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                                                                 Date : 20020410

                                                    Dossier : IMM-427-01

                                       Référence neutre : 2002 CFPI 400

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                AMJAD KHAN

                                    

                                                                demandeur

                                  - et -

          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                défendeur

                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

NATURE DE LA PROCÉDURE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié datée du 10 décembre 2000 qui a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


FAITS

[2]                 Le demandeur est un citoyen de l'Afghanistan âgé de 23 ans et il est membre de la tribu Gadoon. Il parle pachtou et vient du Kunar, une province située près de la frontière du Nord du Pakistan.

[3]                 Selon le témoignage du demandeur, son père était membre du groupe Islami, le principal rival des communistes qui étaient au pouvoir. Le père du demandeur est décédé alors qu'il luttait contre les communistes et les Russes en mai 1992.

[4]                 Le demandeur déclare que plus tard, lorsque les combats ont éclaté entre les Talibans et le groupe Islami, son frère a été tué le 26 juin 1997 et la plupart de ses proches parents ont été tués au combat ou capturés et détenus par les Talibans.

[5]                 Le père et le frère du demandeur combattaient pour le Hezb-i-Islami, un groupe de mouhjahiddin pachtounes qui était dirigé par Gul Badin Hikmetyr du groupe Islami.

[6]                 Enfant, le demandeur était handicapé par la polio et, en conséquence, ne pouvait combattre les Talibans ni continuer de se cacher pour survivre dans les terrains montagneux et les cavernes de l'Afghanistan. En avril 1998, sa mère l'a emmené dans un camp de réfugiés afghan au Pakistan.


[7]                 Selon le témoignage du demandeur, en juin 1998, trouvant les conditions du camp de réfugiés au Pakistan insupportables, sa mère et lui-même sont retournés en Afghanistan, encore une fois pour vivre dans les cavernes des montagnes avec d'autres proches.

[8]                 Le demandeur déclare que pendant tout ce temps, il a vécu continuellement dans la crainte d'être tué par les Talibans.

[9]                 Le demandeur, avec l'aide d'un passeur, a finalement pu se rendre au Canada. Il a quitté l'Afghanistan le 15 avril 1999 et est passé par le Pakistan et Londres, en Angleterre, pour finalement arriver au Canada le 5 juin 1999, date à laquelle il a revendiqué le statut de réfugié à Toronto.

[10]            Le demandeur fonde sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur son appartenance à un groupe social, soit la famille. Il prétend que l'appartenance de longue date de sa famille au groupe Islami, le fait que son frère était farouchement opposé aux Talibans et qu'il a finalement été tué par eux l'a amené à craindre d'être persécuté et de probablement mourir s'il retournait en Afghanistan.

DÉCISION DE LA SSR

[11]            La SSR a conclu qu'il n'y avait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté selon l'un des motifs de la Convention s'il retournait en Afghanistan. Le tribunal a donné les cinq raisons suivantes pour expliquer sa conclusion :


[traduction]

(i)            il n'y avait pas de preuve documentaire qui indiquait que les Talibans visaient les Gadoons ou les sympathisants du groupe Hezb-i-Islami au Kunar;

                                  (ii)           les membres de la famille du revendicateur n'occupaient pas de postes de commandement au sein de la structure militaire du groupe Hezb-i-Islami;

                                  (iii)          le revendicateur n'était pas recherché lorsqu'il se trouvait en Afghanistan;

                                  (iv)          le revendicateur a réussi à obtenir des fonctionnaires de l'ambassade un passeport et ceci, sans rencontrer de difficultés;

                                  (v)           le revendicateur, muni de son passeport afghan, a traversé la frontière de l'Afghanistan dans les deux sens, sans aucune difficulté.

[12]            La SSR, toutefois, a trouvé que le demandeur était crédible et, à la page 5 de ses motifs, a conclu ce qui suit :

Le revendicateur est un jeune homme handicapé et ses perspectives d'avenir en Afghanistan sont sombres. Il a coopéré, de la façon la plus complète possible, avec la Section du statut de réfugié et, tel que mentionné précédemment, il nous est apparu digne de foi. Bien qu'il ne satisfasse pas à la définition de la Convention, il se peut qu'il existe des motifs d'ordre humanitaire impérieux justifiant la régularisation de son statut au Canada. Nous n'avons cependant pas compétence pour nous prononcer sur cette question.

QUESTIONS EN LITIGE

1.          La SSR a-t-elle commis une erreur lors de son évaluation de la preuve documentaire présentée au soutien de la revendication du statut de réfugié?


2.          La SSR a-t-elle commis une erreur en n'examinant pas correctement le handicap du demandeur?

ANALYSE

[13]            Pour réfuter une demande d'information indiquant que l'existence de la tribu Gadoon ne peut être confirmée en Afghanistan, le demandeur a obtenu une lettre émanant de l'Afghan Association of Ontario précisant qu'il était membre de la tribu Gadoon et que les Gadoon ont une opinion contraire à celle des Talibans. En réponse à des questions posées par la SSR, le demandeur a déclaré qu'il avait reçu la lettre après une entrevue de trente minutes. La SSR a accepté que le demandeur était membre de la tribu Gadoon, mais a accordé peu de poids à la lettre puisqu'elle était fondée sur une entrevue superficielle.

[14]            Le principal argument du demandeur dans le cadre du contrôle judiciaire consiste en ce que la SSR a commis une erreur en accordant peu de poids à la lettre émanant de l'Afghan Association of Ontario. Il soutient essentiellement que le fait que la lettre susmentionnée lui a été fournie après une « entrevue très superficielle » ne fournissait pas un fondement suffisant ou raisonnable permettant au tribunal d'accorder peu de poids à la lettre. Le demandeur déclare que c'est particulièrement le cas à la lumière des conclusions du tribunal selon lesquelles le demandeur était effectivement membre de la tribu Gadoon et qu'il était crédible.


[15]            Le demandeur prétend, en outre, que comme la SSR a fait remarquer, dans ses motifs, que sa demande d'information n'était pas déterminante en ce qui concerne la question de l'existence de la tribu Gadoon en Afghanistan, on pourrait en inférer que la SSR ne pouvait se fonder sur sa propre preuve documentaire. En conséquence, il n'était pas raisonnable de ne pas accorder de poids à la lettre puisqu'il s'agissait de la seule preuve fiable déposée devant la SSR relativement à cette question. La lettre en litige précise en partie ce qui suit :

[traduction]

La présente a pour but d'informer et de confirmer que nous, de la collectivité afghane de Toronto, possédons une connaissance approfondie en ce qui concerne la géographie et les clans isolés de l'Afghanistan.

Par la présente, je confirme que :

1. la tribu connue sous le nom de Gadoon existe en Afghanistan;

2. pour ce qui est de la proportion de la population, il s'agit d'une tribu minoritaire;

3. les Gadoon ont une opinion politique contraire à celle des Talibans;

4. M. Amjad Khan appartient à la tribu Gadoon en fonction de son lieu d'origine.

  

[16]            La lettre ne fournit pas de preuve qui indiquerait, ou qui nous amènerait à conclure, que les membres de la tribu Gadoon étaient visés par les Talibans. En réalité, il y a absence totale de preuve objective devant la SSR suggérant que les Talibans visaient les membres de la tribu Gadoon. À mon avis, il n'était pas déraisonnable pour la SSR, dans les circonstances de l'affaire, d'examiner, parmi les nombreux facteurs dans le cadre de l'évaluation du bien-fondé de la crainte du demandeur, cette absence de preuve objective. La SSR a accepté, et l'a confirmé en fait dans ses motifs, la majorité de ce qui a été avancé dans la lettre. Elle a simplement décidé d'accorder peu de poids à la lettre lors de l'évaluation du bien-fondé de la revendication du demandeur et, à mon avis, il lui était loisible de le faire.

[17]            Bien qu'il n'existe pas d'exigence légale de produire des éléments de preuve corroborants, il n'était pas déraisonnable, dans les circonstances particulières de la présente espèce, pour la SSR d'examiner parmi les nombreux facteurs dans le cadre de l'évaluation du bien-fondé de la crainte du demandeur, l'absence totale de toute preuve suggérant que les Talibans visaient des membres de la tribu Gadoon. Je crois que la déclaration de Monsieur le juge Hugessen dans l'arrêt Adu c. Canada (M.E.I.), [1995] A.C.F. no 114 (C.A.), en ligne : QL (A.C.F.) est applicable aux circonstances de l'espèce :

La « présomption » selon laquelle le témoignage sous serment d'un requérant est véridique peut toujours être réfutée et, dans les circonstances appropriées, peut l'être par l'absence de preuves documentaires mentionnant un fait qu'on pourrait normalement s'attendre à y retrouver. (Je souligne.)

[18]            La jurisprudence de cette Cour a clairement établi qu'il était de la compétence spécialisée de la SSR de décider quel poids accorder à la preuve. Il est également bien établi que la SSR a le droit de se fonder sur une preuve documentaire de préférence à un témoignage rendu par un revendicateur. En outre, le tribunal a également le droit d'accorder plus de poids à la preuve documentaire, même s'il considère que le demandeur est digne de foi et crédible. [Zhou c. Canada (M.E.I.), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) en ligne : QL].


[19]            Il est utile de reproduire les commentaires de mon collègue le juge MacKay dans l'arrêt Pehtereva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 103 F.T.R. 200. Aux paragraphes 12 et 15 de cette affaire, le juge MacKay a déclaré ce qui suit :

[...] Le recours à ces sources ne saurait être qualifié d'erreur. Même si les articles soumis par la requérante donnaient des exemples qui étayaient indirectement sa revendication, il est établi que le poids à attribuer à des documents donnés ou à d'autres éléments de preuve relève de la compétence du tribunal en cause. Même si la cour de révision avait pu donner un poids différent ou tirer d'autres conclusions qui ne lui permettent pas d'intervenir lorsqu'il n'est pas établi que le tribunal a été abusif ou arbitraire ou que ses conclusions ne sont pas raisonnablement étayés par les éléments de preuve, je ne suis pas persuadé que les conclusions du tribunal puissent être classés dans cette catégorie.

[...]

Déterminer le poids à donner au témoignage y compris celui d'un expert, relève du pouvoir du tribunal qui l'entend. C'est seulement dans un cas très extraordinaire qu'une cour intervient à l'occasion d'un contrôle judiciaire, en raison du poids attribué par le tribunal au témoignage. C'est seulement lorsqu'il est clair, à l'occasion du contrôle, que le tribunal a agi déraisonnablement et qu'il y a preuve que ses conclusions ont été tirées de façon abusive qu'une cour de révision intervient. Or, ces circonstances ne sont pas établies en l'espèce. Il semble plutôt clair que le tribunal a apprécié le témoignage du témoin en question et qu'il a décidé d'en faire peu de cas, pour les motifs qu'il a précisés. Le témoignage d'une personne citée comme expert ne peut être automatiquement accepté. Qu'on y ajoute foi ou non, et le poids qu'il faut y donner, tout cela dépendra de sa pertinence et de sa compatibilité générale avec d'autres éléments de preuve présentés au tribunal. [Je souligne.]

[20]            Je suis d'avis que la décision de la SSR d'accorder peu de poids à la lettre émanant de l'Afghan Association of Ontario n'était pas abusive ou arbitraire et que sa conclusion est raisonnablement appuyée par la preuve. Sur cette question, aucune erreur susceptible de révision n'a été commise.


[21]            Le demandeur soutient, en outre, que la conclusion de la SSR selon laquelle la crainte du demandeur à l'égard des Talibans n'était pas bien fondée au motif que son père et son frère n'occupaient pas des postes élevés au sein de la structure militaire du Hezb-i-Islami et qu'ils étaient maintenant décédés était manifestement déraisonnable à la lumière de la preuve documentaire. Encore une fois, il s'agit d'une question d'appréciation de la preuve, et la SSR a le droit d'apprécier et de donner préférence à la preuve documentaire. Il revient également au tribunal, en évaluant la preuve, de déterminer son bien-fondé et sa fiabilité. [Vankalwala c. Canada (M.E.I.) [1994] A.C.F. 1273 au par. 5, en ligne : QL.] Je suis d'avis que la conclusion de la SSR en ce qui concerne cette question était raisonnablement appuyée par la preuve et qu'elle n'était pas abusive ou arbitraire. Il n'y a pas de fondement justifiant l'intervention de cette Cour.

[22]            Le demandeur prétend également que la SSR a commis une erreur en n'examinant pas le handicap du demandeur dans le contexte de la détresse des personnes handicapées en Afghanistan. Je suis d'avis que cet argument ne peut tenir. Dans ses motifs, la SSR a indiqué que « [...] nous nous sommes penchés sur la question de savoir si le revendicateur appartient à un groupe social, à savoir les handicapés » . La SSR a également examiné la documentation du département d'état des États-Unis portant sur cette question avant de conclure que les handicapés en Afghanistan ne semblent pas être visés par les Talibans. Je suis d'avis que la SSR pouvait raisonnablement parvenir à cette conclusion.

[23]            Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


[24]            Les parties, en ayant eu la possibilité, n'ont pas demandé que je certifie une question grave de portée générale comme le prévoit l'article 83 de la Loi sur l'immigration. Par conséquent, je ne propose pas de certifier une question grave de portée générale.

  

                                                                     ORDONNANCE

CETTE COUR ORDONNE que :

1.         la présente demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié datée du 10 décembre 2000 soit rejetée.

                                                                                                                            « Edmond P. Blanchard »       

                                                                                                                                                                 Juge                        

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                        

No DU GREFFE :                                             IMM-427-01

INTITULÉ :                                                     Amjad Khan c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                           Le 23 janvier 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ETORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                                    Le 10 avril 2002

COMPARUTIONS:

John Savaglio                                                                          POUR LE DEMANDEUR

Kareena Wilding                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

John Savaglio

Pickering (Ontario)                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                       POUR LE DÉFENDEUR

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