Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20191008

Dossier : IMM‑4834‑18

Référence : 2019 CF 1269

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

MARIA DEL CARMEN AGUIRRE PEREZ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR ») en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision (la « décision ») rendue par la Section de la protection des réfugiés (la « SPR »). Le 5 septembre 2018, la SPR a statué que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[2]  La demanderesse, âgée de 58 ans, vient du Mexique. Pendant qu’elle habitait au Mexique, elle a subi, de façon répétée, de la violence sexuelle, physique et psychologique de la part de son frère aîné. La SPR n’a pas appliqué la présomption de véracité et elle n’a pas évalué correctement la crédibilité de la demanderesse en tenant compte des Directives numéro 4 du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les « Directives concernant la persécution fondée sur le sexe »). Enfin, la SPR a tiré des conclusions quant à la crédibilité qui étaient illogiques et manquaient de transparence. Pour les motifs qui suivent, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  Faits

[3]  Maria Del Carmen Aguirre Perez (la « demanderesse »), âgée de 58 ans, est une citoyenne du Mexique. Elle a trois frères et trois sœurs. Un de ses frères aînés a commencé à l’agresser sexuellement lorsqu’elle était âgée de cinq ans. La demanderesse a été forcée de fuir le domicile familial avec ses deux sœurs cadettes, en 1989, lorsque la violence sexuelle a commencé à s’aggraver. Par la suite, le frère aîné a continué à maltraiter physiquement les membres de sa famille. Il a notamment agressé la demanderesse avec une hache après qu’elle eut refusé de lui remettre des documents appartenant à leur grand‑père. Après cette agression, le frère aîné de la demanderesse a été détenu durant une journée et, une fois libéré, il a menacé de la tuer.

[4]  Parce qu’elle craignait son frère aîné, la demanderesse a fui le Mexique et est arrivée au Canada en 1998. Elle n’a pas présenté de demande d’asile parce qu’elle ne savait pas que la violence infligée par son frère aîné pouvait la rendre admissible à une protection internationale. La demanderesse est retournée au Mexique brièvement en 2002 pour assister aux funérailles de son père, mais elle s’est de nouveau enfuie après avoir reçu une menace de mort de la part de son frère aîné. Elle est arrivée au Canada pour la deuxième fois le 24 juin 2002, mais elle n’a présenté une demande d’asile qu’en 2012. Avant ce moment, elle ne savait rien du processus de demande d’asile et elle n’avait personne pour l’aider.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[5]  La SPR a déclaré qu’au moment d’évaluer la crédibilité de la demanderesse, elle avait tenu compte de la nature stressante du processus d’audience ainsi que des facteurs culturels. La SPR a souligné que la demanderesse se trouve au Canada depuis plus de 19 ans et qu’elle peut compter sur le soutien des membres de sa famille. En outre, la SPR a mentionné qu’elle avait tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe au moment d’évaluer la crédibilité de la demanderesse. Enfin, la SPR a fait observer que [traduction] « le problème de la violence conjugale ou familiale est endémique au Mexique ».

[6]  La SPR a commencé son évaluation de la crédibilité en déclarant que revenait à la demanderesse [traduction] « le fardeau d’établir sa crédibilité ». La SPR a jugé que la demanderesse n’avait pas su expliquer de façon valable pourquoi ses parents ne s’étaient pas rendu compte de la violence physique et sexuelle infligée par son frère et pourquoi ils n’étaient pas intervenus. Pour appuyer cette conclusion, la SPR a souligné que les mauvais traitements avaient duré pendant sept ans et elle a ajouté que les parents de la demanderesse étaient instruits. De plus, la SPR a soutenu que la mère de la demanderesse n’aurait pas manqué de remarquer que sa fille était en détresse, qu’elle avait des ecchymoses et qu’elle verrouillait la porte de la salle de bain.

[7]  Lorsque la SPR lui a exposé ses préoccupations, la demanderesse a expliqué que sa mère était déchirée en raison de son amour pour son fils, et que son père était impuissant face à la situation. La SPR a fait remarquer que cette explication était [traduction] « trop cérébrale pour être vraie ». La SPR a interrogé la demanderesse sur la raison pour laquelle ses parents n’avaient pas cherché à obtenir une aide psychologique pour leur fils. À cela, la demanderesse a répondu que sa mère et son père étaient trop indulgents et qu’ils étaient impuissants. Relativement à cette question, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas établi de façon crédible le bien‑fondé de ses allégations de violence sexuelle.

[8]  La SPR a ensuite examiné la décision de la demanderesse d’emmener ses sœurs à Guadalajara. La SPR a souligné que la demanderesse voulait protéger ses sœurs, mais que celles‑ci n’avaient fait mention d’aucun problème avec leur frère aîné. La SPR a mentionné qu’il serait anormal pour des sœurs de ne pas discuter entre elles de sévices physiques subis. En outre, la SPR a souligné que la demanderesse avait été séparée de ses sœurs pendant ses études à Guadalajara, de 1981 à 1985, une période où ses sœurs auraient probablement eu le plus besoin d’elle étant donné leur jeune âge.

[9]  La SPR a interrogé la demanderesse sur la raison pour laquelle son frère ne l’avait jamais poursuivie jusqu’à Guadalajara. La SPR a contesté son explication selon laquelle sa mère avait empêché son frère de lui rendre visite en refusant de lui donner les clés de la maison à Guadalajara. Plus précisément, la SPR a trouvé incohérent le fait que le frère de la demanderesse ait pu manipuler leur mère pour obtenir de l’argent, mais qu’il n’ait pas fait pression sur elle pour obtenir les clés de la maison à Guadalajara. La SPR a estimé que ce changement marqué dans le comportement du frère de la demanderesse était incohérent.

[10]  La SPR a souligné que la demanderesse avait passé trois mois aux États‑Unis en 1994, mais qu’elle était ensuite retournée au Mexique sans présenter de demande d’asile aux États‑Unis.

[11]  La SPR a contesté la déclaration de la demanderesse selon laquelle sa mère lui avait demandé de remplacer son frère au sein de la pharmacie familiale. La SPR a estimé qu’il n’était pas raisonnable ni réaliste de penser que la mère de la demanderesse ait pu lui demander de remplacer son frère alors qu’elle savait qu’il avait abusé d’elle.

[12]  La SPR a fait remarquer que la demanderesse avait d’abord affirmé que le 70e anniversaire de la pharmacie familiale avait eu lieu en 2000. Cependant, selon les affidavits souscrits par ses frères et sœurs, cet anniversaire aurait plutôt eu lieu en 1997. La demanderesse a corrigé cette erreur au début de l’audience. La SPR a jugé qu’il ne s’agissait pas d’une erreur de bonne foi et que la demanderesse avait apporté la correction pour appuyer sa déclaration. La SPR a fait valoir que le niveau de scolarité de la demanderesse et l’importance de la date ne permettaient pas de conclure qu’elle avait fait une erreur de bonne foi.

[13]  Par la suite, la SPR s’est penchée sur le délai de treize ans qui s’est écoulé avant que la demanderesse présente une demande d’asile. La SPR a souligné que la demanderesse n’avait pas présenté de demande d’asile lors de son premier séjour de trois années et demie au Canada, séjour durant lequel elle a travaillé. En juin 2002, la demanderesse est retournée au Mexique pour assister aux funérailles de son père. Elle est vite revenue au Canada après avoir reçu une menace de mort de la part de son frère. Ce n’est qu’après dix ans environ qu’elle a finalement présenté une demande d’asile. La SPR a jugé que ce retard ne correspondait pas à ce qu’aurait fait une personne raisonnable craignant d’être persécutée au Mexique.

[14]  La SPR a conclu que la demanderesse avait fabriqué son histoire de toutes pièces afin de pouvoir rester au Canada. Elle a donc rejeté la demande d’asile de la demanderesse.

IV.  Question en litige et norme de contrôle applicable

[15]  En l’espèce, la seule question à trancher est de savoir si la décision de la SPR est raisonnable. La norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions de la SPR en matière de crédibilité (Kulasingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 543, au paragraphe 22).

V.  Analyse

A.  Appréciation de la crédibilité

[16]  La demanderesse conteste les conclusions de la SPR en matière de crédibilité. Selon elle, la SPR a négligé d’appliquer la présomption voulant qu’un demandeur dise la vérité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 CF 302, [1979] ACF no 248 (CA), au paragraphe 5). Cette présomption peut être réfutée par des contradictions ou des incohérences, mais en l’espèce, la SPR a renversé la présomption et a imposé à la demanderesse le fardeau de prouver sa crédibilité, et ce, sans expliquer pourquoi. La SPR a déclaré sans équivoque que la demanderesse [traduction] « [devait] s’acquitter du fardeau d’établir sa crédibilité ». La crédibilité de la demanderesse a fait l’objet d’une analyse microscopique, dans le cadre de laquelle de nombreux commentaires illogiques et inintelligibles ont été formulés.

[17]  En outre, l’évaluation faite par la SPR de l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait été régulièrement victime de violence sexuelle depuis son jeune âge était inacceptable. L’analyse de la SPR s’écartait considérablement de ce qu’exigent les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. La SPR ne pouvait pas se contenter de déclarer qu’elle avait tenu compte des Directives. Comme l’a déclaré le juge Campbell dans la décision Talo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 478, au paragraphe 5 : « En droit, il ne suffit pas de faire une simple mention de ces Directives sans en démontrer l’application […]. »

[18]  La SPR a commencé son analyse de la crédibilité de la demanderesse en formulant une opinion sur ce qui constituerait une réaction parentale raisonnable devant un cas de violence sexuelle entre frère et sœur. Plus précisément, la SPR a déclaré qu’il était [traduction] « peu probable qu’un tel comportement puisse persister durant sept ans sans intervention ni interdiction des parents ». La SPR n’a pas dûment tenu compte des autres explications possibles quant au fait que les parents ne soient pas intervenus, à savoir que la demanderesse a tenu secrète la violence sexuelle dont elle était victime jusqu’à ce qu’elle finisse par tout avouer à sa mère à l’âge de douze ans. La juge Gleason a expliqué ce qui suit dans la décision Mabuya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 372, au paragraphe 5 :

Nombreuses sont les causes où la Cour a annulé une décision de la SPR qui ne montrait pas de réceptivité suffisante aux principes consacrés dans les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Souvent, ces causes reposent sur une conclusion où la détermination de la crédibilité du demandeur par la Commission ne tient pas compte des réalités auxquelles est confrontée une femme qui demande asile, par exemple la force des tabous culturels entourant la violence sexuelle. Conséquence de ces tabous, il arrive qu’une personne qui échappe à la violence sexuelle s’abstienne de signaler les agressions ou même d’en parler après coup. Or, ces comportements ne sont pas nécessairement indicatifs d’un manque de crédibilité.

[19]  Plutôt que d’examiner les allégations de la demanderesse, la SPR s’est fondée sur sa propre idée préconçue de ce que vit une victime de violence sexuelle. Ce faisant, elle a négligé de prendre en considération la réalité de la demanderesse, omettant ainsi de faire preuve d’une sensibilité suffisante à l’égard de celle‑ci et, plus important encore, interprétant mal son propre rôle.

[20]  La SPR a tiré une série de conclusions incompréhensibles en s’appuyant sur le témoignage de la demanderesse concernant ses sœurs. Dans sa décision, la SPR a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Lorsqu’elle s’est vu demander si ses sœurs avaient subi le même traitement, [la demanderesse] a répondu que ses sœurs ne lui avaient rien dit. Le tribunal remarque que la demandeure d’asile donne une réponse qui attire l’attention sur elle‑même et qui sonne complètement faux. Il n’est pas normal pour des sœurs de ne pas parler entre elles des difficultés qu’elles vivent, surtout si l’intégrité physique et psychologique de l’une d’elles est en cause, à moins, évidemment, qu’il n’y ait rien à dire.

[21]  La SPR a déclaré que les sœurs de la demanderesse n’avaient pas dit à celle‑ci qu’elles avaient été victimes de violence sexuelle de la part de leur frère, mais elle est parvenue à l’étrange conclusion que la véracité des déclarations de la demanderesse était entachée par le fait que celle‑ci avait fourni une réponse qui attirait [traduction] « l’attention sur elle‑même ». Si les sœurs de la demanderesse ne lui avaient rien dit concernant la violence sexuelle infligée par leur frère aîné, nous nous demandons quelle explication plus convenable que [traduction] « je ne suis pas certaine puisque mes sœurs ne m’avaient rien dit », par exemple, la demanderesse aurait pu fournir. Il est difficile de comprendre pourquoi la déclaration a été interprétée comme si la demanderesse mettait l’accent sur elle‑même, pourquoi le fait de mettre l’accent sur elle‑même pourrait être perçu de façon négative dans le cadre d’une audience concernant sa propre demande d’asile et, en dernier lieu, pourquoi cette déclaration pourrait entacher sa crédibilité. Cette analyse dénote un manque de motifs intelligibles.

[22]  En outre, la SPR a déclaré qu’il [traduction] « n’est pas normal pour des sœurs de ne pas parler entre elles des difficultés qu’elles vivent, surtout si l’intégrité physique et psychologique de l’une d’elles est en cause ». La SPR s’est complètement fourvoyée en insistant sur sa conception singulière et étroite d’une [traduction] « réaction normale » à la violence sexuelle et aux traumatismes subis par la demanderesse et ses sœurs. Une telle analyse était tout à fait inappropriée. À cet égard, la décision s’écarte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

[23]  Plutôt que de se pencher sur la gamme complexe des émotions humaines et sur la grande variété de réactions possibles face à un traumatisme, la SPR a exigé une réaction particulière. Dans la décision Sukhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 427, au paragraphe 20, le juge de Montigny explique que, suivant les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, la honte est une « explication tout à fait plausible » au fait qu’une requérante d’asile n’ait pas obtenu de rapport médical à la suite d’une agression sexuelle. Il est raisonnable pour une personne de cacher aux autres la violence sexuelle subie. La SPR n’a pas compris qu’il était possible que les sœurs n’aient pas voulu discuter de leur expérience entre elles en raison de la honte ou de la peur, et elle n’a pas envisagé cette possibilité.

[24]  La demanderesse a expliqué à la SPR que ses parents ne s’étaient pas rendu compte de la violence sexuelle commise parce que son père était impuissant et que sa mère était déchirée. La SPR a jugé cette explication [traduction] « trop cérébrale pour être vraie ». À première vue, la signification de cette déclaration de la SPR n’est pas claire. Si la SPR voulait dire que l’explication de la demanderesse avait été fabriquée de toutes pièces, elle aurait dû le dire directement. À cet égard, la décision manquait de transparence.

[25]  De plus, la SPR a déclaré que la mère de la demanderesse [traduction] « aurait remarqué qu’il se passait quelque chose parce que sa fille verrouillait toujours la porte de la salle de bain lorsqu’elle prenait une douche ». Cette conclusion défie toute logique, manque de transparence et semble reposer uniquement sur des spéculations. La façon dont la SPR en est arrivée à la conclusion que le fait de verrouiller la porte de la salle de bain indique qu’il y a eu violence sexuelle n’est absolument pas claire.

[26]  Tout au long de la décision, la SPR a fait preuve d’un mépris soutenu à l’égard de son rôle et de sa fonction. À certains moments, elle semble même s’être prise pour une experte de l’étude du comportement humain. Ce faisant, elle a formulé des hypothèses quant à la réaction humaine [traduction] « appropriée » à des événements traumatisants comme un viol ou de la violence sexuelle, et elle a ensuite exigé de la demanderesse qu’elle cadre avec ce modèle fictif. Comme elle ne cadrait pas avec ce modèle idéalisé, la SPR a mis en doute sa crédibilité. Par conséquent, la SPR a déshumanisé la demanderesse en ne lui reconnaissant pas la capacité de réagir à sa façon face à un traumatisme.

[27]  Il ne suffit pas de dire que la SPR n’a pas tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. En fait, l’approche adoptée par la SPR était diamétralement opposée à ce qu’exigent les Directives. La décision dénotait un grave manque de sensibilité et un important mépris à l’égard du récit de la demanderesse. Elle ne tenait pas compte des faits pertinents et reposait plutôt sur une conception fictive de la réponse appropriée à un traumatisme.

B.  Présentation tardive de la demande d’asile

[28]  Il ne fait aucun doute que le délai écoulé avant que la demanderesse ne présente sa demande d’asile est important; au total, environ treize ans se sont écoulés. La SPR a estimé que ce retard était inacceptable et qu’il venait étayer les conclusions défavorables quant à la crédibilité énoncées dans la décision.

[29]  Toutefois, l’approche à adopter au moment d’analyser le délai écoulé avant la présentation d’une demande d’asile est la suivante (Duarte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 988, au paragraphe 14) :

[U]n retard n’entraîne pas nécessairement le rejet d’une demande étant donné qu’il se peut que l’intéressé ait une raison valable d’avoir tardé à agir. Néanmoins, le retard peut, dans les cas appropriés, constituer un motif suffisant de rejet de la demande. Cela dépendra en fin de compte des faits de l’affaire.

[30]  Dans son affidavit, la demanderesse a expliqué que le trouble de stress post‑traumatique, la crainte et le manque d’information avaient fait en sorte qu’elle avait tardé à présenter sa demande d’asile. La SPR n’a pas tenté de savoir si la violence sexuelle vécue par la demanderesse avait eu une incidence sur le retard. Toutefois, étant donné les circonstances entourant la demande d’asile de la demanderesse ainsi que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, il était nécessaire de se le demander. La SPR s’était fait sa propre idée d’un retard convenable pour présenter une demande d’asile avant même de se pencher sur les faits. Cette approche est erronée.

[31]  Un parallèle peut être établi entre l’affaire qui nous occupe et l’affaire Rudoy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1051, au paragraphe 39. Selon le juge Southcott, la conclusion de la SPR quant au retard ne suffisait pas à rejeter une demande d’asile puisque cette conclusion était inextricablement liée aux conclusions défavorables quant à la crédibilité.

[32]  De même, en l’espèce, la SPR a tiré une série de conclusions déraisonnables quant à la crédibilité. Ces conclusions ont eu une incidence sur l’analyse du retard puisque la SPR a négligé de se demander si celui‑ci avait été causé, entièrement ou en partie, par la violence sexuelle subie.

VI.  Question certifiée

[33]  La Cour a demandé aux avocats des deux parties s’il y avait des questions à certifier; chacun a répondu qu’il n’y en avait aucune, et je suis du même avis.

VII.  Conclusion

[34]  Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire sera renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen. La SPR a commencé son analyse en rejetant la présomption de crédibilité pour la demanderesse. Le reste de la décision est parsemé de conclusions déraisonnables quant à la crédibilité. En outre, la décision s’écarte considérablement de ce qu’exigent les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Le fait que la demanderesse ait tardé à demander l’asile est pertinent, mais il n’est pas déterminant dans les circonstances.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4834‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvel examen.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour d’octobre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4834‑18

 

INTITULÉ :

MARIA DEL CARMEN AGUIRRE PEREZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO, ONTARIO

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 JUIN 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

lE JUGE AHMED

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 28 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Elena E. Mazinani

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mazinani & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.