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2019 CF 1197Date : 20190923


Dossier : IMM-1195-19

Référence : 2019 CF 1197

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

WILSIN HOMAIRE

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada le 11 janvier 2019, concluant que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]  Le demandeur est un citoyen d’Haïti né le 13 janvier 2000. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA], il a allégué qu’il existe un risque de persécution en raison des opinions politiques de son oncle suite à une attaque armée de son oncle par un groupe d’opposition politique à Port-au-Prince. De 2010 jusqu’à son départ d’Haïti, le demandeur habitait avec son oncle. Par ailleurs, le demandeur a affirmé qu’il est une personne à protéger à cause du risque qu’il soit recruté par des « gangs » en Haïti.

[3]  La SPR a conclu que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Essentiellement, la SPR a conclu que les critères des articles 96 et 97 de la LIPR n’ont pas été remplis en l’espèce, puisque le demandeur n’a pas établi qu’il sera exposé à un risque de persécution en raison de sa relation ni que ce risque est de nature personnalisée.

[4]  Devant la Cour, le demandeur allègue que la décision de la SPR est déraisonnable parce qu’elle n’a pas analysé les deux FDA soumis par le demandeur et qu’elle a omis de prendre en considération les Directives numéro 3 du président : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié [Directives no 3].

[5]  Pour les raisons qui suivent, il n’y a pas lieu d’intervenir en l’espèce, et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Faits

[6]  Le 30 mars 2017, le demandeur a initialement revendiqué le statut de réfugié conjointement avec ses deux cousins et sa tante. Le 2 mai 2018, à la demande du demandeur, la SPR a séparé son dossier des dossiers de ses cousins parce que le fondement de leurs demandes respectives n’était pas le même. Sa tante a retiré sa demande et a revendiqué le statut de réfugié aux États-Unis. Après la scission des revendications et le retrait de la demande de sa tante, le demandeur a déposé un FDA modifié le 11 juin 2018.

[7]  Il n’avait que 17 ans au moment du dépôt du premier FDA, le 30 mars 2017, mais il avait 18 ans au moment du dépôt du FDA modifié le 11 juin 2018.

[8]  Selon le FDA modifié du demandeur, sa mère seule l’avait élevé parce que son père les a quittés en 2002 lorsque le demandeur était très jeune. Sa mère a déménagé à L’Asile dans le sud d’Haïti où elle a commencé à fréquenter un homme nommé « Wesley » qui travaillait dans le domaine politique pour un député. La famille a déménagé dans une maison que Wesley avait achetée. La relation entre Wesley et la mère du demandeur s’est détériorée lorsque Wesley est devenu agressif envers le demandeur et sa mère.

[9]  En novembre 2009, Wesley a fui la maison alors que trois hommes armés le cherchaient; il semble qu’il avait dépensé l’argent de son patron pour ses propres besoins. Ces hommes sont venus à la maison et, à défaut d’avoir trouvé Wesley, ont menacé de torturer le demandeur et sa mère s’ils ne payaient pas les dettes de Wesley. Le demandeur avait 9 ans.

[10]  Au début du mois de janvier 2010, la mère du demandeur a amené ce dernier chez sa tante Dieulita Homère, à Martissant, un quartier de Port-au-Prince. Après le séisme de 2010 en Haïti, le demandeur a perdu contact avec sa mère et il s’est installé à la résidence de sa tante, de son oncle Enel Augustin et de ses cousins, à Martissant.

[11]  En mai 2013, des hommes armés et masqués sont entrés dans leur résidence et ont détruit la propriété, tout en cherchant Enel. Selon le demandeur, son oncle appuyait le gouvernement du président Martelly, alors que les assaillants étaient associés à un groupe d’opposition. Les hommes armés sont retournés sur une base régulière, à la recherche de l’oncle. Un mois plus tard, les hommes ont perpétré une agression sexuelle à l’encontre de Dieulita et ils ont dit qu’ils voulaient l’utiliser comme appât pour trouver Enel. Ils ont dit qu’ils trouveraient Dieulita si elle décidait de s’enfuir.

[12]  En décembre 2014, la famille quitte Haïti pour les États-Unis. Dieulita et Enel ont obtenu le statut de réfugié, mais la demande d’asile du demandeur a été rejetée parce qu’il n’était pas leur enfant. Plus tard, quand le demandeur vivait à Boston, Enel et Dieulita se sont séparés.

[13]  Le 18 mars 2017, le demandeur est arrivé au Canada avec ses deux cousins et Dieulita. Ils croyaient qu’ils seraient tous renvoyés des États-Unis par la nouvelle administration américaine. Le demandeur allègue qu’ils craignent la persécution en Haïti parce que les hommes armés veulent tuer Enel. Selon le demandeur, ces hommes croient que le demandeur est le fils d’Enel parce qu’ils vivaient ensemble dans la même maison, à Port-au-Prince.

[14]  La SPR a initialement tenu une audience le 26 juin 2018. Cependant, le commissaire de la SPR s’est récusé parce qu’un membre de sa famille a été nommé à un poste au sein du gouvernement d’Haïti. La SPR a donc tenu une audience de novo le 18 décembre 2018 durant laquelle le demandeur a déclaré que sa mère est actuellement au Brésil en tant que résidente permanente et que son père vit à la Guadeloupe. Lorsque la commissaire lui a demandé pourquoi les hommes le rechercheraient s’il retournait en Haïti cinq ans après son départ d’Haïti, le demandeur a répondu :

[traduction]

[…] parce que [Enel] les a trahis et qu’ils … veulent se venger sur lui. Ils ont dit : « si on peut pas se venger sur lui, on se vengera sur toi et ta tante ». Comme s’ils allaient tous nous tuer ou nous torturer.

III.  Décision de la SPR

[15]  Dans une décision en date du 11 janvier 2019, la SPR a conclu que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Dans son analyse du fond de la demande, la SPR a d’abord fait les remarques suivantes quant à la crédibilité du demandeur :

Concernant la crédibilité, le tribunal a des préoccupations parce qu’il semble y avoir d’importants vides dans les connaissances du demandeur d’asile, que celui-ci était souvent vague et que le tribunal a estimé que le demandeur d’asile a essayé de l’induire en erreur en mélangeant les faits et les événements indiqués dans son formulaire FDA.

Toutefois, en analysant le témoignage du demandeur d’asile, le tribunal prend en considération le fait que le demandeur d’asile est un jeune homme de 18 ans, qui avait seulement 13 ans lorsque les événements déclarés ont eu lieu et l’ont forcé à quitter Haïti. Le tribunal est d’avis que, étant donné le jeune âge du demandeur d’asile, il ne peut pas être attendu que ce dernier se rappelle en détail les événements déclarés, ni expliquer les incohérences et les contradictions dans le témoignage présenté.

Le tribunal a également pris en considération le fait que le demandeur d’asile est une jeune personne instruite qui vient de finir son école secondaire à Ottawa et qui se prépare à entrer à l’université.

[16]  La SPR a ensuite analysé le risque de persécution du demandeur lié à l’opinion politique de son oncle en vertu de l’article 96 de la LIPR. Elle a conclu que le demandeur n’a pas établi de manière crédible qu’il existait une possibilité raisonnable de persécution en raison de ses liens familiaux. La SPR a d’abord noté quelques incohérences dans les déclarations du demandeur. À titre d’exemple, dans son second FDA, le demandeur a seulement mentionné que les hommes armés s’en sont pris à sa tante et l’ont agressée, alors qu’à l’audience, le demandeur a affirmé que les hommes s’en sont également pris à ses cousins et à lui-même. Confronté à cette incohérence, le demandeur a répondu que son premier FDA s’inspirait davantage de l’histoire de sa tante que de la sienne.

[17]  La SPR a noté que la tante avait déjà retiré sa demande d’asile à l’époque du FDA modifié. La SPR a conclu que l’allégation selon laquelle les hommes qui cherchaient son oncle ont attaqué le demandeur était également un embellissement qui minait la crédibilité du demandeur quant au risque futur persécution.

[18]  La SPR a également exprimé des doutes à divers égards concernant l’allégation voulant que le demandeur soit persécuté par les hommes qui cherchaient son oncle. En particulier, la SPR a conclu qu’aucune preuve au dossier ne démontre que le demandeur a le profil d’une personne qui serait visée pour des raisons politiques puisqu’il n’a jamais pris part à la vie politique et que son oncle est parti d’Haïti en 2013. La SPR a noté que les hommes armés avaient peu de moyens d’identifier le demandeur, soit une photo du demandeur (alors âgé de 13 ans) et son nom (son nom de famille n’est pas le même que celui de son oncle). De plus, la SPR a constaté que le demandeur avait déclaré qu’il ne connaissait pas l’identité des criminels qui ont visé son oncle. Elle a également noté que les cibles d’attaques de vengeance sont généralement des partisans politiques et qu’un tel risque diminue avec le temps et en fonction de la distance géographique.

[19]  Au sujet des revendications du demandeur fondées sur l’article 97 de la LIPR, la SPR a essentiellement conclu que sa crainte d’être victime de gangs est de nature spéculative, puisque le demandeur n’a jamais été menacé par un gang dans le passé et qu’il ne savait pas si son cousin âgé de 20 ans, qui habite en Haïti, a subi des telles menaces. Se reportant au sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, la SPR a établi que ce risque n’est pas personnalisé, mais plutôt généralisé. En Haïti, le risque de violence extrême commise par des gangs criminels est très répandu, donc le risque auquel le demandeur serait exposé n’est pas pire que le risque auquel est exposé l’ensemble de la population. La SPR a conclu que le demandeur est peut-être exposé à un risque plus élevé en raison de son âge, mais qu’il s’agit là d’un risque généralisé pour une partie de la population haïtienne.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[20]  Cette affaire soulève trois questions :

  • 1) La SPR a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en se fiant exclusivement au second FDA, plutôt qu’aux deux FDA?

  • 2) La SPR a-t-elle commis une erreur susceptible de révision, sur le plan de l’équité procédurale, lorsqu’elle a omis de suivre les Directives no 3 quant au risque de persécution?

  • 3) La décision de la SPR est-elle raisonnable?

[21]  La première question, comme la troisième, est une question mixte de droit et de faits et est donc soumise à la norme de contrôle de la raisonnabilité (Olusola c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 46, au para 6). La Cour doit donc déterminer si les conclusions sont rationnelles et si elles appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190 au para 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339 au para 59 [Khosa]; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708 au para 13).

[22]  La deuxième question soulève un enjeu de justice naturelle et d’équité procédurale. Il est établi que la norme de contrôle de la décision correcte s’applique à de telles questions (Khosa au para 43).

V.  Analyse

Remarques préliminaires

[23]  Avant de traiter le fond de cette affaire, de brèves remarques préliminaires sont de mise. Le 20 juin 2019, après que le demandeur a reçu l’autorisation de poursuivre son contrôle judiciaire, la cousine du demandeur, Mme Bethyna Homère, a déposé un affidavit au soutien de sa demande de contrôle judiciaire. Cet affidavit n’est pas admissible, car il vise à introduire des faits qui n’étaient pas devant la SPR (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19). Il y a quelques exceptions à cette règle, mais je ne vois pas comment elles pourraient s’appliquer en l’espèce. En conséquence, cet affidavit est radié en totalité.

(1)  La SPR a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en se fiant exclusivement au second FDA, plutôt qu’aux deux FDA?

[24]  Le demandeur allègue que la SPR aurait dû tenir compte du premier FDA, en plus du second. Le premier FDA a été rempli en 2017 lorsque le demandeur avait 17 ans, tandis que le second a été rempli en 2018 lorsqu’il avait 18 ans. Selon le demandeur, la SPR a donc erré en ne tenant pas compte de l’entièreté du dossier.

[25]  Je n’accepte pas cet argument. La SPR s’est concentrée sur le second FDA (déposé en juin 2018), mais les informations contenues dans le premier FDA (déposé en mai 2017) ont été entièrement intégrées au second FDA. Le premier FDA du demandeur est une version moins détaillée du second et ne contient aucune information supplémentaire utile. La SPR a donc effectivement analysé le contenu du premier FDA. Le demandeur n’a pas réussi à me démontrer en quoi cette analyse est erronée. De plus, je note que le demandeur a profité de la deuxième chance offerte par le second FDA en y ajoutant un narratif complet alors qu’il n’en existe pas dans le premier.

(2)  La SPR a-t-elle commis une erreur susceptible de révision, sur le plan de l’équité procédurale, lorsqu’elle a omis de suivre les Directives no 3 quant au risque de persécution?

[26]  Le demandeur soutient que la SPR a erré en omettant de tenir compte des Directives no 3. De l’avis du demandeur, la SPR devait évaluer le lien entre l’âge du demandeur et sa crainte de persécution en Haïti, et le seul fait de mentionner les Directives est insuffisant. Selon le demandeur, son âge est pertinent puisqu’il était mineur lors des incidents qui ont motivé la demande d’asile.

[27]  Le défendeur rétorque que la SPR a explicitement tenu compte de l’âge du demandeur au moment des incidents allégués et de son niveau d’éducation. Le défendeur reconnaît que la SPR a soulevé des problèmes de crédibilité, mais elle a également soulevé l’insuffisance de la preuve déposée par le demandeur pour satisfaire aux critères des articles 96 et 97 de la LIPR. Le défendeur indique que le demandeur avait 18 ans quand il a déposé sa demande d’asile.

[28]  À cet égard, la SPR n’a pas commis une erreur susceptible de révision. Les Directives fournissent des consignes pour adapter la procédure aux demandeurs d’âge mineur. En l’espèce, le demandeur avait l’âge adulte lors du dépôt de la demande d’asile et les audiences faisant l’objet du présent litige. La SPR n’avait donc pas l’obligation d’appliquer les Directives dans ce cas-ci. De toute façon, l’omission de mentionner les Directives no 3 ne peut à elle seule combler les lacunes dans la preuve du demandeur (Nsimba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 542 au para 17; Moffat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 896 aux paras 16‑18). Je noterai d’ailleurs que le demandeur a le fardeau de « se montrer sous son meilleur jour » (Abdullahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 260 au para 16). Il n’appartient donc pas à la SPR d’améliorer le dossier de demande d’asile au-delà de ses obligations légales et constitutionnelles.

[29]  Ayant pris connaissance des transcriptions de l’audience, des motifs de la SPR et de la preuve au dossier, je ne suis pas d’accord avec le demandeur que la SPR n’a pas été sensible à son âge ou qu’elle a donné un poids excessif à son témoignage. La SPR a explicitement tenu compte de l’âge du demandeur au moment des incidents allégués ainsi qu’à l’audience, mais a conclu à des problèmes quant à la crédibilité du demandeur ainsi qu’à l’insuffisance de sa preuve au soutien de ses revendications fondées sur les articles 96 et 97 de la LIPR. Je ne vois pas comment les Directives auraient pu avoir un impact sur ces conclusions.

(3)  La décision de la SPR est-elle raisonnable?

[30]  Le demandeur allègue que les conclusions de la SPR selon lesquelles le demandeur n’est pas un réfugié ni une personne à protéger sont déraisonnables. À cet égard, le demandeur soutient qu’il n’était pas nécessaire de démontrer qu’il a véritablement subi la persécution dans le passé, il n’avait qu’à démontrer que la crainte qu’il éprouve résulte d’actes répréhensibles commis ou susceptibles d’être commis à l’égard des membres d’un groupe auquel il appartient. Selon le demandeur, un document dans le cartable national de documentation [CND] indique qu’un gang pourrait retrouver une victime même après que dix années se sont écoulées. De plus, le demandeur prétend que la décision de la SPR est insuffisamment motivée.

[31]  Pour sa part, le défendeur soutient que la décision de la SPR est raisonnable. La décision expose les raisons pour lesquelles le demandeur n’était pas crédible quant aux allégations à la base de sa demande, soit qu’il serait menacé en raison des allégeances politiques de son oncle ou qu’il risquerait d’être recruté par des gangs en Haïti. La SPR a même accordé au demandeur plusieurs possibilités de dissiper ses préoccupations quant à l’absence de preuve de persécution ou de risque et elle a tenu compte des explications du demandeur dans son analyse. Selon le défendeur, le risque lié aux gangs invoqué par le demandeur est essentiellement généralisé.

[32]  À mon avis, la SPR a raisonnablement conclu que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[33]  D’abord, les conclusions de la SPR selon lesquelles le demandeur n’est pas à risque en raison des opinions politiques de son oncle sont raisonnables. Le demandeur a raison de souligner qu’il n’est pas nécessaire de faire preuve de la persécution dans le passé pour établir une crainte raisonnable de persécution en vertu de l’article 96 de la LIPR (Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 250 (CA) aux paras 17-19; Arocha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 468 aux paras 12-13, 22-24). Cependant, la SPR n’a pas imposé le fardeau de prouver qu’il a été persécuté dans le passé. Au contraire, la SPR a conclu que le demandeur « n’a pas établi de façon crédible, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté partout en Haïti où il chercherait refuge du fait de son appartenance à un groupe social (la famille) » [Non souligné dans l’original.]

[34]  En répondant aux questions de la SPR sur la possibilité que ces hommes armés puissent le retracer, le demandeur a essentiellement répondu qu’ils ont sa photo et qu’ils connaissent son nom. À cet égard, la SPR a noté que l’apparence du demandeur avait beaucoup changé depuis les incidents et qu’il n’a pas le même nom de famille que son oncle. La SPR pouvait raisonnablement conclure que le fait de posséder une photo du demandeur, alors âgé de 13 ans, n’est pas suffisant pour établir une crainte raisonnable de persécution. D’ailleurs, la SPR a raisonnablement conclu que le délai de cinq ans qui s’est écoulé depuis les incidents en question laisse sérieusement douter que les agents de persécution seraient encore intéressés à poursuivre le demandeur.

[35]  Je note également l’argument du demandeur selon lequel le document contenu dans le CND n’est pas tout à fait clair sur ce point. Cependant, les conclusions de la SPR demeurent raisonnables. Il faut comprendre que la SPR avait déjà noté que le demandeur ne savait pas qui les hommes étaient ni pour qui ils travaillaient. La SPR n’avait aucune preuve de l’importance politique du groupe auquel les agents de persécution sont affiliés. Dans ce contexte, la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas une crainte raisonnable de persécution, étant donné l’insuffisance de sa preuve et le long délai depuis son départ d’Haïti, est parmi les issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au para 47).

[36]  D’ailleurs, bien que l’omission du demandeur d’inscrire que les criminels l’avaient attaqué dans son FDA (qui mentionnait uniquement leur violence envers sa tante) ne doive probablement pas être traitée comme un élément déterminant, la SPR pouvait raisonnablement tenir compte de cet élément, parmi les lacunes générales de la preuve du demandeur, pour conclure qu’il n’a pas une crainte raisonnable de persécution en Haïti.

[37]  Le demandeur invoque également le risque de se faire recruter par des gangs. Dans ses plaidoiries, le demandeur tente d’assimiler le risque de se faire attaquer par des gangs politiques au risque de se faire recruter par des gangs criminels. Sur ce point, il convient de distinguer les gangs politiques (qui cherchent prétendument toujours son oncle) des gangs criminels, puisque leurs buts sont distincts et leurs impacts possibles sur le demandeur sont différents.

[38]  Le risque généralisé de se faire recruter par des gangs a été analysé par la SPR et elle a conclu que ce risque n’était pas de nature personnalisé au point de tomber sous le coup de l’article 97 de la LIPR. Les risques soulevés par le demandeur à cet égard sont tous essentiellement les conséquences de la situation économique et de la criminalité manifeste en Haïti. Le demandeur n’a pas démontré en quoi il est à risque d’être ciblé personnellement par des criminels ou des gangs en Haïti. On peut donc conclure que le risque allégué est plutôt spéculatif et de nature démographique.

[39]  La Cour fédérale a conclu à plusieurs reprises que le risque généralisé d’être une victime de crime n’est pas un motif qui peut donner lieu à une conclusion selon laquelle un demandeur d’asile est une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR, à moins que celui-ci puisse démontrer qu’il sera ciblé pour une raison particulière (Salazar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 83 au para 65; Prophète c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331 aux paras 14-23). Les conclusions de la SPR à cet égard sont donc raisonnables.

VI.  Conclusion

[40]  Pour ces motifs, la décision de la SPR est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas soumis de question à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-1195-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Peter G. Pamel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1195-19

 

INTITULÉ :

WILSIN HOMAIRE c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 août 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 septembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Me Jean Auberto Juste

 

Pour le demandeur

Me Sarah Jiwan

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jean Auberto Juste Law Office

Orléans, Ontario

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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