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Date : 20011214

Dossier : T-2520-93

Référence neutre : 2001 CFPI 1384

ENTRE :

RICHTER GEDEON VEGYESZETI GYAR RT

demanderesse

et

APOTEX INC.

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

(Prononcés oralement à l'audience,

le jeudi, 13 décembre 2001, à Toronto)

LE JUGE HUGESSEN


[1]         Il s'agit d'une requête pour jugement sommaire par laquelle Richter Gedeon Vegyeszeti Gyar Rt demande que soient retranchées certaines allégations de la défense portant que les parties ont réglé leur litige à l'amiable à Budapest, lors d'une séance de travail qui s'est poursuivie tard dans la nuit du 21 au 22 janvier 2000.

[2]         Je suis convaincu, sans l'ombre d'un doute, que la question de savoir si la poursuite a été réglée à l'amiable à l'occasion de cette rencontre constitue une question litigieuse réelle à trancher et qu'elle ne saurait être décidée correctement dans le contexte d'une requête comme celle-ci; en conséquence, je limiterai autant que possible mes commentaires au sujet de la preuve soumise à l'appui de la requête, puisque la même preuve ou une preuve semblable - documentaire et testimoniale - devra bien sûr être présentée à l'instruction au fond prévue en l'espèce. D'autant plus que jusqu maintenant, seule la demanderesse sollicite un jugement sommaire, et qu'il serait incorrect et tout à fait inapproprié de ma part fût-ce de donner à penser que la preuve établit bien l'existence d'un règlement extrajudiciaire obligatoire survenu entre les parties. Je ne pourrais accueillir cette requête que si jtais convaincu qu'il est irréfutable qu'un tel règlement n'est pas intervenu. Or, je ne peux arriver à cette conclusion.

[3]         L'avocat de la demanderesse soulève trois arguments principaux : d'abord, dit-il, il n'est pas contesté que toute entente survenue à Budapest devait recevoir l'approbation de M. Sherman, le mandant de la défenderesse, et qu'aucune approbation de cette nature n'a été dûment transmise à la demanderesse.


[4]         Il soulève également que le document qui a résulté de la séance de travail de Budapest comporte des blancs importants, aux annexes 1 et 2 de lbauche de règlement, portant sur des questions essentielles de l'entente à intervenir.

[5]         Il affirme enfin que le mois suivant, en février 2000, les parties ont convenu de mettre de côté toute entente survenue entre eux au mois de janvier et de revenir, en quelque sorte, à la case départ.

[6]         La preuve est contradictoire en ce qui concerne les deux premiers points. S'il est évident que la défenderesse n'a remis à la demanderesse aucun avis en bonne et due forme de l'approbation, par M. Sherman, de lbauche de règlement, il serait par contre possible de déduire de la preuve par affidavit et de la correspondance produite que lbauche a reçu cette approbation, et que celle-ci a été transmise à la demanderesse. Tirer une telle conclusion ne doit pas normalement se faire dans le contexte d'un jugement sommaire, et je m'en abstiendrai donc, en particulier au regard d'une question aussi cruciale.

[7]         De même, au sujet des annexes, des éléments de preuve pourraient permettre de conclure, contrairement aux prétentions de la demanderesse, que leur rédaction se résume à la tâche, mécanique ou administrative, de recueillir et de rassembler des chiffres tirés de données déjà connues des parties, et qu'en conséquence la préparation des annexes n'est pas un élément qui touche à l'essence de l'entente. Encore une fois, pour les motifs ci-dessus exprimés, je ne saurais statuer sur cette question, et je m'en abstiendrai.


[8]         En outre, relativement à chacun des deux premiers points, la demanderesse n'a pu expliquer de façon satisfaisante le contenu des lettres, en date des 4 et 7 février 2000, dans lesquelles son procureur affirme, au nom de sa cliente, qu'un règlement extrajudiciaire obligatoire est intervenu, et menace de demander à cette Cour d'ordonner l'exécution du règlement. Ces déclarations du procureur ne concordent clairement pas avec celles qu'il a faites dans son affidavit et lors du contre-interrogatoire, selon lesquelles aucun règlement extrajudiciaire obligatoire n'est intervenu.

[9]         Quant au troisième point, l'ensemble de la preuve, tant par affidavit que documentaire, ne me permet tout simplement pas de conclure de façon certaine que les parties ont renoncé à quelque entente qu'elles auraient négociée au mois de janvier, comme on l'a laissé entendre. Je ne suis pas non plus convaincu ni que la preuve étaye l'argument subsidiaire de la demanderesse, selon lequel la défenderesse aurait désavoué tout règlement extrajudiciaire prétendûment intervenu, ni même que le comportement de cette dernière a eu pour effet d'empêcher la demanderesse de soulever la question du règlement. Je suis particulièrement de cet avis en ce qui concerne l'allusion que la défenderesse, en maintenant son appel, aurait en quelque sorte renoncé au règlement extrajudiciaire, si tant est qu'un tel règlement ait jamais existé. On pourrait certes soutenir à tout le moins que la raison pour laquelle la défenderesse poursuit l'appel est imputable à la demanderesse elle-même, qui a été la première à déclarer que la procédure devait continuer sans interruption jusqu ce que les documents officiels attestant le règlement aient été signés et échangés.


[10]      Les motifs que je viens dnoncer sont suffisants pour décider de la requête. Je fonderai néanmoins ma décision sur un autre motif, complètement indépendant, que voici. La partie qui présente une requête comme celle-ci doit soumettre sa meilleure preuve, c'est une règle de droit bien connue. Or, la demanderesse en l'espèce n'a déposé qu'un seul affidavit, celui de son procureur. D'autres personnes, pourtant, agissaient en son nom lors des délicates négociations qui se sont poursuivies durant plusieurs jours à Budapest, et qui ont abouti à la soirée du 21 au 22 janvier 2000. En particulier, deux autres procureurs ainsi qu'une autre personne, apparemment un dirigeant de la demanderesse, s'y trouvaient. Ils étaient tous disponibles; cependant, aucun d'entre eux n'a souscrit d'affidavit. De toute évidence, le déroulement des événements de cette rencontre est un élément crucial au regard de l'allégation de la défenderesse selon laquelle un règlement extrajudiciaire est intervenu, allégation que justement la demanderesse veut maintenant faire radier.


[11]      Le défaut de la demanderesse de présenter tous les éléments de preuve, certainement pertinents et importants, dont elle disposait, m'amène nécessairement à tirer une conclusion qui lui est défavorable, à savoir que cette preuve ne lui aurait pas été utile. Cette conclusion s'impose tout particulièrement dans les circonstances singulières de cette affaire : étonnamment, le procureur qui a témoigné a refusé, pour motif de confidentialité, de répondre à des questions concernant des déclarations qu'il avait lui-même faites dans des lettres adressées à la partie adverse, alors que ces lettres ne portaient pas la mention « Sous toute réserve » . Invoquer le privilège de la confidentialité, dans les circonstances, est un geste surprenant, clairement sans fondement, et qui, de surcroît, ne peut que m'amener à tirer des conclusions défavorables. Pour ce seul motif, je suis d'avis de rejeter la requête.

(Plus tard)

[12]      J'ai entendu l'argumentation des deux avocats en ce qui a trait aux dépens. L'avocat de la défenderesse demande que j'attribue les dépens sur une base procureur-client, et je suis porté à convenir qu'en effet la présente requête n'aurait jamais dû être présentée. À mon avis, il appert clairement, depuis le début, qu'il existe en l'espèce une question litigieuse sérieuse à débattre au fond, et j'entends en conséquence allouer des dépens substantiels.


[13]      Une seule raison m'incite à atténuer la sévérité de l'ordonnance que je serais autrement porté à rendre, à savoir que malgré le fait que beaucoup de temps ait été consacré à cette requête, je ne crois pas que ce temps ait été complètement perdu. Il me semble que le temps investi dans la requête pourrait s'avérer utile aux parties, non seulement si l'affaire se rend au procès au fond sur la question en litige, puisque chaque partie a maintenant eu l'occasion de prendre un très bon aperçu de la preuve dont dispose l'autre pour le procès, mais également, je l'espère, pour leur permettre de s'engager à reprendre les négociations en vue de parvenir à un règlement extrajudiciaire. Quoi qu'il ait pu se passer ou ne pas se passer à Budapest les 21 et 22 janvier 2000, il est évident que si elles n'ont pas réglé leur litige, il s'en est fallu de peu que les parties parviennent à un règlement. Elles ont déjà investi beaucoup plus d'argent, sans résultat, et les voir se diriger d'abord vers un débat sur une question litigieuse, et ensuite - le ciel leur vienne en aide, si ce procès devait ne pas mettre fin au litige - vers l'instruction de l'action elle-même qui comporte, en plus de la poursuite principale, une demande reconventionnelle comme celles qui caractérisent normalement les instances en matière de propriété intellectuelle, tout cela me fait penser que les parties, dans cette perspective, s'engagent dans une poursuite qui risque dtre très longue et très coûteuse, et je me demande s'il vaut la peine qu'elles persévèrent, dans les circonstances. Je comprends qu'en raison de ce qui s'est passé, les relations entre les procureurs qui ont agi respectivement, au départ, pour l'une et l'autre partie, sont peut-être quelque peu tendues, mais puisque chaque partie a dû, par la force des choses, retenir les services d'avocats de très grande expérience en prévision du procès sur la question en litige, peut-être ceux-ci pourraient-ils discuter fermement entre eux et avec leurs clients et mener cette affaire à un règlement plus satisfaisant. Je désire simplement rappeler à chacun que la Cour demeure à leur disposition et s'enorgueillit d'offrir un service de règlement des litiges, de sorte que, si les avocats désiraient quelque assistance, il me ferait plaisir d'offrir ma collaboration, s'ils le jugeaient utile.


[14]      Cela dit, jvalue à 20 000 $ les dépens appropriés en l'espèce, et j'ordonne qu'ils soient payés sans délai, quelle que soit l'issue de la cause. Comme je le disais, il s'agit, à mon avis, d'un montant moindre que les dépens procureur-client, mais qui constitue néanmoins une allocation substantielle, justifiée dans les circonstances.

________________________

Juge

Ottawa (Ontario)

14 décembre 2001

TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME

Ghislaine Poitras


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                       T-2520-93

INTITULÉ :                                        RICHTER GEDEON VEGYESZETI GYAR RT

c. APOTEX INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :             13 DÉCEMBRE 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

DATE DES MOTIFS :                     14 DÉCEMBRE 2001

COMPARUTIONS :

M. Donald H. MacOdrum                 POUR LA DEMANDERESSE / REQUÉRANTE

Mme Stephanie Chong

M. Kent E. Thomson                        

M. Matthew P. Gottlieb                     POUR LA DÉFENDERESSE / INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Johnston Avisar                                 POUR LA DEMANDERESSE / REQUÉRANTE

Toronto

Goodmans s.a.r.l.                              POUR LA DÉFENDERESSE / INTIMÉE

Toronto

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