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Date : 20190829


Dossier : IMM‑3756‑18

Référence : 2019 CF 1117

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 août 2019

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

MOHAMMAD SADEQ SAMANDAR,

SHAKILA AYOUB,

NOORUDIN MOHAMMAD SADEQ

NOORULLAH MOHAMMAD SADEQ

ZAHRA MOHAMMAD SADEQ

SHAHABUDIN MOHAMMAD SADEQ et

SADRUDIN MOHAMAD SADEQ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), d’une décision rendue le 24 janvier 2018 par un agent d’immigration (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. L’agent a rejeté la demande de visa de résident permanent au Canada présentée par les demandeurs à titre de membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières [la décision].

II.  Faits

[2]  Les demandeurs sont le demandeur principal, son épouse et ses enfants, tous nés en Afghanistan.

[3]  Un représentant de l’ambassade du Canada a interrogé les demandeurs en mars 2014. Selon le demandeur principal, les demandeurs ont quitté l’Afghanistan parce qu’ils étaient menacés par un commandant taliban et qu’ils détenaient le statut de réfugié temporaire au Tadjikistan. Le demandeur principal a allégué qu’il travaillait pour une société qui livrait du carburant à un camp américain près de Kaboul, en Afghanistan, et qu’il a été menacé par les talibans parce qu’il collaborait avec des « non‑croyants ». Il a déclaré que, lors d’une livraison en août 2012, son cousin et lui ont été capturés par les talibans et, après une dispute, son cousin a tué le commandant taliban. Le demandeur principal s’est par la suite enfui au Tadjikistan, en décembre 2012.

[4]  Au cours de l’entrevue, le demandeur principal a expliqué qu’il était membre de l’ethnie hazara ismaélienne chiite et que ce groupe avait des problèmes avec les talibans dans les régions où ces derniers étaient présents.

[5]  De plus, lors d’une entrevue précédente tenue en 2014, l’agent a noté que le demandeur principal avait suivi un programme d’administration des affaires de deux ans dans une université américaine, qu’il parlait couramment l’anglais, et qu’il n’a jamais voyagé à l’extérieur de l’Afghanistan ou du Tadjikistan. Comme il est indiqué ci‑dessous, ces constatations sont inexactes.

[6]  L’agent était convaincu que les demandeurs étaient des réfugiés au sens de l’article 96 de la LIPR. Selon les principes directeurs du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés [le HCR] sur le traitement des demandes, les personnes qui ont travaillé avec les forces de la coalition sont vulnérables. De plus, les demandeurs appartiennent à une ethnie minoritaire (les Hazaras) et à un groupe religieux minoritaire (les chiites ismaéliens). L’agent était convaincu que les demandeurs avaient une crainte fondée de persécution en raison de leurs croyances religieuses et de leur appartenance à un groupe social, et qu’il existait un risque de persécution à l’échelle du pays.

[7]  L’ambassade a par la suite envoyé, en 2016, une lettre relative à l’équité procédurale au demandeur principal dans laquelle elle disait craindre qu’il ne satisfasse pas aux exigences en matière d’immigration au Canada en raison de sa crédibilité. Plus précisément, la lettre mentionnait que le demandeur principal avait omis de divulguer ce qui s’est avéré être deux refus antérieurs de demandes d’immigration au Canada, l’un en 2005 et l’autre en 2009. La lettre indiquait également qu’il existait d’importantes divergences entre les allégations présentées dans la demande actuelle et celles présentées dans les deux précédentes, et que le demandeur principal avait omis de divulguer son séjour au Pakistan (qui s’est avéré être de 10 ans).

[8]  Le demandeur principal a répondu à la lettre relative à l’équité procédurale en alléguant qu’il avait une crainte fondée de persécution en Afghanistan en raison de sa race et de sa religion et comme membre de l’ethnie hazara chiite, et également parce qu’il était chauffeur pour une société pétrolière étrangère. Il a ajouté qu’il est analphabète et qu’il ne savait pas que des renseignements importants avaient été omis dans ses formulaires de demande. Il affirme qu’il ne voulait pas tromper les autorités.

[9]  Le demandeur principal a donc été reçu en entrevue une deuxième fois, en janvier 2018. Il a admis à l’agent qu’il a vécu au Pakistan de 1998 à 2009, ce qu’il avait omis de déclarer lorsqu’il a présenté la demande de visas. Il a affirmé qu’il était analphabète et qu’il n’avait pas divulgué son séjour au Pakistan parce que la personne qui avait rempli ses papiers lui avait dit de mentir. De plus, le demandeur principal a admis que l’histoire au sujet du commandant taliban était fausse, et que le commandant en question n’existait pas; la personne qui a rempli le formulaire avait inventé l’histoire.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[10]  L’agent a rejeté la demande en raison de ses préoccupations relatives à la crédibilité. L’analyse de la décision, tirée des notes versées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) datées du 24 janvier 2018, indique ce qui suit :

[traduction]

ANALYSE

J’ai examiné tous les documents relatifs au dossier, y compris une lettre de profil personnel et la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. J’ai examiné les renseignements sur la situation dans le pays notamment en ce qui concerne les Hazaras et les personnes qui ont travaillé auprès d’une société associée à la présence étrangère. Bien que ces documents appuient l’argument selon lequel l’Afghanistan est un pays dangereux pour les personnes qui ont les profils des demandeurs, ils ne remédient pas aux très sérieuses préoccupations relatives à la crédibilité du demandeur. Il ne fait pas de doute que le demandeur est d’origine ethnique hazara et qu’il est probablement victime de discrimination et de violence en Afghanistan.

Le demandeur a omis de divulguer deux demandes antérieures d’immigration au Canada refusées ainsi que la période où il aurait résidé au Pakistan, au moment où il aurait présenté ces demandes, s’il y a effectivement résidé. Il a présenté sa demande sous un nom différent, de sorte que ces refus n’ont pas été décelés initialement. Il a omis de divulguer ces antécédents par écrit (dans les formulaires) et de vive voix à l’entrevue. Je lui ai expliqué mes préoccupations et lui ai donné l’occasion d’y répondre. Le demandeur affirme que l’histoire qu’il a racontée lors de la dernière entrevue (et dans les formulaires) au sujet du commandant Yakatod était fausse. Il comprenait l’interprète, et l’agent chargé de l’entrevue l’a informé que le défaut de dire la vérité pouvait entraîner le rejet de sa demande. Bien que le demandeur affirme avoir menti à l’entrevue de 2014 parce qu’il était analphabète et craignait pour la sécurité de ses enfants, il a eu l’occasion de dire la vérité de vive voix, mais il ne l’a pas fait.

J’ai tenu compte des explications fournies par le demandeur et par le conseil, mais elles ne dissipent pas mes préoccupations concernant le fait que le demandeur s’est montré peu disposé à donner des réponses dignes de foi – son témoignage sur ses lieux de résidence, les dates relatives à ces lieux de résidence et les raisons pour lesquelles il a fui ne peuvent être considérés comme crédibles à ce stade compte tenu des nombreuses omissions et de sa malhonnêteté intentionnelle. Je ne suis pas convaincu qu’il a toujours dit la vérité en répondant aux questions relatives à sa résidence et à ses antécédents, y compris en ce qui a trait à des actes criminels passés et, par conséquent, je ne suis pas convaincu qu’il répond aux exigences de la loi et il est interdit de territoire.

Demande refusée au titre du paragraphe 11(1) et de l’article 16 de la Loi et de l’alinéa 139(1)e [sic] du Règlement – refus rédigé.

[...]

IV.  Questions à trancher

[11]  Les demandeurs soumettent les questions suivantes afin qu’elles soient tranchées :

  1. L’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte du profil de risque du demandeur en tant que membre de l’ethnie hazara chiite.

  2. L’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte

du contexte de vulnérabilité d’un demandeur d’asile à l’étranger.

[12]  En toute déférence, la question est de savoir si la décision dans son ensemble est raisonnable.

V.  Dispositions législatives pertinentes

[13]  Les paragraphes 11(1) et 16(1) de la LIPR sont ainsi libellés :

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

[…]

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

...

Obligation du demandeur

Obligation — answer truthfully

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

[Non souligné dans l'original.]

[Emphasis added]

VI.  Norme de contrôle

[14]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57 et 62 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada juge qu’une analyse de la norme de contrôle n’est pas nécessaire « si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Dans la décision Safdari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1357 [Safdari], au paragraphe 14, le juge Russell dit que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, et je suis d’accord.

[15]  Dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 [Commission canadienne des droits de la personne], au paragraphe 55, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire la cour de révision lorsqu’elle examine une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[55]  Lorsqu’une cour de révision examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, elle doit principalement s’intéresser à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », de même qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Lorsqu’elle est appliquée à l’interprétation législative, la norme de la décision raisonnable reconnaît que le décideur, titulaire de pouvoirs délégués, est le mieux placé pour comprendre les considérations de politique générale et le contexte qu’il faut connaître pour résoudre toute ambiguïté dans le texte de loi (McLean, par. 33). Les cours de révision doivent par ailleurs éviter de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Khosa, par. 64). Fondamentalement, la norme de la raisonnabilité reconnaît qu’il peut légitimement y avoir de multiples issues possibles, même lorsque celles‑ci ne correspondent pas à la solution optimale que la cour de révision aurait elle‑même retenue.

[16]  La Cour suprême du Canada précise également que le contrôle judiciaire ne consiste pas à faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; il faut considérer la décision comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papiers Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, considérée dans son ensemble dans le contexte du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

VII.  Analyse

A.  L’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte du profil de risque des demandeurs en tant que membres de l’ethnie hazara chiite

[17]  Malgré les préoccupations relatives à la crédibilité, les demandeurs font valoir que l’agent n’a pas effectué d’analyse des risques auxquels le demandeur principal est exposé en tant que membre incontesté de l’ethnie hazara en Afghanistan. Les notes versées dans le SMGC datées du 24 janvier 2018 mentionnent ce qui suit [traduction] : « Il ne fait aucun doute que le demandeur est d’origine ethnique hazara. » Aucune conclusion défavorable relative à l’identité n’a été tirée et l’origine ethnique aurait dû être prise en considération. Dans la décision Fixgera Lappen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 434, le juge Mandamin déclare ce qui suit au paragraphe 27 :

[27]  La Cour a déjà reconnu qu’il peut y avoir des situations où le demandeur d’asile, dont l’identité n’est pas contestée, est jugé non crédible relativement à sa crainte subjective de persécution, mais où « les conditions dans le pays sont telles que la situation individuelle du revendicateur fait de lui une personne à protéger ». (Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211, au paragraphe 41; voir aussi Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 1008.)

[18]  Les demandeurs affirment que les faits en l’espèce sont similaires à ceux de l’affaire Safdari, précitée, dans laquelle le juge Russell a conclu, au paragraphe 39, à la lumière des faits dont il disposait, que le défaut de l’agent d’évaluer les risques pour un demandeur associés à son origine ethnique hazara était déraisonnable :

[39]  Il a déjà été conclu que le demandeur principal est un réfugié au Tadjikistan, qu’il craint de toute évidence les talibans et, comme l’a dit lui-même l’agent des visas, il a toutes les raisons de craindre les talibans, compte tenu de son origine ethnique : « Je suis convaincu que le demandeur principal a une crainte fondée de persécution liée à l’ethnie Hazara [...] Le demandeur principal ne peut pas retourner en toute sécurité en Afghanistan. » Dans ces circonstances, je ne pense pas que les réponses incohérentes aux entrevues puissent servir à rejeter l’intégralité de la présente demande. Il s’agit d’un des cas où l’agent des visas aurait dû aller plus loin pour décider s’il existait de motifs de crainte subjective. Il avait déjà conclu que, objectivement parlant, le demandeur principal avait toutes les raisons de craindre les talibans du simple fait de l’ethnie Hazara.

[19]  Les demandeurs font référence à des preuves objectives concernant les risques auxquels sont exposés les Hazaras en Afghanistan. Ils citent la version de 2013 des UN High Commissioner for Refugees Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Members of Religious Minorities from Pakistan [principes directeurs du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés [HCR] relatifs à l’évaluation des besoins de protection internationale des membres de minorités religieuses originaires du Pakistan], qui ne figure pas dans le dossier certifié du tribunal. Les principes directeurs du HCR datés du 19 avril 2016, qui se trouvent dans le dossier certifié du tribunal, indiquent ce qui suit aux pages 74 et 76 :

[traduction]

Les divisions ethniques en Afghanistan demeurent grandes. Selon le rapport « Peoples under Threat » [les peuples menacés] du Minority Rights Group International, l’Afghanistan s’est classé au troisième rang des pays les plus dangereux du monde pour les minorités ethniques, notamment en raison d’attaques contre des personnes ciblées en raison de leur origine ethnique et leur religion. Les Hazaras, les Pachtounes, les Tadjiks, les Ouzbeks, les Turkmènes et les Baloutchis sont expressément mentionnés dans ce document comme des ethnies à risque en Afghanistan.

[...]

Les rapports indiquent que les Hazaras font toujours l’objet de discrimination sociale et qu’ils sont victimes d’extorsion par le recours à une imposition illégale, au recrutement forcé, au travail forcé et à la violence physique. Historiquement, les Pachtounes ont marginalisé et discriminé les Hazaras. Bien que les rapports indiquent que les Hazaras ont fait des progrès économiques et politiques importants depuis la chute du régime taliban en 2001, il y aurait eu plus récemment une augmentation importante du harcèlement, de l’intimidation, d’enlèvements et d’assassinats par les talibans et d’autres éléments antigouvernementaux.

[Notes de bas de page omises.]

[20]  Selon le défendeur, l’incapacité de l’agent à tirer une conclusion d’admissibilité en raison du manque de crédibilité du demandeur principal était déterminante. Les demandeurs devaient répondre aux critères du paragraphe 11(1) de la LIPR pour obtenir un visa. En effet, avant de délivrer un visa, l’agent doit être convaincu que l’étranger n’est pas interdit de territoire. Par conséquent, le défendeur soutient qu’un agent peut rejeter une demande s’il n’est pas convaincu que l’étranger n’est pas interdit de territoire, comme le prévoit le paragraphe 11(1).

[21]  À mon humble avis, les observations du défendeur reflètent le mieux la jurisprudence à cet égard. Plus particulièrement, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de conclure expressément à l’interdiction de territoire : Noori c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 1095, le juge Southcott [Noori], par. 17 et 18 (« [...] les incohérences dans le témoignage du demandeur principal ont suscité des préoccupations suffisantes auprès de l’agente quant à la véracité de son témoignage que d’autres questions ne pouvaient être posées et que l’agente n’était pas en mesure de mener une évaluation de l’admissibilité », par. 17), et voir Ramalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), le juge Scott [Ramalingam], 2011 CF 278, par. 37.

[22]  La conclusion défavorable quant à la crédibilité remet en question la véracité de l’ensemble des réponses du demandeur principal. Par conséquent, il n’était pas nécessaire d’analyser les allégations des demandeurs concernant leur risque en tant que membres de l’ethnie hazara chiite. Le juge Scott a abordé ce point précis dans Ramalingam, aux paragraphes 36 et 37 :

[36]  Dans l’ensemble, l’interprétation que le défendeur fait du paragraphe 11(1) m’apparaît plus logique, compte tenu du libellé de cette disposition. Après avoir pris connaissance du jugement Manigat, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que rien ne permet de penser que la Cour entendait en limiter l’application aux motifs circonscrits évoqués par le demandeur.

[37]  Vu la décision récente rendue dans l’affaire Kumarasekaram, je conclus que le demandeur a tort de prétendre que la jurisprudence n’appuie pas le rejet d’une demande fondée sur le paragraphe 11(1). Je suis persuadé qu’un agent peut rejeter une demande sans avoir à conclure expressément que le demandeur est interdit de territoire, au motif que, comme le demandeur n’a pas donné un portrait complet de ses antécédents, l’agent n’est pas en mesure de conclure que le demandeur n’est pas interdit de territoire.

[23]  Je suis d’accord avec les conclusions tirées par mon collègue le juge Southcott dans la décision Noori, au paragraphe 22 :

[22]  Les demandeurs ont raison d’indiquer que l’agente n’a pas effectué une analyse de ces affirmations ou une évaluation quant à savoir si elles étaient étayées par la preuve des conditions du pays. Toutefois, tel que cela a été analysé ci‑dessus, l’agente n’était pas en mesure de conclure que le demandeur n’était pas interdit de territoire au Canada, en raison de ses préoccupations quant à la véracité de son témoignage. Vu que les demandeurs n’ont pas obtenu gain de cause en ce qui concerne le caractère raisonnable de cette conclusion, ils ne peuvent pas être admissibles au statut de réfugié au sens de la Convention et je ne peux conclure que la décision était déraisonnable au motif que l’agente n’a pas analysé le risque de persécution invoqué fondé sur l’ethnicité et les croyances religieuses des demandeurs.

[24]  En l’espèce, l’agent n’a pas été en mesure de rendre une décision sur l’interdiction de territoire. Je ne peux accepter l’argument des demandeurs selon lequel l’agent devait aller plus loin et analyser le risque de persécution allégué fondé sur l’origine ethnique, les croyances religieuses et les conditions dans le pays des demandeurs. Essentiellement, la demande des demandeurs consiste à rayer du processus décisionnel l’obligation que l’agent des visas a en vertu du paragraphe 11(1) de la LIPR de décider s’il est « convaincu que l’étranger n’est pas interdit de territoire ». On ne peut pas reprocher à l’agent d’avoir effectué cette analyse.

[25]  Je dois ajouter qu’en tout état de cause, je suis d’avis que l’agent a examiné et évalué le risque des demandeurs en tant que membres de l’ethnie hazara chiite en Afghanistan, et a tiré une conclusion en faveur des demandeurs :

[traduction]

J’ai examiné les renseignements sur les conditions dans le pays concernant notamment les Hazaras et les personnes qui ont travaillé avec une société associée à la présence étrangère. Bien que ces documents appuient l’argument selon lequel l’Afghanistan est un pays dangereux pour les personnes qui ont les profils des demandeurs, ils ne remédient pas aux très sérieuses préoccupations relatives à la crédibilité du demandeur. Il ne fait pas de doute que le demandeur est d’origine ethnique hazara et qu’il est probablement victime de discrimination et de violence en Afghanistan.

B.  L’agent a commis une erreur en omettant de tenir compte du contexte vulnérable d’un demandeur d’asile à l’étranger

[26]  Les demandeurs soutiennent que l’agent aurait dû effectuer une évaluation de la crédibilité en tenant compte de la situation particulière et vulnérable des réfugiés se trouvant à l’étranger et, en particulier, de celle du demandeur principal. En l’espèce, les demandeurs soutiennent que le demandeur principal s’est fié à une connaissance au Tadjikistan qui parlait anglais pour remplir ses documents de demande de résidence permanente en tant que réfugié se trouvant à l’étranger. Les demandeurs affirment que cette connaissance s’est présentée comme un expert et qu’ils l’ont payé pour le service.

[27]  Les demandeurs font valoir que, contrairement aux demandeurs d’asile au Canada, ils n’ont pas accès à l’aide juridique, aux avocats, aux interprètes ou aux travailleurs communautaires et qu’ils ne peuvent obtenir de rapports professionnels de médecins. Les processus judiciaires sont difficiles à suivre pour les demandeurs d’asile désespérés ayant une scolarité de base qui tentent de fuir la violence et les traumatismes.

[28]  Les demandeurs soulignent l’importance d’une analyse contextuelle de la crédibilité, surtout en raison du fait que le demandeur principal est analphabète et qu’il n’a pas eu accès à des interprètes, à des conseils, à des soins médicaux ou à des conseils juridiques appropriés. Des éléments de preuve objectifs et corroborants, dont une preuve d’emploi, des reçus pour la livraison de carburant, le code de conduite taliban et des éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays montraient le risque auquel le demandeur principal était exposé en Afghanistan en raison de son emploi auprès d’une société pétrolière.

[29]  Pour sa part, le défendeur soutient que les conclusions relatives à la crédibilité tirées par l’agent étaient raisonnables. Le demandeur principal a admis avoir maintes fois menti aux autorités canadiennes de l’immigration, même s’il lui a été conseillé de dire la vérité. Il a omis de divulguer les 10 années qu’il a passées au Pakistan. Il a omis de divulguer deux demandes antérieures présentées sous un nom différent, la première en 2005 et la deuxième en 2009. Il convient de souligner que sa demande de 2009 a été refusée en partie parce qu’il n’avait pas divulgué sa demande de 2005. La demande de 2005 a été rejetée parce que le demandeur principal ne répondait pas aux exigences de la catégorie de personnes de pays d’accueil. On a conseillé au demandeur principal de dire la vérité lors des trois audiences, et il a reçu une lettre relative à l’équité procédurale avant l’audience de 2018 qui a mené au présent contrôle judiciaire.

[30]  À cet égard, je remarque que l’agent a tenu compte de l’analphabétisme du demandeur principal, mais, à mon humble avis, il a raisonnablement conclu qu’il n’était pas crédible puisque le demandeur a été invité à dire la vérité de vive voix (sans qu’il soit nécessaire de lire ou d’écrire) et il a choisi de ne pas le faire.

[31]  Le défendeur soutient qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard des préoccupations de l’agent en matière de crédibilité : Ramalingam, par. 47. Je suis d’accord. La Cour d’appel fédérale a confirmé que les conclusions de fait et les conclusions sur la crédibilité constituaient l’essentiel de l’expertise de la SPR : Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 143 NR 238 (CAF). À mon avis, le même principe s’applique en ce qui concerne les conclusions relatives à la crédibilité tirées par les agents des visas après une audience, comme c’est le cas en l’espèce.

[32]  Il convient de souligner que le demandeur principal a manqué à son obligation de dire la vérité, ce qui va à l’encontre du paragraphe 16(1) de la LIPR.

[33]  Les demandeurs ont également contesté la description du demandeur principal faite par l’agent, qui a déterminé en 2014 que le demandeur principal parlait couramment l’anglais et était instruit. De toute évidence, ces constatations ne visaient pas le demandeur principal. Toutefois, elles n’ont été ni mentionnées ni invoquées par l’agent en 2018, et je ne leur accorde aucune importance.

VIII.  Note de procédure

[34]  Après que les demandeurs eurent déposé leur demande de contrôle judiciaire, le défendeur a déposé un dossier certifié du tribunal caviardé et une requête au titre de l’article 87 de la LIPR visant à faire approuver les caviardages. Le défendeur a déclaré qu’il ne s’appuierait pas sur les documents caviardés pour s’opposer à la demande de contrôle. J’ai convoqué une audience publique au cours de laquelle j’ai expliqué l’importance d’une requête fondée sur l’article 87, et j’ai invité l’avocat des demandeurs à me faire part de ses commentaires, en soulignant que la Cour (et non le défendeur) déterminerait en fin de compte ce qui devrait et ne devrait pas être divulgué dans le dossier certifié du tribunal. J’ai indiqué que certains identificateurs personnels sont régulièrement caviardés dans ce genre d’affaires. Par la suite, j’ai tenu une audience à huis clos sans la présence des demandeurs et de leur avocat au cours de laquelle j’ai entendu l’avocate du défendeur, qui a une habilitation de sécurité. À la suite de l’audience, j’ai approuvé les caviardages demandés. Par souci de précision, je n’accorde aucune importance aux documents caviardés pour rendre ma décision dans la présente affaire. Comme il a déjà été mentionné, le défendeur ne s’est pas appuyé sur les documents caviardés.

IX.  Conclusion

[35]  Après avoir pris du recul et examiné la décision comme un tout, j’ai conclu que la décision est raisonnable en ce sens qu’elle s’inscrit dans un éventail d’issues possibles et acceptables pouvant se justifier en regard des faits et du droit en l’espèce, comme l’exige l’arrêt Dunsmuir au paragraphe 47. La demande de contrôle judiciaire doit par conséquent être rejetée.

X.  Question certifiée

[36]  Aucune des parties n’a demandé la certification d’une question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3756‑18

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question de portée générale n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour d’octobre 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3756‑18

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD SADEQ SAMANDAR, SHAKILA AYOUB, NOORUDIN MOHAMMAD SADEQ

NOORULLAH MOHAMMAD SADEQ ZAHRA MOHAMMAD SADEQ SHAHABUDIN MOHAMMAD SADEQ et SADRUDIN MOHAMAD SADEQ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 AOÛT 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 AOÛT 2019

 

COMPARUTIONS :

Mohammed Hadi Hakimi

POUR LES DEMANDEURS

 

Sarah‑Dawn Norris

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hakimi Law Office

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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