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Date : 20191001


Dossier : IMM-910-19

Référence : 2019 CF 1236

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 1er octobre 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

YI CHEN YANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision [la décision] de la Section d’appel de l’immigration [la SAI] selon laquelle il n’y a pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour surmonter la fausse déclaration du demandeur. Le demandeur, M. Yang, est un citoyen de la Chine. Il est arrivé au Canada en 2002 muni d’un permis d’études. Il est un résident permanent, tandis que son épouse et ses deux filles sont des citoyennes canadiennes. Son épouse a obtenu le statut de résident permanent en tant qu’épouse accompagnant M. Yang sur la demande de celui‑ci, laquelle contenait les fausses déclarations, mais elle a par la suite obtenu la citoyenneté canadienne. Les deux filles du demandeur sont nées au Canada.

[2]  En 2007, sur les conseils d’un ami, M. Yang a retenu les services de la firme New Can Consultants Ltd. [New Can] pour l’aider à trouver un emploi. New Can a fait savoir qu’elle pouvait aider M. Yang à trouver un emploi en tant qu’agent d’approvisionnement pour une entreprise d’importation/exportation, Pacific Glory Enterprises Co. Ltd [Pacific Glory], et, par conséquent, celui‑ci a obtenu un permis de travail basé sur cet emploi. M. Yang a conclu une entente écrite avec New Can pour sa demande de permis de travail.

[3]  Après que M. Yang eut reçu son permis de travail, il a appris que le poste pour lequel il avait été recruté n’existait pas. New Can lui a fait savoir que lui-même paierait ses propres salaire et avantages sociaux à l’entreprise, et que Pacific Glory lui verserait des chèques de paye et documents fiscaux valides. M. Yang a pris part à cet arrangement, a travaillé sans autorisation à divers titres pour acquitter ses obligations envers New Can, et a produit des déclarations de revenu fondées sur les faux formulaires T4.

[4]  En 2008, M. Yang a présenté une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) en fonction de ce faux emploi et a inclus son épouse sur sa demande en tant qu’épouse l’accompagnant. À ce stade, l’épouse de M. Yang était au courant de l’arrangement relatif au faux emploi et contrevenait elle‑même à son permis de travail en occupant un poste de commis aux ventes au lieu de celui de chercheuse en marketing.

[5]  En 2009, un agent des visas a interrogé M. Yang au sujet de sa demande de résidence permanente. Tout au long de l’entrevue, M. Yang a entretenu le mensonge selon lequel il était à l’emploi de l’entreprise Pacific Glory. En fait, New Can avait préparé M. Yang et un de ses faux collègues de travail à mentir pendant l’entrevue. M. Yang et son épouse ont obtenu la résidence permanente en 2010.

[6]  En 2012, l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a entrepris une vaste enquête sur des cas de fraude liée à l’immigration impliquant New Can et son propriétaire, Xun « Sunny » Wang. Par conséquent, l’ASFC a ouvert des enquêtes à l’égard d’un certain nombre des clients de New Can, dont M. Yang. L’ASFC a communiqué avec M. Yang en 2016 parce qu’elle craignait que celui‑ci n’ait obtenu la résidence permanente sur la foi de fausses déclarations. Je souligne en passant qu’il s’agit de l’une de quatre affaires qui ont été entendues par la Cour dans un intervalle de deux semaines en août 2019. Sunny Wang a représenté tous les demandeurs dans ces diverses demandes relatives à l’immigration, chacune se soldant par des conclusions de fausses déclarations. Les trois autres décisions peuvent être consultées sous les intitulés Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1237; Gao c Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2019 CF 1238; et Li c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1235.

[7]  Le dossier de M. Yang a été déféré à la Section de l’immigration [la SI] en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], qui a conclu qu’il était interdit de territoire pour fausses déclarations. M. Yang a par la suite interjeté appel devant la SAI, reconnaissant les fausses déclarations et invoquant uniquement des motifs d’ordre humanitaire.

[8]  Dans sa décision, la SAI a rejeté l’appel interjeté par M. Yang en concluant qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales. Le principal passage de la décision se rapportant à la question déterminante est reproduit dans la partie portant sur l’analyse des présents motifs.

II.  Questions en litige et norme de contrôle

[9]  La norme de contrôle pour les appels interjetés devant la SAI invoquant des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 939 au par. 20 [Gao]). Pour faire accepter l’argument selon lequel la SAI a exercé son pouvoir discrétionnaire relatif aux motifs d’ordre humanitaire de manière déraisonnable, M. Yang doit convaincre la Cour que la décision n’est pas justifiée, que le processus décisionnel n’est pas transparent et intelligible et que la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au par. 47). Bien que la norme de la décision raisonnable soit une norme de contrôle qui appelle la retenue, la Cour doit quand même comprendre pourquoi la SAI a rendu sa décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au par. 16).

III.  Analyse

[10]  L’alinéa 40(1)a) de la LIPR a pour objet « de décourager les fausses déclarations et de protéger l’intégrité du processus de l’immigration » (Sayedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 420 au par. 24). De plus, l’exigence de franchise faite au demandeur « est un principe prépondérant » de la LIPR (Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 169 au par. 70). La SAI peut quand même faire droit à un tel appel s’« il y a, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales » (LIPR, alinéa 67(1)c)).

[11]  En effectuant son analyse des motifs d’ordre humanitaire, la SAI a, comme il se devait, relevé que les facteurs énoncés dans la décision « Ribic » dont elle devait tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire quant aux fausses déclarations s’appliquent expressément à l’appelant (voir aussi la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Li, 2017 CF 805 aux par. 21 et 22). Ces facteurs comprennent la gravité des fausses déclarations, les remords exprimés, le temps passé au Canada et le degré d’enracinement, le soutien offert par la famille et la communauté, les conséquences que le renvoi aurait pour la famille au Canada, l’importance des épreuves que subirait l’appelant, et l’intérêt supérieur des enfants directement touchés [l’ISE]. Seul le dernier de ces facteurs est déterminant, comme il est expliqué ci-après.

A.  L’intérêt supérieur des enfants directement touchés par le renvoi

[12]  Selon la Cour suprême du Canada, « l’attention et la sensibilité à l’importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur, et de l’épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu’une décision d’ordre humanitaire soit raisonnable » (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au par. 74 [Baker]). La Cour suprême a cité ce passage de l’arrêt Baker, ainsi que d’autres, lorsqu’elle s’est penchée à nouveau sur la question de l’ISE plus récemment dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], une affaire concernant la demande présentée par M. Kanthasamy au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR qui lui a succédé. Il est notamment statué dans l’arrêt Kanthasamy que lorsque le décideur examine l’ISE, il ne peut pas se contenter de mentionner qu’il l’a pris en compte; l’ISE doit plutôt être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve (Kanthasamy au par. 39).

[13]  M. Yang prétend que la SAI a commis une erreur dans son analyse de l’ISE en négligeant de prendre en compte la situation réelle des enfants dans l’éventualité du renvoi de leur père, centrant plutôt son attention sur les facteurs atténuants, et en minimisant la relation entre M. Yang et ses filles, dont l’importance de la présence physique dans le rôle parental. M. Yang souligne que, en dépit d’une abondance d’éléments de preuve de vive voix et écrits, la décision ne consacrait qu’un seul paragraphe à l’ISE.

[14]  Le défendeur réplique que la SAI a, raisonnablement, conclu que l’ISE militait en faveur de la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire, mais qu’il ne l’emportait pas sur d’autres facteurs valides militant contre la prise de mesures spéciales. Il mentionne les questions posées et l’analyse effectuée par la SAI concernant les enfants pendant l’audience, mais soutient que, quoi qu’il en soit, les motifs donnés par la SAI sur cet aspect s’avèrent suffisants. Les motifs sont ainsi libellés :

En ce qui concerne l’intérêt supérieur des deux enfants directement touchés, le tribunal reconnaît que l’appelant est un père engagé. La plupart du temps, il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de résider avec ses deux parents, mais ce facteur n’est qu’un des facteurs pertinents dont il y a lieu de tenir compte. Le conseil de l’appelant a fait valoir qu’il ne serait pas dans l’intérêt supérieur des enfants d’aller vivre en Chine. La conseil du ministre a répondu que des enfants sont élevés et grandissent en Chine tout le temps. Si l’appelant et son épouse donnaient suite à leur décision que l’épouse reste au Canada avec les enfants, l’appelant peut demeurer en contact avec ses enfants de différentes façons et continuer à faire partie de leur vie. L’appelant a dit dans son témoignage que la famille se rendait en Chine environ une fois par année pour que les enfants puissent passer du temps avec leurs grands‑parents. La capacité de la famille à voyager en Chine est évidente. Rien ne laissait entendre vraiment que les enfants de l’appelant ne pourraient pas lui rendre visite en Chine. Peu d’éléments de preuve portent à croire que l’appelant ne pourrait pas voir les enfants ni leur parler tous les jours par Internet. Bien que l’intérêt supérieur des enfants soit un facteur important et favorable en l’espèce, ce n’est que l’un des facteurs à prendre en considération, et il ne l’emporte pas sur les autres facteurs. (Décision au par. 23)

[15]  Je conviens avec M. Yang que cette brève analyse, d’un paragraphe, de l’ISE ne satisfait pas à la rigueur requise pour l’examen « avec beaucoup d’attention » des intérêts particuliers des deux enfants touchés. Comme il ressort du paragraphe plus haut, la SAI n’identifie pas, ne décrit pas et n’examine pas l’ISE, malgré les nombreux éléments de preuve qui ont été présentés pour chacun des enfants. La SAI affirme plutôt que « [l]a plupart du temps, il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de résider avec ses deux parents », une déclaration des plus génériques pouvant résumer la réalité de pratiquement toutes les relations parent‑enfant. Cette approche généralisée, qui n’aborde pas l’ensemble des éléments de preuve pertinents, ne correspond pas aux principes énoncés dans l’arrêt Kanthasamy, selon lequel l’ISE doit être examiné « eu égard à l’ensemble de la preuve » (au par. 39). Comme l’a écrit la juge Abella dans son jugement majoritaire au paragraphe 35 :

L’application du principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant » […] « dépen[d] fortement du contexte » en raison de « la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant » (Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, par. 11; Gordon c. Goertz, [1996] 2 R.C.S. 27, par. 20). Elle doit donc tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité (voir A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), [2009] 2 R.C.S. 181, par. 89). Le degré de développement de l’enfant déterminera l’application précise du principe dans les circonstances particulières du cas sous étude. 

[16]  La Cour suprême souligne ensuite que – du moins dans le contexte des motifs d’ordre humanitaire prévus au paragraphe 25(1) – les facteurs liés au bien‑être émotionnel, social, culturel et physique de l’enfant doivent être pris en considération (Kanthasamy au par. 40). Bien que la SAI doive examiner les motifs d’ordre humanitaire dans l’optique de surmonter l’interdiction de territoire – en l’espèce, des fausses déclarations graves – le libellé de la LIPR à l’alinéa 67(1)c) reflète celui du paragraphe 25(1) en ce qui concerne les enfants directement touchés.

[17]  En l’espèce, la SAI n’a pas analysé les éléments de preuve concernant la situation actuelle des enfants de deux façons particulières. En premier lieu, la SAI a omis de prendre en compte les conséquences précises du renvoi de leur père du Canada en fonction de l’âge, des besoins et des capacités spécifiques des enfants. La famille a fourni des éléments de preuve d’importance sur divers aspects de leur vie alors qu’ils grandissaient au Canada, y compris les soutiens dont ils bénéficient, l’école, les activités parascolaires et les soins de santé. Elle a aussi produit des éléments de preuve importants sur les conséquences d’un déménagement en Chine, dont la langue, l’école, les droits de la personne, et les préoccupations liées à l’environnement, aux finances, à l’emploi et à d’autres questions. La SAI a omis de tenir compte des éléments de preuve qui ont été présentés. Elle a aussi négligé d’identifier, de définir ou d’examiner réellement l’ISE.

[18]  En second lieu, la SAI s’est fondée sur des justifications et des conclusions que la Cour a déjà considérées comme déraisonnables quant à la capacité future des enfants de communiquer avec M. Yang, étant donné que l’épouse et les deux enfants de celui‑ci (tous les trois ayant la citoyenneté canadienne) ont déclaré qu’ils resteraient au Canada plutôt que de résider en Chine. La conclusion de la SAI selon laquelle les deux enfants pourraient communiquer par des moyens électroniques avec leur père ou le voir une fois par année à la faveur de leurs vacances n’abordait pas adéquatement les préoccupations qui ont été soulevées dans les éléments de preuve, dont une évaluation psychologique détaillée effectuée par le Dr Weir, qui a longuement décrit l’incidence sur ces deux enfants, et d’autres enfants vivant une situation analogue (en renvoyant à des études sur les effets à long terme de la séparation d’un parent à un jeune âge). En fait, la Cour a reconnu que les nourrissons peuvent tout simplement être trop jeunes pour nouer une relation avec un parent par vidéoconférence (voir, par exemple, la décision Oladele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 851 au par. 61).

[19]  Bien que les tribunaux aient statué sans équivoque que l’ISE n’est qu’un facteur parmi plusieurs autres que doit concilier le décideur, et que l’intérêt supérieur des enfants n’est pas prédominant ou ne l’emporte pas sur tous les autres facteurs, il n’en est pas moins un facteur important, comme il est souligné dans l’arrêt Baker et réitéré dans l’arrêt Kanthasamy (au par. 38). Comme il est décrit plus haut, l’alinéa 67(1)c) de la LIPR mentionne expressément l’ISE. Ne pas y accorder de l’importance fait fi de la volonté du législateur et de jugements de la Cour suprême.

[20]  Assurément, dans certains contextes postérieurs à l’arrêt Kanthasamy, les tribunaux ont concédé que la prise en compte de motifs d’ordre humanitaire peut – dans l’éventualité où ils sont pris en compte – être brève, comme dans les cas où les dispositions législatives ne prévoient pas expressément le pouvoir discrétionnaire (par exemple, dans les étapes précédant l’application de l’article 44 dont a lui-même fait l’objet M. Yang : voir la décision McAlpin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 422 au par. 70). Il n’en va pas de même, toutefois, à cette étape de la procédure, où l’alinéa 67(1)c) de la LIPR prévoit expressément que la SAI doit prendre en compte l’ISE. Je suis également conscient de l’arrêt Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 [Lewis], dans lequel il est statué que l’arrêt Kanthasamy ne s’applique qu’aux décisions rendues en vertu de l’article 25 et que la LIPR « même dans ces cas, n’impose pas que l’intérêt supérieur des enfants touchés constitue la considération prioritaire » (au par. 74). L’arrêt Lewis, toutefois, concernait le refus d’un agent d’exécution de la loi de l’ASFC de surseoir à une expulsion et, par conséquent, s’inscrivait dans un tout autre contexte. Il en va de même pour la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, et pour ma décision antérieure dans Aslam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 946 mettant en application l’arrêt, où le contexte de ces deux affaires était différent de celui dont est saisie la SAI en l’espèce.

[21]  Enfin, je renvoie à deux affaires instruites en 2019 qui, comme celle en l’espèce, portaient sur des analyses lacunaires des motifs d’ordre humanitaire faites par la SAI. Dans la décision Phan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 435 [Phan], la juge Strickland a qualifié de brève une analyse de cinq paragraphes portant sur l’ISE (au par. 13). Elle a conclu que la décision de la SAI était déraisonnable parce que celle‑ci n’avait pas procédé à une analyse ni renvoyé au moindre élément de preuve (Phan au par. 23). De plus, la SAI n’a pas analysé en quoi la présence physique du parent dans la vie des enfants influe sur leur intérêt supérieur, et, vu l’absence d’analyse ou de renvoi à des éléments de preuve, la Cour a cassé la décision de la SAI pour son absence d’intelligibilité (Phan aux par. 26 et 27).

[22]  Puis, dans la décision Gao, le juge Manson a aussi conclu que la SAI avait apprécié de façon déraisonnable l’ISE. Là encore, la SAI a analysé les éléments de preuve davantage en profondeur qu’en l’espèce (Gao au par. 15). Le juge Manson a souligné que, bien que le législateur ait prévu des conséquences pour les fausses déclarations, celles-ci peuvent être excusées s’il existe des motifs d’ordre humanitaire (Li c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 451 au par. 34). Il a conclu que « le ton et la teneur de l’analyse de la SAI relative aux motifs d’ordre humanitaire laissent croire que la SAI souhaitait punir la demanderesse et ses enfants en raison des fausses déclarations de la demanderesse » (Gao au par. 30).

[23]  En l’espèce, la SAI s’est contentée de relever les éléments de preuve selon lesquels M. Yang et sa famille s’étaient rendus en Chine à intervalles réguliers, soit environ une fois par année par le passé, et, de ce fait, a conclu que les enfants pourraient rendre visite à leur père en Chine après son renvoi. Contrairement, même, à la décision Gao, il n’y a tout simplement pas eu d’analyse de la situation actuelle des enfants ou de la présence physique de leur père dans leur vie et de l’évolution de leur relation avec celui‑ci, encore moins des conséquences que pourraient avoir son renvoi.

[24]  M. Yang s’est vraiment conduit de manière répréhensible. Toutefois, cette réalité n’autorise pas la SAI à se dégager de sa responsabilité. En fait, lorsque le demandeur concède l’interdiction de territoire, comme en l’espèce, les motifs d’ordre humanitaire représentent le seul fondement d’un appel devant la SAI. Les enfants directement touchés doivent être à l’avant-plan. Ils ne peuvent pas être une considération secondaire. En dépit du fait que leur père a contrevenu au système d’immigration de façon importante, eux n’ont rien fait de tel. Leurs intérêts ont autant d’importance que la conduite de leur père.

IV.  Conclusion

[25]  Puisque les éléments de preuve qui ont été présentés au sujet des conséquences pour les enfants n’ont pas été analysés comme il se devait, l’analyse de l’ISE était insuffisante. S’agissant de jeunes enfants directement touchés par le renvoi d’un parent, leurs éléments de preuve et leurs intérêts doivent être pris en compte avec une attention particulière plutôt que de façon générale – c’est-à-dire sans aborder ou apprécier les éléments de preuve qui ont été présentés. Étant donné l’analyse lacunaire de l’ISE, l’affaire sera renvoyée pour une nouvelle décision.


JUGEMENT dans le dossier IMM-910-19

LA COUR STATUE  que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire sera renvoyée pour nouvelle décision.

  3. Aucune question n’a été soumise pour certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour d’octobre 2019.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-910-19

 

INTITULÉ :

YI CHEN YANG C LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 AOÛT 2019

JugEment ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER OctobrE 2019

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

Peter Larlee

 

POUR LE DEMANDEUR

Maia McEachern

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larlee Rosenberg

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour le défendeur

 

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