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Date : 20000406


Dossier : T-2427-98



ENTRE :

     SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

     demanderesse


     - et -


     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     et

     OLIVIA BANKS

     défendeurs


     - et -


     COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

     intervenante



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE



LE JUGE TREMBLAY-LAMER :


[1]      La demanderesse cherche à obtenir une ordonnance prononçant l'annulation de la décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne en date du 20 novembre 1998, relativement à la plainte no W464568. Elle demande en outre à la Cour de donner une directive à la Commission pour que cette dernière refuse d'exercer sa compétence aux termes de l'alinéa 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne1 (ci-après la Loi).

[2]      La défenderesse Olivia Banks a travaillé pour la demanderesse à titre de factrice de septembre 1987 au 31 août 1997, date de son congédiement pour cause d'invalidité.

[3]      Les conditions de travail de la défenderesse Bank étaient régies par la convention collective en vigueur entre la demanderesse et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (ci-après le Syndicat).

[4]      En raison d'une blessure à sa hanche gauche, la défenderesse Banks a été incapable de travailler vers le mois d'avril 1997.

[5]      Selon la demanderesse, le 15 juillet 1997, la défenderesse Banks a été informée par une lettre provenant du directeur de la zone centrale de la Société canadienne des Postes qu'elle allait être congédiée en raison de son invalidité, aux termes de l'article 10.10 de la convention collective.

[6]      Le 27 juillet 1997, le médecin spécialiste de la défenderesse, le Dr Schamberger, a fourni à cette dernière une lettre et un formulaire d'Évaluation de l'aptitude physique au travail dans lesquels il a indiqué que la défenderesse n'était pas apte à reprendre son travail ou tout autre travail dans les douze (12) à dix-huit (18) mois qui allaient suivre.

[7]      Le 6 août 1997, le Syndicat a déposé un grief au nom de la défenderesse Banks, alléguant que la demanderesse a contrevenu aux articles 5, 10, 10.10, 20 et à d'autres dispositions de la convention collective lorsqu'elle a congédié la défenderesse.

[8]      En vertu de l'alinéa 10.10b) de la convention collective, la défenderesse Banks a continué de travailler pour la demanderesse après la date de son congédiement, le 31 août 1997, et ce, jusqu'à ce qu'un arbitre entende le grief déposé par la défenderesse.

[9]      Selon la défenderesse Banks, les représentants syndicaux l'avaient avisée que les chances que l'arbitre tranche en sa faveur dépendaient de sa capacité à travailler tôt et d'une assiduité sans reproche. Ayant été incapable de se présenter au travail sur une base régulière à l'époque, et les chances d'une issue favorable à son grief étant par conséquent minces, la défenderesse a abandonné son grief le 30 septembre 1997.

[10]      La défenderesse Banks soutient qu'elle connaissait également des difficultés d'ordre financier à cette époque et qu'elle devait se prévaloir de toute source de revenu disponible, y compris des indemnités de cessation d'emploi et de sa pension de retraite. C'est pour avoir droit à ces fonds que la défenderesse a abandonné son grief.

[11]      Le 5 janvier 1998, la défenderesse Banks a déposé une plainte devant le Conseil canadien des relations du travail au motif que le Syndicat ne l'avait pas représentée de manière équitable.

[12]      Le 16 décembre 1997, la défenderesse Banks a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

[13]      Le 27 février 1998, ou aux environs de cette date, la défenderesse Banks a retiré sa plainte dirigée contre le Syndicat devant le Conseil canadien des relations du travail.

[14]      Le 28 mars 1998, Nicole Kean, directrice en matière de droits de la personne pour la demanderesse, a écrit une lettre à la Commission pour l'informer que la défenderesse avait abandonné la procédure de grief qu'elle avait entamée en vertu de la convention collective et qu'elle avait retiré sa plainte déposée auprès du Conseil canadien des relations du travail.

[15]      Le 28 mai et le 20 octobre 1998, Nicole Kean a écrit deux autres lettres adressées à la Commission pour lui demander de refuser d'exercer sa compétence relativement à l'audition de la plainte déposée par la défenderesse Banks.

[16]      Le 20 novembre 1998, la Commission a rendu une décision par laquelle elle a décidé d'exercer la compétence dont elle était investie pour statuer sur la plainte déposée par la défenderesse Banks. Les motifs de sa décision sont les suivants :

[TRADUCTION] Aux termes de l'alinéa 41a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a résolu d'instruire la plainte pour les motifs suivants :
     la plaignante a abandonné son grief parce que son syndicat lui a fait croire qu'il ne lui serait pas possible de réintégrer son poste et parce qu'elle avait besoin des fonds des indemnités de cessation d'emploi et des cotisations à un régime de retraite, dont le versement aurait été suspendu dans l'attente de l'issue de la procédure de règlement des griefs;
     aucune autre mesure de redressement liée à la discrimination ne s'ouvre à la plaignante pour l'instant;
     comme la plaignante s'est prévalue de mesures subsidiaires de redressement jusqu'en octobre 1997, la documentation aurait été retenue et la défenderesse ne devrait pas être pénalisée2.

[17]      La question en litige que soulève la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir si la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire lorsqu'elle a décidé d'instruire la plainte déposée par Olivia Banks à l'encontre de la demanderesse, aux termes de l'alinéa 41(1)a) de la Loi.

ANALYSE

[18]      L'alinéa 41(1)a) de la Loi prévoit :

Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that


     (a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available; [emphasis added]

Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

     a) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts; [non souligné dans l'original]

[19]      Comme l'a noté le juge Evans dans l'affaire Société canadienne des postes c. Barrette3, la nature discrétionnaire du pouvoir dont la Commission est investie est manifeste lorsqu'on examine le libellé de la disposition :

La formulation de l'article 41 confirme que la Cour ne devrait pas scruter à la loupe la décision de la Commission d'instruire une plainte. Ainsi qu'il est prévu à l'article 41 de la LCDP, sous réserve de l'article 40, qui n'est pas pertinent en l'espèce, « la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable » pour un ou plusieurs des cinq motifs énumérés dans cette disposition4.

[20]      De plus, le juge Evans note que la Commission a l'obligation à première vue de statuer sur une plainte et souligne le fait « qu'elle a le pouvoir discrétionnaire d'instruire une plainte visée par l'un des motifs d'irrecevabilité énumérés à l'article 41, et qu'il lui appartient de décider si une plainte relève de l'un de ces motifs » 5.

[21]      Sur l'ensemble de la preuve dont disposait la Commission, notamment les observations présentées par la demanderesse en date du 19 mars 19986, du 28 mai 19987 et du 20 octobre 19988, le rapport d'analyse fondé sur les articles 40 et 419, de même que les observations présentées par la défenderesse Banks10, la Commission a conclu qu'elle allait statuer sur la plainte de la défenderesse Banks. Il importe de souligner que nous ne sommes qu'à l'étape préliminaire. L'enquête n'a pas encore débuté. De plus, comme l'a noté le juge Rothstein dans l'affaire Société canadienne des postes c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (re: Association canadienne des maîtres de poste et adjoints)11, « la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents » 12.

[22]      Il se pourrait que certains faits communiqués à la Commission par un plaignant ne soient pas entièrement exacts, mais à mon avis cette question sera adéquatement prise en compte à l'étape de l'enquête. Une fois de plus, dans l'affaire Société canadienne des postes c. Commission canadienne des droits de la personne et Association canadienne des maîtres de poste et adjoints, la Cour a noté la portée étroite du contrôle judiciaire applicable au pouvoir discrétionnaire dont la Commission est investie aux termes de l'article 41 de la Loi :

La décision incombe à la Commission et elle est énoncée en des termes subjectifs, et non en des termes objectifs. La portée du contrôle judiciaire d'une telle décision est donc étroite. Seules des considérations comme la mauvaise foi de la Commission, l'erreur de droit ou le fait de se fonder sur des facteurs non pertinents s'appliquent.
[...]
Je crois qu'il s'ensuit que, si la Cour doit faire preuve d'une grande retenue judiciaire lorsque des questions de compétence sont en cause, au moins le même degré de retenue, sinon un degré plus élevé, s'appliquerait à d'autres types de décisions visées par l'article 41, par exemple les décisions discrétionnaires, factuelles ou même les décisions de fait et de droit13.

[23]      Par conséquent, en raison de la nature discrétionnaire de la décision visée par l'article 41 de la Loi, je suis convaincue que la Commission a fondé sa décision sur l'ensemble des éléments pertinents.

[24]      En outre, étant donné l'objet et la nature du processus de règlement des plaintes en matière de droits de la personne14, je suis d'avis que la Commission n'a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée en statuant qu'aucun autre recours lié à la discrimination ne s'ouvrait à la défenderesse Banks.

[25]      La demanderesse plaide également que la Commission a omis d'exercer son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable, en ce sens qu'elle a interprété l'alinéa 41(1)a) de la Loi de manière à rendre le paragraphe 42(2)15 vide de sens. Je suis d'avis qu'il ressort de la lecture du paragraphe 42(1) de la Loi que le paragraphe 42(2) s'applique dans le cas où la Commission décide de ne pas instruire une plainte. Puisque ce n'est pas le cas en l'espèce, je me dois de rejeter l'argument avancé par la demanderesse.

[26]      Finalement, contrairement aux arguments que soutient la demanderesse, je suis convaincue que la Commission n'a pas contrevenu aux principes d'équité procédurale.

[27]      Comme je l'ai mentionné précédemment, la décision fondée sur l'article 41 de la Loi est prise tôt dans le cadre du processus et, en conséquence, les obligations relatives à l'équité procédurale prescrivent que la Commission doit informer les parties du contenu des éléments de preuve dont elle dispose et leur donner l'occasion d'y répondre.

[28]      Vu que les parties ont été informées que la Commission a procédé au rapport d'analyse prévu aux articles 40 et 41 et que la demanderesse a présenté des observations16, je suis d'avis que le processus était effectivement équitable.

[29]      Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.




     « Danièle Tremblay-Lamer »

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 6 avril 2000.


Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.






Date : 20000406


Dossier : T-2427-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 6 AVRIL 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

     SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

     demanderesse

     - et -

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     et

     OLIVIA BANKS

     défendeurs

     - et -

     COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

     intervenante



     O R D O N N A N C E


     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


     « Danièle Tremblay-Lamer »

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  T-2427-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Société canadienne des Postes c. Procureur                          général et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 28 mars 2000

MOTIFS DU JUGEMENT EXPOSÉS PAR LE JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU :                  6 avril 2000


ONT COMPARU :

Robert Anderson                  Pour la demanderesse

Odette Lalumière                  Pour l'intervenante


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Farris, Vaughan, Wills & Murphy          Pour la demanderesse

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                  Pour le défendeur - procureur général du Sous-procureur général du Canada          Canada

Ottawa (Ontario)

Commission canadienne des droits de la personne

Services juridiques                  Pour l'intervenante

Ottawa (Ontario)

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. H-6.

2      Dossier de la demanderesse, à la page 30.

3      [1999] 2 C.F. 250.

4      Ibid. au par. 27.

5      Ibid. au par. 28.

6      Dossier de requête de la Commission canadienne des droits de la personne, p. 17.

7      Dossier de requête de la Commission canadienne des droits de la personne, p. 19 à 21.

8      Dossier de requête de la Commission canadienne des droits de la personne, p. 14 à 16.

9      Dossier de requête de la Commission canadienne des droits de la personne, p. 6.

10      Dossier de requête de la Commission canadienne des droits de la personne, p. 8 à 10.

11      (1997) 130 F.T.R. 241; conf. par (1999) 245 N.R. 397 (C.A.F.).

12      Ibid. à la page 243.

13      Ibid. à la page 244.

14      British Columbia v. Tozer (1998), 33 C.H.R.R. D/327.

15      Le paragraphe 42(2) de la Loi prévoit :
         Avant de décider qu'une plainte est irrecevable pour le motif que les recours ou procédures mentionnés à l'alinéa 41a) n'ont pas été épuisés, la Commission s'assure que le défaut est exclusivement imputable au plaignant.

16      Supra note 9.

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