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Date : 20190925


Dossier : T-2138-18

Référence : 2019 CF 1233

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

CANMAR FOODS LTD.

demanderesse

et

TA FOODS LTD.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le 26 avril 2019, TA Foods Ltd [la défenderesse] a déposé une requête en jugement sommaire fondée sur l’absence de contrefaçon de quelque revendication que ce soit invoquée dans le brevet canadien no 2,582,376 [le brevet 376] ou, subsidiairement, pour faire radier la déclaration dans son intégralité [la requête en jugement sommaire].

[2]  CanMar Foods Ltd [la demanderesse] a déposé une requête en vue de faire radier plusieurs paragraphes de la défense et de la réponse de la défenderesse à la demande de précisions ou, subsidiairement, en vue d’obtenir des précisions supplémentaires [la requête en précisions]. Un avis de requête modifié a été déposé le 10 juillet 2019.

[3]  Ces requêtes sont déposées dans le contexte de l’action en contrefaçon de brevet que la demanderesse a engagée contre la défenderesse, relativement au brevet 376. La défenderesse allègue que les revendications du brevet 376 sont toutes invalides, et elle nie qu’elle contrefait ce dernier.

[4]  Pour les motifs qui suivent, la requête en jugement sommaire de la défenderesse est accueillie, avec dépens. Les requêtes en radiation de la demanderesse et de la défenderesse, ainsi que la requête en précisions supplémentaires de la demanderesse sont théoriques.

II.  Le contexte

A.  Les parties et le brevet en litige

[5]  La demanderesse est une société de la Saskatchewan ayant son bureau principal et une installation de fabrication à Regina (Saskatchewan).

[6]  La défenderesse est elle aussi une société de la Saskatchewan, et elle a son bureau principal et une installation de fabrication à Yorkton (Saskatchewan).

[7]  La demanderesse et la défenderesse se font concurrence dans le secteur de la fabrication et de la fourniture de produits à base de graines de lin, et plus particulièrement de graines de lin grillées.

[8]  La demanderesse est la titulaire du brevet 376 intitulé « Procédés pour faire griller des graines oléagineuses, et produits de graines oléagineuses grillées ». Ce brevet compte 23 revendications, dont certaines ont trait à des procédés de grillage des graines oléagineuses ainsi qu’aux produits découlant de ces procédés. La revendication 1 est la seule revendication indépendante. Les autres revendications dépendent soit directement soit indirectement de la revendication 1, dont le texte est le suivant :

[TRADUCTION] 

1. Une méthode de grillage de graines oléagineuses, méthode constituée des étapes suivantes :

a) chauffage des graines oléagineuses dans un circuit d’air pendant moins de 2 minutes, ledit circuit d’air ayant une température allant de 146 à 205 °C et produisant ainsi des graines chauffées;

b) transfert des graines chauffées dans une chambre ou une tour de grillage totalement ou partiellement isolée;

c) maintien des graines chauffées dans ladite chambre ou tour sans addition d’autre chaleur jusqu’à ce que le procédé de grillage soit complet, la température des graines chauffées diminuant pendant cette période de maintien, produisant ainsi des graines oléagineuses grillées dans la chambre ou la tour;

d) retrait des graines oléagineuses grillées de la chambre ou de la tour afin qu’elles refroidissent.

[9]  La demanderesse a pris connaissance des produits à base de graines de lin grillées lors d’une conférence commerciale tenue à Saskatoon le 28 août 2018. La défenderesse y affichait une bannière annonçant du [TRADUCTION] « lin grillé » sous le nom de marque « NEPRI ». Peu après, elle a constaté que la défenderesse annonçait sur son site web des produits à base de [TRADUCTION] « lin grillé ».

[10]  Les parties ont tenté d’organiser une inspection mutuellement acceptable à l’installation de fabrication de la défenderesse afin que la demanderesse puisse évaluer la contrefaçon éventuelle de son brevet. Quand les discussions ont échoué, la demanderesse a engagé la présente action.

B.  Les actes de procédure

[11]  La déclaration a été établie le 17 décembre 2018 et signifiée à la défenderesse le 17 janvier 2019. Cette dernière a déposé une défense datée du 18 avril 2019 et, le 26 avril 2019, elle a déposé la présente requête en jugement sommaire.

[12]  En réponse à la défense, la demanderesse a signifié une demande de précisions supplémentaires, ainsi qu’une demande de radiation de certains actes de procédure figurant dans la défense. La défenderesse s’est opposée aux deux demandes, laissant entendre que les précisions demandées figuraient dans la requête en jugement sommaire de la défenderesse, datée du 26 avril 2019.

[13]  La défenderesse a fini par signifier une réponse à la demande de précisions après que la requête en précisions de la demanderesse lui a été signifiée.

III.  Les éléments de preuve dans les présentes requêtes

A.  La requête en jugement sommaire

[14]  À l’appui de la requête en jugement sommaire, la défenderesse a déposé les affidavits de Mike Popowich et de Jennifer Permann. La demanderesse a déposé les affidavits de Jeff Hart.

[15]  Mike Popowich, Jennifer Permann et Jeff Hart ont été contre-interrogés le 25 juillet 2019.

1)  L’affidavit de Mike Popowich, pour le compte de la défenderesse, daté du 23 avril 2019 [l’affidavit de Popowich]

[16]  Mike Popowich est le copropriétaire de la défenderesse, TA Foods. Il participe aux activités de l’entreprise depuis 2013 et connaît le matériel et les procédés qu’elle emploie.

[17]  En 2016, la défenderesse a acheté un « microniseur » d’occasion [le microniseur], et c’est le seul appareil qu’elle utilise pour cuire ses graines oléagineuses. Le microniseur a été à l’origine acheté de Micronizing Company au Royaume-Uni en 1993, et il a été fabriqué en 1994.

[18]  Le microniseur soumet les graines oléagineuses à un rayonnement infrarouge pendant qu’elles passent le long d’une plaque en acier vibrante placée sous une série de tuiles en céramique chauffées. Pour le procédé de la défenderesse, les graines oléagineuses sont chauffées à des températures allant de 30 à 90 °C pendant environ 71 secondes. Ces températures ont été mesurées au moyen d’un thermomètre infrarouge numérique tenu à la main. Il a été question de ce thermomètre dans l’affidavit de Hart (ci-après) et il a été l’objet d’un contre-interrogatoire.

[19]  Après leur passage sur la plaque en acier vibrante, les graines oléagineuses sortent du microniseur et tombent le long d’une glissière dans une trémie de forme triangulaire. La trémie est en tôle d’acier et n’est pas isolée. Depuis le bas de la trémie, les graines passent dans une vis sans fin non isolée et se retrouvent dans une tour de refroidissement non isolée faite de tôle d’acier.

[20]  Les graines tombent au bas de la tour de refroidissement et sont immédiatement acheminées vers d’autres trémies en tôle d’acier non isolées à des fins de stockage à long terme ou de conditionnement. Le temps de séjour dans la tour de refroidissement est de moins de 5 secondes.

[21]  La défenderesse ne possède pas d’autres appareils et ne se sert d’aucun autre procédé pour cuire les graines oléagineuses.

[22]  Aucun élément de preuve dans la présente instance ne donne à penser qu’il existe en soi un droit de propriété sur les graines oléagineuses grillées. Seul est invoqué le procédé servant précisément à griller les graines de lin que les revendications du brevet 376 prévoient.

2)  L’affidavit de Jennifer Permann, pour le compte de la défenderesse, daté du 26 avril 2019 [l’affidavit de Permann]

[23]  Jennifer Permann est parajuriste au cabinet Gowling WLG LLP. L’affidavit de Mme Permann comporte des historiques de dossier de poursuite des bureaux de brevets du Canada et des États-Unis qui concernent le brevet 376 ainsi qu’une demande américaine correspondante, portant le no 11/576 405 [la demande 405].

[24]  La demanderesse s’oppose à l’affidavit de Mme Permann dans la mesure où des extraits de l’historique de poursuite de la demande 405 aux États-Unis y sont joints. Je conviens que les paragraphes ou les alinéas 4, 5, 7a, 7b, 7d, 7e, 7f, 7g, 7h, 7i, 7l et 8, ainsi que les pièces C et D, sont inadmissibles et ils ne seront pas pris en compte. Sinon, l’affidavit est admissible. La défenderesse a déposé plus tard une copie certifiée de l’historique de poursuite de la demande 405, qui a été admise en preuve.

3)  L’affidavit de Jeff Hart, pour le compte de la demanderesse, daté du 9 juillet 2019 [l’affidavit de Hart], et l’affidavit supplémentaire de Jeff Hart, daté du 19 juillet 2019

[25]  Jeff Hart est le directeur des opérations de la demanderesse, CanMar Foods. Avant de signer l’affidavit du 9 juillet, M. Hart a passé en revue l’affidavit de M. Popowich.

[26]  Le 12 octobre 2017, M. Hart a reçu une chaîne de courriels entre M. Popowich et l’un des clients de la demanderesse, qui est situé en Chine. C’est cette chaîne de courriels qui a permis à la demanderesse d’apprendre que la défenderesse envisageait d’offrir un produit à base de graines de lin grillées.

[27]  Le 28 août 2018, le président de la demanderesse a assisté à la conférence commerciale mexicaine de 2018, organisée par la Saskatchewan Trade and Export Partnership (STEP) à Saskatoon, et il a pris une photographie de l’affichage de la marque « NEPRI » de la défenderesse, qui annonçait du lin grillé.

[28]  La demanderesse a ensuite appris que la défenderesse annonçait des produits à base de [TRADUCTION] « lin grillé » sur son site web et sur ses pages de médias sociaux et qu’elle était inscrite à titre de fournisseur et d’exportateur de [TRADUCTION] « graines de lin grillées » dans le site web du Flax Council of Canada.

[29]  M. Hart décrit les lettres que se sont échangés les avocats de la demanderesse et la défenderesse dans le cadre d’une tentative ratée d’organiser une inspection de l’installation de cette dernière. Sont annexés à l’affidavit des messages courriels et un projet d’entente de confidentialité.

[30]  Finalement, M. Hart critique l’affidavit de M. Popowich. L’une des critiques concerne l’utilisation du thermomètre infrarouge numérique tenu à la main qui, d’après un manuel du produit, mesure la température à la surface d’un objet, et non la température de l’air dans lequel se trouve cet objet.

[31]  De plus, M. Hart remet en question la disposition de la vis sans fin qui est représentée sur les photographies de l’affidavit de M. Popowich. Plus précisément, M. Hart indique que la vis sans fin [traduction] « semble avoir été présentée d’une manière spéciale qui ne la représente pas en état de marche ». L’avocat de la demanderesse a répondu à cette allégation lors du contre-interrogatoire, et M. Popowich a indiqué que la vis sans fin était en état de marche dans la vidéo/photo de démonstration.

[32]  Dans son affidavit supplémentaire, M. Hart indique que le directeur des ventes de la demanderesse a assisté à la Saskatchewan Asia Trade Conference de 2019, tenue à Regina le 11 juillet 2019, et qu’il a obtenu des cartes d’affaires de NEPRI et de TA Foods. Ces cartes mentionnaient du lin grillé à titre d’exemple des produits de détail que vendait TA Foods sous le nom de marque NEPRI.

[33]  Le 12 juillet 2019, M. Hart a fait une recherche dans le site web de NEPRI et a découvert qu’à ce moment-là ce site ne faisait aucune mention de lin grillé. Il indiquait plutôt des [TRADUCTION] « graines de lin doré moulues et entières, précuites » dans sa liste de produits.

B.  La requête en précisions

[34]  À l’appui de la requête en précisions, la demanderesse a déposé des affidavits de Jessica Yaromich, datés du 9 mai 2019 et du 20 juillet 2019. Mme Yaromich est parajuriste au cabinet Siskinds LLP. Ces affidavits comportaient les actes de procédure, la demande de précisions supplémentaires de la demanderesse, la lettre de réponse de la défenderesse à cette demande, ainsi que trois versions de la réponse à la demande de précisions de la défenderesse.

IV.  Les questions en litige

A.  La requête en jugement sommaire

[35]  Les questions en litige sont les suivantes :

  • 1) s’il convient que la Cour rende un jugement sommaire fondé sur l’absence de contrefaçon du brevet 376;

  • 2) subsidiairement, s’il convient de radier la totalité de la déclaration de la demanderesse au motif qu’elle est frivole ou vexatoire ou qu’elle constitue autrement un abus de procédure de la Cour.

B.  La requête en précisions

[36]  Les questions en litige sont les suivantes :

  • 1) s’il convient d’ordonner à la défenderesse de fournir des précisions supplémentaires sur certaines allégations contenues aux paragraphes 5, 12 à 14, 16, 17, 19 et 20 de la défense, conformément au paragraphe 181(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles);

  • 2) s’il convient de radier les paragraphes 5, 7, 8, 11 et 15 de la défense ainsi que la réponse de la défenderesse à la demande de précisions, conformément au paragraphe 221(1) des Règles.

V.  Les dispositions applicables

A.  La requête en jugement sommaire

[37]  La défenderesse sollicite une ordonnance accordant un jugement sommaire fondé sur l’absence de contrefaçon du brevet 376. L’article 213 des Règles autorise une partie à présenter une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire à l’égard de toutes ou d’une partie des questions que soulèvent les actes de procédure, et ce, après le dépôt de la défense de la défenderesse et avant que les heure, date et lieu de l’instruction soient fixés.

[38]  Subsidiairement, la défenderesse sollicite une ordonnance radiant la déclaration dans son intégralité parce qu’elle est conjecturale et donc frivole ou vexatoire ou qu’elle constitue autrement un abus de procédure. L’article 221 des Règles confère à la Cour le pouvoir de radier des actes de procédures dans les cas suivants :

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

[39]  La défenderesse invoque le nouvel article 53.1 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4, lequel prévoit une exception restreinte à la règle générale voulant que, dans une action relative à un brevet, l’historique de la poursuite de la demande du brevet ne constitue pas une preuve admissible :

53.1 (1) Dans toute action ou procédure relative à un brevet, toute communication écrite ou partie de celle-ci peut être admise en preuve pour réfuter une déclaration faite, dans le cadre de l’action ou de la procédure, par le titulaire du brevet relativement à l’interprétation des revendications se rapportant au brevet si les conditions suivantes sont réunies :

a) elle est produite dans le cadre de la poursuite de la demande du brevet ou, à l’égard de ce brevet, d’une renonciation ou d’une demande ou procédure de réexamen;

b) elle est faite entre, d’une part, le demandeur ou le titulaire du brevet, et d’autre part, le commissaire, un membre du personnel du Bureau des brevets ou un conseiller du conseil de réexamen.

B.  La requête en précisions

[40]  La demanderesse sollicite une ordonnance obligeant la défenderesse à signifier et à déposer des précisions supplémentaires. Selon l’article 181 des Règles, les actes de procédure doivent contenir des précisions sur chaque allégation qui y figure. Sur requête, la Cour peut ordonner à une partie de signifier et déposer des précisions supplémentaires sur toute allégation figurant dans ses actes de procédure :

181 (1) L’acte de procédure contient des précisions sur chaque allégation, notamment :

a) des précisions sur les fausses déclarations, fraudes, abus de confiance, manquements délibérés ou influences indues reprochés;

b) des précisions sur toute allégation portant sur l’état mental d’une personne, tel un déséquilibre mental, une incapacité mentale ou une intention malicieuse ou frauduleuse.

(2) La Cour peut, sur requête, ordonner à une partie de signifier et de déposer des précisions supplémentaires sur toute allégation figurant dans l’un de ses actes de procédure.

[41]  La demanderesse invoque également l’article 221 des Règles à l’appui de sa demande de radiation de certains paragraphes de la défense et de la réponse de la défenderesse à la demande de précisions.

VI.  Analyse

A.  La requête en jugement sommaire

[42]  Un jugement sommaire permet à la Cour de se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu’elle n’estime pas nécessaire d’instruire parce qu’elles ne soulèvent aucune question sérieuse à trancher (Harley-Davidson Motor Company c Manoukian, 2013 CF 193, au par. 29). Pour ce qui est d’une requête en jugement sommaire, les étapes procédurales à suivre sont énoncées aux articles 213, 215 et 217 à 219 des Règles.

[43]  Si la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse à instruire, elle est tenue de rendre un jugement sommaire. Si la seule véritable question litigieuse est un point de droit, elle peut également statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire (art. 215 des Règles).

[44]  La demanderesse se fonde sur la décision rendue dans l’arrêt MacNeil c Canada, 2004 CAF 50, à l’appui de la thèse selon laquelle s’il existe une véritable question à trancher ou des doutes quant à la crédibilité, il ne convient pas dans ce cas de rendre un jugement sommaire et les parties devraient procéder à un interrogatoire complet ainsi qu’à un procès sur le fond.

[45]  Pendant la dizaine d’années qui a suivi cette décision, notre Cour s’est sentie liée par cette approche, et l’option de rendre un jugement sommaire en tant que moyen juste, efficace et expéditif de trancher des litiges de manière proportionnelle a disparu.

[46]  Cependant, l’arrêt de la Cour suprême du Canada Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7 [Hryniak] a donné lieu à un virage culturel et ouvert la voie à une démarche plus raisonnée vis-à-vis du recours aux requêtes en jugement sommaire. La Cour suprême a décrété que les « règles régissant les jugements sommaires doivent recevoir une interprétation large et propice à la proportionnalité et à l’accès équitable à un règlement abordable, expéditif et juste des demandes » (arrêt Hryniak, précité, au par. 5).

[47]  Dans l’arrêt Manitoba c Canada, 2015 CAF 57, aux par. 14 et 15, le juge Stratas a fait les commentaires suivants au sujet de l’effet de l’arrêt Hryniak sur les jugements sommaires rendus au sein de la Cour fédérale :

[14] Les règles énoncées dans les Règles des Cours fédérales en matière de jugements sommaires ont été modifiées il y a à peine six ans afin de prendre en compte des considérations du genre de celles abordées dans l’arrêt Hryniak ainsi que les difficultés que posent les litiges dans le contexte moderne : voir DORS/2009-331, article 3. La principale modification a consisté à introduire, à l’article 216 des Règles, une procédure élaborée et audacieuse pour le déroulement des procès sommaires qui s’accorde avec la terminologie employée dans les Règles des Cours fédérales. J’examinerai maintenant le libellé précis des articles 215 et 216 des Règles.

[15] Suivant le paragraphe 215(1) des Règles des Cours fédérales, s’il « n’existe pas de véritable question litigieuse », la Cour « rend » un jugement sommaire. Sur la question de l’« [a]bsence d’une véritable question litigieuse », la jurisprudence des Cours fédérales, qui doit tenir compte des objectifs d’équité, de célérité et de rentabilité énoncés à l’article 3 des Règles, est conforme aux valeurs et aux principes formulés dans l’arrêt Hryniak. Pour reprendre ce qui est dit dans l’arrêt Burns Bog Conservation Society c. Canada, 2014 CAF 170, il n’y a « pas de véritable question » s’il n’y a pas de « fondement juridique » à la demande compte tenu du droit ou de la preuve invoquée (aux paragraphes 35 et 36). Selon les termes employés dans l’arrêt Hryniak, il n’y aura pas de « question de ce genre » si la demande est dénuée de fondement juridique ou si le juge dispose de « la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige » (au paragraphe 66). L’arrêt Hryniak fait également allusion à de « nouveaux pouvoirs » qui peuvent aider le juge à trancher ces questions (au paragraphe 44). Mais selon le libellé des Règles des Cours fédérales, ces pouvoirs n’interviennent qu’à une étape ultérieure de l’analyse prévue à l’article 216 des Règles.

[48]  Pour les jugements sommaires, il n’existe aucun critère déterminant. L’une des formulations est que le critère ne consiste pas à savoir si la partie demanderesse n’a aucune chance d’obtenir gain de cause au procès, mais plutôt si l’affaire est à ce point douteuse qu’elle ne mérite pas d’être examinée par le juge des faits dans le cadre d’un éventuel procès (Garford Pty Ltd c Dywidag Systems International Canada Ltd, 2010 CF 996, au par. 2, conf. par 2012 CAF 48 [Garford Pty]).

[49]  Les dispositions relatives aux jugements sommaires doivent être interprétées de manière large, de manière à pouvoir apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible (arrêt Hryniak, au par. 5; art. 3 des Règles et arrêt Garford Pty, précité, au par. 5).

[50]  Les parties sont tenues de présenter leur cause sous son meilleur jour. La partie défenderesse ne peut se fonder sur un élément qui pourrait être produit ultérieurement en preuve dans l’instance, mais elle doit énoncer des faits précis et produire les éléments de preuve qui démontrent l’existence d’une véritable question litigieuse (arts. 213 et 214 des Règles; Sterling Lumber Co c Harrison, 2010 CAF 21, au par. 8).

[51]  La défenderesse a fait valoir que l’interprétation des revendications du brevet 376 convient à la présentation d’une requête en jugement sommaire. L’interprétation d’une revendication étant un point de droit, la défenderesse demande à la Cour d’interpréter les revendications du brevet 376 et de conclure qu’il n’existe pas de véritable question de contrefaçon (Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67, au par. 76 [Whirlpool]).

[52]  La revendication 1 est la seule revendication indépendante du brevet 376, et les autres revendications en sont dépendantes, directement ou indirectement. S’il n’y a pas de contrefaçon de cette revendication, aucune des revendications dépendantes n’est contrefaite. C’est donc dire que s’il est conclu que la revendication 1 n’est pas contrefaite, il suffit à la Cour de traiter de cette dernière dans le cadre de la requête en jugement sommaire. Le texte de cette revendication est le suivant :

[traduction] 

1. Une méthode de grillage de graines oléagineuses, méthode constituée des étapes suivantes :

a) chauffage des graines oléagineuses dans un circuit d’air pendant moins de 2 minutes, ledit circuit d’air ayant une température allant de 146 à 205 °C, produisant ainsi des graines chauffées;

b) transfert des graines chauffées dans une chambre ou une tour de grillage totalement ou partiellement isolée;

c) maintien des graines chauffées dans ladite chambre ou tour de grillage sans addition d’autre chaleur jusqu’à ce que le procédé de grillage soit complet, la température des graines chauffées diminuant pendant cette période de maintien, produisant ainsi des graines oléagineuses grillées dans la chambre ou la tour;

d) retrait des graines oléagineuses grillées de la chambre ou de la tour afin qu’elles refroidissent.

[53]  L’objet essentiel de l’argument de la défenderesse est que son procédé de cuisson et de grillage des graines oléagineuses ne relève pas des revendications du brevet 376, quand il est correctement interprété. Plus précisément, le procédé de cuisson de graines oléagineuses de la défenderesse ne comporte pas le chauffage des graines dans un circuit d’air (revendication 1, étape a) ni le maintien des graines dans une tour ou une chambre isolée (revendication 1, étapes b et c). Cela étant, le procédé de cuisson de la défenderesse ne peut pas contrefaire la revendication 1, et toutes les autres revendications étant dépendantes de cette dernière, la défenderesse ne peut pas contrefaire le brevet 376.

1)  L’historique de la poursuite de la demande en tant qu’aide à l’interprétation des revendications

[54]  Les principes de l’interprétation des revendications dans le droit canadien des brevets ont été énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Whirlpool, précité, aux paragraphes 49 à 55, et Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, aux paragraphes 44 à 54 [Free World Trust].

[55]  Ces principes sont les suivants :

i. les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l’objet, dans un esprit désireux de comprendre et selon le point de vue de la personne versée dans l’art, à la date de la publication, en tenant compte des connaissances générales courantes;

ii. la teneur des revendications doit être interprétée selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu lui donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objectif de l’inventeur, de sorte à favoriser tant l’équité que la prévisibilité;

iii. l’ensemble du mémoire descriptif doit être pris en considération afin de déterminer la nature de l’invention, et l’interprétation des revendications doit se faire sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et le public.

[56]  La défenderesse soutient qu’en plus d’appliquer une interprétation dite « téléologique » (ou « en fonction de l’objet visé ») à n’importe quelle revendication d’un brevet en se basant sur une lecture de la revendication et du mémoire descriptif dans son ensemble, la Cour doit également prendre en compte les déclarations faites au cours de la poursuite du brevet 376 (arrêt Free World Trust, précité, au par. 31; arrêt Whirpoool, aux par. 48 à 89; Loi sur les brevets, par. 53.1(1)). En l’espèce, la défenderesse se fonde à la fois sur l’historique de poursuite canadien et la jurisprudence américaine, et sur l’historique de poursuite de la demande américaine correspondante, la no 11/576,405, déposée auprès du United States Patent and Trademark Office [USPTO].

[57]  La défenderesse est d’avis que l’historique de poursuite de la demande 405 établit que les limites que sont le [traduction] « circuit d’air » et [traduction] « la chambre ou la tour de grillage isolé » ont été ajoutées pour réfuter les réalisations antérieures que l’USPTO a citées. L’historique de poursuite canadien qui se rapporte au brevet 376 adopte ces limites en intégrant par renvoi l’historique de poursuite américain, et essentiellement les mêmes revendications qui ont été modifiées aux États-Unis dans une tentative de réfuter des objections en matière de nouveauté et d’évidence.

a)  L’utilisation de l’historique de poursuite dans le droit canadien des brevets

[58]  Avant l’entrée en vigueur de l’article 53.1, les déclarations faites au cours de la poursuite de demandes de brevet canadiennes ou de demandes de brevet étrangères correspondantes n’étaient ni pertinentes ni admissibles relativement à l’interprétation des termes utilisés dans les brevets canadiens en cause (Meda AB c Canada (Santé), 2016 CF 1362, au par. 115, citant les arrêts Whirlpool et Free World Trust).

[59]  Dans l’arrêt Free World Trust, le juge Binnie a fermement rejeté l’utilisation de l’historique de poursuite pour l’interprétation des revendications d’un brevet. À son avis, « l’interprétation téléologique, qui assure la primauté de la teneur des revendications, paraît également incompatible avec l’ouverture de la boîte de Pandore que serait la préclusion fondée sur les notes apposées au dossier » (Arrêt Free World Trust, au par. 66).

[60]  Tout changement par rapport à cette position doit résider dans des modifications législatives. Le nouvel article 53.1 crée une exception à cette règle générale en permettant d’admettre en preuve les communications écrites entre le breveté et le Bureau des brevets lors de la poursuite de la demande de brevet canadienne, de façon à réfuter les déclarations faites par le breveté dans le cadre de l’action, relativement à l’interprétation d’une revendication du brevet.

[61]  Les parties ont présenté des observations sur l’application de l’article 53.1. La position de la défenderesse semble être la suivante : étant donné que la demanderesse a modifié ses revendications relatives aux procédés dans sa demande de brevet canadienne de façon à refléter essentiellement les revendications relatives aux procédés qui ont été déposées auprès de l’USPTO en vue de réfuter certaines objections, l’historique de la poursuite de la demande 405 devrait être admis en preuve.

[62]  L’article 53.1 ne fait aucune référence aux historiques de poursuite d’autres pays. Les déclarations que fait le breveté lors de la poursuite d’une demande de brevet étrangère devraient, à moins de circonstances extraordinaires analysées ci-après, demeurer inadmissibles pour ce qui est d’interpréter des termes employés dans des brevets canadiens. Ouvrir des historiques de poursuite étrangers pour interpréter des revendications canadiennes, c’est une invitation à ouvrir la proverbiale « boîte de Pandore ». La preuve du droit étranger, l’applicabilité au droit canadien et le fait de distinguer des différences dans ces lois et ces théories n’ont jamais été prévus dans les changements restreints qui ont été introduits dans le cadre de l’article 53.1. Cette nouvelle disposition concerne précisément l’utilisation d’historiques de poursuite canadiens dans le but de réfuter n’importe quelle position adoptée lors de l’interprétation d’une revendication.

[63]  Dans la mesure où la défenderesse souhaite introduire des communications effectuées lors de la poursuite du brevet 376, ces dernières ne sont admissibles que dans le but restreint de réfuter une déclaration que le breveté a faite au sujet de l’interprétation d’une revendication de ce brevet.

b)  La préclusion fondée sur l’historique de poursuite dans le droit des brevets aux États-Unis

[64]  Lorsqu’on interprète l’article 53.1, la jurisprudence qui est apparue au sujet de l’utilisation des historiques de poursuite dans le droit des brevets aux États-Unis peut être instructive pour jeter un éclairage empirique sur la manière d’utiliser convenablement les historiques de poursuite au Canada. Cela dit, la prudence s’impose, vu les différences qui existent dans nos manières respectives d’aborder l’interprétation des revendications.

[65]  Dans l’arrêt Free World Trust, le juge Binnie a traité de la théorie de la préclusion fondée sur l’historique de poursuite dans le droit des brevets aux États-Unis (arrêt Free World Trust, au par. 63) :

Récemment, dans Warner-Jenkinson Co., précité, la Cour suprême des États-Unis a statué que le titulaire d’un brevet ne pouvait se prévaloir de la théorie des équivalents pour reprendre le terrain cédé au moyen d’une argumentation ou d’une modification portant restriction lors des négociations avec le Bureau des brevets. Elle a confirmé que la préclusion fondée sur les notes apposées au dossier pouvait être invoquée, mais elle l’a circonscrite afin que [traduction] «des limites raisonnables soient apportées à la théorie des équivalents», le juge Thomas, à la p. 34. Alors que la préclusion fondée sur l’examen de la demande de brevet demeure liée aux modifications apportées pour éviter que l’invention ne se heurte à une antériorité ou pour éviter un autre écueil – telle l’évidence – qui aurait pu rendre non brevetable l’objet revendiqué, le tribunal a exigé du breveté qu’il justifie la modification demandée pendant l’examen de la demande de brevet. Lorsqu’aucune explication innocente n’est avancée, le tribunal présumera désormais que le Bureau des brevets avait un motif valable lié à la brevetabilité d’intégrer l’élément restrictif ajouté par voie de modification. Dans ces circonstances, la préclusion fondée sur l’examen de la demande de brevet fait obstacle à l’application de la théorie des équivalents à l’égard de cet élément.

[66]  En 2002, la Cour suprême des États-Unis, dans l’arrêt Festo Corp v Shoketsu Kinzoku Kogyo Kabushiki Co Ltd, 535 US 722 (2002) [Festo], a examiné de nouveau la théorie de la préclusion fondée sur l’historique de poursuite d’une demande et son interaction avec la théorie des équivalents. La Cour a analysé la relation qui existe entre les modifications apportées aux revendications d’un brevet et l’interprétation des revendications finales, telles qu’elles ont été formulées (arrêt Festo, précité, à la p. 734) :

[traduction

Un rejet dénote que l’examinateur des brevets ne croit pas que la revendication originale pourrait être brevetée. Bien que le breveté ait le droit d’interjeter appel, sa décision de renoncer à faire appel et de présenter une revendication modifiée est considérée comme une concession que l’invention, telle que brevetée, ne va pas aussi loin que la revendication originale. [...] S’il en était autrement, l’inventeur pourrait éviter la fonction de gardien du PTO et chercher à récupérer dans une action en contrefaçon l’objet même qui a été abandonné en tant que condition à la réception du brevet.

[67]  La Cour a ensuite déclaré que l’application de la préclusion a pour but de [TRADUCTION] « faire en sorte que l’inventeur s’en tienne aux déclarations faites lors du processus de demande ainsi qu’aux inférences qu’il est raisonnablement possible de tirer de la modification. En modifiant la demande, l’inventeur est réputé concéder que le brevet ne va pas aussi loin que la revendication originale » (arrêt Festo, aux p. 737 et 738).

c)  L’interprétation de l’article 53.1 de la Loi sur les brevets

[68]  Depuis l’adoption de l’article 53.1, l’interprétation téléologique des demandes de brevet au Canada comporte maintenant trois volets : 1) les revendications elles-mêmes, 2) la divulgation et 3) l’historique de la poursuite au Canada, quand celui-ci sert à réfuter une déclaration que le breveté a faite au sujet de l’interprétation d’une revendication du brevet.

[69]  En l’espèce, la question en litige consiste à définir la portée de l’admissibilité au regard de l’article 53.1. La défenderesse incite la Cour à conclure qu’au vu des faits de l’espèce le breveté a incorporé par renvoi l’historique de poursuite de la demande américaine no 11/576,405 à l’historique de la poursuite de la demande canadienne.

[70]  Le libellé de l’article 53.1 se limite aux communications effectuées entre le breveté et le Bureau canadien des brevets, et c’est dans ce contexte qu’il faudrait généralement l’appliquer. Cependant, en l’espèce, je conclus que la brevetée a fait expressément référence à l’historique de poursuite de la demande américaine correspondante et a reconnu que les modifications apportées aux revendications dans l’historique de poursuite de la demande 376 avaient pour but de réfuter les préoccupations en matière de nouveauté et d’évidence qui avaient été soulevées dans l’historique de poursuite de la demande américaine. C’est donc dire que la Cour peut examiner l’historique de poursuite de la demande américaine dans le cadre d’une interprétation téléologique des revendications du brevet 376.

[71]  Demander à la Cour de faire abstraction, dans ces circonstances, du renvoi fait par la brevetée à la poursuite et aux revendications de la demande américaine revient à l’inviter à s’abstenir d’interpréter téléologiquement les revendications du brevet 376. Depuis l’adoption de l’article 53.1, l’interprétation téléologique oblige à examiner non seulement les revendications et la divulgation, mais aussi le fond qui sous-tend les modifications intentionnelles qui ont été apportées aux revendications incluses dans les brevets canadiens. Faire abstraction du renvoi fait à l’historique de poursuite de la demande américaine et aux restrictions apportées aux revendications en vue de réfuter des objections en matière de nouveauté et d’évidence qui ont ensuite été incorporées dans les revendications canadiennes lors de la poursuite affaiblirait l’intention et l’effet de l’article 53.1.

[72]  De plus, s’il fallait que la Cour fasse abstraction de l’historique de poursuite de la demande américaine correspondante dans des circonstances comme celles qui sont présentes en l’espèce, cela inciterait les demandeurs de brevet au Canada à s’abstenir délibérément de faire preuve de transparence auprès du Bureau des brevets canadien quant à la raison pour laquelle des modifications ont été apportées pour limiter des revendications lors de la poursuite. Si l’on considérait que l’article 53.1 n’autorise jamais à examiner les historiques de poursuite étrangers dans le cadre desquels des limites ont été expressément ajoutées pour réfuter des objections en matière de nouveauté et d’évidence et si ces limites étaient adoptées par la suite lors de la poursuite des revendications canadiennes correspondantes, les demandeurs pourraient se fonder sur des demandes étrangères simultanément en instance pour se soustraire concrètement à toute application de l’article 53.1.

[73]  Il ne peut s’agir là de l’effet voulu de l’article 53.1. Une interprétation qui permet de prendre en considération des historiques de poursuite étrangers dans des circonstances extraordinaires concorde avec les réalités de la poursuite d’une demande de brevet au Canada. La poursuite d’une demande de brevet canadienne suit souvent la poursuite de demandes de brevet correspondantes dans d’autres pays. À cette fin, les demandes canadiennes peuvent être admissibles à un examen accéléré par l’entremise de l’« autoroute du traitement des demandes de brevet » quand les demandes correspondantes incluent des revendications qui sont accordées ou considérées comme admissibles dans d’autres pays, tels que les États-Unis (Office de la propriété intellectuelle du Canada, « Recueil des pratiques du Bureau des brevets » (avril 2018 – Mise à jour de l’édition de 1998), section 13.03.03).

[74]  Il survient des circonstances extraordinaires lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la brevetée reconnaît que les revendications ont été modifiées pour être essentiellement les mêmes que les revendications présentées dans un autre pays, et qu’elle admet que les modifications ont restreint la portée des revendications de façon à les rendre nouvelles et non évidentes. Dans ces circonstances, la Cour devrait pouvoir se reporter à l’historique de poursuite de la demande étrangère dans le but restreint d’interpréter téléologiquement les revendications canadiennes.

[75]  Cette approche concorde avec la position des États-Unis sur la question. Dans l’arrêt Abbott Labs v Sandoz, 566 F.3d 1282 (Fed Cir 2009), à la p. 1288 [Abbott Labs], la Cour d’appel des États-Unis pour le circuit fédéral a fait le commentaire suivant à propos du fait d’utiliser l’historique de poursuite dans le cadre de l’interprétation d’une revendication :

[traduction

Notre Cour peut donc arriver à une interprétation plus restrictive, qui se limite aux réalisations révélées dans le mémoire descriptif, quand les revendications elles-mêmes, le mémoire descriptif ou l’historique de la poursuite dénotent clairement que l’invention n’englobe rien de plus que cette structure ou cette méthode restreinte.

[76]  La Cour a ensuite traité du rôle que jouait une demande de brevet japonaise dans le contexte de l’interprétation des revendications du brevet américain (arrêt Abbott Labs, précitée, à la p. 1290) :

[traduction

Initialement, le district est de la Virginie a considéré à juste titre que la demande 199 du Japon était une preuve objective et pertinente des connaissances qu’avait l’inventeur lors du dépôt du brevet 507. Même si les déclarations faites lors de la poursuite d’une demande de brevet étrangère qui est équivalente à une demande de brevet américaine s’appliquent de manière restrictive à l’interprétation d’une revendication américaine [...] dans le cas présent, la demande 199 du Japon fait partie de l’historique de la poursuite du brevet 507 lui-même.

(Non souligné dans l’original.)

[77]  Je conclus que, pour donner à l’article 53.1 l’effet recherché, une démarche semblable à l’admissibilité de l’historique de poursuite de demandes étrangères devrait s’appliquer au Canada. Dans la circonstance extraordinaire où la poursuite de la demande étrangère est incluse dans l’historique de poursuite du brevet canadien, cet historique étranger, s’il est pertinent à l’égard des limites imposées à des revendications canadiennes, devrait être admissible en vue d’aider à interpréter téléologiquement les revendications du brevet canadien.

[78]  C’est le cas en l’espèce. La demanderesse fait référence à des revendications soumises à l’USPTO et elle admet que les modifications apportées aux revendications du brevet canadien ont restreint la portée de ces dernières de façon à les rendre nouvelles et non évidentes.

[79]  Cela dit, la Cour peut de toute façon interpréter la revendication 1 du brevet 376 et ne relever aucune contrefaçon, en se fondant sur la preuve du procédé employé par la défenderesse qui a été décrite dans l’affidavit de M. Popowich ainsi que lors du contre-interrogatoire sur cet affidavit. Peu importe l’historique de poursuite de la demande aux États-Unis, je ne vois pas comment le procédé décrit dans l’affidavit de M. Popowich pourrait peut-être constituer un chauffage de graines oléagineuses dans un circuit d’air, au sens où ce terme est employé dans la revendication 1 du brevet 376. Comme il s’agit là du seul procédé qu’emploie la défenderesse pour griller ses graines oléagineuses, cette dernière ne contrefait pas les revendications du brevet 376, et ce, pour les motifs qui suivent.

2)  La requête en jugement sommaire

[80]  Tout d’abord, l’interprétation des revendications est une question de droit qu’il appartient au juge de trancher (arrêt Whirlpool, au par. 61). Quand le juge peut interpréter le brevet comme le comprendrait une personne moyennement versée dans l’art, une preuve d’expert n’est pas nécessaire (Pfizer Canada Inc c Canada (Santé), 2007 CF 446, aux par. 25, 35 et 36; Excalibre Oil Tools Ltd c Advantage Products Inc, 2016 CF 1279, au par. 119).

[81]  La demanderesse a fait valoir qu’il faut une preuve d’expert pour interpréter la revendication 1. Compte tenu de la revendication, de la divulgation ainsi que de l’historique de poursuite du brevet 376, j’estime ne pas avoir besoin d’une preuve d’expert pour pouvoir interpréter téléologiquement les deux éléments de la revendication 1 qui sont en litige.

[82]  Divers éléments de la divulgation du brevet 376 reconnaissent que le grillage de graines oléagineuses est un système ou un procédé qui est connu et il est donc admis dans le brevet lui-même que le grillage des graines de lin et d’autres graines oléagineuses est un procédé connu (brevet 376, p. 2, lignes 14, 15 et 24 à 30; p. 3, lignes 22 à 28). Cette reconnaissance est une preuve que les graines de lin grillées ne sont pas brevetables en soi.

[83]  Les deux éléments de la revendication 1 en question sont :

  1. le chauffage des graines oléagineuses dans un circuit d’air;

  2. le transfert des graines chauffées dans une tour ou une chambre de grillage totalement ou partiellement isolée, puis le maintien des graines dans ladite chambre ou tour.

a)  Le chauffage des graines oléagineuses dans un circuit d’air

[84]  La demanderesse a fait valoir que l’article 53.1 ne s’applique pas, car elle n’a fait aucune déclaration quant à l’interprétation de la revendication 1. De plus, a-t-elle ajouté, la Cour n’est pas en mesure de déterminer si les éléments contestés de la revendication sont essentiels ou pas. Cependant, comme l’a fait valoir la défenderesse, la demanderesse a déclaré à maintes reprises dans ses observations écrites que le libellé de la revendication 1 ne se limite pas à un type ou à une source de chauffage en particulier.

[85]  À mon avis, l’article 53.1 s’applique, et l’historique de poursuite du brevet 376 est admissible. Cet historique aide à interpréter téléologiquement les éléments contestés de la revendication no 1. Lors de la poursuite, le défendeur a introduit les limites de la revendication 1 quant au circuit d’air et à la chambre ou à la tour de grillage totalement ou partiellement isolée.

[86]  Dans une lettre datée du 24 août 2012 adressée au Bureau canadien des brevets, la demanderesse a admis que les [TRADUCTION] « revendications nouvellement déposées sont d’une portée nettement plus restreinte que celle des revendications qui ont été examinées antérieurement à cause de l’introduction de limites importantes qui découlent de la description et de revendications dépendantes antérieures ». De plus, les nouvelles revendications ont été présentées [TRADUCTION] « pour englober un objet à la fois nouveau et non évident ».

[87]  Il ressort clairement de cette communication au Bureau des brevets que l’intention explicite de l’inventeur est que ces deux éléments, qui ont été présentés pour faire valoir un objet nouveau et non évident, sont essentiels (arrêt Free World Trust, au par. 31).

[88]  Le chauffage dans un circuit d’air est un élément essentiel de la revendication 1 selon une interprétation claire de la revendication elle-même, de la divulgation du brevet 376 et de l’historique de la poursuite. La divulgation indique que (brevet 376, page 6, lignes 29 à 31) :

[traduction] 

Tout système de chauffage peut être utilisé pour chauffer les graines de lin à la température voulue, à condition que cela puisse être fait relativement rapidement en conformité avec les méthodes des réalisations exemplaires.

(Non souligné dans l’original.)

[89]  Les réalisations exemplaires décrites dans la divulgation consistent à (brevet 376, page 6, lignes 22 à 27) :

[traduction] 

Laisser l’air chauffé circuler et s’intercaler entre les graines de lin de façon à ce qu’elles se retrouvent en état de suspension dans l’air. De cette manière, la surface complète de chaque graine sera sensiblement et uniformément exposée à la température de chauffage.

[90]  En conséquence, selon une interprétation téléologique, le chauffage de graines oléagineuses dans un circuit d’air signifie que les graines sont soumises à un circuit d’air afin qu’elles se retrouvent en état de suspension dans l’air, et ce, de manière à ce que la surface complète de chaque graine soit sensiblement et uniformément exposée à la température de chauffage.

[91]  La preuve tirée de l’affidavit de M. Popowich est que le seul procédé que le défendeur emploie pour griller ses graines de lin fait appel au microniseur. Les graines de lin sont soumisses à un rayonnement infrarouge lors de leur passage sur une plaque en acier vibrante, placée sous une série de tuiles en céramique chauffantes. Les graines de lin ne sont pas soumises à un circuit d’air.

[92]  La demanderesse a fait valoir que la portée de la revendication 1 ne se limite pas à un type ou à une source de chauffage en particulier, et que l’utilisation d’un rayonnement infrarouge pourrait peut-être contrefaire la revendication 1. Toutefois, le circuit d’air est un élément essentiel de la revendication 1, quand elle est interprétée téléologiquement. Cette limite a été introduite lors de la poursuite afin de préciser un type de chauffage. Cette limite de la portée de la revendication 1 exclut le chauffage par rayonnement infrarouge en l’absence d’un circuit d’air. Le fait de demander à la Cour d’interpréter de manière plus large la revendication 1 n’est pas étayé par le libellé précis de cette revendication, par la divulgation du brevet 376 ou par l’historique de la poursuite.

[93]  La demanderesse s’est aussi concentrée sur la distinction qu’il y a entre le grillage, la cuisson et la pasteurisation des graines de lin, et elle a fait valoir que la défenderesse doit utiliser des procédés différents pour le grillage, la cuisson et la pasteurisation des graines de lin. La preuve tirée du contre-interrogatoire de M. Popowich était que la défenderesse utilisait ces termes de manière interchangeable et, en tout état de cause, le seul procédé que le défendeur emploie fait appel au microniseur. Peu importe que le procédé de la défenderesse soit considéré comme du grillage, de la cuisson ou de la pasteurisation, l’accent doit être mis sur le libellé de la revendication 1.

[94]  Le seul procédé utilisé par le défenseur, lequel est décrit dans l’affidavit de M. Popowich, ne consiste pas à chauffer les graines oléagineuses dans un circuit d’air et, de ce fait, il n’inclut pas un élément essentiel de la revendication 1.

b)  Le transfert des graines oléagineuses chauffées dans une chambre ou une tour de grillage totalement ou partiellement isolée et le maintien de ces graines dans ladite chambre ou tour

[95]  Comme il a été décrit plus tôt, après leur passage dans le microniseur, les graines oléagineuses tombent le long d’une glissière dans une trémie de forme triangulaire. La trémie est faite d’une plaque en acier et n’est pas isolée. Depuis le bas de la trémie, les graines passent dans une vis sans fin non isolée et se retrouvent dans une tour de refroidissement non isolée en tôle d’acier.

[96]  Les graines tombent au bas de la tour de refroidissement et sont immédiatement transportées vers d’autres trémies non isolées en tôle d’acier à des fins de stockage à long terme ou de conditionnement. Le temps de séjour dans la tour de refroidissement est de moins de 5 secondes.

[97]  La demanderesse a fait valoir qu’il ne convient pas de rendre un jugement sommaire dans le cas présent, car il est nécessaire de mener une enquête plus poussée pour déterminer si la vis sans fin ou la tour de refroidissement pourrait constituer [traduction] « une chambre ou une tour de grillage totalement ou partiellement isolée ».

[98]  Cet argument doit être rejeté. Le libellé de la revendication [traduction] « totalement ou partiellement isolée » indique que la tour de grillage doit être isolée. La divulgation prescrit que, pendant l’étape de maintien, les graines de lin sont conservées à une température adéquate afin d’effectuer entièrement ou du moins de manière importante le grillage des graines de lin.

[99]  La preuve que contient l’affidavit de M. Popowich est que les trémies et la tour de refroidissement utilisées sont faites en tôle d’acier de faible épaisseur et ne sont pas isolées. Cette preuve a été confirmée lors du contre-interrogatoire. Comme il a été mentionné plus tôt, une tour ou une chambre de grillage totalement ou partiellement isolée est un élément essentiel de la revendication 1. Le procédé de la défenderesse ne comporte pas un deuxième élément essentiel de la revendication 1.

[100]  Incidemment, la demanderesse a fait valoir que les mesures de température relevées par la défenderesse lors de l’essai de démonstration du microniseur constituaient un test expérimental et qu’il aurait fallu inviter la demanderesse et son avocat à en observer le déroulement (Halford c Seed Hawk Inc, 2001 CFPI 1154; Avis de la Cour fédérale à la communauté juridique; objet : tests expérimentaux (12 mai 2016)).

[101]  L’essai de démonstration n’a pas été réalisé sous la forme d’un test expérimental. La preuve de M. Popowich, qui a été établie lors du contre-interrogatoire, est plutôt que les images vidéo, les photographies et les mesures de température ont été réalisées dans le cours normal de la production commerciale.

[102]  Quoi qu’il en soit, la décision ne dépend pas de cette question, car la défenderesse ne se fonde pas sur les mesures relevées pour prouver l’absence de contrefaçon. La défenderesse a limité sa position à l’absence de contrefaçon des deux éléments essentiels que sont le chauffage des graines oléagineuses [traduction] « dans un circuit d’air » et [traduction] « la chambre ou la tour de grillage totalement ou partiellement isolée », deux éléments qui ne sont pas présents dans le procédé de la défenderesse.

[103]  Comme les deux éléments essentiels de la revendication 1, à savoir le chauffage des graines oléagineuses [traduction] « dans un circuit d’air » et [traduction] « la chambre ou la tour de grillage totalement ou partiellement isolée », ne font pas partie du procédé de grillage des graines de lin de la défenderesse, cette dernière ne contrevient pas à la revendication 1 du brevet 376. Par ailleurs, étant donné que toutes les autres revendications sont dépendantes de la revendication 1, la défenderesse ne contrefait aucune revendication du brevet 376.

3)  La requête en radiation de la déclaration dans son intégralité

[104]  Subsidiairement, la défenderesse demande que la Cour radie la déclaration dans son intégralité sans autorisation de la modifier au motif qu’elle est conjecturale et que, de ce fait, elle est frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure (Règles des Cours fédérales, art. 221). La requête de la défenderesse repose sur des motifs énoncés aux alinéas 221(1)c) et 221(1)f) des Règles.

[105]  D’après la demanderesse, après que la défenderesse a déposé sa défense, elle n’avait plus le droit de présenter une requête en radiation en vertu des alinéas 221(1)b) à f) des Règles (Première nation Dene Tsaa c Canada, 2001 CFPI 820, au par. 3 [Dene Tsaa], citant Nabisco Brands Ltd/Nabisco Brands Ltée c Proctor & Gamble Co, 1985 CarswellNat 98 (CAF)).

[106]  La défenderesse se fonde sur ce qu’a déclaré le juge Hugessen dans l’arrêt Dene Tsaa, à savoir que si une requête en radiation est déposée après que la partie a plaidé sa cause, « la plaidoirie elle-même doit renfermer une réserve au sujet des paragraphes contestés ». En l’espèce, la défenderesse a précisément plaidé au paragraphe 11 de sa défense qu’il fallait radier la déclaration dans son intégralité. Elle a ensuite déposé l’avis de requête en jugement sommaire huit jours après avoir plaidé sa cause.

[107]  La Cour est quelque peu sensible à l’argument qu’invoque la défenderesse sur ce point. Déposer la requête en radiation en même temps que la requête en jugement sommaire est une mesure qui concorde avec le fait d’apporter une solution à l’instance qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. Je n’empêcherais pas la défenderesse de préserver son droit de déposer une requête en radiation en vertu des alinéas b) à f) des Règles après avoir plaidé sa cause. Quoi qu’il en soit, il s’agit là d’un point théorique, vu la conclusion que la Cour a tirée sur la question du jugement sommaire.

B.  La requête en précisions

[108]  Comme la défenderesse a obtenu gain de cause dans le cadre de la requête en jugement sommaire, la requête en précisions est devenue théorique. Cependant, quelques commentaires sur les observations des parties sont de mise. Premièrement, la demanderesse a fait valoir que les allégations que contiennent les paragraphes 5, 12, 13, 14 et 17 de la défense sont liées à un argument affirmatif selon lequel la défenderesse emploie un procédé non contrefaisant pour cuire des graines oléagineuses, mais aucune précision sur ce procédé n’a été fournie.

[109]  La défenderesse a fait valoir que toutes les précisions demandées par la demanderesse ont été déjà fournies, dans la réponse à la demande de précisions, dans l’affidavit de M. Popowich ou dans le mémoire de la défenderesse qui s’applique à la requête en jugement sommaire. Outre ces documents, la demanderesse a eu la possibilité de contre-interroger M. Popowich sur son affidavit. La défenderesse a réitéré le procédé dont elle se sert pour cuire les graines de lin dans ses observations écrites qui se rapportent à la requête en précisions.

[110]  La bonne manière de procéder aurait été que la défenderesse inclue son procédé dans ses actes de procédure, plutôt que de répondre à la demande de précisions en faisant référence à divers autres documents, dont la preuve par affidavit. Si la présente action devait être instruite, les actes de procédure de la défenderesse figureraient dans de multiples documents. Plaider sa cause de cette manière ne contribue pas à apporter au litige la solution la plus expéditive qui soit.

[111]  De plus, plusieurs des précisions que la défenderesse a fournies sont intégrées dans la réponse à la demande de précisions par voie de renvoi à l’affidavit de M. Popowich. Des documents peuvent être intégrés par renvoi aux actes de procédure, et les précisions font partie de ces actes (McLarty c R, 2002 CAF 206, au par. 4; Bosum c Canada, 2004 CF 842, au par. 7). Toutefois, quand ces documents équivalent à des éléments de preuve, il y a lieu de les radier parce qu’ils plaident des éléments de preuve (McCreight c Canada (Attorney General), 2013 ONCA 483, aux par. 32 et 35).

[112]  Le fait d’intégrer l’affidavit de M. Popowich dans les actes de procédure par l’intermédiaire de la réponse à la demande de précisions était un moyen irrégulier de plaider des éléments de preuve. Plaider des éléments de preuve et tenter d’étoffer une allégation en faisant référence à des éléments de preuve qui fournissent les précisions nécessaires pour étayer un plaidoyer approprié ne sont pas la bonne façon de procéder. La défenderesse aurait dû inclure au départ le procédé qu’elle emploie pour griller des graines de lin, ou modifier sa défense.

[113]  La demanderesse a demandé que les paragraphes 16, 19 et 20 de la défense soient radiés parce qu’ils constituent des moyens de plaider des éléments de preuve. Il est allégué dans ces paragraphes que l’objet du brevet 376 est révélé dans les réalisations antérieures, mais ils ne comportent aucun détail ou aucune précision, hormis un renvoi à des publications énumérées à l’annexe 1.

[114]  Subsidiairement, la demanderesse a demandé des précisions supplémentaires sur la manière dont l’objet du brevet 376 est divulgué dans les références énumérées, ainsi qu’à quel endroit, ou de quelle façon, cet objet était évident aux yeux d’une personne versée dans l’art à la date de la revendication.

[115]  La défenderesse a fait valoir qu’il n’est pas nécessaire d’indiquer dans des plaidoyers de réponse des précisions sur des réalisations antérieures invoquées (Elkay Manufacturing Co c Les Produits Thermo-Concepts Inc, 1999 CanLII 8058 (CF 1re inst.), aux par. 12 et 13). Rien n’empêche les parties de se fonder sur des documents dans leur intégralité dans des annexes jointes à leurs actes de procédure (Throttle Control Tech Inc c Precision Drilling Corp, 2010 CF 1085, aux par. 35 et 36).

[116]  Là encore, les arguments de la défenderesse empêchent d’apporter au litige la solution la plus expéditive qui soit. Si la présente action était instruite, j’aurais ordonné que la défenderesse fournisse des précisions sur les parties précises des références d’antériorité sur lesquelles elle se fondait ou, dans les cas où elle se fondait sur ces références dans leur intégralité, une déclaration à cet effet.

[117]  À titre de dernière remarque, la demanderesse a demandé que la Cour radie les paragraphes 7 et 8 de la défense dans la mesure où ils sont fondés sur l’historique de poursuite de la demande de brevet américaine 405. J’ai conclu que l’historique de poursuite d’une demande étrangère peut être admissible dans des circonstances extraordinaires, mais cet historique est assimilable à un élément de preuve et il ne devrait pas être inclus dans les actes de procédure. Si la présente action était instruite, j’aurais radié des paragraphes 7 et 8 les parties fondées sur l’historique de poursuite de la demande de brevet américaine 405.

VII.  Conclusion

[118]  En conclusion, deux éléments essentiels de la revendication 1, à savoir le chauffage de graines oléagineuses [traduction] « dans un circuit d’air » et [traduction] « la chambre ou la tour de grillage totalement ou partiellement isolée », ne font pas partie du procédé de grillage des graines de lin de la défenderesse. La défenderesse ne contrefait donc pas la revendication 1 du brevet 376. Étant donné que toutes les autres revendications sont dépendantes de cette revendication, la défenderesse ne contrefait aucune revendication du brevet 376.

[119]  Compte tenu de cette conclusion, il n’existe aucune véritable question litigieuse, et la requête en jugement sommaire de la défenderesse est accueillie.

[120]  Compte tenu de ma conclusion sur la question du jugement sommaire, les questions qui restent sont théoriques.

VIII.  Les dépens

[121]  La défenderesse sollicite des dépens plus élevés en lien avec la requête en jugement sommaire ainsi que pour la totalité de l’action. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, la Cour les invite à lui faire part de leurs observations dans un délai de 10 jours.


JUGEMENT dans le dossier T-2138-18

LA COUR STATUE que :

  1. La requête en jugement sommaire de la défenderesse est accueillie, avec dépens.

  2. Les requêtes en radiation de la demanderesse et de la défenderesse, ainsi que la requête en précisions supplémentaires de la demanderesse, sont théoriques.

  3. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, la Cour les invite à lui faire part de leurs observations dans un délai de 10 jours.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour d’octobre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

T-2138-18

 

INTITULÉ :

CANMAR FOODS LTD. c TA FOODS LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 SeptembrE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 SEPTEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Serge Anissimoff

Jaime Holroyd

POUR La DEMANDERESSE

 

Patrick Smith

Sarah Li

POUR La DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Siskinds Law Firm

Avocats

London (Ontario)

 

POUR La DEMANDERESSE

 

Gowling WLG LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR La DÉFENDERESSE

 

 

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