 (les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe)?


ANALYSE

Question 1 :Manquement à l'équité procédurale

[3]         Au départ, la demanderesse a fait valoir que le comportement de la Commission était inacceptable au point de justifier une allégation de crainte raisonnable de partialité. Toutefois, une fois la transcription disponible, la demanderesse a admis que les actes de la Commission n'étaient pas suffisants pour justifier une telle conclusion. Elle continue néanmoins de prétendre que les interruptions faites par la Commission et sa pratique consistant à poser en premier les questions ont eu pour effet de la priver d'une audience équitable. En résumé, la demanderesse soutient ne pas avoir été entendue par la Commission.

[4]         Après avoir examiné la transcription, je suis convaincue qu'on n'a pas empêché la demanderesse de présenter sa preuve. La transcription ne confirme pas la prétention de la demanderesse, savoir qu'elle a été interrompue et qu'on l'a empêchée de fournir des détails supplémentaires. De plus, la demanderesse était représentée par avocat à l'audience. Après que la Commission eut interrogé la demanderesse, l'avocat de cette dernière a eu la possibilité de poser des questions et de présenter des observations finales (et il l'a fait). Même si la demanderesse a peut-être, après coup, pensé à d'autres choses qu'elle aurait pu dire ou à d'autres points qu'elle aurait pu soulever, je suis convaincue qu'elle a eu une possibilité raisonnable de présenter sa preuve. Il n'y a pas eu manquement à l'équité procédurale.


Question 2 : Non prise en considération de la preuve concernant la MGF

[5]         En ce qui concerne l'allégation de la demanderesse voulant qu'elle serait forcée de se soumettre à une MGF, la Commission a conclu qu'elle avait inventé cette allégation, affirmant ce qui suit :

La demandeure a écrit ce qui suit dans son FRP : [Traduction] « J'ai eu de la chance, parce que mon père était scolarisé. Il a fait ses études en France et, comme toute personne scolarisée, il ntait pas d'accord avec la coutume de faire exciser ses filles. Ma mère n'a pas parlé d'excision et n'a pas pris de dispositions afin que je sois excisée. » La preuve documentaire indique que, même si la mutilation génitale féminine est encore courante au Mali, elle se pratique en très bas âge. Ce document énonce en partie ce qui suit : [Traduction] « La mutilation génitale féminine se pratiquait en général entre 12 et 14 ans. Cependant, ces deux dernières années, les filles âgées entre 7 et 40 jours sont plus à risque. La raison qui sous-tend ce phénomène croissant est la suivante : à lge de 12 et 14 ans, les fillettes sont maintenant plus éduquées que par le passé et préfèrent quitter leur communauté pour échapper à ces pratiques. » La demandeure est âgée de 21 ans et est raisonnablement scolarisée. J'estime qu'elle n'est pas à risque dtre forcée de subir une mutilation génitale.

[6]         En d'autres mots, la Commission a conclu que la preuve documentaire indiquait clairement que les victimes de MGF étaient très jeunes et provenaient d'un milieu pauvre, et que la demanderesse ne correspondait pas à ce profil.

[7]         La demanderesse soutient que la conclusion tirée par la Commission à partir de la preuve documentaire ne cadre pas avec son contenu, c'est-à -dire que ce n'est pas parce que la MGF est souvent faite sur des filles plus jeunes que cela signifie que des femmes plus âgées n'en sont pas victimes; le fait que ce sont habituellement des femmes non instruites qui la subissent ne signifie pas non plus que des femmes instruites n'en sont pas victimes.


[8]         Les conclusions de la Commission tirées à partir de la preuve documentaire sont des conclusions de fait qui relèvent de sa compétence et qui ne sont susceptibles de contrôle que suivant la norme de la décision manifestement déraisonnable (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2002 CFPI 1272 (C.F. 1re inst.);Singh c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) (1999), 173 FTR 280 (C.F. 1re inst.);Horvath c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2001 CFPI 583 (C.F. 1re inst.);Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 NR 315 (C.A.F.);Kanakulya c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2002 CFPI 1063 (C.F. 1re inst.);Muhammed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 67 FTR 152 (C.F. 1re inst.);Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3). Je ne peux qu'infirmer la décision si elle n'est nullement appuyée par la preuve ou si elle a étérendue sans que la preuve soit prise en considération.


[9]         Il ne fait aucun doute que la MGF est une pratique répandue au Mali. Suivant la preuve documentaire, entre 80 et 90 % de toutes les femmes de ce pays seraient touchées. Néanmoins, la preuve documentaire, qui a étécolligée à partir de diverses sources, n'est pas uniforme en ce qui a trait au fait que la MGF est effectuée en bas âge. Bien qu'elle n'indique pas expressément que la MGF n'est jamais pratiquée sur des femmes plus âgées, elle n'indique pas non plus le contraire. En réponse à une question directe de la Commission quant à savoir si elle est faite sur des femmes plus âgées, la Direction des recherches de la Commission a résumé la preuve documentaire qui indique que ce sont des jeunes femmes qui sont touchées. Il ntait pas déraisonnable pour la Commission de conclure à partir de la majorité des éléments de preuve documentaire que cette pratique cible les jeunes filles et non les femmes plus âgées.

[10]       La Commission ne s'est toutefois pas appuyée uniquement sur la preuve documentaire relative à lge. Elle a également examiné les caractéristiques personnelles de la demanderesse, soulignant expressément qu'elle était instruite et que son père et sa mère ne l'avaient pas contrainte à se soumettre à cette procédure. Bien que son père soit décédé en 1995, son oncle devenant alors le chef de la famille, la demanderesse a vécu pendant cinq autres années au Mali sans incident. La preuve documentaire faisait état d'exceptions à cette pratique dans le cas des femmes instruites et des familles qui ne sont pas d'accord avec celle-ci.

[11]       En résumé sur cette question, la conclusion de la Commission n'est pas manifestement déraisonnable compte tenu de la preuve documentaire et de la situation de la demanderesse.

Question 3 : Omission de tenir compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe

[12]       La Commission a également jugé qu'elle ne pouvait pas donner foi aux déclarations de la demanderesse en ce qui concerne le mariage forcé. L'un des motifs pour lesquels elle a rejeté le témoignage de la demanderesse était l'imprécision de ses déclarations au sujet de son futur mari.

Lorsqu'on a demandé à la demandeure dlaborer sur ce mariage, son témoignage a été vague relativement à un certain nombre de questions. Elle ne savait pas si les deux femmes d'Ibrahim Ba vivaient au Mali ou en France, où cet homme demereurait.


[13]       En l'espèce, la Commission n'a fourni aucun motif pour expliquer pourquoi elle n'a pas appliqué les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Au contraire, elle n'a pas appliqué les directives car elle a dit « j'estime que la demandeure n'est pas crédible en ce qui a trait aux principales questions de sa demande d'asile » .

[14]       Bien qu'elle ne soit pas liée par les Directives concernant la persécution fondée le sexe, la Commission doit les examiner dans les cas appropriés (Fouchong c. Canada (Secrétaire dtat) (1994), 88 F.T.R. 37, par. 10-11 (C.F. 1re inst.); Khon c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) 2004 CF 143, par. 18 (C.F.)). Les Directives énoncent certains principes directeurs quant à la manière dont il faut évaluer la crédibilité dans certains cas et donnent des exemples des questions que le tribunal peut être appelé à examiner en matière de crédibilité. Aux fins de la présente demande, les principes les plus pertinents tirés des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe se trouvent à la rubrique « D. Problèmes spéciaux lors des audiences relatives à la détermination du statut de réfugié » :

Les femmes qui revendiquent le statut de réfugié font face à des problèmes particuliers lorsque vient le moment de démontrer que leur revendication est crédible et digne de foi. Certaines difficultés peuvent survenir à cause des différences culturelles. Ainsi,

. . .

2. Les femmes provenant de certaines cultures où les hommes ne parlent pas de leurs activités politiques, militaires ou même sociales à leurs épouses, filles ou mères peuvent se trouver dans une situation difficile lorsqu'elles sont interrogées au sujet des expériences de leurs parents de sexe masculin.


[15]       En l'espèce, il semble que le paragraphe 2 s'applique directement au fait que la demanderesse ne savait rien au sujet de son futur mari. Les deux parties se sont reportées à la décision de la juge MacTavish dans Diallo c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) 2004 CF 1450 (C.F.). Les faits en cause dans cette affaire ressemblaient beaucoup à ceux dont il est question en l'espèce - une jeune femme originaire du Mali qui est arrivée au Canada pour y poursuivre des études au même collège et qui a invoqué la crainte dtre forcée à se marier. En ce qui concerne l'application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, la juge MacTavish a dit aux paragraphes 32 et 33 :

Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe établies par le président de la Commission reconnaissent que les incompréhensions interculturelles peuvent jouer un rôle lorsque les revendications fondées sur des motifs liés au sexe sont évaluées par la Commission. Afin de minimiser le risque que cela se produise, les commissaires sont sensibilisés à l'effet que peuvent avoir les normes sociales, culturelles, traditionnelles et religieuses sur le témoignage de ceux qui prétendent craindre d'être persécutés du fait de leur sexe.

Dans la présente affaire, le raisonnement de la Commission quant à la nécessité de prendre en compte les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe est quelque peu circulaire. La Commission a déclaré qu'elle n'avait pas à prendre en compte l'applicabilité des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe parce que Mme Diallo n'était pas digne de foi. Cependant, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe existent, en partie, pour s'assurer que les normes sociales, culturelles, traditionnelles et religieuses ne contrecarrent pas l'évaluation appropriée de la crédibilité d'un demandeur.

[16]       Par conséquent, je conclus que la présente affaire fait partie des cas où la Commission est tenue d'examiner les Directives. La Commission a commis une erreur en ne les examinant pas lorsqu'elle a conclu que la demanderesse ntait pas digne de foi parce qu'elle ne savait rien au sujet de son futur mari. Lors de la plaidoirie, l'intimé a admis qu'il s'agissait d'une erreur.


[17]       Néanmoins, une demande de contrôle judiciaire ne sera pas nécessairement accueillie parce que la Commission a omis d'examiner les Directives dans un cas approprié.

[18]       Dans la décision Diallo, la juge MacTavish a poursuivi son analyse au paragraphe 36 :

Bien que je sois convaincue que la Commission a commis une erreur à cet égard, le fait demeure que la Commission avait de nombreuses raisons de conclure que Mme Diallo n'était pas digne de foi. Je ne suis pas convaincue que cette erreur, par elle-même, soit suffisante pour annuler la décision de la Commission.

[19]       La situation est comparable en l'espèce. La Commission n'en est pas arrivée à la conclusion que les déclarations de la demanderesse au sujet d'un mariage forcé ntaient pas dignes de foi en s'appuyant uniquement sur le fait qu'elle était incapable de fournir des détails au sujet de son futur mari. Elle s'est également appuyée sur la preuve documentaire qui indiquait que le consentement de la demanderesse serait requis pour qu'il y ait mariage en bonne et due forme, que la plupart des mariages forcés ont lieu lorsque les femmes sont plus jeunes et que les mariages forcés ne sont pas communs dans les familles instruites. La Commission a également souligné qu'entre 1995 et 2000, la demanderesse n'a eu aucun problème avec son oncle qui a pris en charge la gestion des affaires de la famille après le décès du père. Par conséquent, bien que la Commission ait commis une erreur en ne tenant pas compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, la preuve était suffisante pour lui permettre de conclure comme elle l'a fait et l'erreur n'est pas suffisante pour annuler sa décision.


CONCLUSION

[20]       En conclusion, je ne suis pas convaincue que la décision devrait être infirmée. La demande sera rejetée. Aucune des parties n'a proposé de question en vue de sa certification; aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

La Cour ordonne :

1.       La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.       Aucune question d'importance générale n'est certifiée.

     « Judith A. Snider »     

Juge                           

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                                                       

COUR FÉDÉRALE

                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-5962-04

INTITULÉ :                                                                       HOULEYMATOU SY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                               Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                                             Le 9 mars 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                     MADAME LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                                    Le 17 mars 2005

COMPARUTIONS :

David Matas                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Sharlene Telles-Langdon                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

John H. Sims, c.r.                                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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