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Date : 20051202

Dossier : T‑2141‑04

Référence : 2005 CF 1642

Vancouver (Colombie-Britannique), le vendredi 2 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

ENTRE :

LUKA VINCENT (alias VINCENT LUKA),

CHRISTA LUKA et ANTON MAJITHRAJ JESUTHASAN

(alias ANTHON JESURAJAH)

 

demandeurs

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Luka Vincent (alias Vincent Luka), Mme Christa Luka et M. Anton Majithraj Jesuthasan (alias Anton Jesurajah) interjettent appel de l’ordonnance par laquelle le protonotaire Milczynski a rejeté le 27 mai 2005 la présente action, sans autorisation de modifier pour Mme Luka et M. Jesuthasan et avec autorisation de modifier pour M. Luka. Sa Majesté la Reine (la défenderesse) a demandé la radiation de la déclaration des demandeurs en vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

 

[2]               L’ordonnance du protonotaire a eu pour effet de radier l’action des demandeurs. En conséquence, la norme de contrôle applicable est la norme de novo; voir Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F).

 

[3]               L’alinéa 221(1)a) des Règles est rédigé comme suit :

 

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

 

 

Le paragraphe 221(2) des Règles prévoit que, lorsqu’une partie demande la radiation d’un acte de procédure en vertu de cet alinéa, aucune preuve n’est admissible. La viabilité de la cause d’action doit être appréciée strictement sur la foi de l’acte de procédure. Le critère général applicable à une requête en radiation consiste à déterminer s’il est évident et manifeste que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable; voir Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959. Dans une requête présentée en vertu du paragraphe 221(1) des Règles, les allégations contenues dans l’acte de procédure doivent être considérées comme vraies; voir Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S 441. Les faits exposés ci‑dessous sont relatés dans la déclaration des demandeurs.

 

[4]               Les demandeurs Luka Vincent et Christa Luka sont mariés ensemble et sont citoyens canadiens. Le demandeur Anton Majithraj Jesuthasan est le neveu de Mme Christa Luka. Il est arrivé au Canada en 1994 et a revendiqué le statut de réfugié. En 1995, il s’est vu reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention.

 

[5]               Par la suite, M. Jesuthasan a été arrêté par la police de Toronto et écroué jusqu’en décembre 2001. Pendant cette période, il a été placé dans un centre de détention de l’Immigration par la défenderesse. Après que Mme Luka eut versé un cautionnement en espèces de 6 000 $, il a été libéré du centre de détention de l’Immigration le 28 décembre 2001, sous certaines conditions dont celles l’obligeant à respecter une heure de rentrée et à rendre compte hebdomadairement à la défenderesse.

 

[6]               Le 25 juin 2002, M. Jesuthasan a été de nouveau mis en détention par la défenderesse, parce qu’il n’avait pas respecté l’heure de rentrée. Le demandeur M. Lula a fourni un dépôt en espèces de 10 000 $, ainsi qu’une garantie de bonne exécution de 15 000 $, et, le 10 juillet 2002, M. Jesuthasan a été libéré du centre de détention de l’Immigration, suivant certaines conditions qui n’incluaient pas une heure de rentrée.

 

[7]               Le 31 octobre 2002, M. Jesuthasan a de nouveau été mis en détention pour ne pas avoir respecté l’heure de rentrée. La défenderesse a ordonné la confiscation du cautionnement en espèce de 10 000 $ et confié le recouvrement de la garantie de bonne exécution de 15 000 $ à une agence de recouvrement et, à cet égard, elle a procédé à la saisie‑arrêt du salaire de M. Luka, ainsi que des remboursements d’impôt et de TPS auxquels il avait droit.

 

[8]               Le 1er août 2003, les accusations criminelles de défaut de comparaître, d’agression armée, de voies de fait causant des lésions corporelles, de possession d’armes dangereuses et de non‑respect d’engagement qui avaient été portées contre M. Jesuthasan ont été rejetées. Le 9 décembre 2003, M. Jesuthasan a été acquitté d’accusations d’infliction de lésions corporelles et de conduite dangereuse d’un véhicule à moteur.

 

[9]               Le 5 juillet 2004, la défenderesse a préparé un rapport dans lequel elle se disait d’avis que, en vertu de l’alinéa 115(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et ses modifications, M. Jesuthasan ne devrait pas être « présent au Canada en raison […] de la nature et de la gravité de ses actes passés […] ».

 

[10]           M. Jesuthasan a été avisé le 14 novembre 2003, vers cette date, qu’il pouvait faire appel mais il n’a pu le faire en raison de ressources financières insuffisantes, étant donné que le salaire de M. Luka faisait l’objet d’une saisie‑arrêt.

 

[11]           Le 16 juillet 2004, la défenderesse a reconnu par écrit que [traduction] « […] les conditions du cautionnement n’avaient pas réellement été violées […] » par M. Jesuthasan.

 

[12]           Le 14 août 2004, M. Jesuthasan a été expulsé du Canada par la défenderesse. Le 1er décembre 2004, ou vers cette date, les demandeurs ont intenté la présente action, pour demander des dommages‑intérêts généraux, particuliers et punitifs et une ordonnance déclarant que l’expulsion d’Anton était nulle et non avenue, ainsi qu’une ordonnance enjoignant à la défenderesse de faire rayer la cote R9 inscrite au dossier d’évaluation de crédit de M. Luka et de Mme Luka.

 

[13]           La défenderesse s’appuie, dans le présent appel, sur les observations écrites versées au dossier de la requête présentée au protonotaire. Elle allègue que les demandeurs ne font valoir aucun fait à l’appui d’une action pour atteinte aux droits constitutionnels prévus par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.U.), c. 11 (la Charte).

 

[14]           À mon avis, le présent appel devrait être rejeté. Je souscris aux observations de la défenderesse suivant lesquelles la nature et le caractère véritables de la demande se rapportent à des décisions administratives prises en vertu de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, et ses modifications, et de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et ses modifications. Ces décisions peuvent être révisées de manière appropriée au moyen d’une demande de contrôle judiciaire, conformément à la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, et ses modifications. Rien n’indique que les demandeurs, ou l’un de ceux‑ci, aient engagé pareille procédure.

 

[15]           La déclaration des demandeurs ne soutient aucunement une action en responsabilité délictuelle contre la défenderesse. Le fait que certaines accusations criminelles qui avaient été portées contre M. Jesuthasan aient été rejetées ne donne pas naissance à une action en responsabilité délictuelle contre la défenderesse relativement à son statut d’immigrant au Canada. De la même manière, le fait que la défenderesse ait admis par écrit que les conditions du cautionnement n’avaient pas été violées ne soutient pas une cause d’action contre elle. Le demandeur, M. Luka, s’est vu rembourser par la défenderesse les sommes qu’il avait versées. Si des intérêts sont dus, il est loisible à M. Luka d’intenter une action à cet effet.

 

[16]           La déclaration ne révèle aucune cause d’action valable pour M. Luka ou Mme Luka relativement à la décision de la défenderesse de procéder à la confiscation des cautionnements en espèces et de la garantie de bonne exécution. Mme Luka ne peut certainement pas faire valoir une réclamation visant les cautionnements qui ont été versés par son mari. La réclamation en dommages‑intérêts des demandeurs est dénuée de fondement.

 

[17]           La défenderesse a également allégué que l’action des demandeurs devrait être radiée en vertu de l’alinéa 221b) au motif qu’elle constitue un abus de procédure. Cette allégation s’appuie sur les échanges que M. Jesuthasan a eus avec les agents et les employés de la défenderesse à propos de son statut de réfugié au sens de la Convention au Canada.

 

[18]           D’après mon analyse du dossier, je suis d’avis que M. Jesuthasan avait accès à nombre de procédures administratives pour demander la révision des diverses décisions qui ont été prises à propos de son statut au Canada. Il ne s’en est pas prévalu. Le recours qu’il a intenté devant la Cour par voie d’action en dommages‑intérêts, alors qu’il aurait dû procéder autrement, constitue un abus de procédure. Je souscris aux motifs du protonotaire à cet égard.

 

[19]           Par conséquent, l’appel est rejeté. Si les parties ne réussissent pas à s’entendre sur les dépens, elles pourront soumettre de brèves observations au plus tard le 17 décembre 2005.


 

ORDONNANCE

 

            L’appel est rejeté. Si les parties ne réussissent pas à s’entendre sur les dépens, elles pourront soumettre de brèves observations au plus tard le 17 décembre 2005.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                               T-2141-04

                                                                                  

 

INTITULÉ :                                                              LUKA VINCENT ET AL.

                                                                                   c.

                                                                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET    DE L’IMMIGRATION

                                               

LIEU DE L’AUDIENCE :                                       TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                      LE 22 AOÛT 2005

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                              LA JUGE HENEGHAN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                             LE 2 DÉCEMBRE 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Charles Anipare                                                          POUR LES DEMANDEURS

 

Ann-Margaret Oberst                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Charles Anipare                                                          POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)                                                       

 

John H. Sims, c.r.                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

Sous‑procureur général du Canada                                          

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