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Date : 20191007


Dossier : IMM-1420-19

Référence : 2019 CF 1266

Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

HAMID AHMAT HOURRA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Hamid Ahmat Hourra, une Tchadienne de 23 ans, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 1er février 2019 par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans sa décision, la SAR confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention aux termes de l’article 96 ni une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (LIPR).

II.  Contexte factuel

[2]  La demanderesse présente sa demande d’asile au Canada en se fondant sur les allégations suivantes. Alors qu’elle était au Tchad, son père l’aurait forcée à marier le Général Abba Ali Sayir, homme de la garde présidentielle, âgé de 65 ans. Selon la demanderesse, le général était déjà marié à trois femmes.

[3]  En juillet 2016, le père de la demanderesse l’aurait informée qu’il avait décidé de la donner en mariage, en échange d’une somme d’argent. Selon les coutumes tchadiennes, le mariage a eu lieu en deux temps, soit le 16 août 2016, la célébration de la Fatiha à la mosquée, et le 15 octobre 2016, le jour de noces et date à laquelle la demanderesse devait regagner la maison de son époux.

[4]  Le 2 octobre 2016, le général se serait présenté au domicile de la demanderesse où elle se trouvait seule. La demanderesse allègue qu’il l’a violemment frappée et blessée. La mère de la demanderesse aurait subi une crise cardiaque en s’interposant. Elle est décédée à l’hôpital deux jours plus tard, le 4 octobre 2016.

[5]  Le 15 octobre 2016, la demanderesse aurait été emmenée de force chez son époux. Selon ses dires, le général a tenté de la violer à plusieurs reprises, mais sans succès.

[6]  Avec l’aide de son cousin, Yassine Youssouf Yassine, la demanderesse obtient un visa et fuit le pays le 28 novembre 2016 vers les États-Unis.

[7]  Le 11 décembre 2016, la demanderesse arrive au Canada et demande l’asile à la frontière. Elle dit craindre son père et le général si elle devait retourner dans son pays.

A.  Décision de la SPR

[8]  Le 4 décembre 2017, la SPR rejette la demande d’asile au motif que la demanderesse n’était pas crédible. Par ailleurs, la SPR soulève de nombreuses contradictions entre le témoignage de la demanderesse et la preuve documentaire soumise à l’appui de sa demande, notamment en ce qui a trait à sa date de mariage, la date à laquelle elle a quitté le Tchad, l’identité de son époux ainsi que son état matrimonial.

[9]  Lors de l’audience, la SPR a interrogé la demanderesse sur une feuille de papier contenant des informations manuscrites en lettres moulées retrouvée dans ses bagages et saisie par les agents à la frontière lors de son arrivée au Canada. La SPR note que les informations sur cette feuille contredisent le récit de la demanderesse sur tous les points, ce qui sape sa crédibilité.

[10]  La SPR conclut à l’absence de crédibilité chez la demanderesse et rejette sa demande.

B.  Décision de la SAR

[11]  La SAR confirme la décision de la SPR et rejette l’appel de la demanderesse. Elle conclut que la confusion entourant le mariage de la demanderesse, évènement qui va au cœur de la demande d’asile, entache sa crédibilité. Elle souligne que le témoignage de la demanderesse quant à la date de son mariage contredit la preuve documentaire au dossier, soit l’acte de mariage soumis en preuve. La demanderesse a témoigné qu’elle ne connaissait pas le contenu de ce document ni les témoins qui l’ont signé et ne pouvait fournir une explication claire quant à l’incohérence entre la date de mariage dans son récit et celle indiquée sur l’acte de mariage.

[12]  Quant à la note manuscrite, la SAR note que les informations correspondent « à un modèle de récit soumis par l’appelante concernant un certain homme, une date de mariage, date de décès de sa mère qui sont contraire avec les informations déposées au formulaire de Fondement de la demande d’asile » (Décision de la SAR, au para 27). D’après la SAR, le témoignage alambiqué de la demanderesse quant à l’origine de cette feuille mine davantage sa crédibilité.

III.  Questions en litige

[13]  La demande de contrôle judiciaire soulève une question principale : la décision de la SAR était-elle déraisonnable? La deuxième question soulève un enjeu de justice naturelle et d’équité procédurale.

IV.  Norme de contrôle

[14]  La première question est une question mixte de droit et de faits. La norme de contrôle applicable à l’examen des conclusions de la SAR et de son évaluation de la crédibilité est celle de la décision raisonnable (Huruglica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93, au para 35). Il convient de faire preuve d’une retenue considérable à l’égard des conclusions de fait de la SAR et de son évaluation de la crédibilité. La Cour n’interviendra que si la décision faisant l’objet du contrôle n’est pas justifiée, transparente ou intelligible, et ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au para 16).

[15]  La deuxième question soulève un enjeu de justice naturelle et d’équité procédurale. Il est établi que la norme de contrôle de la décision correcte s’applique à de telles questions (Khosa Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 43).

V.  Analyse et décision

A.  La SAR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité de la demanderesse?

[16]  La demanderesse prétend que la décision de la SAR est déraisonnable puisqu’elle n’a pas pris en considération le témoignage de la demanderesse, ses preuves, la preuve objective et les directives de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR). La demanderesse attaque les conclusions factuelles de la SAR et son appréciation de la preuve, et ce, sans produire une transcription, même partielle, de son témoignage devant la SPR ou une copie des directives ou cartables nationaux de documentation sur lesquels elle s’est appuyée.

[17]  La SAR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible à cause des contradictions et incohérences dans sa preuve. C’était là une conclusion que la SAR était tout à fait en droit de tirer au vu du dossier dont elle disposait.

[18]  Par exemple, la demanderesse a témoigné qu’elle avait habité chez son époux un mois et une semaine après le moment où elle fut conduite chez lui de force le 15 octobre 2016.  Cependant, la date de son départ du pays selon l’information dans son passeport était le 29 octobre 2016, et non le 28 novembre 2016 comme elle avait écrit dans son récit.

[19]  De plus, la demanderesse a maintenu lors de son témoignage que la date de son mariage était le 16 août 2016, et non le 15 octobre 2016, la date reflétée dans l’acte de mariage qu’elle avait elle-même produit à l’appui de sa demande.

[20]  La demanderesse reproche à la SAR d’avoir ignoré le fait que le concept du mariage est différent dans la culture Tchad et que les deux dates, le 16 août et le 15 octobre, sont incluses dans la notion du mariage. La SAR a pourtant tenu compte de cet argument. Au paragraphe 23 de sa décision, la SAR indique que même en prenant comme acquis qu’il y a deux étapes dans le mariage au Tchad, la demanderesse s'est contredite au sujet des dates des évènements.

[21]  Il ne s’agit pas d’un cas où la SAR a omis d’évaluer la preuve. En l’espèce, la preuve a été évaluée, mais lorsque les préoccupations relatives à la preuve documentaire ont été examinées dans le contexte de la demande d’asile dans son ensemble, les préoccupations relatives à la crédibilité de la demanderesse n’ont pu être dissipées.

B.  La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que la SPR n’avait pas violé le droit à l’équité procédurale de la demanderesse? 

[22]  La demanderesse prétend qu’il y aurait eu un manquement d’équité procédurale devant la SPR puisque le tribunal lui a refusé une remise. Elle soutient qu’une remise était requise afin qu’elle puisse prendre connaissance de la feuille de papier « et y répondre possiblement par une preuve indépendante ».

[23]  Le fait qu’une partie ait omis de déposer un document conformément aux Directives de la CISR n’est pas une chose sans importance. L’article 3.3 des Directives numéro 7 prévoit que les documents qui n'ont pas été communiqués conformément aux Règles de la SPR ne peuvent être utilisés à l'audience.

[24]  Un refus d’une demande d’ajournement peut, dans certains cas, être interprété comme une violation du droit d’être entendu, comme une atteinte à l’équité procédurale, ou encore une violation des principes de justice naturelle.

[25]  La SAR reconnait dans sa décision que la feuille de papier n’avait pas été remise à la demanderesse, que la demanderesse ne savait pas que ce document était en preuve, et que la SPR a refusé d’accorder une remise. Elle constate cependant que la SPR a accordé un ajournement d’une demi-heure à la demanderesse pour pouvoir revoir le document avec son avocat. Le commissaire lui a également permis de présenter ses explications à l’égard du document lors de l’audition.

[26]  La demanderesse n’a pas demandé de présenter un nouvel élément de preuve devant la SAR. De plus, son affidavit à l’appui de la présente demande ne fournit aucun détail à l’égard des circonstances entourant le manquement allégué devant la SPR, ni à l’égard de l’impact de ce refus. 

[27]  La décision de la SPR, confirmée par la SAR, d’admettre la feuille de papier en preuve me semble raisonnable vu la pertinence et la valeur probante du document. On ne peut faire fi du fait que le document en question a été retrouvé dans les bagages de la demanderesse. Qui plus est, cette dernière avait connaissance de l’existence du document et de son contenu, fait que la demanderesse a confirmé lorsqu’elle a témoigné qu’une personne lui avait fourni ces informations mais qu’elle ne les avait pas utilisées.

[28]  Bref, je suis d’avis que la SAR n’a pas commis d’erreur en concluant que la SPR avait raison d’analyser le document et, implicitement, que les exigences de l’équité procédurale ont été respectées.

[29]  La demanderesse reproche finalement à la SAR d’être inconsistante en reconnaissant au paragraphe 26 de sa décision que la demanderesse a fourni des explications « satisfaisantes » à la SPR. Cette affirmation n’est pas sincère. À la lecture de la décision dans son ensemble, il s’agit manifestement d’une erreur de copiste.

[30]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 


JUGEMENT dans le dossier IMM-1420-19

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Roger R. Lafrenière »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1420-19

 

INTITULÉ :

HAMID AHMAT HOURRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 octobre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 OCTOBRE 20019

 

COMPARUTIONS :

Sandra Palmieri

 

Pour la demanderesse

 

Suzanne Trudel

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphanie Valois

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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