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Date : 20050309

Dossier : IMM-84-04

Référence : 2005 CF 344

Ottawa (Ontario), le 9 mars 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY                            

ENTRE :

                                                               BLEDAR YZEIRI

demandeur

et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur est un ressortissant albanais de vingt-sept ans qui prétend craindre avec raison d'être persécuté parce qu'il est un membre éminent et actif de l'aile jeunesse du Parti démocratique (PD).


[2]                M. Yzeiri a adhéré au forum des jeunes du PD en 1995. Il a été actif au parti jusqu'en 2000, quand il a été choisi pour être le secrétaire de sa région. Il prétend qu'il a organisé des manifestations, qu'il y a assisté, qu'il a fait des discours et qu'il a fait campagne en faveur du PD. Il allègue aussi qu'il a donc été ciblé et mentionne une perquisition effectuée à son domicile et un incident au cours duquel sa mère a été blessée par une grenade lancée sur sa maison le soir même où il prononçait un discours politique.

[3]                M. Yzeiri est arrivé au Canada en février 2002. Le frère de M. Yzeiri, Sali, était aussi un membre éminent du PD. Il a réussi à obtenir le statut de réfugié au Canada en 2000. M. Yzeiri prétend que, après que son frère eut quitté l'Albanie, il a été persécuté en raison de ses convictions et de ses activités politiques.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[4]                La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que M. Yzeiri avait exagéré sa visibilité politique afin d'étayer sa demande d'asile et que son récit des actes de persécution dont il aurait été victime n'était pas crédible. Plus précisément, elle a conclu qu'il avait présenté une image exagérée de sa participation aux activités politiques de son frère afin de mousser sa propre visibilité et que les actes de persécution qui auraient été commis en 2001 n'étaient pas dus à ses activités ou à son engagement politiques. Elle a conclu qu'il ne serait pas en danger aujourd'hui en Albanie.


LES QUESTIONS EN LITIGES

[5]                Les parties ont débattu devant moi les questions suivantes :

1.          La Commission a-t-elle tiré des conclusions erronées en ce qui a trait à la crédibilité en interprétant mal la preuve ou en n'en tenant pas compte?

2.          La Commission a-t-elle mal interprété la preuve relative à la situation dans le

pays, ou a-t-elle omis d'en tenir compte?

ARGUMENTATION ET ANALYSE

2.          La crédibilité

[6]                M. Yzeiri soutient que la conclusion selon laquelle il a exagéré sa visibilité politique est abusive. Aucun élément de preuve n'indique qu'il s'est servi de ses liens avec son frère pour étayer sa demande d'asile; en fait, il a clairement fait savoir qu'il n'avait eu aucun problème avant le départ de son frère et d'assumer le poste de secrétaire. Son frère l'a confirmé, et la Commission elle-même a signalé à l'ouverture de l'audience qu'elle n'était intéressée que par les incidents qui s'étaient produits après le départ de son frère d'Albanie.


[7]                La Commission s'est fondée sur de supposées omissions dans la lettre provenant du PD ayant trait aux incidents de 2001 pour conclure que M. Yzeiri exagérait. Cette interprétation de la lettre est abusive. Il est déraisonnable de s'attendre à ce qu'une lettre contienne des renseignements sur chaque incident mentionné dans sa demande d'asile. M. Yzeiri a déclaré, au cours de sa déposition, qu'il avait demandé une lettre attestant ses activités et exposant les raisons pour lesquelles il avait quitté l'Albanie. C'est ce qu'il a produit.

[8]                Pour conclure que la perquisition effectuée dans la maison de M. Yzeiri, son arrestation et les menaces qui lui ont été adressées ne constituaient pas de la persécution politique, il a fallu que la Commission ne tienne pas compte des éléments de preuve mentionnés au cours de sa déposition.

[9]                Pour conclure que la grenade qui a blessé sa mère n'avait rien à voir avec son engagement politique, il a fallu que, là encore, la Commission, ne tienne pas compte de la preuve et le silence de la lettre du PD sur cet incident n'est pas déterminant. La Commission n'a pas tenu compte de la preuve selon laquelle des voisins lui avaient dit qu'ils avaient vu des partisans socialistes fuyant les lieux immédiatement après l'attaque contre sa maison.


[10]            Le fait que le certificat médical de sa mère provenait d'un hôpital et non du médecin a été expliqué, et il était déraisonnable de la part de la Commission de rejeter cette explication et la teneur de ce certificat. La Commission n'a pas tenu compte non plus des éléments de preuve se rapportant au harcèlement qu'avait subi M. Yzeiri dans les rues et elle n'a pas tenu compte de son témoignage concernant les agressions perpétrées par les partisans du Parti socialiste agissant de concert avec la police.

[11]            Le défendeur soutient que les conclusions ayant trait à la crédibilité et à la plausibilité relèvent exclusivement du pouvoir discrétionnaire de la Commission : Aguebor c. Canada (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.); Ezi-Ashi c. Canada, [1994] A.C.F. no 401 (1re inst.).

[12]            Pour évaluer la crédibilité du demandeur, la Commission s'est appuyée sur l'ensemble des éléments de preuve et, plus précisément, sur les problèmes intrinsèques du témoignage du demandeur. Le critère applicable pour déterminer la véracité d'un récit est le suivant : est-il en harmonie avec la prépondérance des probabilités : Shahamati c. Canada, [1994] A.C.F. no 415 (C.A.); Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A.C.-B.)?

[13]            Le défendeur soutient que la Commission pouvait raisonnablement conclure que le demandeur avait exagéré sa participation aux activités de son frère afin de mousser sa propre visibilité politique. Dans son FRP, M. Yzeiri a établi un lien entre sa situation et celle de son frère. Ayant emprunté cette voie, il ne peut pas maintenant trouver à redire au fait que la Commission a tiré des inférences défavorables du fait que la demande d'asile de Sali ne corrobore pas ses dires.

[14]            Le témoignage de M. Yzeiri figurant dans son FRP, selon lequel il avait aidé et protégé son frère, a suscité les réserves de la Commission. Cependant, dans son propre FRP, Sali est resté muet sur l'aide et la protection que lui aurait assurées son frère. Le défendeur est d'avis qu'il était loisible à la Commission de conclure que le récit du demandeur concernant sa participation aux activités de Sali était exagéré.

[15]            Le défendeur soutient que le poids donné à la lettre du PD est une question qui relève de la compétence spécialisée de la Commission. La Commission peut se fonder sur des critères comme la raison et le bon sens : Takhar c. Canada, [1999] A.C.F. no 240 (1re inst.); Tekin c. Canada, 2003 CFPI 357; Shahamati, précité. Il ne suffit pas de montrer qu'une autre conclusion est possible, il faut montrer qu'aucune autre conclusion n'est raisonnable : Zaidi c. Canada (1993), 72 F.T.R. 161 (1re inst.); Miranda c. Canada (1993), 63 F.T.R. 81 (1re inst.).

[16]            Dans la lettre en question, il était fait mention que M. Yzeiri n'avait été membre du PD que de 1995 à 2000. Il n'y était pas mentionné d'autres incidents importants relatifs à 2001 qui, selon ses dires, avaient été signalés au PD. La présomption de véracité peut être réfutée par l'absence d'une preuve qu'on s'attendrait normalement à trouver : Adu c. Canada, [1995] A.C.F. no 114 (C.A.).

[17]            La Commission n'est pas tenue d'accepter la raison pour laquelle le demandeur croit que la police a perquisitionné sa maison et l'a arrêté : Aguebor, précité; Orelien c. Canada, [1992] 1 C.F. 592 (C.A.).

[18]            La Commission pouvait à bon droit conclure que l'incident de la grenade n'était pas dû à l'engagement politique de M. Yzeiri. Cet incident et le discours qui l'aurait provoqué n'étaient pas mentionnés dans la lettre du PD. La Commission pouvait à bon droit ne pas croire qu'il y ait jamais eu de discours et que l'attaque n'avait pas de coloration politique. La discordance du certificat médical a aussi été un facteur qui a amené la Commission à ne pas juger crédible l'incident : Aguebor, précité.

[19]            La Commission pouvait à bon droit tirer ses conclusions concernant le certificat médical de la mère de M. Yzeiri : Tekin, précitée; Takhar, précitée. Celui-ci contredisait la déposition orale du demandeur. La Commission n'est pas tenue d'accepter ses explications. Il lui était loisible de conclure que le demandeur exagérait la violence politique en Albanie afin d'étayer sa demande d'asile :Sheikh c. Canada, 2002 CFPI 769; Razzaq c. Canada, 2003 CF 864.


[20]            Il n'y a qu'une seule des prétentions du demandeur qui me semble bien fondée. La Commission n'a en fait pas mentionné la preuve voulant que les voisins de M. Yzeiri lui avaient dit que l'attaque dirigée contre sa maison était l'oeuvre de partisans du Parti socialiste. Cependant, je ne peux pas conclure que cette omission a été suffisamment importante pour être déterminante. Nulle lettre, nulle déclaration émanant de ces voisins n'a été produite en preuve. Quoiqu'il en soit, la Commission n'était pas tenue de croire sur parole, sans plus, M. Yzeiri lorsqu'il a relaté ce qu'auraient dit ses voisins, surtout vu ses autres réserves quant à sa crédibilité. L'élément ayant suscité le plus grand doute chez la Commission a été le fait que la lettre du PD était muette sur les incidents de 2001. Cela suffirait pour conclure que les incidents en question ne se sont pas produits ou sinon qu'ils ne se sont pas produits pour les raisons invoquées par M. Yzeiri.

[21]            Dans l'ensemble, j'accepte les prétentions du défendeur. Je suis d'avis que les conclusions de la Commission relatives à la demande d'asile de M. Yzeiri n'étaient pas manifestement déraisonnables.

3.          La Commission a-t-elle mal interprété la preuve ou a-t-elle omis d'en tenir compte?

[22]            M. Yzeiri soutient que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve documentaire qui contredisait directement ses conclusions relatives à la situation dans le pays. Il attire l'attention de la Cour sur un document produit par son avocat à l'audience, consistant en des extraits de la preuve documentaire produite devant la Commission. Il allègue que la Commission n'a pas tenu compte de la totalité de la preuve et il affirme qu'il y a toujours des problèmes importants relatifs à la persécution des opposants politiques et aux mauvais traitements les visant perpétrés par la police albanaise.


[23]            Le défendeur soutient que la Commission a équitablement évalué la preuve documentaire et que ses conclusions étaient raisonnables. Il n'était pas nécessaire de mentionner chacun des éléments de preuve contredisant ses conclusions, et il est présumé qu'elle a tenu compte de la totalité de la preuve avant de tirer ses conclusions.

[24]            Je conviens que le demandeur n'a pas mentionné des éléments de preuve importants dont la Commission n'a pas tenu compte. L'examen de la preuve révèle que seuls les membres du PD qui ont une grande visibilité politique peuvent craindre d'être persécutés pour des raisons politiques. Le climat politique actuel en Albanie est beaucoup plus stable que par le passé. La Commission a rejeté le témoignage de M. Yzeiri, qui prétendait être un chef éminent du PD; elle pouvait donc raisonnablement conclure que, à titre de membre du PD, il ne courait pas de danger particulier.

[25]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Comme il n'y en a pas eu de proposée, il n'y aura pas de question certifiée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                        IMM-84-04

INTITULÉ :                                       BLEDAR YZEIRI         

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 23 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                    LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                     LE 9 MARS 2005

COMPARUTIONS :

Yehuda Levinson                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Matina Karvellas                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

YEHUDA LEVISON                                                               POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

JOHN H. SIMS, c.r.                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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