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Date : 20190925


Dossier : IMM-113-19

Référence : 2019 CF 1234

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2019

En présence de l’honorable juge Shore

ENTRE :

JEAN CHARLES OCCEAN

CHERICIA OCCEAN ARCHELUS

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Préambule

[1]  L’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118 [Zeng], établit comme suit le cadre d’interprétation et d’application de la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [article 1E de la Convention] :

[28]  Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a-t-il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

[2]  Il est donc nécessaire de déterminer ce que signifie « un statut essentiellement semblable à celui de ce pays ». Depuis l’arrêt Shamlou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 1537 [Shamlou], cette Cour a maintes fois réitéré que le demandeur devait bénéficier des quatre droits fondamentaux établis par Lorne Waldman (Immigration Law and Practice (1992) [feuilles mobiles]), vol. 1 au no 8.2.17.4), soit :

  • a) Le droit de retourner dans le pays de résidence;

  • b) Le droit de travailler librement sans restriction;

  • c) Le droit de poursuivre ses études;

  • d) Le plein accès aux services sociaux dans le pays de résidence.

II.  Nature de l’affaire

[3]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR], rendue le 13 décembre 2018 dans laquelle la SAR confirmait la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR].

[4]  À l’égard du demandeur, la SPR a conclu qu’il est visé par l’article 1E de la Convention et, ainsi, en application de l’article 98 de la LIPR, il ne peut avoir la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger.

[5]  À l’égard de la demanderesse, la SPR a rejeté sa demande d’asile, car elle a déterminé qu’il n’y avait pas de preuve qu’il existait une possibilité sérieuse que l’appelante soit persécutée ou qu’elle soit exposée à un risque de menace à sa sécurité.

III.  Faits

[6]  Jean Charles Occean et Chericia Occean Archelus sont des citoyens haïtiens âgés respectivement de 35 et de 33 ans. Mariés, ils ont quatre enfants – trois fils et une fille – qui sont demeurés en Haïti sous la garde de la sœur de la demanderesse.

[7]  En octobre 2011, le demandeur a été victime d’un vol à main armée suivant la vente au marché de deux porcs qu’il élevait. Craignant ne pouvoir obtenir d’aide de la police haïtienne, le demandeur quitte le pays peu de temps après pour s’installer au Brésil où il a obtenu un permis de travail. Les demandeurs avaient alors comme objectif d’entreprendre des démarches pour faire déplacer toute la famille au Brésil.

[8]  Le 18 mars 2016, alors qu’elle allait payer son visa brésilien, la demanderesse allègue avoir été victime d’un vol de ses papiers d’identité et des fiches de paiement des visas. Énervé de ne pas trouver d’argent, le bandit aurait alors menacé de tuer la demanderesse. Cet évènement est à la source de ses craintes pour sa sécurité advenant un retour en Haïti et du Fondement de sa demande d’asile [FDA].

[9]  Le 22 juin 2016, la demanderesse rejoint son mari au Brésil. À cet effet, la demanderesse ne fournit aucune explication quant à la manière dont elle a pu récupérer son passeport et son visa brésilien après le vol dont elle aurait été victime.

[10]  De juillet à novembre 2016, les demandeurs ont traversé plusieurs pays jusqu’aux États-Unis. Là-bas, la demanderesse a été détenue durant huit mois par les autorités douanières américaines. Les demandeurs n’y ont pas demandé l’asile sous prétexte qu’ils ne connaissaient pas la procédure adéquate. Alors sans statut sur le territoire américain, les demandeurs craignaient d’être déportés en Haïti et décident de venir au Canada demander l’asile, ce qu’ils font le 30 août 2017.

[11]  Pendant son séjour au Brésil, le demandeur dit avoir subi du racisme constant de la part de la société brésilienne. Le demandeur souligne qu’il a été victime d’une attaque pendant qu’il attendait un autobus en mai 2016, où un homme armé d’un couteau a tenté de lui voler son cellulaire. Il n’est toutefois fait aucune mention de cet évènement dans le FDA du demandeur.

[12]  Ayant noté que le nom du demandeur apparait sur un Arrêté ministériel conjoint du Ministère de la Justice et du Ministère du Travail et des Affaires sociales du Brésil [Arrêté ministériel] qui octroyait le statut de résident permanent aux personnes y figurant, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration a fait parvenir un avis d’intervention demandant au tribunal de conclure à l’exclusion des demandeurs en vertu de l’article 1E de la Convention.

IV.  Décisions de la CISR

A.  Décision de la SPR

(1)  Décision quant au demandeur Jean Charles Occean

[13]  Lors d’une audience tenue le 22 janvier 2018, la SPR a conclu que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, la SPR croit qu’il existe une preuve prima facie que le demandeur est, au moment de l’audience, un résident permanent du Brésil. La SPR se fonde sur le fait que le nom du demandeur et son numéro de passeport apparaissent sur la liste de l’Arrêté ministériel et l’amendement du FDA du demandeur.

[14]  Ainsi, il revenait au demandeur de démontrer qu’il n’a pas le statut de résident permanent au Brésil. Le demandeur allègue qu’il ne pense plus avoir la résidence permanente au Brésil puisqu’il avait quitté le pays et qu’il n’avait pas son passeport pour prouver le moment de sa sortie du pays. Toutefois, la SPR conclut que cette allégation n’est supportée par aucune preuve quant à la procédure à suivre advenant la perte du passeport d’un résident permanent qui tente de retourner au Brésil. De même, le demandeur n’a entrepris aucune démarche auprès des autorités brésiliennes pour clarifier son statut, et ce, malgré les instructions du tribunal avant l’audience et le fait qu’il soit représenté par avocat.

[15]  Finalement, bien qu’il souligne qu’il est possible de perdre la résidence permanente au Brésil en s’y absentant pour plus de deux ans, la SPR note que le demandeur a quitté le Brésil en juillet 2016, moins de deux ans avant la date de l’audience.

[16]  Selon l’analyse de la SPR, la résidence permanente au Brésil octroie à ses détenteurs un statut similaire à celui des Brésiliens, c’est-à-dire le droit d’y travailler sans restriction, le droit d’y étudier et le droit d’utiliser sans restriction les services sociaux du pays. Conséquemment, le demandeur est visé par l’article 1E de la Convention.

[17]  En second lieu, la SPR a analysé la crainte du demandeur advenant son retour au Brésil. Dans son FDA, le demandeur n’allègue pas de crainte de retourner au Brésil. Questionné à l’audience, le demandeur mentionne la tentative de vol et souligne qu’il ne l’a pas indiqué dans son FDA, car personne ne lui avait demandé ce qu’il lui était arrivé au Brésil.

[18]  La SPR conclut au manque de crédibilité du demandeur et qu’il n’existe pas une crainte raisonnable de persécution ou de préjudice au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR advenant son retour au Brésil.

(2)  Décision quant à la demanderesse Chericia Occean Archelus

[19]  Étant donné que son nom n’apparaît pas sur la liste de l’Arrêté ministériel, la SPR conclut qu’il n’existe pas de preuve prima facie que la demanderesse a obtenu le statut de résidente permanente au Brésil. En conséquence, la SPR a évalué sa demande d’asile sur sa crainte de mauvais traitement en Haïti.

[20]  La demanderesse soulève l’attaque et le vol qu’elle a subis comme source de ses craintes légitimes quant à sa sécurité. La SPR conclut à l’absence de crédibilité de la demanderesse et rejette sa demande d’asile. La SPR arrive à cette conclusion en raison des contradictions dans le narratif de la demanderesse.

[21]  Dans son FDA, la demanderesse parle d’un seul voleur, mais à l’audience elle parle de deux, puis se rétracte et dit qu’il n’y en avait qu’un. Puis, dans son FDA, la demanderesse raconte que le voleur s’est énervé en ne trouvant pas d’argent dans son sac. À l’audience, la demanderesse raconte plutôt qu’elle avait peur qu’il se fâche lorsqu’il ouvrirait le sac plus tard pour découvrir qu’il n’y avait pas d’argent. Confrontée à cette contradiction, la demanderesse allègue qu’il s’agit d’une erreur dans la transcription de son récit.

B.  Décision de la SAR

[22]  La SAR a confirmé le raisonnement et les conclusions de la SPR à l’effet que le demandeur est visé par l’article 1E de la Convention. En particulier, elle a trouvé que la SPR avait correctement conclu que le demandeur a la résidence permanente au Brésil. En ce qui a trait aux conclusions de la SPR concernant la crainte du demandeur au Brésil, la SAR a aussi conclu à l’absence de preuve au soutien de sa demande d’asile.

[23]  Quant à la demanderesse, la SAR confirme la décision de la SPR quant à l’absence de statut de résidente au Brésil. Puis, la SAR confirme la décision de la SPR quant à l’absence de crédibilité de la demanderesse. À cet effet, la SAR souligne qu’il ne s’agit pas de contradictions mineures, mais bien d’éléments qui touchent à des aspects importants et déterminants d’un incident au cœur de la demande d’asile de la demanderesse.

V.  Questions en litige

[24]  Les questions avancées par les demandeurs peuvent être reformulées comme suit :

  • 1) La SAR a-t-elle erré en concluant que le demandeur est visé par l’article 1E de la Convention?

  • 2) La SAR a-t-elle erré en concluant à l’absence de fondement de demande d’asile quant à la situation du demandeur au Brésil?

  • 3) La SAR a-t-elle erré en concluant à l’absence de fondement de demande d’asile quant à la situation de la demanderesse en Haïti?

VI.  Dispositions pertinentes

[25]  Les dispositions suivantes sont pertinentes :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

Immigration and Refugee Protection Act

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

Exclusion — Refugee Convention

98 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98 A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

Irrecevabilité

Ineligibility

101 (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :

101 (1) A claim is ineligible to be referred to the Refugee Protection Division if

[…]

d) reconnaissance de la qualité de réfugié par un pays vers lequel il peut être renvoyé;

(d) the claimant has been recognized as a Convention refugee by a country other than Canada and can be sent or returned to that country;

Convention des Nations Unies relatives au statut des réfugiés

United Nations Convention Relating to the Status of Refugees

Article premier. - Définition du terme "réfugié"

Article 1 - Definition of the term "refugee"

E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

E. This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.

VII.  Analyse

A.  Norme de contrôle applicable

[26]  Premièrement, en ce qui concerne l’exclusion de l’application de la Convention en application de la section E de son article premier, cette question concerne des conclusions mixtes de fait et de droit et elle est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Zeng, ci-dessus, au para 34).

[27]  Deuxièmement, en ce qui concerne la question de l’analyse de la protection de l’État, il convient également d’appliquer la norme de la décision raisonnable. La Cour d’appel fédérale a jugé, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94 au para 36, que la norme de contrôle applicable dans le cas de l’analyse de la protection de l’État était celle de la décision raisonnable.

B.  Statut du demandeur en vertu de l’article 1E de la Convention

[28]  Les éléments qui découlent de la décision Fleurisca c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 810, établissent les critères par lesquels cette Cour peut analyser le contrôle judiciaire d’une décision fondée sur l’article 1E de la Convention.

[29]  La première étape consiste à déterminer si la SAR a erré en concluant que le demandeur était exclu de la Convention par l’application de l’article 1E.

[30]  L’article 1E de la Convention est incorporé en droit canadien par le biais de l’article 98 de la LIPR qui stipule qu’une personne visée à l’article 1E de la Convention ne peut avoir la qualité de réfugiée ni celle de personne à protéger.

[31]  Comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, la protection internationale est une mesure auxiliaire qui n’entre en jeu que lorsque le demandeur ne dispose d’aucune solution de rechange. Pour reprendre les mots du juge La Forest, « les revendications du statut de réfugié n'ont jamais été destinées à permettre à un demandeur de solliciter une meilleure protection que celle dont il bénéficie déjà ».

(1)  La décision de la SAR concernant la résidence permanente du demandeur était-elle raisonnable?

[32]  Étant donné le fait que le demandeur a obtenu la résidence permanente au Brésil en novembre 2015, la SAR a conclu de façon raisonnable qu’il existait une preuve prima facie à l’effet que le demandeur détenait le statut de résident permanent du Brésil. Il lui appartenait donc de démontrer qu’il avait perdu ce statut (Ramirez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 241 au para 14; Hassanzadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1494 aux para 27-29).

[33]  Compte tenu de la preuve devant elle, il était raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur n’a pas réfuté la preuve prima facie à l’effet qu’il détenait le statut de résident permanent du Brésil. En effet, bien que le demandeur ait été représenté par avocat et ait eu l’occasion d’amender son FDA pour aborder la question du risque de retourner au Brésil, le demandeur n’a présenté aucune preuve susceptible de réfuter celle présentée par le ministre.

[34]  Finalement, il est à noter qu’aujourd’hui le demandeur a quitté le Brésil depuis plus de deux ans. Toutefois, c’est la situation des demandeurs à la fin de l’audience qui importe, soit le 22 janvier 2018 (Majebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274 au para 7 et Melo Castrillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 470 au para 15). À cette date, le demandeur n’avait pas été absent du Brésil pour une période de deux ans et, ainsi, il n’aurait pas perdu sa résidence permanente, le cas échéant.

(2)  La décision de la SAR était-elle raisonnable quant aux droits du demandeur au Brésil?

[35]  L’arrêt Zeng, ci-dessus, établit comme suit le cadre d’interprétation et d’application de la section E de l’article premier de la Convention :

[28]  Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a-t-il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

[36]  Il est donc nécessaire de déterminer ce que signifie « un statut essentiellement semblable à celui de ce pays ». Depuis l’arrêt Shamlou, ci-dessus, cette Cour a maintes fois réitéré que le demandeur devait bénéficier des quatre droits fondamentaux établis par Lorne Waldman (Immigration Law and Practice (1992) [feuilles mobiles]), vol. 1 au no 8.2.17.4), soit :

  • a) Le droit de retourner dans le pays de résidence;

  • b) Le droit de travailler librement sans restriction;

  • c) Le droit de poursuivre ses études;

  • d) Le plein accès aux services sociaux dans le pays de résidence.

[37]  La SPR a analysé la preuve qui indique qu’un résident permanent a sensiblement les mêmes droits et obligations qu’un citoyen du Brésil, notamment les quatre droits fondamentaux susmentionnés. En appel, la SAR a confirmé cette décision. À cet égard, la décision de la SAR est raisonnable et ne saurait être révisée par cette Cour.

(3)  La décision de la SAR était-elle raisonnable quant à la protection de l’État?

[38]  Le demandeur prétend avoir été agressé par un voleur. De même, le demandeur a soulevé en appel la situation des Haïtiens au Brésil. Comme aucun agent de persécution n’a été identifié, aucun danger manifeste et actuel n’a été démontré, et de surcroît, le demandeur n’a jamais demandé à l’État brésilien de le protéger, cette Cour conclut que le Brésil est un pays d’accueil sûr pour le demandeur. La décision de la SAR quant à la protection de l’État était raisonnable.

[39]  Certes, autant la SPR que la SAR n’ont pas abordé directement la documentation en preuve quant à la situation difficile des Haïtiens au Brésil; la décision de la SAR n’en est pas pour autant déraisonnable. La preuve personnelle et subjective à l’égard du demandeur n’a pas été jugée crédible, et aucun danger manifeste et actuel n’a été démontré. En l’absence de cet élément essentiel pour obtenir le statut de réfugié, il n’était pas déraisonnable pour la SAR de passer outre une analyse de la preuve objective.

[40]  À cet effet, dans la décision Gomez Florez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 659, le juge Denis Gascon écrivait :

[35]  Par ailleurs, le fait qu’un élément de preuve ne soit pas traité expressément dans une décision ne la rend pas déraisonnable lorsque les motifs sont suffisants pour évaluer le raisonnement du tribunal (Corzas Monjaras c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 771 au para 20; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF No 1425 [Cepeda-Gutierrez] au para 16). La SPR est présumée avoir soupesé et examiné l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée, à moins que le contraire ne soit établi (Newfoundland Nurses au para 16; Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF No 598 (CAF) au para 1). Dans le cas présent, je suis satisfait que la SPR a tenu compte de toute la preuve, même si elle ne se réfère pas directement à toutes ses composantes. Ce n’est que lorsqu’un tribunal passe sous silence des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions de façon claire que la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait (Cepeda-Gutierrez au para 17). Ce n’est pas le cas ici. [La Cour souligne.]

[41]  En l’espèce, rien ne permet de conclure que la SPR ou la SAR aient occulté l’analyse de la preuve documentaire : sans nier les difficultés des Haïtiens au Brésil, la preuve documentaire supporte l’absence de persécution des Haïtiens au sens de la LIPR, et il n’y a pas ici de preuve qui soit contradictoire avec les conclusions de fait de la SPR ou de la SAR.

C.  La SAR a-t-elle erré en concluant à l’absence de fondement de demande d’asile quant à la situation de la demanderesse en Haïti?

[42]  La demanderesse prétend avoir subi un vol et avoir été menacée, de sorte qu’elle craint pour sa vie si elle devait retourner en Haïti. La SAR a confirmé la conclusion de la SPR quant à l’absence de crédibilité de la demanderesse à cause des contradictions importantes dans un élément central du récit de la demanderesse.

[43]  Il est de jurisprudence constante que des contradictions qui peuvent paraitre mineures prises isolément peuvent être fatales à la crédibilité d’un témoin lorsqu’elles s’additionnent et lorsqu’elles sont considérées dans le contexte et l’ensemble de la demande d’asile (Rajaratnam c Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (CAF), [1991] ACF No 1271, (1991) 135 NR 300; Aguilar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 150 au para 42). Conséquemment, les conclusions de fait de la SAR quant à la demanderesse ne sauraient être considérées comme déraisonnables et permettre le contrôle judiciaire recherché.

VIII.  Conclusion

[44]  Cette Cour ne décèle aucune erreur dans le processus décisionnel de la SAR et par conséquent rejette la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT au dossier IMM-113-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier. La Cour ajoute que l’intitulé a été corrigé afin de refléter la bonne désignation des noms des demandeurs.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-113-19

 

INTITULÉ :

JEAN CHARLES, OCCEAN, CHERICIA, OCCEAN ARCHELUS c LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 septembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 septembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Jugauce Mweze Murhula

 

Pour lA PARTIE DEMANDERESSE

 

Steve Bell

 

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Jugauce Mweze Murhula

Montréal (Québec)

 

Pour lA PARTIE DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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