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                                                                                                                                           Date : 20020313

                                                                                                                                     Dossier : T-1092-95

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2002

En présence de :         MADAME LE JUGE SIMPSON

ENTRE :

                                                          KIRK MICHAEL MacNEIL

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                               défenderesse

                                                                        JUGEMENT

LA PRÉSENTE AFFAIRE ayant fait l'objet d'un procès d'une durée de dix jours à Toronto, du 24 septembre au 11 octobre 2001, en présence des deux parties et de leurs avocats respectifs;

IL EST MAINTENANT JUGÉ que l'action du demandeur est rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse selon le barème partie-partie.



Traduction certifiée conforme

_________________________

Nicole Michaud, LL.L., M. Trad.

                    « Sandra J. Simpson »

ligne


            JUGE

Date : 20020313

Dossier : T-1092-95

Référence neutre : 2002 CFPI 277

ENTRE :

                                                          KIRK MICHAEL MacNEIL

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                               défenderesse

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SIMPSON

Table des matières

Paragraphes

Introduction

1 - 2

La preuve

3 - 25

La demande à la PPO

26 - 38

La demande au Service de police de Port Hope

39

Les demandes au Service de police de Durham

40 - 50

La demande au Service de police de Toronto

51 - 53

Les demandes au SCRS

54

La demande de réembauche à la GRC

55

La demande au Service de police de Peterborough

56

Le règlement des plaintes à la GRC

          a)          La plainte visant le sergent Tidsbury

          b)          La plainte visant le sergent Sarich

57 -71

59 - 62

63 - 71

Les prétentions du demandeur

72 - 76

Les questions en litige

77

Analyse

          1.          Y a-t-il eu complot pour « blackbouler » le demandeur?

          2.          Le sergent Sarich a-t-il diffamé le demandeur dans sa note du 16 janvier 1992?

          3.          Le sergent Tidsbury a-t-il porté atteinte à la vie privée du demandeur?

          4.          Le sergent Sarich a-t-il porté atteinte à la vie privée du demandeur?

78 - 105

78 - 81

82- 86

87- 91

92 - 105

Conclusion

106

Introduction

[1]                 Le demandeur allègue qu'après sa démission, des membres de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) l'ont diffamé et ont porté atteinte à sa vie privée en lui donnant de mauvaises références d'emploi et en versant à son dossier d'employé des documents révélant que des accusations de voies de fait avaient été portées contre lui.

[2]                 La déclaration modifiée du 26 mai 1999 (la Déclaration), qui est l'acte de procédure le plus récent du demandeur, désigne Blake Tidsbury, Martin Sarich et Phil Murray comme défendeurs, ainsi que Sa Majesté la Reine. L'avocat du demandeur a toutefois admis pendant le procès que l'action contre les individus défendeurs avait été rejetée précédemment. En conséquence, j'ai modifié l'intitulé pour indiquer que la Couronne est seule défenderesse. Étant donné que c'est la GRC qui était l'employeur du demandeur et que ce dernier a poursuivi la Couronne parce qu'il conteste la conduite de membres de la GRC, cette dernière sera désignée comme défenderesse.

La preuve

[3]                 En 1988, à l'âge de 23 ans, M. Kirk Michael MacNeil (le demandeur) a présenté une demande d'emploi à la Police de la communauté urbaine de Toronto (le Service de police de Toronto), à la Police provinciale de l'Ontario (la PPO) et à la GRC. Au printemps 1989, les trois corps policiers lui ont offert un poste et il a choisi d'entrer au service de la GRC.

[4]                 La GRC a embauché officiellement le demandeur le 11 septembre 1989. Il a alors signé un contrat d'emploi qui comprenait un engagement signé distinct ainsi libellé :

[Traduction] Par la présente, moi, Kirk Michael MacNeil, je reconnais et conviens qu'en tout temps après mon embauche, je pourrai être tenu de travailler n'importe où au Canada.


[5]                 Après avoir accompli les formalités administratives nécessaires, le demandeur a suivi des cours de français pendant neuf mois à Montréal. Cette affectation a été suivie d'une formation de base de six mois à l'École de la Gendarmerie royale à Regina. Au cours de cette période, alors qu'il était en congé chez lui en Ontario, le demandeur a fait la connaissance d'une femme dénommée Wendy et ils ont commencé à se voir.

[6]                 À l'École, le demandeur a rencontré le sergent Dionne pour discuter de ses progrès et de sa première affectation. Malgré la politique de la GRC qui dissuadait les recrues de commencer leur carrière dans leur province d'origine, le demandeur a fait savoir qu'il voulait travailler à la Division O (Ontario), à la Division A (Ottawa) et à la Division K (Nouvelle-Écosse). Lors de son interrogatoire préalable, le demandeur a déclaré [Traduction] « avoir été fortement incité à choisir l'Ouest » au moment de sa rencontre avec le sergent Dionne et, par conséquent, il a donné un quatrième et un cinquième choix, dont la vallée de l'Okanagan en Colombie-Britannique. Peu avant de quitter l'École, le demandeur a été informé qu'il serait agent aux services généraux et qu'il avait été affecté au détachement de Sicamous (le détachement) dans la vallée de l'Okanagan. Le demandeur a commencé sa formation pratique des recrues (FPR) au détachement le 13 février 1991.


[7]                 Sicamous (C.-B.) est une petite ville située près de la route transcanadienne dans la région des lacs Shuswap. Comme il s'agit d'un lieu de villégiature, la ville de Sicamous est très tranquille en dehors de la saison touristique estivale. Le détachement était logé dans une maison transformée située sur l'avenue Schuswap, qui comprenait un bureau privé pour le commandant, une aire commune où se trouvaient des corbeilles à courrier pour tous les membres du détachement et certaines installations d'entraînement et de conditionnement. Neuf membres travaillaient au détachement. L'officier responsable était le sergent Blake Tidsbury et le caporal Robert Lechky était le responsable en second. En plus du demandeur, il y avait cinq autres gendarmes de la GRC et un membre civil, qui était secrétaire du détachement. Les membres du service de police étaient divisés en deux groupes : les agents aux services généraux et les agents de la patrouille routière.

[8]                 À l'arrivée du demandeur à Sicamous, le gendarme Paul Driscoll a été choisi pour être son agent de formation. Malheureusement, le gendarme Driscoll devait subir une chirurgie au pied. Dans son témoignage, le demandeur a déclaré que lorsqu'il était devenu évident que le gendarme Driscoll ne pourrait plus être son agent de formation, il avait espéré relever du gendarme Mike Cain parce que ce dernier possédait une expérience des services généraux. Toutefois, étant donné que le gendarme Cain venait tout juste de travailler successivement avec deux recrues, le sergent Tidsbury a choisi le caporal Lechky pour former le demandeur. Ce dernier était déçu de ce choix parce que le caporal Lechky avait passé la plupart de ses vingt-trois années de service à la GRC comme agent de la patrouille routière plutôt que comme agent aux services généraux.


[9]                 Au cours des premiers mois passés au détachement, les progrès de la formation du demandeur n'ont pas été bien documentés. Pour cette raison, le 24 mars 1991, le sergent Tidsbury a envoyé une note de service à tous les membres du détachement, et au caporal Lechky en particulier, les priant de mieux tenir les dossiers. Dans son témoignage, le demandeur a dit qu'à plusieurs reprises, il s'est plaint du caporal Lechky au sergent Tidsbury, mais en vain. Il s'est aussi plaint du manque de documents de formation au détachement et des retards à établir le programme de ses examens de FPR. Le sergent Tidsbury a témoigné que le demandeur se sentait seul parce qu'il était loin de chez lui et de Wendy. Il a dit que le demandeur était très malheureux parce qu'on lui avait dit qu'il n'y avait pas de possibilités réelles qu'il soit muté en Ontario dans un avenir prochain. Il a aussi dit que le demandeur pleurait souvent lors de leurs rencontres.

[10]            Au procès, le caporal Lechky a reconnu que la chimiothérapie avait récemment altéré sa mémoire à long terme. Toutefois, en 1992, il a fait une déclaration au sergent d'état-major de la GRC Martin Sarich au sujet de l'expérience du demandeur au détachement (la déclaration). Cette déclaration a été cotée comme pièce au procès et, étant donné la mémoire défaillante du caporal Lechky, lorsqu'il y avait incompatibilité entre son témoignage actuel et le contenu de sa déclaration antérieure, j'ai privilégié l'élément de preuve antérieur.

[11]            Dans son témoignage, le caporal Lechky a dit que Sicamous était un détachement très tranquille, particulièrement au cours des mois d'hiver. Le caporal Lechky s'est rappelé que le demandeur et lui-même passaient des quarts de travail entiers à patrouiller la route sans voir d'autre automobile. Les rapports remplis par le caporal Lechky entre mars et juin 1991 comprennent de nombreuses inscriptions indiquant qu'il s'était agi d'un [Traduction] « quart tranquille » ou d'un « quart très tranquille » . En plus du travail de patrouille routière, l'expérience du demandeur s'est limitée en grande partie à des interventions dans le cadre de saisies d'alcool et de bagarres dans les bars.


[12]            Dans son témoignage, le sergent Tidsbury a dit qu'il avait comme politique de faire signer un registre aux membres qui quittaient le travail et de leur faire laisser un numéro de téléphone pour les joindre lorsqu'ils n'étaient pas au travail. Cette information était consignée dans un registre des employés non en service. Le caporal Lechky a témoigné que le sergent Tidsbury avait critiqué le demandeur parce que celui-ci n'avait pas rempli le registre et que le sergent Tidsbury lui avait dit qu'il allait [Traduction] « rogner les ailes de Kirk » . Interrogé au sujet de la signification de cette déclaration, le caporal Lechky a répondu qu'il pensait que le sergent Tidsbury voulait s'assurer que le demandeur [Traduction] « ferait ce qui lui était demandé sinon d'autres mesures seraient prises » . Le sergent Tidsbury a nié avoir jamais fait ce commentaire.

[13]            Le 19 mars 1991, le demandeur a manqué un cours de formation sur les radars. Deux jours plus tard, le sergent Tidsbury a appelé le demandeur à son bureau et lui a demandé de lui expliquer son absence (l'incident relatif au cours sur les radars). Le demandeur a affirmé ne pas avoir pas reçu de note de service l'informant de la date et de l'heure de ce cours. Lorsque le sergent Tidsbury a répondu qu'il avait lui-même déposé une copie de cette note de service dans la corbeille à courrier du demandeur, ce dernier a de nouveau nié l'avoir reçue et a mis le sergent Tidsbury au défi de [Traduction] « le prouver » . Au procès, le sergent Tidsbury et le caporal Lechky ont tous deux affirmé que le demandeur avait bel et bien reçu une copie de cette note de service et le caporal Lechky a dit que le demandeur [Traduction] « avait eu tort » . Le sergent Tidsbury a indiqué qu'en plus d'envoyer au demandeur une note de service, il lui avait confirmé la date et l'heure de ce cours à l'occasion d'une conversation au bureau.


[14]            Le 26 mars 1991, cinq jours après l'incident relatif au cours sur les radars, le sergent Tidsbury a remarqué que le demandeur portait de grosses chaussettes blanches plutôt que les chaussettes marine requises (l'incident relatif aux chaussettes blanches). Interrogé à ce sujet, le demandeur a dit que le gendarme Driscoll lui avait donné la permission de porter des chaussettes blanches. Toutefois, le gendarme Driscoll a subséquemment dit au sergent Tidsbury qu'il n'avait pas accordé une telle permission. Il a plutôt offert de prêter au demandeur une paire de chaussettes réglementaires. Même si le caporal Lechky n'était pas directement mêlé à cet incident, il l'a commenté au procès. Il a dit qu'il était fier de l'uniforme de la GRC et qu'une dérogation au code vestimentaire était une affaire grave.

[15]            Au procès, le caporal Lechky a dit que le sergent Tidsbury avait, sur un ton arrogant et suffisant, indiqué qu' [Traduction] « il ferait expulser Kirk du service de police d'ici septembre » . Si cette déclaration a été faite, elle aurait été importante parce qu'elle aurait démontré que le sergent Tidsbury tentait d'expulser le demandeur de la GRC. Le problème est que cet élément de preuve n'a pas été situé dans son contexte et qu'il ne figurait pas dans la déclaration du caporal Lechky. Je ne suis pas convaincue que le caporal Lechky aurait oublié une remarque méchante de ce genre lorsqu'il a fait sa déclaration au sergent Sarich. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que le sergent Tidsbury ait jamais fait un tel commentaire. Toutefois, il ressort clairement de la déclaration du caporal Lechky et de son témoignage au procès que le sergent Tidsbury et lui croyaient que le demandeur était si malheureux qu'il ne terminerait pas sa FPR et déciderait de quitter Sicamous avant septembre 1991.


[16]            Le 29 avril 1991, alors qu'il était encore au service de la GRC, le demandeur a présenté une demande d'emploi à la PPO. Sur son formulaire de demande, il a expliqué qu'il quittait la GRC parce qu'il voulait vivre dans le sud de l'Ontario. Au milieu du mois de mai 1991, le demandeur a pris un congé de deux semaines du détachement et est retourné en Ontario pour tenter de régler certains problèmes avec son amie Wendy.

[17]            Le 27 mai 1991, le sergent Tidsbury a envoyé au caporal Lechky une deuxième note de service au sujet de la mauvaise façon dont il tenait ses dossiers. En particulier, le sergent Tidsbury a insisté sur le fait que l'évaluation du demandeur pour la période de deux mois était en retard. Lorsque le caporal Lechky a finalement terminé cette évaluation le 7 juin 1991, il a critiqué les habitudes de travail du demandeur et indiqué que ce dernier ne faisait pas les efforts nécessaires pour terminer sa FPR. Il a aussi fait état de la tristesse du demandeur. Voici un extrait de cette évaluation :

[Traduction] ADAPTABILITÉ AU CHANGEMENT : Le gendarme MACNEIL espérait être muté de Regina au sud de l'Ontario pour faire du « travail de police fédérale » (sic). Il est mécontent d'avoir été muté si loin de chez lui et il a de la difficulté à s'adapter. Comme son amie se trouve en Ontario, il n'a essentiellement aucune vie sociale.


[18]            Le demandeur a aussi témoigné au sujet de son logement à Sicamous (l'incident relatif à l'hébergement). À son arrivée en février, le demandeur vivait seul dans une maison située près du détachement. Il a allégué que le sergent Tidsbury voulait habiter cette maison et l'a forcé à déménager en mai 1991. En revanche, dans son témoignage, le sergent Tidsbury a déclaré qu'en avril 1991, il était clair que le demandeur était malheureux et, désireux de lui remonter le moral et d'améliorer sa vie sociale, il lui a suggéré de déménager dans une famille locale. Le sergent Tidsbury a témoigné qu'après avoir passé un certain temps avec cette famille en avril, le demandeur a accepté sa suggestion et planifié d'emménager dans cette maison. Le demandeur a nié cette affirmation. Toutefois, il est admis que pendant l'absence du demandeur en mai, le sergent Tidsbury a donné un préavis de deux semaines au locateur du demandeur et, après que ce dernier a quitté la maison à son retour, qu'il y a emménagé. Dans son témoignage, le sergent Tidsbury a déclaré qu'il avait la permission du demandeur pour donner ce préavis, alors que le demandeur a affirmé au procès qu'avant de partir en Ontario, il avait dit au sergent Tidsbury qu'il déciderait pour de bon où il vivrait au retour de son congé.

[19]            Vers le 7 juillet 1991 (le jour de la décision), le demandeur travaillait avec le caporal Lechky. Ils ont reçu un appel leur demandant de sortir un bateau et le caporal Lechky a proposé d'arrêter à la maison du demandeur pour qu'il prenne ses chaussures de bateau. En arrivant à la maison, le demandeur a découvert que Wendy, qui était en visite, avait inopinément fait ses bagages et s'apprêtait à retourner en Ontario. Même si le demandeur lui a demandé de rester, elle a refusé. Plus tard au cours de la journée, le demandeur a appris que Wendy avait laissé à son attention au détachement une lettre d'adieu mettant fin à leur relation. Le reste de son quart de travail avec le caporal Lechky a été occupé, notamment par plusieurs appels au sujet de canots renversés et de maisons flottantes. Dans son témoignage, le caporal Lechky a déclaré que pendant que les deux hommes étaient sur l'eau, le demandeur a critiqué sa compétence en tant qu'agent de formation.


[20]            En arrivant au détachement à la fin de son quart de travail, le demandeur a insisté pour rencontrer le sergent Tidsbury, même si ce dernier quittait pour la journée. La teneur de leur conversation est contestée. Selon le témoignage du demandeur, il a informé le sergent Tidsbury de son intention de démissionner de la GRC à la fin de sa FPR à l'automne. Il soutient qu'en réponse, le sergent Tidsbury l'a encouragé à régler ses problèmes en démissionnant sur-le-champ et lui a promis de lui donner de bonnes références. En revanche, dans son témoignage, le sergent Tidsbury a déclaré que le demandeur voulait démissionner immédiatement et qu'il avait tenté de le persuader de terminer sa FPR. Au procès, lorsqu'on lui a demandé s'il avait promis au demandeur des références positives, le sergent Tidsbury a répondu que non et a ajouté qu'il n'aurait pas pu le faire parce que le rendement du demandeur au détachement n'avait pas été satisfaisant. La rencontre avec le sergent Tidsbury a pris fin lorsque le demandeur a quitté le détachement pour se réfugier dans les bois avoisinants. Dans sa déclaration, le caporal Lechky affirme que le demandeur est parti en courant dans la rue jusque dans les bois et a fui ses collègues pendant plus de deux heures. Pendant ce temps, le sergent Tidsbury a envoyé plusieurs membres du détachement à sa recherche. Le demandeur a fini par réapparaître et le caporal Lechky l'a conduit à la maison. Le demandeur a reconnu qu'il voulait être seul et qu'il s'était caché de ses collègues. Toutefois, il nie être parti dans la rue en courant.

[21]            Pendant que certains membres du détachement cherchaient le demandeur dans les bois, le sergent Tidsbury avec d'autres ont ouvert de force son casier et confisqué son pistolet parce qu'ils craignaient qu'il se blesse. Le sergent Tidsbury a témoigné que si le demandeur n'avait pas démissionné, il ne lui aurait pas rendu son arme avant qu'il ait suivi avec succès un programme de counselling de la GRC.


[22]            Le lendemain, probablement le 8 juillet, le demandeur a rencontré de nouveau le sergent Tidsbury et a signé sa lettre de démission qui était postdatée du 12 juillet 1991 pour tenir compte de quatre jours de congé accumulés. Selon le demandeur, le sergent Tidsbury l'a averti qu'il pourrait regretter sa décision de démissionner et lui a demandé auprès de quels services de police il prévoyait présenter une demande d'emploi. Le demandeur a mentionné trois ou quatre services différents et le sergent Tidsbury aurait pris des notes. Toutefois, le sergent Tidsbury a nié avoir écrit quoi que ce soit et ne s'est souvenu que du fait que le demandeur avait mentionné la PPO.

[23]            Normalement, une entrevue de fin d'emploi est tenue lorsqu'un membre démissionne de la GRC. Dans ce cas, étant donné que le demandeur était déjà retourné en Ontario, c'est le sergent J.P. Tremblay de la GRC qui a fait cette entrevue le 9 août 1991. Le sergent Tremblay a recommandé que le demandeur ne soit pas réembauché, en partie parce qu'il n'avait pas été tout à fait honnête avec la GRC au sujet de sa disposition à travailler n'importe où au Canada. Voici un extrait du rapport d'entrevue :

[Traduction] [...] On a rappelé à MACNEIL les coûts très importants (procédure de recrutement, formation linguistique à temps plein, IER, etc.) qui auraient pu être économisés s'il avait été tout à fait honnête à l'égard de sa disposition à travailler n'importe où au Canada.

[...]

Même si l'ex-gendarme MACNEIL a obtenu d'assez bonnes notes au cours de son instruction élémentaire des recrues, il se rend compte que, dans les circonstances, sa candidature ne serait pas susceptible d'être retenue par la GRC s'il la présentait à nouveau dans l'avenir.

[...]

RECOMMANDATION :

Que la candidature de l'ex-gendarme MACNEIL ne soit pas prise en considération s'il la présente à nouveau à la GRC dans l'avenir.


[24]            Après son retour en Ontario, le demandeur a présenté une demande d'assurance-emploi. Dans son témoignage, il a déclaré avoir eu une conversation (la conversation avec une représentante d'EIC) avec une fonctionnaire d'Emploi et Immigration Canada (EIC) qui avait déjà parlé au sergent Tidsbury. Après cette conversation avec une représentante d'EIC, le demandeur a compris que le sergent Tidsbury ne lui donnerait pas de références positives. Au procès, le sergent Tidsbury a admis avoir dit à une employée d'EIC que le demandeur serait bon comme pompiste ou pour exercer un emploi hors d'un corps policier. Le sergent Tidsbury a reconnu que cette remarque au sujet du travail de pompiste était désobligeante.

[25]            Après avoir quitté la GRC, le demandeur a présenté des demandes à six corps policiers. Il s'agit du Service de police de Port Hope (le Service de police de Port Hope), du Service de police communautaire de Peterborough (le Service de police de Peterborough), du Service de police régional de Durham (le Service de police de Durham), du Service de police de Toronto, du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) et de la GRC (pour être réembauché). Il a présenté deux demandes au Service de police de Durham et au SCRS. Comme il a été souligné ci-dessus, sa demande à la PPO a été présentée avant qu'il ne quitte le détachement. Toutes ces demandes ont échoué.

La demande à la PPO

[26]            Le demandeur a présenté une demande d'emploi à la PPO le 29 avril 1991. Après une série d'examens écrits, le demandeur a été interviewé par le sergent Wendy Wilson le 4 septembre 1991. Au cours de l'entrevue, le demandeur s'est beaucoup plaint du sergent Tidsbury et du caporal Lechky ainsi que des expériences qu'il avait vécues au détachement.

[27]            Au procès, le sergent Wilson a donné deux raisons principales pour lesquelles la PPO avait décidé de ne pas embaucher le demandeur en 1991. Premièrement, un gel imminent de l'embauche rendait le processus d'entrevue très concurrentiel. La PPO cherchait des candidats qui possédaient de l'expérience, que le sergent Wilson a appelés des [Traduction] « recrues externes » . Une recrue externe était soit un candidat qui était embauché alors qu'il travaillait déjà pour un autre corps policier, soit un candidat ayant une expérience étendue et récente du travail policier. Comme le demandeur avait passé moins d'un an au détachement et qu'il n'était plus au service de la GRC au moment de son entrevue, il n'était pas considéré comme une recrue externe.

[28]            Le second motif de la décision de la PPO de ne pas embaucher le demandeur était qu'il n'avait pas informé la PPO de sa décision de joindre les rangs de la GRC lorsque la PPO lui avait offert un poste en 1989. Après son entrevue avec le demandeur, le sergent Wilson a eu une conversation avec le sergent Chris Newton. Le sergent Newton est l'agent qui avait initialement recruté le demandeur. Il a témoigné au procès et déclaré qu'en 1989, il avait dit au demandeur que la PPO avait retenu sa candidature et qu'il commencerait dès qu'une troupe serait formée. Dans son témoignage, le sergent Newton a en outre déclaré que le demandeur ne l'avait jamais informé de sa décision de joindre les rangs d'un autre corps policier. Ce n'est que lorsqu'il a tenté de communiquer avec le demandeur pour l'informer de la date de son entrée en fonction que le sergent Newton a appris du père du demandeur que ce dernier était entré au service de la GRC. Le demandeur a prétendu avoir téléphoné au sergent Newton à deux reprises et avoir laissé des messages. Toutefois, le sergent Newton a témoigné ne les avoir jamais reçus.

[29]            Le sergent Wilson a aussi téléphoné au sergent Tidsbury (la conversation avec une représentante de la PPO). Même si, sur son formulaire de demande d'emploi auprès de la PPO, le demandeur avait autorisé la PPO à communiquer avec la GRC, les motifs de l'appel du sergent Wilson ne sont pas clairs. Le demandeur soutient que cet appel prouve qu'il avait passé l'étape de l'entrevue et que sa demande avait progressé jusqu'à l'étape de la vérification de ses antécédents. Toutefois, tant le sergent Wilson que le sergent Tidsbury ont témoigné que le sergent Wilson avait décidé de ne pas embaucher le demandeur avant la conversation avec une représentante de la PPO. Dans son témoignage, le sergent Wilson a plutôt déclaré qu'elle [Traduction] « voulait être juste » envers le demandeur, qu'elle était curieuse à son sujet et qu'il s'agissait d'une conversation officieuse. Elle a en outre déclaré ne pas se rappeler la teneur de la conversation et n'avoir pris aucune note des commentaires du sergent Tidsbury.

[30]            Le sergent Tidsbury a pour sa part pris des notes au cours de cette conversation avec une représentante de la PPO. Dans son témoignage, il a déclaré qu'au début de cette conversation, le sergent Wilson lui a dit qu'elle avait rejeté la demande du demandeur. Lorsqu'il lui a demandé pourquoi, elle a répondu que c'était parce que le demandeur n'avait pas communiqué avec le sergent Newton en 1989 pour lui dire qu'il entrait au service de la GRC et parce qu'elle avait une [Traduction] « drôle d'impression » de lui. Le sergent Wilson a alors demandé au sergent Tidsbury ce qu'il pensait de sa décision. Au procès, le sergent Tidsbury a admis avoir dit au sergent Wilson qu'il [Traduction] « aurait été suicidaire pour la PPO d'avoir accepté [le demandeur] » .

[31]            Expliquant cette déclaration, le sergent Tidsbury a dit qu'en se fondant sur l'état émotif du demandeur au moment de son départ de Sicamous, il croyait que ce dernier [Traduction] « ne devrait pas faire de travail d'application de la loi avec une arme » . Le sergent Tidsbury a reconnu qu'il ne connaissait pas l'état émotif du demandeur deux mois après son départ du détachement et il a admis que son commentaire supposait que cet état n'avait pas changé. Au procès, le sergent Tidsbury a reconnu qu'une bonne partie de la conversation avec la représentante de la PPO contrevenait à la politique de la GRC. Toutefois, il ne lui a pas été demandé d'identifier ou de décrire la politique qu'il mentionnait, et celle-ci n'a pas été autrement présentée en preuve.

[32]            Dans son témoignage, le caporal Lechky a déclaré qu'à une occasion, le sergent Tidsbury a dit, après avoir raccroché le téléphone au détachement : [Traduction] « Après ce que je leur ai dit, Kirk ne trouvera jamais un emploi dans un service de police » . Lorsqu'on lui a demandé ce qu'il pensait de cette déclaration, le caporal Lechky a dit qu'il pensait que le sergent Tidsbury avait donné de mauvaises références au demandeur et que ce dernier était [Traduction] « foutu » . Même si le caporal Lechky se rappelait que le ton du sergent Tidsbury semblait quelque peu triomphant, il n'a pas été en mesure de préciser quand cette déclaration avait été faite et il a admis n'avoir aucune idée de l'identité de l'interlocuteur du sergent Tidsbury. Tout ce qu'il pouvait dire est que, d'après les commentaires qu'il avait entendus, il a compris que le sergent Tidsbury ne donnait pas de bonnes références au demandeur.

[33]            Au procès, le sergent Tidsbury a nié avoir fait une telle déclaration à qui que ce soit. Il a admis avoir pu dire, en passant, que le demandeur était [Traduction] « foutu » , mais seulement par rapport au fait que ce dernier était sans emploi.

[34]            Il est à remarquer que, comme le sergent Tidsbury, le caporal Lechky n'aurait pas donné de bonnes références au demandeur. Dans sa déclaration, le caporal Lechky a dit ceci :

[Traduction]

             RL :        J'étais déçu de Kirk. Je croyais qu'il parviendrait finalement à se remettre, à s'en sortir, c'est une des recrues les plus difficiles avec lesquelles j'ai jamais eu à travailler, pour ce qui est de son enthousiasme, vous savez, j'ai dit qu'il avait ses défauts, cela ne fait aucun doute.

             MS :       Croyez-vous qu'il a fait un mauvais choix de carrière, et si quelqu'un devait vous demander des références, lui donneriez-vous des références favorables pour du travail policier?

RL :        Non, je ne le ferais pas.

Il a ensuite nuancé son témoignage en disant que le demandeur aurait pu donner un meilleur rendement s'il avait été avec son amie Wendy en Ontario, ou auprès d'un détachement plus occupé dirigé par un autre commandant. Toutefois, étant donné qu'il s'agissait de faits hypothétiques, cette nuance n'était pas importante.

[35]            Au procès, le caporal Lechky a modifié quelque peu son témoignage et affirmé que, même s'il hésiterait à dire que le demandeur était une [Traduction] « bonne personne » et qu'il croyait qu'il n'avait pas travaillé comme une recrue devrait le faire, il le recommanderait pour du travail policier s'il avait une vie personnelle stable. Vu cette contradiction, je préfère le témoignage que le caporal Lechky a donné dans sa déclaration parce que celle-ci est plus près des événements en cause.

[36]            Le demandeur a été informé par une lettre datée du 5 septembre 1991 du rejet de sa demande à la PPO et le 26 mai 1992, il a reçu une lettre d'explication. Cette lettre soulignait que le processus d'embauche avait été très concurrentiel et exposait trois facteurs ayant diminué les chances de succès du demandeur : i) des résultats scolaires inférieurs à la moyenne au cours de ses études, ii) le fait que pendant son entrevue, le demandeur avait exprimé des reproches à l'endroit de la GRC et du sergent Tidsbury, faisant ainsi [Traduction] « preuve d'une loyauté douteuse envers un service de police qui avait employé [le demandeur] pendant presque deux (2) ans » , et iii) aucune habileté de leadership démontrée.

[37]            Le demandeur a présenté une demande d'accès à l'information à la PPO. Il a demandé une copie de son dossier de demande d'emploi et l'a reçue le 27 juillet 1992. Le demandeur était fâché de l'évaluation qu'a faite le sergent Wilson de sa demande d'emploi. Sa colère s'est illustrée de manière concrète par les commentaires qu'il a écrits à la main sur les feuilles d'évaluation de la PPO. Entre autres commentaires, le demandeur a qualifié les points qui lui ont été attribués de [Traduction] « foutaises! » et il a traité le sergent Wilson de [Traduction] « trou de cul! » . En ce qui concerne le sergent qui avait fait passer des examens au demandeur en 1991, ce dernier a noté : [Traduction] « Je me suis aussi fait baiser par le sergent Newton de la PPO! » .

[38]            Comme ces faits ont un rapport avec les prétentions du demandeur, la conversation entre le sergent Wilson et le sergent Tidsbury sera examinée dans la partie de l'analyse ci-dessous.


La demande au Service de police de Port Hope

[39]            Dans son témoignage, le demandeur a déclaré avoir présenté une demande d'emploi au Service de police de Port Hope en août 1991. Aucun document n'a été présenté et, en contre-interrogatoire, le demandeur a déclaré ne pas savoir pourquoi sa demande avait été rejetée. Il a aussi affirmé ne pas avoir de preuve que le Service de police de Port Hope ait jamais communiqué avec la GRC. Pour ce motif, la demande présentée par le demandeur au Service de police de Port Hope est sans rapport avec les réclamations de la présente action et elle ne sera pas examinée.

Les demandes au Service de police de Durham

[40]            Le demandeur a témoigné avoir présenté une demande d'emploi au Service de police de Durham en novembre 1991, et aussi en 1996 ou 1997. Étant donné qu'aucun élément de preuve n'a été présenté à l'appui de la deuxième demande et étant donné que le demandeur n'avait pas de preuve que le Service de police de Durham en ait même accusé réception, je ne traiterai que de la demande présentée en 1991.


[41]            La demande présentée en 1991 ne semble avoir été ni acceptée ni rejetée par le Service de police de Durham. Dans son témoignage, le sergent Joe Bennett du Service de police de Durham a déclaré que la politique de son service de police était de conserver les demandes d'emploi au dossier pendant un an après leur réception, à moins qu'un candidat ne demande une prolongation de ce délai. Selon le demandeur, il n'a eu aucune nouvelle de sa demande présentée en 1991 avant le printemps 1992, lorsqu'il a reçu un formulaire qu'il devait retourner s'il voulait que sa demande soit conservée au dossier. Il a retourné ce formulaire mais, lorsqu'il a vérifié l'état de sa demande à l'été ou à l'automne 1992, il a été informé que celle-ci n'était plus au dossier.

[42]            Lorsqu'il a rempli sa demande en 1991, le demandeur a signé un document daté du 19 novembre 1991 et intitulé [Traduction] « Autorisation de recueillir des renseignements personnels » (l'autorisation donnée au Service de police de Durham). Cette autorisation est ainsi libellée :

[Traduction] Je, Kirk Michael MacNeil, autorise la POLICE RÉGIONALE DE DURHAM à recueillir des renseignements personnels à mon sujet, notamment des renseignements scolaires, des antécédents d'emploi, y compris des dossiers disciplinaires, des renseignements médicaux, physiques, financiers et moraux ainsi que de l'information de personnes-ressources au sein de la police provenant de sources autres que moi-même. Ces renseignements personnels doivent être utilisés dans le cadre d'une enquête préalable à l'emploi afin d'évaluer mes aptitudes pour un emploi auprès de la POLICE RÉGIONALE DE DURHAM. J'autorise en outre la divulgation de ces renseignements personnels à la POLICE RÉGIONALE DE DURHAM, par la ou les personnes ou les établissements qui les possèdent.

[43]            Malgré la portée étendue de l'autorisation donnée au Service de police de Durham, le demandeur a déclaré dans son témoignage qu'il croyait que la politique de la GRC était de limiter les renseignements qu'elle pouvait divulguer aux [Traduction] « faits essentiels » . À son avis, la GRC ne pouvait communiquer au Service de police de Durham que le lieu de son affectation et les dates de son emploi.


[44]            Au moment où le demandeur a signé l'autorisation donnée au Service de police de Durham, il avait déposé une plainte contre le sergent Tidsbury (la plainte visant le sergent Tidsbury) constituée d'une lettre d'une page reçue par le Service des plaintes et des enquêtes internes de la GRC. L'enquête sur la plainte visant le sergent Tidsbury a été confiée au sergent Sarich et, le 13 novembre 1991, ce dernier a reçu du demandeur une deuxième lettre de sept pages exposant la plainte plus en détail.

[45]            Le 20 novembre 1991, le demandeur a téléphoné au sergent Sarich pour demander si, vu la plainte visant le sergent Tidsbury, il lui était nécessaire de mentionner le sergent Tidsbury et le détachement dans sa demande d'emploi au Service de police de Durham. Le sergent Sarich a répondu que si on posait la question au demandeur, ce dernier était tenu d'inclure ces renseignements, mais il a suggéré de désigner également le caporal Lechky comme officier supérieur.

[46]            Le Service de police de Durham a envoyé au détachement un formulaire de renseignements sur les antécédents d'emploi demandant des références pour le demandeur (les références destinées au Service de police de Durham). Avant de remplir les références destinées au Service de police de Durham, le sergent Tidsbury a appelé le sergent Sarich le 9 janvier 1992 pour lui demander quels renseignements pouvaient être divulgués au Service de police de Durham. Le sergent Sarich s'est renseigné et il a pris des notes sur un bordereau d'acheminement portant la mention [Traduction] « N.A.D. » (Note au dossier) (la note) daté du 16 janvier 1992, dont voici un extrait :

[Traduction] 2) En plus de chercher AM.II.11, j'ai été en contact avec le sergent Coolen - Direction F, qui m'a informé qu'une fois qu'un formulaire de consentement est signé, les renseignements peuvent être divulgués. Toutefois, l'information devrait être fondée sur des faits et non sur une opinion. Le sgt é-m Anderson de notre unité de recherche du QG m'indique qu'il répond à un grand nombre de ces demandes et qu'il paraphrasera la teneur du dossier.


La note indique aussi que le sergent Tidsbury a été [Traduction] « informé de ce qui précède » le même jour. le sergent Tidsbury a rempli les références destinées au Service de police de Durham le 20 janvier 1992 et les a télécopiées au sergent Sarich.

[47]            Le demandeur a contesté les réponses du sergent Tidsbury à certaines questions figurant dans les références destinées au Service de police de Durham. Le sergent Tidsbury a répondu « non » à la question de savoir si le demandeur était honnête, fiable, ponctuel et loyal et il n'a pas répondu aux questions au sujet de l'intelligence et de l'apparence du demandeur. On demandait aussi au sergent Tidsbury s'il réembaucherait le demandeur et il a répondu par la négative.

[48]            Le sergent Tidsbury n'a pas répondu à la question [Traduction] « Recommanderiez-vous le demandeur pour le poste » , pas plus qu'il n'a rempli la partie réservée aux [Traduction] « Commentaires » . Le sergent Tidsbury a témoigné ne pas avoir donné de réponses nécessitant des opinions subjectives. Il a affirmé n'avoir répondu que lorsque ses opinions se fondaient sur des faits. Il a ajouté que les réponses qu'il avait données étaient justifiées par le fait que le demandeur lui avait menti à l'occasion des incidents relatifs au cours sur les radars et aux chaussettes blanches. Il s'est aussi fondé sur son souvenir que le demandeur était fréquemment en retard pour son quart de travail et sur le fait que, pendant sa FPR, le demandeur s'était régulièrement plaint de la GRC et de ses collègues à des membres du public.


[49]            Même si le sergent Bennett ne se rappelle pas si c'est lui qui a examiné la demande du demandeur, il a déclaré dans son témoignage que s'il avait reçu les références destinées au Service de police de Durham, celles-ci auraient [Traduction] « déclenché des signaux d'alarme » au sujet du demandeur. Toutefois, même s'il aurait accordé beaucoup de poids à un document rempli par la GRC, il aurait néanmoins fait un suivi pour voir ce que les autres employeurs du demandeur avaient à dire. Le sergent Bennett ne se souvient pas d'avoir parlé à la GRC au sujet de la demande d'emploi du demandeur.

[50]            Même s'il n'y avait pas de preuve directe que les références destinées au Service de police de Durham avaient réellement eu une incidence négative sur les perspectives d'emploi du demandeur au Service de police de Durham, il est raisonnable de présumer qu'elles auraient fait mauvaise impression. En conséquence, un examen plus approfondi en sera fait ci-dessous.

La demande au Service de police de Toronto

[51]            Le demandeur a témoigné avoir présenté une demande d'emploi au Service de police de Toronto en décembre 1991. Deux policiers, les agents Costello et Pipe, ont interviewé le demandeur le 13 février 1992 et tous les deux ont témoigné au procès. Leurs notes d'entrevue ont été déposées en preuve par le demandeur qui les avait obtenues le 15 avril 1992 grâce à d'une demande d'accès à l'information.


[52]            Dans son témoignage, le détective Costello a déclaré que le principal facteur motivant sa décision de rejeter la candidature du demandeur était qu'il avait quitté la GRC à une époque où il n'avait pas d'autre emploi. Ce point est souligné dans le [Traduction] « Guide d'évaluation de l'entrevue » sous les rubriques [Traduction] « Bon sens/Jugement » , « Sérieux/ Fiabilité » et « Maîtrise de soi » . Sous les rubriques [Traduction] « Bon sens/Jugement » , « Respect de l'autorité » , « Ascendant/Leadership » et « Souplesse » , le détective Costello a noté que le demandeur avait quitté son emploi à la GRC parce qu'il n'aimait pas son affectation. Sous la rubrique [Traduction] « Intégrité/Honnêteté » , il remarque que le demandeur s'est montré [Traduction] « évasif en répondant à des questions au sujet de son départ de la GRC » . Dans son témoignage, le détective Costello a dit qu'il n'avait parlé à personne à la GRC avant de recommander le rejet de la demande du demandeur.


[53]            Le détective Pipe a interviewé séparément le demandeur le même jour. Dans son témoignage, il a dit que plutôt que de considérer comme un avantage les antécédents professionnels du demandeur dans le domaine de l'application de la loi, il a tiré des conclusions négatives de l'expérience du demandeur à la GRC. Le détective Pipe, comme le détective Costello, a remarqué que le demandeur avait quitté son emploi à la GRC parce qu'il n'appréciait pas son affectation, et il a noté cette observation sous les rubriques [Traduction] « Bon sens/Jugement » , « Souplesse » et « Motivation/Initiative » . Il a aussi souligné sous la rubrique [Traduction] « Intégrité/Honnêteté » que le demandeur hésitait à discuter des détails de sa démission de la GRC. Le détective Pipe a aussi recommandé le rejet de la demande du demandeur et, dans son témoignage, il a déclaré n'avoir eu aucun contact avec la GRC. Il a souligné que, dans le processus d'embauche, les anciens employeurs ne sont pas contactés avant l'étape de l'enquête sur les antécédents et, comme le demandeur avait échoué à l'étape de l'entrevue, aucun contact de ce genre n'avait été établi. Selon cet élément de preuve, il est clair que la demande présentée par le demandeur au Service de police de Toronto est sans rapport avec ses réclamations en l'espèce.

Les demandes au SCRS

[54]            Le demandeur a témoigné qu'à deux reprises, il avait présenté une demande d'emploi non sollicitée au SCRS, ce qui a été confirmé par le témoignage de Mme Francesca Paladino (Mme Paladino) qui a été agente des ressources humaines au SCRS de 1994 à 1998. Mme Paladino a témoigné au sujet de deux lettres datées du 29 avril 1994 et du 26 mars 1997 rejetant les demandes du demandeur. Dans son témoignage, Mme Paladino a déclaré que le SCRS ne communique pas avec les anciens employeurs lorsqu'il reçoit des demandes non sollicitées. Néanmoins, le demandeur a soupçonné qu'une certaine forme d'intervention de la GRC avait nui à sa demande de 1997. Il avait des doutes parce que sa demande avait été rejetée alors qu'une demande présentée par un collègue auprès des Services correctionnels du Canada, un collègue qui, selon le demandeur, était moins compétent que lui, était allée plus loin qu'un rejet initial. Toutefois, étant donné qu'il n'y a aucune preuve que le SCRS ait jamais communiqué avec la GRC au sujet des demandes présentées par le demandeur, ces lettres ne peuvent avoir aucune incidence sur les réclamations du demandeur et je ne les examinerai pas davantage.


La demande de réembauche à la GRC

[55]            Le 19 avril 1994, le demandeur a présenté une demande à la GRC pour y être réembauché. Sa demande a été rejetée par une lettre datée du 29 août 1994. Au procès, le caporal de la GRC Daniel Lortie a déclaré avoir examiné le dossier du demandeur et avoir recommandé de ne pas le réembaucher. Pour en venir à cette décision, le caporal Lortie a examiné les dossiers de service et d'employé du demandeur provenant de la division K et du quartier général. Il s'est fondé particulièrement sur l'entrevue de fin d'emploi faite par le sergent Tremblay, qui avait recommandé de ne pas réembaucher le demandeur dans l'avenir. Il a aussi pris en considération l'évaluation du demandeur portant sur une période de deux mois de travail au détachement que le caporal Lechky avait préparée et qui n'était pas particulièrement favorable. Étant donné que le caporal Lortie a clairement pris en considération les opinions de membres de la GRC, cette demande sera examinée plus en détail dans l'exposé des motifs ci-dessous.

La demande au Service de police de Peterborough

[56]            Le demandeur a témoigné avoir présenté une demande au Service de police de Peterborough, mais il n'a pas précisé à quelle date. Aucun document au sujet de cette demande n'a été déposé en preuve et, au cours de son contre-interrogatoire, le demandeur a dit ne pas savoir pourquoi le Service de police de Peterborough avait rejeté sa demande. De plus, il n'a pas fourni d'éléments prouvant que le Service de police de Peterborough ait jamais communiqué avec la GRC, ou vice-versa. En conséquence, cette demande est sans rapport avec la réclamation du demandeur.


Le règlement des plaintes à la GRC

[57]            Avant d'intenter la présente action, le demandeur a déposé un total de trois plaintes à la Commission des plaintes du public contre la GRC (la CPP). La première était la plainte visant le sergent Tidsbury, qui a été suivie d'une plainte contre le sergent Sarich (la plainte visant le sergent Sarich). La troisième plainte traitait des retards dans le traitement des deux premières plaintes.

[58]            Habituellement, une plainte adressée à la CPP est examinée en trois étapes. Initialement, une enquête interne est menée par la GRC et un rapport est rédigé. Si un plaignant n'est pas satisfait de ce rapport, la CPP peut elle-même enquêter et faire rapport. À la troisième et dernière étape, le rapport de la CPP est examiné et commenté par le président de la CPP avant la publication d'un rapport final.

          a)        La plainte visant le sergent Tidsbury

[59]            Dans la plainte visant le sergent Tidsbury, le demandeur alléguait que le sergent Tidsbury avait divulgué des renseignements personnels à son sujet à la PPO, au Service de police de Durham et au Service de police de Toronto. L'enquête du sergent Sarich sur cette plainte a commencé en octobre 1991 et s'est terminée au milieu de juin 1992. Le 6 avril 1992, le sergent Sarich s'est rendu à Sicamous pour interviewer des membres du détachement. Des transcriptions des déclarations du sergent Tidsbury et du caporal Lechky ont été cotées comme pièces au procès.


[60]            À la suite de l'enquête du sergent Sarich, la GRC a conclu que le sergent Tidsbury avait erronément fourni des renseignements à la PPO et au Service de police de Durham sans le consentement du demandeur. La lettre, signée par l'inspecteur Canning de la GRC en date du 21 octobre 1992, contenait des excuses à l'intention du demandeur. Toutefois, le demandeur n'était pas satisfait de la lettre de l'inspecteur Canning et, le 13 mai 1992, il a demandé à la CPP de mener une autre enquête.

[61]            La CPP a conclu que le sergent Tidsbury [Traduction] « avait contrevenu à la politique de la Gendarmerie en divulguant des renseignements au sujet de M. MacNeil à la PPO et au Service de police de Durham, parce qu'il n'avait pas obtenu le consentement préalable de M. MacNeil » . Toutefois, la CPP n'a trouvé aucun élément de preuve à l'appui de l'allégation du demandeur selon laquelle le sergent Tidsbury avait divulgué des renseignements au Service de police de Toronto. La CPP a aussi conclu que la lettre de l'inspecteur Canning avait fourni au demandeur une réponse adéquate.

[62]            Dans son rapport final du 23 février 1994, le président observait :

[Traduction] Je conclus que le sergent Tidsbury a contrevenu à la politique de la Gendarmerie en divulguant indûment des renseignements personnels concernant M. MacNeil au Service de police régional de Durham et à la Police provinciale de l'Ontario, mais qu'il n'a pas divulgué de renseignements à la Police de la communauté urbaine de Toronto. Je souligne que la Gendarmerie a indiqué que des mesures appropriées ont été prises à l'égard de la divulgation indue de renseignements par le sergent Tidsbury.

[...]

Après un examen approfondi de la plainte du demandeur et en vertu du paragraphe 45.42(2) de la Loi sur la GRC, je déclare être satisfait du règlement de cette plainte par la Gendarmerie.


b)         La plainte visant le sergent Sarich

[63]            Dans la plainte visant le sergent Sarich, le demandeur a allégué que le sergent Sarich avait délibérément versé des renseignements à son dossier d'employé pour tenter de l'empêcher d'être réembauché par la GRC. Les documents en cause sont un bordereau d'acheminement daté du 12 juin 1992 et un imprimé du Centre d'information de la police canadienne (le CIPC) qui y était joint. Le bordereau d'acheminement est un document d'accompagnement anodin qui mentionne ce qui suit :

[Traduction] « Ci-joint évaluation et documents à conserver dans le dossier du membre à l'appui de références morales données et pour examen au cas où il présenterait une demande de réembauche auprès de la Gendarmerie » .

Les documents joints étaient nombreux et volumineux, mais le demandeur ne s'est intéressé qu'à l'un d'entre eux. Il s'agit de l'imprimé d'une réponse à une demande faite au CIPC reçue le 4 juin 1992 (l'information du CIPC).

[64]            Le CIPC est un service qui permet aux corps policiers et à d'autres organismes agréés de faire des vérifications électroniques de casiers judiciaires. Le 4 juin 1992, l'information du CIPC a révélé une mise en garde de violence et a indiqué que quatre accusations étaient en suspens contre le demandeur, y compris des accusations de voies de fait, de menaces et de méfait. Selon le demandeur, ces accusations avaient été portées par Wendy et ensuite retirées en échange d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public.

[65]            Dans son témoignage, le sergent Sarich a déclaré que l'information du CIPC aurait été disponible à tout corps policier. Toutefois, la preuve démontre que le CIPC a comme politique de supprimer les casiers lorsque les accusations sont retirées. Ainsi, une fois retirées les accusations contre le demandeur, une demande auprès du CIPC aurait donné une réponse négative. Ceci signifie qu'il y aurait eu une période où l'information du CIPC, telle qu'elle figurait sur l'imprimé versé au dossier d'employé du demandeur, aurait fait état des accusations, alors que ces accusations ne seraient plus apparues en réponse à une nouvelle recherche du CIPC concernant le demandeur.

[66]            Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il avait envoyé le bordereau d'acheminement et les documents joints pour les inclure dans le dossier d'employé du demandeur, le sergent Sarich a déclaré qu'il estimait que le dossier d'employé était incomplet parce que le sergent Tidsbury n'avait jamais établi une évaluation du demandeur pour une période d'un an. Toutefois, le sergent Sarich a admis qu'en tant qu'agent enquêtant sur la plainte visant le sergent Tidsbury, il ne lui incombait pas de verser les documents au dossier d'employé du demandeur. Il a déclaré qu'il estimait avoir une obligation générale, en tant que membre de la GRC, de tenir le dossier du demandeur en bon ordre. Il a nié avoir versé l'information du CIPC au dossier d'employé du demandeur pour l'empêcher d'être réembauché.


[67]            La première étape de l'enquête de la GRC sur la plainte visant le sergent Sarich s'est terminée par une lettre datée du 24 janvier 1994 mentionnant qu'il n'y avait pas assez d'éléments de preuve pour établir que le sergent Sarich avait intentionnellement versé l'information du CIPC au dossier d'employé du demandeur dans le seul but d'empêcher qu'il soit réembauché. De plus, l'auteur de la lettre, le surintendant principal Clegg, était convaincu que la confidentialité de l'information du CIPC avait bel et bien été préservée. Il a assuré le demandeur que la [Traduction] « correspondance litigieuse » avait été détruite et s'est excusé [Traduction] « pour tout inconvénient que cet incident pourrait avoir causé [au demandeur] » . Une note de service interne datée du 11 janvier 1994 indiquait que les documents en cause ont été retirés du dossier d'employé du demandeur et envoyés au quartier général [Traduction] « pour toutes mesures que vous jugerez nécessaires » . Ces documents ont ensuite été versés au dossier des affaires internes concernant le demandeur.

[68]            À l'étape de la CPP, deux allégations distinctes ont été examinées : i) le sergent Sarich s'est arrangé pour faire verser une copie de l'imprimé du CIPC au dossier d'employé du demandeur afin de l'empêcher d'être réembauché par la GRC, et ii) le sergent Sarich a porté atteinte au droit à la vie privée du demandeur. En ce qui a trait à la première allégation, la CPP a conclu qu'il n'avait pas été nécessaire de verser les renseignements dans le dossier d'employé du demandeur et que [Traduction] « l'inclusion de cette information avait pour seule conséquence de diminuer les chances de M. MacNeil d'être réembauché par la GRC » . En ce qui a trait à la seconde allégation, la CPP a conclu que l'information du CIPC constituait des renseignements personnels au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21 (la Loi). Même si la CPP a reconnu que la Loi autorise une institution gouvernementale à utiliser des renseignements personnels à des fins qui sont compatibles avec celles pour lesquelles ils ont été recueillis, elle a conclu que le transfert de l'information de la CIPC au dossier d'employé du demandeur ne visait pas de telles fins et que le geste du sergent Sarich contrevenait par conséquent à la Loi.


[69]            Dans son rapport final daté du 28 novembre 1994, le président a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

a)            le sergent Sarich a versé à tort l'information du CIPC au dossier d'employé de M. MacNeil;

b)              l'inclusion de l'information dans le dossier d'employé aurait pour effet de diminuer les chances de M. MacNeil d'être réembauché par la GRC.

[70]            En ce qui a trait à l'allégation selon laquelle le sergent Sarich a porté atteinte à la vie privée du demandeur, le président a décidé ce qui suit :

[Traduction]

a)              l'information du CIPC concernant M. MacNeil constituait des renseignements personnels au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels;

b)              l'inclusion de l'information dans le dossier d'employé de M. MacNeil constituait une contravention à la Loi sur la protection des renseignements personnels;

c)              le geste posé par le sergent Sarich constituait une violation du droit à la vie privée de M. MacNeil.

[71]            Étant donné que la lettre adressée par le surintendant principal Clegg au demandeur contenait déjà une excuse, aucune autre excuse n'a été jugée nécessaire. Toutefois, le président a recommandé que les membres de la division E examinent la politique de la GRC régissant l'utilisation de renseignements personnels recueillis dans le cadre d'enquêtes sur des plaintes.


Les prétentions du demandeur

[72]            Étant donné que l'engagement de travailler pour la GRC n'importe où au Canada signé par le demandeur ne contenait pas d'engagement quant à la durée, celui-ci croyait avoir respecté son engagement en effectuant cinq mois de FPR à Sicamous (C.-B.). Il croyait aussi qu'après avoir quitté la GRC, il était un candidat plus intéressant que dans le passé pour un poste au sein d'un service policier, ayant ajouté à son curriculum vitae une formation linguistique, une formation des recrues à l'École de la GRC et une expérience dans le domaine de l'application de la loi.

[73]            Croyant cela, le demandeur ne pouvait pas comprendre pourquoi des services de police tels que le Service de police de Toronto, la PPO et la GRC, qui lui avaient offert un emploi en 1989, n'étaient plus intéressés à sa candidature après sa démission de la GRC. La seule explication que le demandeur a jugée satisfaisante était que la GRC était tellement irritée par sa démission, après une formation qu'il reconnaît coûteuse, que le sergent Tidsbury et le sergent Sarich ainsi que leurs supérieurs respectifs avaient comploté malicieusement pour le [Traduction] « blackbouler » afin qu'il ne soit jamais réembauché par la GRC ni embauché par un autre corps policier. Selon le demandeur, cette théorie du complot de « blackboulage » était raisonnable parce que le sergent Tidsbury lui avait manifesté de l'antipathie pendant son séjour à Sicamous.


[74]            Le [Traduction] « blackboulage » allégué a pris deux formes. Premièrement, la Déclaration allègue que le sergent Sarich a porté atteinte au droit à la vie privée du demandeur et l'a diffamé lorsqu'il a divulgué l'information du CIPC en envoyant à Ottawa le bordereau d'acheminement du 12 juin 1992 et les documents qui y étaient joints pour qu'ils soient versés au dossier d'employé du demandeur. La Déclaration allègue aussi que le sergent Tidsbury a porté atteinte à la vie privée du demandeur lorsqu'il a divulgué à la PPO des renseignements confidentiels en exprimant son opinion au sujet du demandeur.


[75]            La Déclaration ne mentionne pas le sergent Tidsbury dans les allégations figurant sous la rubrique [Traduction] « Diffamation » et, au procès, la défenderesse a soutenu que le demandeur n'avait pas allégué que les déclarations du sergent Tidsbury étaient diffamatoires. Le demandeur n'était pas de cet avis et il m'a demandé de conclure que la partie de la Déclaration intitulée [Traduction] « Intervention illicite touchant un intérêt d'ordre financier » constitue un plaidoyer de diffamation contre le sergent Tidsbury. Le demandeur a expliqué qu'étant donné que le premier élément du délit d'intervention illicite touchant un intérêt d'ordre financier est un acte illicite, le demandeur peut prétendre que la diffamation du sergent Tidsbury constituait l'acte illicite requis. De plus, j'ai compris que le demandeur laissait entendre qu'étant donné qu'il ressortait clairement de son plaidoyer qu'il avait jugé le comportement du sergent Tidsbury répréhensible, la défenderesse aurait dû prévoir les éléments de l'acte diffamatoire illicite. L'argument du demandeur suppose aussi que l' « intérêt d'ordre financier » pourrait désigner les intérêts d'une personne ainsi que ceux d'une entreprise, ou, subsidiairement, que la carrière policière du demandeur constitue son « entreprise » . Enfin, il a été soutenu que tous les aspects de la Déclaration, y compris le plaidoyer de « diffamation » , devraient être appliqués à tous les « défendeurs » et que, comme le sergent Tidsbury était énuméré dans l'intitulé de la cause, la diffamation avait été plaidée en bonne et due forme contre lui. Toutefois, il a été admis que l'action contre le sergent Tidsbury avait été rejetée et qu'il n'était pas un défendeur au moment de la signification et du dépôt de la Déclaration.

[76]            J'ai décidé qu'aucune personne raisonnable lisant les paragraphes 24 et 25 de la Déclaration comprendrait que l'on sollicite une réparation pour des déclarations diffamatoires faites par le sergent Tidsbury. À mon avis, ces paragraphes sont maintenant intitulés ainsi dans le but de contourner le délai de prescription applicable aux actions en diffamation imposé par la loi en Colombie-Britannique et en Ontario en matière de prescription[1]. Si le demandeur avait l'intention de prétendre que la GRC était responsable de déclarations diffamatoires faites par le sergent Tidsbury, j'estime qu'il était tenu de plaider cette prétention en termes clairs. Étant donné qu'il ne l'a pas fait, la réclamation visant la GRC pour la diffamation faite par le sergent Tidsbury ne sera pas examinée. Je souligne que l'avocat du demandeur a reconnu qu'il aurait pu demander une modification de la Déclaration au procès mais qu'il a plutôt choisi de se fonder sur l'acte de procédure tel qu'il était libellé.

Les questions en litige

[77]            1)        Y a-t-il eu complot pour « blackbouler » le demandeur?

                       2)        Le sergent Sarich a-t-il diffamé le demandeur en envoyant la note datée du 16 janvier 1992?


                       3)        Le sergent Tidsbury a-t-il porté atteinte à la vie privée du demandeur lorsqu'il a parlé au sergent Wilson de la PPO ou lorsqu'il a fourni les références destinées au Service de police de Durham[2]?

                       4)        Le sergent Sarich a-t-il porté atteinte à la vie privée du demandeur en versant l'information du CIPC au dossier d'employé du demandeur?

Analyse

          1.        Y a-t-il eu complot pour « blackbouler » le demandeur?

[78]            Le demandeur s'est appuyé sur un certain nombre d'incidents et de déclarations pour prouver que le sergent Tidsbury le détestait profondément et qu'il voulait qu'il échoue comme recrue de la GRC et comme policier de carrière. Toutefois, étant donné que la preuve présentée par le demandeur et le sergent Tidsbury était souvent incompatible, une conclusion sur la crédibilité est nécessaire et j'ai conclu que le demandeur n'était pas toujours un témoin digne de foi. Cette conclusion a signifié que dans les cas où la version des événements du demandeur différait de celle donnée par d'autres témoins, je n'ai pas accepté la preuve présentée par le demandeur.

[79]            J'ai tiré cette conclusion à partir d'un certain nombre de cas où la preuve présentée par le demandeur a changé sur des points importants. Voici quelques exemples :


a)        Le demandeur a présenté une demande d'emploi à la PPO le 26 mai 1991 alors qu'il travaillait pour la GRC à Sicamous. Sur la demande, il a donné l'adresse de ses parents et, en contre-interrogatoire au procès, lorsqu'on lui a demandé pourquoi, il a répondu clairement que c'était parce qu'il avait décidé de quitter Sicamous. Il a ensuite nuancé sa réponse et laissé entendre que Wendy pourrait lui apporter de la correspondance lorsqu'elle lui rendait visite ou que ses parents pourraient la transmettre à Sicamous. À mon avis, il est clair que la première réponse était véridique et que le demandeur l'a modifiée parce qu'il s'est souvenu avoir déclaré auparavant qu'il avait l'intention de rester à Sicamous jusqu'à ce que sa FPR soit terminée. Ce n'était pas la première fois qu'il nuançait une réponse claire. Le demandeur a fréquemment modifié ses réponses lorsqu'après réflexion, il se rendait compte qu'elles pourraient ne pas aider sa cause.


b)        La preuve présentée par le demandeur au sujet de la perception qu'il avait de sa relation avec le sergent Tidsbury était très incohérente. Dans son interrogatoire principal, le demandeur a dit qu'il n'avait pas eu de problèmes avec le sergent Tidsbury initialement et que leur première [Traduction] « prise de bec » avait été l'incident relatif au cours sur les radars. En contre-interrogatoire cependant, il a dit qu'il se méfiait depuis le début du sergent Tidsbury à cause des avertissements des autres membres et qu'il avait finalement perdu confiance en lui après l'incident relatif au cours sur les radars. Toutefois, dans son témoignage, il a aussi dit qu'il avait donné au sergent Tidsbury le bénéfice du doute au sujet du jour de la décision et qu'il estimait que le sergent Tidsbury agissait dans son intérêt lorsqu'il lui avait offert des références positives. Le demandeur a en outre prétendu qu'il avait été incité à quitter Sicamous sans terminer sa FPR par la promesse de références. Il a ensuite justifié cette incohérence en disant que le sergent Tidsbury s'était [Traduction] « lié à lui pour le trahir » .

c)        Lors de son interrogatoire préalable, le demandeur a déclaré avoir discuté avec Wendy de la possibilité d'emménager chez une famille locale. Toutefois, au procès, il a nié catégoriquement avoir parlé à Wendy de cette possibilité.


          d)        Au procès, le demandeur a déclaré qu'avant de partir en congé en Ontario au mois de mai, il n'avait pas dit au sergent Tidsbury qu'il quittait la maison située près du détachement. Il lui a plutôt dit qu'il s'agissait d'une possibilité mais que sa décision définitive serait prise à son retour à Sicamous. Toutefois, lors de son interrogatoire préalable, il a initialement affirmé avoir convenu que le sergent Tidsbury pourrait avoir la maison avant qu'il prenne son congé. Il a ensuite modifié le témoignage qu'il avait donné à l'interrogatoire préalable et dit qu'il allait faire part de sa décision au sergent Tidsbury après son retour. Par la suite, il a modifié son témoignage donné à l'interrogatoire préalable une troisième fois et a fait une déclaration contradictoire. À la question 467 de la transcription de son témoignage, il a répondu : [Traduction] « Je lui ai dit initialement à plusieurs reprises que je prendrais cette décision à mon retour. Mais j'ai accepté [de déménager] à contre-coeur parce que, connaissant le caractère du sergent Tidsbury et sa personnalité, je ne voulais pas le vexer davantage. Et j'ai fini par convenir que je lui ferais part de ma décision définitive à mon retour d'Ontario, ce que j'ai fait » . À mon avis, le témoignage du demandeur au procès n'était pas véridique. J'ai conclu qu'il avait dit au sergent Tidsbury qu'il quitterait sa maison et qu'il déménagerait dans une famille locale avant de partir en congé. Je crois qu'il a peut-être eu quelques réserves au sujet de sa décision de déménager, mais qu'il n'en a pas fait part au sergent Tidsbury.

          e)        Dans son témoignage en interrogatoire principal au procès, le demandeur a affirmé que le lendemain du jour de la décision, il a dit au sergent Tidsbury qu'il prévoyait présenter des demandes d'emploi au Service de police de Toronto, au Service de police de Durham et à la PPO, ce qui correspond au témoignage clair qu'il a donné à trois reprises au cours de son interrogatoire préalable. Pourtant, au cours de son contre-interrogatoire au procès, il a laissé entendre pour la première fois qu'il se pourrait qu'il ait aussi dit au sergent Tidsbury qu'il avait l'intention de présenter une demande d'emploi au Service de police de Port Hope.


          f)         Le demandeur a modifié le témoignage qu'il a donné à l'interrogatoire préalable en ce qui a trait au moment de la conversation avec une représentante d'EIC. Ce moment est essentiel parce que le demandeur allègue que c'est au cours de cette discussion qu'il a appris pour la première fois que le sergent Tidsbury ne lui donnait pas de bonnes références. Au cours de son interrogatoire préalable, le demandeur a affirmé que la conversation avec une représentante d'EIC avait eu lieu cinq ou six semaines après sa démission et, de toute façon, après son entrevue de fin d'emploi du 8 août avec le sergent Tremblay. Toutefois, au procès, il a dit que la conversation avec une représentante d'EIC avait eu lieu au cours de la première semaine suivant son retour à la maison, ce qui aurait été à la fin de juillet et avant son entrevue de fin d'emploi. Il a expliqué qu'il croyait que la réponse qu'il avait donnée au cours de son interrogatoire préalable était erronée et que ses souvenirs au procès étaient plus justes qu'auparavant. Cette explication n'était pas vraisemblable.

          g)        Au cours de son contre-interrogatoire, le demandeur a d'abord déclaré qu'il ne pouvait pas se rappeler avoir téléphoné au sergent Sarich pour lui demander s'il pouvait éviter de mentionner le sergent Tidsbury et Sicamous dans sa demande d'emploi au Service de police de Durham. Peu après, il a reconnu avoir communiqué avec le sergent Sarich à cette fin. Compte tenu de l'importance de la question du demandeur et le fait qu'il a appelé le sergent Sarich, je n'ai pas jugé crédible la réponse initiale du demandeur.


          h)        À un certain moment au cours du second semestre de 1993, le demandeur a écrit une lettre manuscrite de douze pages au président de la CPP pour se plaindre du retard dans le traitement de ses deux plaintes antérieures. Dans cette lettre, le demandeur écrivait : [Traduction] « Je me suis renseigné dans un cabinet d'avocats de Toronto au sujet d'une poursuite au civil relativement à ces questions, et j'ai été informé qu'il existe plusieurs recours dont je peux me prévaloir » . Il a répété cette affirmation dans son interrogatoire préalable et a expressément dit avoir communiqué avec le cabinet d'avocats Lerner and Associates (Lerners). Toutefois, lors de son contre-interrogatoire au procès, on lui a demandé s'il avait bel et bien consulté Lerners au cours du second semestre de 1993 et il a reconnu qu'il était « possible » que la lettre contienne une [Traduction] « menace en l'air » et qu'il était « possible » , parce qu'il était irrité, qu'il ait dit avoir consulté des avocats alors qu'il ne l'avait pas fait. À mon avis, ce désaveu de sa lettre et son témoignage à l'interrogatoire préalable au sujet d'une question importante portant sur la prescription ont gravement miné sa crédibilité.

[80]            En plus de ces conclusions au sujet de la crédibilité du demandeur, j'ai tiré les conclusions factuelles suivantes sur la question de savoir si des membres de la GRC ont agi avec malice :

          a)        Le demandeur a reconnu que tant durant son recrutement que durant sa formation à l'École de la GRC, on lui a dit qu'il serait probablement envoyé dans l'Ouest. Il a aussi dit que, durant son recrutement, la possibilité de travailler au nouveau Terminal 3 de l'Aéroport Pearson à Toronto a été mentionnée. Toutefois, j'ai conclu que l'affectation à l'aéroport était une possibilité lointaine étant donné la préférence déclarée de la GRC pour affecter ses recrues à des détachements situés à l'extérieur de leurs provinces d'origine. Néanmoins, le demandeur s'attendait à être une exception et à être affecté dans le sud de l'Ontario à un travail touchant l'application des lois fédérales. À mon avis, cette attente était tout à fait irréaliste. Je conclus que le demandeur a été en colère et amer à partir du moment où le sergent Tidsbury lui a dit que ses chances de mutation dans le sud de l'Ontario à court terme étaient inexistantes. Après cet échange, le demandeur croyait que le sergent Tidsbury ne l'appuyait pas et a eu tendance à relever de la malice dans les gestes du sergent Tidsbury.


          b)        À mon avis, le sergent Tidsbury avait des motifs de croire que le demandeur lui avait menti à l'occasion des incidents relatifs au cours sur les radars et aux chaussettes blanches. Pour cette raison, j'ai conclu que la réaction du sergent Tidsbury à ces incidents ne peut être équitablement qualifiée de malicieuse.

          c)        Le sergent Tidsbury avait aussi des raisons de croire qu'avant de partir en congé en mai 1991, le demandeur avait décidé de vivre dans une famille locale à son retour et, par conséquent, qu'il ne continuerait pas à occuper la maison voisine du détachement. J'ai conclu que le sergent Tidsbury n'a pas contraint le demandeur à quitter cette maison afin de pouvoir l'occuper lui-même.

          d)        Le sergent Tidsbury a fait un commentaire au sujet de [Traduction] « rogner les ailes [du demandeur] » parce que le demandeur ne signait pas le registre des employés non en service. Je conclus toutefois que cette déclaration ne révèle pas une intention malicieuse de détruire la carrière du demandeur au sein de la GRC.

          e)        Le sergent Tidsbury a aussi dit qu'il s'attendait à ce que le demandeur soit parti avant la fin de l'été. Selon le demandeur, cela signifie que le sergent Tidsbury planifiait de l'expulser de la GRC. Toutefois, étant donné que le demandeur était malheureux à Sicamous, cette déclaration ne peut raisonnablement pas être interprétée de cette manière. Cette déclaration prouve plutôt que le sergent Tidsbury reconnaissait que le demandeur voulait retourner en Ontario.                                           


          f)         Je n'ai pas accepté la preuve présentée par le demandeur selon laquelle il a demandé de rencontrer le sergent Tidsbury le jour de la décision uniquement pour lui dire qu'il partirait après avoir terminé sa FPR à l'automne. À mon avis, l'explication rationnelle de l'insistance du demandeur à rencontrer le sergent Tidsbury immédiatement était qu'il avait décidé de démissionner ce jour-là. J'ai aussi conclu que le demandeur, en uniforme, a couru plutôt que marché dans la rue après la rencontre, qu'il était très affligé par la lettre de Wendy et son départ, qu'il a ignoré les appels du sergent Tidsbury et s'est caché dans les bois pour être seul pendant au moins une heure. À mon avis, compte tenu de l'ensemble des circonstances, il n'était pas déraisonnable pour le sergent Tidsbury de faire confisquer l'arme du demandeur.

          g)        J'ai aussi conclu qu'il serait absurde de croire que le sergent Tidsbury a offert au demandeur des références positives.

          h)        N'est pas réaliste, à mon avis, la suggestion du demandeur selon laquelle le sergent Tidsbury tentait de ruiner sa carrière parce qu'il l'avait fait [Traduction] « mal paraître » en démissionnant du détachement au cours de la saison estivale chargée. Rien ne prouvait que la démission du demandeur ait eu une incidence négative sur la carrière du sergent Tidsbury.

          i)          Je ne puis conclure sur la question de savoir si le sergent Tidsbury a réellement fait une remarque voulant que le demandeur aurait peu de chances d'obtenir un autre poste au sein d'un service de police. Le sergent Tidsbury nie avoir fait cette déclaration mais le caporal Lechky affirme l'avoir entendue. Si cette remarque a été faite, je ne suis pas disposée à présumer qu'elle démontre de la malice en l'absence d'une preuve quelconque du moment où elle a été faite ou du contexte dans lequel elle a été faite.

          j)         Enfin, je conclus que des extraits du dossier d'employé du demandeur à Sicamous ont été détruits par accident et non dans le cadre d'un complot contre le demandeur.

[81]            Pour conclure ce sujet, je n'ai trouvé aucun élément permettant de croire que le sergent Tidsbury ou d'autres membres de la GRC ont participé à un complot malicieux pour ruiner les perspectives de carrière policière du demandeur après sa démission de la GRC. À mon avis, le demandeur n'a pas réalisé que d'autres corps policiers jugeraient qu'il n'était pas un candidat intéressant parce qu'il i) a critiqué la GRC et ses employés pendant ses entrevues d'emploi, ii) n'avait pas respecté son engagement envers la GRC de travailler n'importe où au Canada et iii) n'avait même pas terminé sa formation pratique des recrues.

          2.          Le sergent Sarich a-t-il diffamé le demandeur dans sa note du 16 janvier 1992?

[82]            Le Service de police de Durham a envoyé au sergent Tidsbury un formulaire lui demandant de fournir des références pour le demandeur. Ce formulaire était accompagné d'un formulaire de consentement signé par le demandeur. Le sergent Tidsbury a communiqué avec le sergent Sarich pour obtenir des conseils sur la façon de remplir le formulaire de références du Service de police de Durham et, dans la note du 16 janvier 1992, le sergent Sarich a noté les conseils qu'il avait donnés au sergent Tidsbury. De plus, au point quatre, il a formulé le commentaire suivant qui, selon le demandeur, est diffamatoire :

[Traduction] On éprouve toujours beaucoup d'hésitation à dire quoi que ce soit de désobligeant; cependant, il y a des fois où certaines choses doivent être dites sans quoi nous pouvons effectivement engager notre responsabilité si nous ne révélons pas des faits que nous considérons comme des problèmes. Nous ne pouvons retirer notre « arme » des mains d'une personne et laisser un autre organisme lui en remettre une (pouvoirs)[3] si nous estimons que cette personne ne peut s'en servir.

[83]            Même si cette note a été rédigée pour la consultation personnelle du sergent Sarich, il semble qu'elle ait été incluse dans le dossier d'employé du demandeur à la division E du quartier général. Toutefois, le sergent Sarich ne pouvait pas dire si une autre personne l'avait jamais lue ou si elle a été transmise à quiconque à l'extérieur de la GRC. Le demandeur n'a présenté aucune preuve indiquant qu'une personne autre que le sergent Sarich ait jamais vu cette note.

[84]            Dans son témoignage, le caporal Lortie a déclaré que la note avait été retirée du dossier d'employé du demandeur avant qu'il examine la demande de réembauche de celui-ci, et la preuve le confirme. De plus, le caporal Lortie a déclaré qu'il n'avait pas consulté le dossier du demandeur aux affaires internes, lequel dossier renferme toujours cette note, parce qu'il avait paraphé chaque dossier qu'il avait consulté et que celui des affaires internes ne portait pas ses initiales. En conséquence, je n'ai trouvé aucune preuve indiquant qu'une autre personne que le sergent Sarich avait lu cette note. Même si le caporal Lortie a admis en contre-interrogatoire qu'il était possible qu'il ait parlé du demandeur au sergent Tidsbury ou au sergent Sarich, rien ne prouve qu'il avait été question de la teneur de cette note.


[85]            La question consiste maintenant à savoir si la note était diffamatoire. Dans son témoignage, le sergent Sarich a déclaré que la déclaration au point quatre était de nature générale et ne désignait pas spécifiquement le demandeur. J'accepte cette explication. Le sergent Sarich a aussi dit que, dans le milieu policier, le mot « gun » (arme) est du jargon pour décrire les pouvoirs policiers tels que le pouvoir d'arrestation et de port d'arme, ce qui, selon lui, est corroboré par le mot « pouvoirs » qu'il a ajouté entre parenthèses. J'accepte aussi cette interprétation. Cependant, même si je me trompe et que le point quatre de la note concerne le demandeur et la question de savoir s'il pouvait se servir d'une arme réelle en toute sécurité, il s'agit d'une déclaration véridique faite sans malice. Si la note concernait le demandeur, elle reflétait la préoccupation du sergent Tidsbury, telle qu'exprimée au sergent Sarich, à savoir que le jour de la décision, le demandeur avait fait montre d'un degré d'instabilité émotive qui justifiait qu'on lui retire son arme.

[86]            Enfin, même si la note était diffamatoire, la cause en diffamation du demandeur est frappée de prescription, en vertu des lois en matière de prescription de la Colombie-Britannique et de l'Ontario qui prévoient chacune un délai de prescription de deux ans pour diffamation. Étant donné que, dans son témoignage, le demandeur a admis avoir reçu la note au plus tard en avril 1993 en réponse à une demande d'accès à l'information, et étant donné qu'il n'a pas intenté la présente action avant le 26 mai 1995, son action était hors délai.

          3.          Le sergent Tidsbury a-t-il porté atteinte à la vie privée du demandeur?

[87]            Le demandeur a allégué que le sergent Tidsbury a porté atteinte à sa vie privée. Étant donné qu'aucun détail de cette violation n'a été plaidé, il est devenu évident au procès que le demandeur n'était pas d'accord avec les déclarations faites par le sergent Tidsbury à la PPO et au Service de police de Durham.


[88]            Le demandeur a allégué que le sergent Tidsbury a porté atteinte à son droit à la vie privée en donnant les références destinées au Service de police de Durham et lorsqu'il a parlé au sergent Wilson de la PPO. Même si le demandeur a donné au Service de police de Durham et à la PPO un consentement écrit pour communiquer avec ses anciens employeurs, il a soutenu que ces consentements n'étaient pas suffisants pour permettre à la GRC de divulguer plus que des renseignements [traduction] « essentiels » . Le demandeur a affirmé que la politique de la GRC indiquait qu'il devait signer un formulaire de consentement de la GRC avant que des références puissent être données. Aucune politique semblable n'a cependant été présentée en preuve.

[89]            En l'absence d'une politique de la GRC, je conclus que l'autorisation donnée au Service de police de Durham, qui était un formulaire de consentement détaillé signé par le demandeur et envoyé par l'autorité qui demandait les renseignements, suffisait légalement pour permettre au sergent Tidsbury de donner les références demandées. De plus, à la rubrique C de sa demande d'emploi auprès de la PPO du 29 avril 1991, au sujet de ses antécédents de travail, le demandeur a inscrit « oui » en regard d'un énoncé ainsi libellé : [Traduction] « Veuillez indiquer si l'employeur actuel peut être contacté pour obtenir d'autres renseignements » . Le demandeur travaillait alors pour la GRC. En conséquence, je suis également convaincue que le sergent Tidsbury avait le consentement du demandeur pour parler au sergent Wilson de la PPO. Pour ces raisons, je ne suis pas disposée à souscrire à la conclusion de la CPP selon laquelle le sergent Tidsbury a contrevenu à la loi.


[90]            Si je me trompe et si le sergent Tidsbury a commis une faute donnant ouverture à poursuite civile, je ne vois aucune raison pour accorder des dommages-intérêts. La preuve présentée par le sergent Tidsbury et le sergent Wilson a démontré que la PPO avait décidé de rejeter la demande du demandeur avant que le sergent Wilson parle au sergent Tidsbury. La PPO en a décidé ainsi pour des raisons indépendantes, entre autres, le manque d'expérience du demandeur, son entrevue médiocre, ses mauvais résultats d'examen et son défaut de communiquer avec le sergent Newton en 1989.

[91]            J'ai aussi conclu que les références destinées au Service de police de Durham présentaient une évaluation honnête du demandeur et que le commentaire désobligeant fait par le sergent Tidsbury à l'employée d'EIC au sujet du demandeur n'a pas eu d'incidence négative sur ses perspectives de carrière policière à l'extérieur de la GRC.

          4.        Le sergent Sarich a-t-il porté atteinte à la vie privée du demandeur?

[92]            À mon avis, contrairement à l'allégation du demandeur, le sergent Sarich n'a pas versé l'information du CIPC au dossier d'employé du demandeur dans le but de nuire à ses possibilités de réembauche. Je conclus que le sergent Sarich n'aurait pas imaginé que de telles possibilités s'offraient au demandeur. En outre, le sergent Sarich saurait que si le demandeur devait présenter une nouvelle demande d'emploi, des questions lui seraient posées au sujet d'affaires criminelles, que des accusations figurent ou non dans le système du CIPC et que l'information du CIPC se trouve ou non dans le dossier. À cet égard, le demandeur a reconnu qu'avant sa demande à la GRC, il avait obtenu un pardon pour une condamnation pour voies de fait. Mais, malgré ce pardon, des questions lui avaient été posées qui avaient fait ressortir cette information pendant son recrutement à la GRC.


[93]            Dans sa Déclaration, le demandeur s'est appuyé sur la conclusion de la CPP selon laquelle le fait que le sergent Sarich ait versé l'information du CIPC au dossier d'employé du demandeur constituait une contravention à la Loi; il a qualifié la conclusion de la CPP d'[Traduction] « aveu » de la part de la GRC.

[94]            La CPP a conclu que le sergent Sarich a obtenu l'information du CIPC pour son enquête sur la plainte visant le sergent Tidsbury. De l'avis de la CPP, il était incompatible avec cette fin d'inclure l'information du CIPC dans la liasse de documents versés au dossier d'employé du demandeur et, pour cette raison, la CPP a conclu, à la page 6 du rapport final du président daté du 28 novembre 1994, qu'il y avait eu contravention à la Loi :

[Traduction] [...] L'information du CIPC reçue par le sergent Sarich constituait des renseignements personnels au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Loi sur la protection des renseignements personnels permet à une institution gouvernementale d'utiliser des renseignements personnels à des fins qui sont compatibles avec celles pour lesquelles les renseignements ont été recueillis. Le comité conclut que le sergent Sarich a obtenu l'information du CIPC dans le cadre de fonctions liées uniquement à la réponse de la GRC à la plainte antérieure de M. MacNeil au sujet de la conduite du sergent Tidsbury. Le transfert de l'information du CIPC - des renseignements personnels - au dossier d'employé de la GRC sur l'ex-gendarme MacNeil n'était pas compatible avec les fins pour lesquelles le sergent Sarich a obtenu ces renseignements. Le comité conclut que ce geste contrevenait à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[95]            L'avocat du demandeur a achevé son plaidoyer final sans mentionner une seule fois la Loi. Je lui ai par conséquent demandé s'il avait l'intention d'en parler et il a répondu qu'il n'avait pas prévu le faire et qu'il entendait plutôt s'appuyer sur les conclusions de la CPP et sur l'aveu de la GRC voulant qu'il y avait eu contravention à la Loi. J'ai indiqué que je comprenais sa position mais que je n'accepterais pas automatiquement les conclusions de la CPP sur des questions de droit. Il a dit qu'il aurait besoin d'une remise pour préparer d'autres observations sur cette question. J'ai indiqué qu'une remise ne serait pas accordée pour traiter d'un sujet qui aurait dû être un élément évident de sa cause.


[96]            Je n'ai trouvé aucun motif permettant de conclure que la GRC (par opposition à la CPP) ait jamais admis que le sergent Sarich avait contrevenu à la Loi. La lettre du surintendant principal Clegg adressée au demandeur le 24 janvier 1994 ne se reportait pas à la Loi. Même si la CPP, qui n'a pas tenu d'audience et n'a pas reçu d'observations juridiques pour le compte du sergent Sarich, a conclu qu'il y avait eu contravention à la Loi, aucun élément de preuve n'indiquait que la conclusion de la CPP devrait être traitée comme un aveu de la part de la GRC. Quoi qu'il en soit, pour les motifs exposés ci-dessous, je ne souscris pas à la conclusion de la CPP.

[97]            La Loi traite de l'usage de renseignements personnels concernant un individu par des institutions gouvernementales, y compris la GRC. L'expression « renseignements personnels » est définie comme incluant le casier judiciaire et, en conséquence, l'information du CIPC constitue manifestement des renseignements personnels au sens de la Loi. Cela étant, l'alinéa 7a) et le paragraphe 8(1) de la Loi entrent en jeu. Ils sont rédigés comme suit :

Usage des renseignements personnels

7. À défaut du consentement de l'individu concerné, les renseignements personnels relevant d'une institution fédérale ne peuvent servir à celle-ci :

a) qu'aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou préparés par l'institution de même que pour les usages qui sont compatibles avec ces fins;

...

Communication des renseignements personnels

8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d'une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l'individu qu'ils concernent, que conformément au présent article.

Use of personal information

7. Personal information under the control of a government institution shall not, without the consent of the individual to whom it relates, be used by the institution except

(a) for the purpose for which the information was obtained or compiled by the institution or for a use consistent with that purpose; ...

...

Disclosure of personal information

8. (1) Personal information under the control of a government institution shall not, without the consent of the individual to whom it relates, be disclosed by the institution except in accordance with this section.

[98]            L'article 7 soulève deux questions. La première est de savoir si l'information du CIPC relève de la GRC. J'ai posé des questions au sergent Sarich au sujet du fonctionnement du CIPC et il a déclaré que l'information qu'il détient est à la disposition de tous les policiers du pays qui peuvent y accéder au moyen d'un ordinateur et d'un mot de passe. Une fois qu'ils y accèdent, ils peuvent aisément obtenir des sorties imprimées détaillant les antécédents criminels d'une personne.

[99]            Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincue que l'information du CIPC relevait en fait de la GRC comme l'exige la Loi et, en conséquence, je ne suis pas convaincue que le sergent Sarich pourrait avoir contrevenu à la Loi.

[100]        Cependant, même s'il y avait eu contravention à la Loi, aucune source ne m'a été présentée pour indiquer que des dommages-intérêts peuvent être recouvrés à la suite d'une telle contravention. De plus, même si je devais supposer que des dommages-intérêts peuvent être réclamés, je suis convaincue que les gestes du sergent Sarich n'ont pas porté préjudice au demandeur. Voici la chronologie pertinente des événements :

          Avril 1991                      Des policiers du Service de police de Durham ont accusé le demandeur de voies de fait, de menaces et de méfait à l'occasion d'un conflit avec Wendy.

          Juin 1992                       À la suite d'une recherche informatique, le sergent Sarich a obtenu l'information du CIPC et l'a versée au dossier d'employé du demandeur.

          Avril 1993                      Le demandeur a appris dans la réponse à sa demande d'accès à l'information que l'information du CIPC se trouvait dans son dossier d'employé à Ottawa.


          Janvier 1994                   L'information du CIPC a été retranchée du dossier d'employé du demandeur à Ottawa.

  

[101]        Rien ne prouve que le Service de police de Toronto, le Service de police de Port Hope, le Service de police de Peterborough ou le SCRS aient jamais communiqué avec la GRC. Les références destinées au Service de police de Durham ont été demandées au sergent Tidsbury en janvier 1992 et la demande d'emploi du demandeur au Service de police de Durham était, « en théorie » du moins, encore à l'étude en juin 1992 lorsque le sergent Sarich a envoyé l'information du CIPC à Ottawa. Je dis « en théorie » parce que je conclus qu'après que le Service de police de Durham a reçu les références du sergent Tidsbury, il est peu probable qu'il aurait envisagé d'embaucher le demandeur. Au cours de son contre-interrogatoire, le demandeur a reconnu qu'il croyait que sa demande au Service de police de Durham était [Traduction] « morte » en raison des références négatives données par le sergent Tidsbury en janvier 1992.


[102]        Si je suppose que la demande d'emploi du demandeur au Service de police de Durham était encore à l'étude après juin 1992 et aussi (même s'il n'y a aucune preuve en ce sens) que le Service de police de Durham a communiqué avec la GRC après juin 1992, et que l'information du CIPC qui se trouvait dans le dossier d'employé du demandeur lui a été transmise, je ne peux conclure que cette information a causé quelque dommage que ce soit. Le demandeur a reconnu qu'étant donné que les agents du Service de police de Durham avaient porté des accusations, le Service de police de Durham possédait déjà l'information du CIPC. Subsidiairement, l'information du CIPC était une information que le Service de police de Durham aurait probablement obtenue dans le cadre d'une vérification des antécédents du demandeur ou en interrogeant le demandeur si le traitement de sa demande d'emploi s'était poursuivi.

[103]        La demande d'emploi du demandeur à la PPO a été rejetée en septembre 1991, longtemps avant que le sergent Sarich obtienne l'information du CIPC, et certainement longtemps avant qu'elle soit versée à son dossier.

[104]        Enfin, j'ai accepté la preuve du caporal Lortie selon laquelle, lorsqu'il a examiné la demande de réembauche à la GRC présentée par le demandeur en 1994, il n'a consulté que le dossier d'employé du demandeur. À ce moment, l'information du CIPC avait été retranchée de ce dossier. Il est par conséquent évident que l'information du CIPC ne pouvait avoir une incidence quelconque sur la décision du caporal Lortie. J'ai aussi accepté son témoignage selon lequel il a refusé la demande d'emploi du demandeur parce qu'il s'est appuyé sur le rapport de l'entrevue de fin d'emploi dans lequel le sergent Tremblay avait recommandé de ne pas réembaucher le demandeur.

[105]        La Déclaration du demandeur alléguait aussi l'abus de confiance et la conduite abusive du sergent Sarich dans le cadre de ses fonctions officielles. Toutefois, aucune observation ne m'a été présentée au sujet de ces allégations et je ne peux rien voir dans la preuve qui puisse justifier l'attribution de dommages-intérêts sous l'un quelconque de ces chefs.


Conclusion

[106]        Pour tous ces motifs, l'action du demandeur sera rejetée avec dépens selon le barème partie-partie. J'ajoute que le demandeur a demandé à la Cour de partager les frais de vidéo-conférence entre les parties pour le témoignage du caporal Lechky et du sergent Tidsbury. Cette demande est refusée parce qu'il s'agissait des témoins du demandeur et, dans le cas du sergent Tidsbury, aussi parce qu'il aurait pu comparaître en personne si le demandeur avait communiqué avec lui en temps opportun.

   

             « Sandra J. Simpson »            

JUGE

  

Ottawa (Ontario)

Le 13 mars 2002

     

Traduction certifiée conforme

Nicole Michaud, LL.L., M. Trad.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

DOSSIER :                                           T-1092-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :           

                                                                 Kirk Michael MacNeil

-et-

Sa Majesté la Reine

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 24 septembre 2001

MOTIFS DU JUGEMENT :           MADAME LE JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :                      13 mars 2002

  

COMPARUTIONS :

Joel P. Rochon                                                                               POUR LE DEMANDEUR

Douglas Lennox

Bryan MacPhadden                                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochon, Genova                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

McPhadden, Samac, Merner, Darling POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)

  


[1] Limitation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 236, et Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1990, ch. L-15.

[2] Le demandeur n'a pas plaidé que les références destinées au Service de police de Durham avaient porté atteinte à sa vie privée mais, étant donné que le sujet a été traité au procès sans opposition, je propose de les examiner.

[3] Cette parenthèse figure dans la version originale.

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