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Date : 20191008


Dossier : T‑745‑19

Référence : 2019 CF 1268

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 8 octobre 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

NITAI CHAND GOSWAMI

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA COLOMBIE‑BRITANNIQUE

LA VILLE DE GREENWOOD

HERITAGE CREDIT UNION

LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA (DÉTACHEMENT DE MIDWAY, C.‑B.)

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une requête écrite présentée conformément au paragraphe 369(1) des Règles des Cours fédérales [les Règles] par le demandeur, Nitai Chand Goswami, qui agit pour son propre compte. Dans sa requête fondée sur le paragraphe 51(1), le demandeur porte en appel l’ordonnance du 23 juillet 2019 par laquelle le protonotaire Aalto a radié la déclaration du demandeur déposée contre tous les défendeurs, sans autorisation de la modifier. En outre, le demandeur s’est vu enjoindre de payer les dépens.

[2]  Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté. Le protonotaire n’a pas commis d’erreur dans l’application des règles de droit à son examen de la déclaration. Eu égard à la norme de contrôle énoncée dans la décision Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira], il est évident que rien ne justifie l’intervention de la Cour.

A.  Faits pertinents

[3]  Le 3 mai 2019, le demandeur a déposé une déclaration contre les défendeurs suivants : [traduction] « Sa Majesté la Reine, le procureur général du Canada, le procureur général de la Colombie‑Britannique, la Ville de Greenwood, Heritage Credit Union, la Gendarmerie royale du Canada (détachement de Midway, en Colombie‑Britannique) ».

[4]  Au paragraphe 2 de la déclaration, le demandeur décrit sa réclamation comme suit : [traduction] « l’indemnisation des pertes financières subies en raison du défaut de fournir au demandeur un endroit sûr pour vivre et exploiter son entreprise dans la ville de Greenwood (Colombie‑Britannique) et dans la province de la Colombie‑Britannique ».

[5]  Dans sa déclaration, le demandeur formule des allégations générales et variées, notamment des plaintes concernant la corruption, l’abus de pouvoir, le manque d’indépendance et le mauvais fonctionnement du système judiciaire de la Colombie‑Britannique, le défaut de protéger des droits non précisés garantis par la Charte, la victimisation et le harcèlement, le défaut de fournir des médias équitables, la conduite malveillante des représentants du gouvernement provincial, des actes illégaux de la part de la GRC, des atteintes à la vie privée, la promotion de fausses demandes d’asile et le défaut de donner suite à des plaintes contre des institutions financières.

[6]  En juin 2019, avant le dépôt de leurs défenses, la Ville de Greenwood, le procureur général du Canada et le procureur général de la Colombie‑Britannique ont déposé des requêtes en radiation de la déclaration au titre de l’article 221 des Règles.

[7]  Le demandeur n’a pas déposé de documents en réponse à la requête conformément aux Règles.

II.  Ordonnance du protonotaire

[8]  Après avoir examiné les documents relatifs à la requête déposés par les défendeurs et noté que le demandeur n’avait déposé aucune observation en réponse malgré la signification des dossiers de requête, le protonotaire a déclaré ce qui suit :

[traduction]

La déclaration, même si elle est interprétée de façon large et libérale, ne révèle aucune cause d’action. Essentiellement, le demandeur sollicite une réparation que ni la Cour ni aucun autre tribunal ne pourrait accorder.

[…]

Le reste de la déclaration contient d’autres allégations vagues et non étayées d’actes répréhensibles et d’omissions de la part du gouvernement et des organismes.

[…]

Aucun de ces éléments ne peut servir de fondement à une demande justiciable ou à une cause d’action valable contre l’un ou l’autre des défendeurs. Il n’y a aucun fait substantiel, si ce n’est des généralités. La déclaration est frivole et vexatoire et constitue un abus de procédure. Les parties ont cité une abondante jurisprudence dans leurs observations écrites respectives à l’appui de la radiation de la déclaration pour tous ces motifs, dont Merchant Law Group c Canada Agence du revenu, 2010 CAF 184; Sivak c R., 2012 CF 272, et les décisions qui y sont citées. Il ressort également des dossiers de requête déposés par les parties en vue de faire radier la déclaration que le demandeur a intenté devant d’autres tribunaux d’autres actions fondées sur des allégations semblables et tout aussi aberrantes.

[9]  Par ordonnance datée du 23 juillet 2019, le protonotaire Aalto a radié la déclaration dans son intégralité et sans autorisation de la modifier.

III.  Requête en appel

[10]  Dans son avis de requête, le demandeur énonce 17 motifs d’appel de l’ordonnance du protonotaire, qui sont examinés ci‑après.

[11]  Aux paragraphes 1 2, et 3 de l’avis de requête, le demandeur sollicite ce qui suit :

[traduction]

1. Autoriser l’appel de l’ordonnance du 23 juillet 2019, par laquelle le protonotaire Kevin R Aalto a radié l’action du demandeur pour des motifs erronés.

2. Annuler dans son intégralité l’ordonnance prononcée par le protonotaire Kevin R. Aalto le 23 juillet 2019 annulant l’action du demandeur pour des motifs erronés et enjoignant à celui-ci de payer les dépens.

3. Ajouter le dossier de requête de 1 596 pages, y compris tous les documents produits en preuve par le demandeur en réponse à la requête du procureur général du Canada déposée le 10 juin 2019, dossier qui a été retiré par le personnel du greffe de la Cour fédérale, et ce, à l’encontre des règles de cette même cour; verser de nouveau ces documents au dossier de la Cour fédérale, les examiner et les signifier aux défendeurs de la même manière que ces documents ont été signifiés le 10 juin 2019, tel qu’il est précisé dans l’affidavit de Nitai Chand Goswami souscrit et déposé le 12 juin 2019.

[12]  Aux paragraphes 4, 5, 6, 8, 9, 10 et 11 de l’avis de requête, le demandeur demande que les six défendeurs désignés fassent l’objet d’une constatation de défaut fondée sur l’omission de déposer une défense dans le délai prescrit et que les défendeurs ne soient pas autorisés à déposer d’autres documents.

[13]  Aux paragraphes 7, 12, 13 et 14 de l’avis de requête, le demandeur s’oppose aux requêtes déposées par les défendeurs en juin 2019, qui ont donné lieu à l’ordonnance qu’il porte maintenant en appel.

[14]  Au paragraphe 15 de l’avis de requête, le demandeur demande que la Cour ordonne aux défendeurs de fournir des copies de tous les documents qui ont été déposés ainsi que des procès‑verbaux de signification.

[15]  Aux paragraphes 16 et 17 de l’avis de requête, le demandeur sollicite [traduction] une « enquête judiciaire » ainsi que des [traduction] « mesures disciplinaires contre les membres du personnel » du greffe de la Cour fédérale relativement à la question soulevée par le demandeur au paragraphe 3 de l’avis de requête.

[16]  À l’appui de la requête, le demandeur a déposé un dossier de 990 pages qui contient quatre affidavits tous souscrits par Nitai Chand Goswami le 2 août 2019.

[17]  La présente requête est contestée par les défendeurs, qui ont déposé les documents suivants en réponse :

[TRADUCTION]

  1. Le dossier de requête déposé au nom du défendeur le procureur général du Canada, le 19 août 2019;

  2. Le dossier de requête déposé au nom de la défenderesse la Ville de Greenwood, le 22 août 2019;

  3. Le dossier de requête déposé au nom du défendeur le procureur général de la Colombie‑Britannique, le 26 août 2019.

IV.  Analyse

Norme de contrôle

[18]  La décision du protonotaire de radier la déclaration relevait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 221(1) des Règles.

[19]  Selon la norme de contrôle applicable, « les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne devraient être infirmées que lorsqu’elles sont erronées en droit ou fondées sur une erreur manifeste et dominante quant aux faits » (Hospira, au par. 64).

[20]  Une erreur manifeste et dominante est une erreur qui est à la fois évidente et apparente, « dont l’effet est de vicier l’intégrité des motifs » (Maximova c Canada (Procureur général), 2017 CAF 230, au par. 5).

Le demandeur a-t-il établi l’existence d’une erreur dans l’ordonnance?

[21]  Dans l’arrêt Mancuso c Canada (Santé nationale et Bien‑être social), 2015 CAF 227, [Mancuso], la Cour d’appel fédérale a statué au par. 16 que « [l]’instruction d’un procès requiert du demandeur qu’il allègue des faits matériels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée. » Même si un acte de procédure doit faire l’objet d’une interprétation juste et généreuse, une simple liste de conclusions dans un acte de procédure n’est pas appropriée et ne constitue pas un fait matériel (Mancuso, aux par. 17‑18).

[22]  Le protonotaire a correctement examiné et appliqué la jurisprudence pertinente. Il a cité la décision Sivak c Canada, 2012 CF 272, où le juge Russell a énoncé le critère applicable comme suit :

[15] Le critère au Canada pour faire une requête en radiation d’un acte de procédure en vertu de l’article 221 des Règles est de montrer qu’il est évident et manifeste que, selon les faits plaidés, l’acte de procédure est voué à l’échec. La Cour suprême du Canada a précisé à cet égard que le pouvoir de radiation d’une déclaration est « une mesure valable d’entretien essentielle à des actes de procédures efficaces et justes. » [V]oir Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959 et R. c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, aux paragraphes 17 et 19.

[16] Lorsqu’il s’agit de décider si une cause raisonnable d’action se révèle, il faut tenir compte des principes suivants :

a.  Les faits d’une déclaration doivent être considérés comme prouvés, à moins que les allégations soient fondées sur des suppositions et des conjectures dont la véracité ne peut être démontrée par la présentation de preuves;

b. S’ils révèlent une cause raisonnable d’action, c.‑à‑d. une cause d’action qui a quelques chances de succès, alors l’action peut procéder;

c.  Nous avons l’obligation d’interpréter la déclaration de manière aussi libérale que possible et de remédier à tout vice de forme, imputable à une carence rédactionnelle, qui aurait pu se glisser dans les allégations.

Voir Operation Dismantle Inc. c La Reine, [1985] 1 RCS 441.

[23]  Dans son ordonnance, le protonotaire fait remarquer, au sujet de la déclaration du demandeur, que [traduction] « même si elle est interprétée de façon large et libérale, [la déclaration] ne révèle aucune cause d’action. Essentiellement, le demandeur sollicite une réparation que ni la Cour ni aucun autre tribunal ne pourrait accorder ».

[24]  En outre, le protonotaire estime que la déclaration [traduction] « contient d’autres allégations vagues et non étayées d’actes répréhensibles et d’omissions de la part du gouvernement et des organismes ».

[25]  Après avoir examiné les diverses allégations formulées dans la déclaration, le protonotaire conclut comme suit :

[traduction]

Aucun de ces éléments ne peut servir de fondement raisonnable à une demande justiciable ou à une cause d’action valable contre l’un ou l’autre des défendeurs. Il n’y a aucun fait substantiel, si ce n’est des généralités. La déclaration est frivole et vexatoire et constitue un abus de procédure.

[26]  Le protonotaire a appliqué le bon critère à l’examen de la déclaration.

[27]  Le dossier d’appel et les observations du demandeur ne contiennent aucun argument de fond sur la façon dont le protonotaire a commis une erreur. Le demandeur affirme simplement à maintes reprises que le protonotaire a commis une erreur. Aucun fait n’est fourni à l’appui de cette affirmation. Tout comme de simples affirmations ne peuvent constituer le fondement d’une déclaration, elles ne peuvent pas non plus constituer les motifs à l’appui d’un appel.

[28]  Le demandeur n’a pas démontré que l’ordonnance du protonotaire était entachée d’erreur.

Autre redressement recherché par le demandeur

[29]  Dans son appel, le demandeur soutient que les défendeurs étaient tenus de déposer des défenses avant de déposer leurs requêtes en radiation. Il ne s’agit pas d’un énoncé exact du droit (voir Kornblum c Canada (Ressources humaines et Développement social Canada), 2010 CF 656, au paragraphe 30). Ce motif est sans fondement.

[30]  Le demandeur soutient également, à titre de motif d’appel distinct, que le protonotaire a commis une erreur en omettant d’examiner sa plainte selon laquelle le greffe de la Cour fédérale l’avait empêché de déposer son dossier de requête de 1 596 pages en réponse aux requêtes en radiation. Il ressort du dossier que le dépôt du dossier de requête du demandeur n’a pas été accepté en juillet 2019 parce qu’il n’a pas été déposé conformément aux Règles.

[31]  Le demandeur, qui a choisi d’agir pour son propre compte, est tenu, comme toutes les parties, de se conformer aux Règles de la Cour et de déposer des documents conformément à ces mêmes Règles. Son défaut de suivre les Règles est la seule raison pour laquelle le greffe de la Cour fédérale a refusé d’accepter le dépôt de son dossier de requête. Le greffe de la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en insistant pour que le demandeur dépose des documents conformément aux Règles des Cours fédérales. De même, le protonotaire n’a commis aucune erreur en examinant la requête sans le dossier de requête du demandeur. Ce motif d’appel est sans fondement.

[32]  Quoi qu’il en soit, dans le cadre d’une requête en radiation d’une déclaration, le principal document à examiner et à analyser est la déclaration. Par conséquent, le fait que le protonotaire ne disposait pas du dossier de réponse du demandeur n’a aucune incidence sur son examen du contenu de la déclaration elle‑même.

[33]  Le dossier d’appel déposé par le demandeur en l’espèce est en grande partie constitué de documents se rapportant à des saisies immobilières, à des procédures devant la Cour suprême et la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique et à des procédures en matière d’immigration. Le dossier de requête (comme la déclaration) contient une longue liste d’accusations d’actes répréhensibles de la part de divers organismes et gouvernements, mais n’énonce aucun fondement factuel à l’appui. Il est complètement dépourvu de contenu substantiel. Dans la mesure où une grande partie de ces renseignements ne se rapportent pas à l’ordonnance du protonotaire visé par l’appel, ils n’ont pas été pris en considération.

[34]  Dans l’ensemble, le protonotaire a cerné et retenu les règles de droit applicables, et aucune erreur n’a été établie à cet égard. La requête du demandeur est rejetée avec dépens.


ORDONNANCE dans le dossier T‑745‑19

LA COUR ORDONNE que l’appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance du protonotaire soit rejeté avec dépens en faveur des défendeurs.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour d’octobre 2019

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑745‑19

INTITULÉ :

NITAI CHAND GOSWAMI c SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

LE 8 OCTOBRE 2019

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Nitai Chand Goswami

LE DEMANDEUR POUR SON PROPRE COMPTE

Julio Paoletti

POUR LES DÉFENDEURS

SA MAJESTÉ LA REINE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Cobi Dayan

POUR LE DÉFENDEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA COLOMBIE‑BRITANNIQUE

Tyson McNeil‑Hay

POUR LA DÉFENDERESSE LA VILLE DE Greenwood

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS SA MAJESTÉ LA REINE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Miller Thomson, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA cOLOMBIE‑bRITANNIQUE

Fulton & Company LLP

Kamloops (Colombie‑Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE LA VILLE DE Greenwood

 

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