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Date : 20190924


Dossier : IMM-6188-18

Référence : 2019 CF 1216

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

MILTON ONAN AMADOR ORDOñEZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario) le 18 septembre 2019; la syntaxe et la grammaire ont été corrigées et des références jurisprudentielles ont été ajoutées.)

[1]  Le demandeur, Milton Onan Amador Ordoñez, demande le contrôle judiciaire de la décision défavorable qui a été prise relativement à sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR).

[2]  Je rejette la demande de contrôle judiciaire pour les motifs exposés ci-après.

[3]  Le demandeur est un citoyen du Honduras qui est venu au Canada au titre d’un permis de travail, mais qui n’a pas quitté le pays à l’expiration de son permis. Il a été arrêté par l’Agence des services frontaliers du Canada en mars 2017.

[4]  Le demandeur a affirmé craindre de retourner au Honduras et un agent d’immigration l’a informé qu’il pouvait présenter une demande d’ERAR. Sa demande d’ERAR a été rejetée initialement, mais les parties ont ensuite consenti à ce qu’elle soit réexaminée par un autre agent, lequel a rendu une nouvelle décision. Cette seconde décision est l’objet du présent contrôle judiciaire.

[5]  Le demandeur dit craindre de retourner au Honduras en raison de son homosexualité. Nul ne conteste l’existence du risque que des personnes soient victimes de persécution ou de violence au Honduras en raison de leur orientation sexuelle. Cependant, dans le cas qui nous occupe, la demande d’ERAR a été rejetée pour des motifs de crédibilité – l’agent ayant essentiellement conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau d’établir son homosexualité.

[6]  Les parties conviennent que la question déterminante en l’espèce consiste à savoir si l’analyse de l’agent quant à la crédibilité du demandeur était raisonnable. La norme de contrôle de la décision raisonnable commande la retenue judiciaire, en ce qu’elle tient compte des fonctions décisionnelles attribuées par le législateur, de l’expertise qu’apporte le décideur dans l’exercice de ses fonctions, et du fait que celui-ci peut notamment observer les témoins en personne. C’est pourquoi le tribunal qui procède au contrôle judiciaire selon cette norme ne doit pas intervenir à la légère pour annuler une décision portant sur la crédibilité d’un témoin : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, aux par. 41-46 [Rahal]. Aussi, comme en fait foi la jurisprudence, l’analyse de la crédibilité est au cœur de l’expertise des agents d’immigration : Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 FC 943, au par. 18 [Ruszo].

[7]  Or, cela ne veut pas dire pour autant que les décisions en matière de crédibilité sont à l’abri du contrôle judiciaire.

[8]  Je ferais remarquer que l’appréciation de la crédibilité d’une personne qui affirme être homosexuelle doit être parmi les tâches les plus difficiles qui incombent aux autorités de l’immigration. C’est d’ailleurs sûrement pour cette raison que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié s’est dotée de directives non exécutoires ayant pour but d’aider et de guider les décideurs, compte tenu des nombreuses difficultés susceptibles de se poser lorsqu’une personne demande la protection en raison de son homosexualité : Directives numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre (les directives).

[9]  Le demandeur conteste la décision relative à sa demande d’ERAR, au motif que l’agent qui l’a rendue a tiré des conclusions déraisonnables au sujet de sa crédibilité, en plus d’appliquer les directives de façon incorrecte. Toutefois, lorsque j’examine la décision dans l’ensemble et à la lumière du dossier, comme le prescrit la jurisprudence, je juge qu’il ne s’agit pas d’une décision déraisonnable : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

[10]  Je n’ai pas l’intention d’examiner en détail chacun des arguments qui m’ont été présentés; je me concentrerai plutôt sur les principales erreurs invoquées par le demandeur, comme l’ont fait les parties à l’audience devant moi aujourd’hui.

[11]  Premièrement, le demandeur affirme que l’agent a accordé trop de poids aux inexactitudes dans la réponse qu’il avait donnée au sujet du premier garçon envers lequel il avait eu une attirance et qu’il s’était tout simplement trompé dans les noms et les dates lors de son témoignage. Selon le demandeur, le poids attribué à cette simple erreur était déraisonnablement préjudiciable à sa demande. Il prétend que le fait d’avoir admis s’être trompé ne devrait pas miner sa crédibilité.

[12]  Je souscris cependant à l’argument des défendeurs selon lequel il existe des divergences considérables entre la preuve documentaire et le témoignage du demandeur à cet égard. Je suis d’avis que la décision de l’agent n’était pas fondée uniquement sur l’erreur dans le témoignage du demandeur. En fait, je conclus que l’agent ne s’est pas arrêté à une simple erreur; au contraire, il fait remarquer que le demandeur avait présenté des éléments de preuve contradictoires sur ce qui constituait de toute évidence un aspect fondamental de sa vie. Par conséquent, compte tenu de la preuve qui m’a été présentée, je ne saurais conclure que la décision était déraisonnable sur ce point.

[13]  Deuxièmement, le demandeur soutient que l’agent a fait référence à son comportement lors du témoignage à plusieurs reprises dans sa décision, en adoptant invariablement un point de vue défavorable à l’égard de gestes et de comportements qui pourraient être interprétés différemment. Par exemple, le fait que le demandeur se tordait les mains ou prenait des pauses pendant son témoignage pourrait être simplement attribuable à sa difficulté à évoquer des sujets de nature délicate. Le demandeur est une personne ordinaire issue d’un milieu rural au Honduras et il est normal qu’il ait trouvé la procédure de témoignage difficile. Il me semble donc que l’agent a attaché trop d’importance à son comportement.

[14]  Cependant, le demandeur n’a pas été en mesure d’indiquer laquelle des mentions au sujet de son comportement est inexacte ou laisse croire que l’agent avait un préjugé concernant la façon dont une personne devrait témoigner, ou encore qu’il a fait fi des directives. Le demandeur soutient plutôt que son comportement est mentionné trop souvent dans la décision de l’agent et que celui-ci aurait pu être interprété différemment.

[15]  Je ne suis pas convaincu que cela suffit pour rendre la décision déraisonnable. D’abord, le fait que le juge siégeant en révision n’a pas l’avantage d’observer les témoins est précisément l’une des raisons pour lesquelles l’appréciation de la crédibilité par le décideur au premier palier commande la déférence lors du contrôle judiciaire : voir la décision Rahal. Cependant, bien que je reconnaisse qu’il est périlleux pour un décideur de fonder sa décision en s’appuyant uniquement sur le comportement d’un témoin (voir Rahal, au par. 45), je ne suis pas prêt à dire que c’est ce qu’a fait l’agent en l’espèce. Au contraire, le comportement du demandeur est un facteur parmi un ensemble de facteurs sur lesquels l’agent s’est appuyé. L’agent était tenu de faire une telle chose et il m’est impossible de conclure que les références au comportement du demandeur dans la décision indiquent que l’agent a accordé trop de poids à un aspect en particulier ou que son analyse était entachée de stéréotypes ou de préjugés. Le fait qu’il existe d’autres explications plausibles ne rend pas les conclusions de l’agent déraisonnables pour autant.

[16]  Troisièmement, en ce qui concerne la crédibilité, bien que je sois d’accord avec le demandeur pour dire que certaines conclusions de l’agent sont plus solides que d’autres au regard de la preuve, je ne peux cependant conclure que l’agent a procédé à une analyse indûment microscopique en s’attardant à des détails accessoires : voir la décision Ruszo, aux par. 20-22.

[17]  Par exemple, le demandeur a systématiquement affirmé qu’il était attiré envers un garçon prénommé Christian. Je partage le point de vue de l’agent selon lequel le demandeur a fourni une explication plutôt vague au sujet de la raison pour laquelle il éprouvait de l’attirance envers Christian, quoique cela se comprenne aisément, puisque la vie nous donne de nombreux exemples de gens qui ont de la difficulté à dire pourquoi exactement ils éprouvent une telle attirance envers telle ou telle personne. Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que l’agent n’aurait pas dû accorder autant de poids à cette explication dans son appréciation de la crédibilité du demandeur. Cependant, il ne s’agit pas de la seule raison pour laquelle l’agent a conclu que le témoignage du demandeur, notamment en ce qui a trait à sa relation avec Christian, était vague.

[18]  Sur ce point, je ferais remarquer que le demandeur a déclaré dans son témoignage que Christian et lui allaient souvent se promener en marchant; il s’agissait de leur principale activité ensemble. L’agent savait que Christian et le demandeur avaient habité dans la même région et que ce dernier avait quitté cette région peu de temps auparavant pour venir au Canada. Malgré cela, le demandeur avait été incapable de fournir de simples détails au sujet de ces promenades, par exemple les endroits où ils allaient marcher, Christian et lui, sous prétexte que ces promenades avaient eu lieu [traduction« il y [avait] si longtemps ». Il n’était donc pas déraisonnable pour l’agent de conclure que ce facteur minait la crédibilité du demandeur.

[19]  Dans le même ordre d’idées, je ferais remarquer que l’agent a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité en raison des divergences entre le témoignage du demandeur et celui de ses témoins. Je conviens avec le demandeur que le témoignage de sa mère – qui l’avait renié lorsque celui-ci avait avoué son homosexualité – peut s’expliquer dans le contexte qui nous occupe; toutefois, je conclus que l’analyse de l’agent n’était pas déraisonnable en ce qui a trait aux divergences entre le contenu d’une lettre d’un ami et le témoignage d’un psychiatre au sujet d’une tentative de suicide alléguée. La tentative de suicide était un incident qui avait marqué le passé récent du demandeur; or, les divergences entourant les faits et les personnes qui lui étaient venues en aide étaient trop importantes pour être écartées. Compte tenu de ces divergences, il n’était pas déraisonnable pour l’agent d’accorder peu de poids à ces éléments de preuve.

[20]  Il reste maintenant l’élément important selon lequel le demandeur a dévoilé son homosexualité à un ami et au curé de sa paroisse avant de savoir que cela pourrait lui servir comme fondement de sa demande de protection au Canada. Comme le fait remarquer le demandeur, il s’agit d’un facteur auquel la juge Susan Elliott a accordé du poids lorsqu’elle a fait droit à sa requête, le 15 janvier 2019, visant à surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi : voir la décision Ordoñez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CanLII 1004 (CF). Certes, l’agent n’a pas accordé autant de poids à ce facteur en l’espèce, mais je ne peux conclure que cela était déraisonnable. Il s’agit d’ailleurs d’instances distinctes; la juge Elliott n’a pas eu, contrairement à l’agent, l’avantage d’entendre les témoignages et d’observer le demandeur durant son témoignage, et il n’est pas déraisonnable en soi pour un agent d’arriver à une conclusion différente à partir des mêmes éléments de preuve.

[21]  Enfin, j’ai examiné les observations supplémentaires du demandeur concernant les autres conclusions de l’agent en matière de crédibilité et les aspects de son analyse qui posent problème selon lui, mais, là encore, compte tenu de la décision dans l’ensemble et à la lumière du dossier, je ne peux conclure que la décision est déraisonnable. Il ne s’agit pas de motifs de décision correspondant au type de « conclusion générale, imprécise, floue et non motivée » que la Cour a désapprouvé dans la décision Rahal, au par. 46, citant Hilo c Canada (Emploi et Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199, [1991] ACF no 228 (QL) (CAF).

[22]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de l’agent relativement à la demande d’ERAR n’était pas déraisonnable et, par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de la certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6188-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de la certification et l’affaire n’en soulève aucune.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de septembre 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6188-18

INTITULÉ :

MILTON ONAN AMADOR ORDONEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 septembre 2019

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

Le juge PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

Le 24 septembre 2019

COMPARUTIONS :

Terry S. Guerriero

POUR LE DEMANDEUR

Margherita Braccio

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Terry S. Guerriero Law Office

Avocat

London (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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