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Date : 20190920


Dossier : T‑321‑19

Référence : 2019 CF 1194

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

SATINDER PAUL SINGH DHILLON ET EMMET TISDALE PIERCE, EN SA QUALITÉ D’AGENT PRINCIPAL

demandeurs

et

MAXIME BERNIER, CHRISTIAN ROY, EN SA QUALITÉ D’AGENT PRINCIPAL, ET LE PARTI POPULAIRE DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Une ordonnance rendue en vertu du paragraphe 385(2) des Règles constitue une mesure extraordinaire. Il s’agit d’une mesure radicale et on y a recours uniquement lorsque la Cour a été frustrée dans ses tentatives de gérer une instance. C’est exactement ce qui s’est produit en l’espèce.

I.  Contexte

[1]  Les demandeurs, Satinder Dhillon et Emmet Pierce, ont intenté, le 18 février 2019, l’action sous‑jacente contre les défendeurs au moyen d’une déclaration. Les demandeurs revendiquent une marque de commerce constituée des mots « Le Parti populaire du Canada » et cherchent à obtenir un jugement déclaratoire portant que cette marque a été violée par les défendeurs selon l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13, et la doctrine de la commercialisation trompeuse de la common law. Ils soutiennent également, sur le fondement des paragraphes 27(1) et (2) de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42, que les défendeurs ont violé leur droit d’auteur lié au nom « Le Parti populaire du Canada ».

[2]  Les défendeurs ont déposé leur défense le 20 mars 2019.

[3]  Le 2 avril 2019, il a été ordonné que la présente instance soit gérée à titre d’instance à gestion spéciale, et madame la juge Martine St‑Louis a été nommée juge responsable de la gestion de l’instance.

[4]  Le 11 avril 2019, les demandeurs ont informé la Cour de leur intention de présenter une requête en injonction interlocutoire et ont demandé qu’une séance spéciale soit fixée d’urgence pour l’audition de la requête. Comme la juge St‑Louis n’était pas disponible à ce moment‑là, j’ai été chargé d’instruire la demande des demandeurs.

[5]  À la suite d’échanges entre les avocats des parties et la Cour, un calendrier serré a été imposé aux parties pour la signification et le dépôt de leurs dossiers de requête respectifs. L’audition de la requête en injonction des demandeurs a eu lieu le 25 avril 2019.

[6]  Le 3 mai 2019, la requête des demandeurs a été rejetée avec dépens : Dhillon c Bernier, 2019 CF 573. Cette décision n’a pas été portée en appel.

[7]  Le 6 juin 2019, j’ai été nommé juge responsable de la gestion de l’instance pour remplacer la juge St‑Louis.

[8]  Le lendemain, à leur demande, Dean P. Davison et Davison Law Group ont cessé d’occuper le titre d’avocats inscrits au dossier pour les demandeurs conformément à l’article 125 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles].

[9]  Le 10 juin 2019, la Cour a ordonné aux demandeurs, qui agissaient alors pour leur propre compte, de consulter l’avocate des défendeurs et de présenter ensuite un projet de calendrier pour échanger les affidavits de documents et pour achever les interrogatoires préalables au plus tard le 21 juin 2019. Les demandeurs ne l’ont pas fait. Ils n’ont déposé aucune demande de prorogation afin de se conformer à la directive de la Cour ni aucune autre communication. Le silence a tout simplement été total.

[10]  Après l’expiration du délai fixé dans la directive de la Cour du 10 juin 2019, l’avocate des défendeurs a présenté une lettre datée du 26 juin 2019 en vue de demander des directives à la Cour concernant les prochaines étapes de l’instance. L’avocate a indiqué dans sa lettre qu’elle avait envoyé un courriel à M. Dhillon le 18 juin 2019 dans lequel elle lui rappelait la date limite fixée dans la directive de la Cour du 10 juin 2019 et lui disait qu’elle n’avait eu aucune nouvelle de sa part au sujet de l’affaire. Elle a signalé en outre que, le 21 juin 2019, elle avait répondu à un courriel reçu de M. Dhillon tard le même soir. M. Dhillon lui avait écrit que les demandeurs étaient en train de retenir les services d’un nouvel avocat et qu’il était prématuré de fixer les dates de l’interrogatoire préalable. L’avocate des défendeurs a averti M. Dhillon que l’ordonnance fixant l’échéancier était attendue ce jour‑là et qu’il devrait donc demander une prorogation du délai à la Cour.

[11]  Étant donné que les demandeurs n’ont pas tenu compte de l’avis de l’avocate et en l’absence de toute communication de leur part, le 26 juin 2019, la Cour a ordonné aux demandeurs en application du paragraphe 385(2) des Règles de faire valoir, au moyen d’observations écrites qui devaient être signifiées et déposées au plus tard le 10 juillet 2019, des motifs justificatifs expliquant pourquoi leur action ne devrait pas être rejetée pour défaut de se conformer à la directive de la Cour datée du 10 juin 2019 et pour cause de retard. De façon complètement étonnante, les demandeurs n’ont nullement tenu compte de l’ordonnance de justification.

[12]  Au moyen d’une lettre datée du 2 août 2019, l’avocate des défendeurs a informé la Cour qu’elle n’avait eu aucune nouvelle des demandeurs concernant l’action depuis la mi‑juin. Elle a donc demandé que l’action soit rejetée pour défaut de se conformer à la directive de la Cour du 10 juin 2019 et pour cause de retard, ainsi que pour défaut de se conformer à l’ordonnance de justification.

[13]  Dans une lettre datée du 5 août 2019, M. Pierce a indiqué que les demandeurs ne comprenaient pas pourquoi l’avocate de la partie adverse avait envoyé la lettre datée du 2 août 2019 puisqu’elle [traduction] « était au courant de l’arrivée du responsable de la gestion de l’instance et de la date de la prochaine audience (le 8 août 2019). » Il a déclaré que les demandeurs discutaient avec plusieurs avocats et qu’ils informeraient le responsable de la gestion de l’instance de l’état de leurs discussions à cette date. M. Pierce a ajouté qu’ils [traduction« n’avaient pas voulu être irrespectueux envers la Cour en ne respectant pas le délai du 10 juillet 2019 » puisque, selon [traduction] « ce qu’ils comprenaient [...], le juge responsable de la gestion de l’instance donnerait des directives sur les prochaines étapes ».

[14]  Le 9 août 2019, une directive a été donnée aux parties. Elle se termine comme suit :

[traduction]

L’ordonnance de la Cour datée du 26 juin 2019 ne prête aucunement à confusion et rien n’indique que les demandeurs aient été induits en erreur par le greffe ou les défendeurs. Le plaidoyer d’ignorance des demandeurs n’excuse tout simplement pas leur inaction. Il va sans dire que l’on entend que les ordonnances de la Cour soient respectées. Il est ordonné aux demandeurs de signifier et de déposer leurs observations écrites en réponse à l’ordonnance de justification au plus tard le 13 août 2019, à défaut de quoi l’action sera rejetée pour cause de retard.

[15]  Les demandeurs ont présenté des observations écrites le 12 août 2019. Ils ont été informés que les observations ne seraient pas examinées par la Cour parce que l’intitulé était erroné, qu’elles n’étaient pas signées par les demandeurs et qu’une preuve appropriée de la signification n’avait pas été fournie.

[16]  Le 13 ou le 14 août 2019, ou vers ces dates, les demandeurs ont retenu les services de Rahma Saidi et Saidi Law Corporation comme avocats inscrits au dossier. Deux semaines plus tard, Me Saidi a déposé des observations écrites en réponse à l’ordonnance de justification.

[17]  En résumé, les demandeurs soutiennent qu’ils ne connaissaient pas les Règles et [traduction] « l’application des ordonnances de la Cour », qu’ils ont essayé honnêtement de respecter l’ordonnance de justification et qu’ils ne savaient pas qu’ils pouvaient demander une prorogation du délai. Ils ajoutent qu’on devrait autoriser la poursuite de l’action puisque les défendeurs n’ont subi aucun préjudice du fait du retard et qu’ils ont [traduction] « pris toutes les mesures pour réduire au minimum tout retard causé par leurs actions en retenant rapidement les services d’un avocat et en présentant de nouveau leurs observations écrites. » Les observations sont silencieuses en ce qui concerne les mesures prises ou prévues par les demandeurs pour faire avancer l’instance.

II.  Analyse

[18]  Le paragraphe 385(2) des Règles prévoit que le juge responsable de la gestion de l’instance peut, à tout moment, ordonner que soit tenu un examen de l’état de l’instance en conformité avec la partie 9 des Règles, en d’autres termes conformément à la procédure énoncée aux articles 382 et 382.1 des Règles. Lors de l’examen de l’état de l’instance, la partie en défaut doit répondre à deux questions, à savoir : (i) Y a‑t‑il une justification pour l’omission d’avoir fait avancer l’affaire? (ii) Quelles mesures la partie a‑t‑elle l’intention de prendre pour faire avancer l’affaire? (voir Netapsys c R, 2004 CAF 239, au paragraphe 11, citant Baroud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1729 [Baroud], et Manson c Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CAF 357. Le défaut de traiter correctement de ces deux facteurs peut entraîner le rejet de la procédure de la partie.

[19]  Le 9 septembre 2019, une conférence de gestion de l’instance a eu lieu avec les avocats des parties à la présente instance et à deux affaires connexes (dossiers de la Cour T‑314‑19 et T‑490‑19). Pendant la conférence, Me Saidi a eu l’occasion de présenter des observations concernant la deuxième partie du critère énoncé dans la décision Baroud, qui n’avait pas été abordée dans les observations écrites des demandeurs.

[20]  On lui a expressément demandé quelles mesures les demandeurs avaient l’intention de prendre dans l’éventualité où l’instance pourrait se poursuivre. Me Saidi a répondu qu’elle n’avait reçu aucune directive de ses clients. Malgré les encouragements et les pressions de la Cour, Me Saidi a refusé de préciser toute mesure que les demandeurs seraient disposés à prendre dans le cadre de l’instance et encore moins une date limite claire pour l’achèvement de toute mesure. Elle a simplement maintenu sa position selon laquelle les demandeurs ne lui avaient donné aucune directive à cet égard.

[21]  Je reconnais que Me Saidi avait les mains liées, étant donné le défaut des demandeurs de lui donner des directives appropriées aux fins de la conférence de gestion de l’instance. Il n’en demeure pas moins que les demandeurs doivent répondre de leurs actes devant la Cour et qu’ils auraient dû être prêts à répondre, par l’entremise de leur avocate, à des questions concernant la façon dont ils proposent de faire avancer l’instance. Il s’agit de la fonction première de ces conférences.

[22]  Les demandeurs n’ont pas respecté les ordonnances et les directives de la Cour, et ce, à maintes reprises, et ils n’ont rien offert d’autre que des explications laconiques. Les parties adverses et la Cour ont pris soin de veiller à ce que les trois affaires connexes devant la Cour concernant M. Dhillon et M. Pierce soient instruites séparément. L’incapacité des demandeurs à distinguer ce qui était nécessaire aux fins de la présente action plutôt qu’aux fins de leurs deux demandes connexes ne constitue pas une excuse permettant de ne tenir aucun compte des directives claires et des ordonnances non équivoques de la Cour.

[23]  Une instance ne doit être rejetée lors de l’examen de son état que dans des circonstances exceptionnelles et lorsqu’aucun autre recours ne suffirait. Dans la décision Roots c NCSM Annapolis (Navire), 2015 CF 1339, la Cour a conclu qu’« [é]tant donné l’effet draconien du rejet d’une demande pour cause de retard, l’accent devrait être mis sur l’intérêt général de la justice. La préoccupation générale devrait consister à savoir si la partie en défaut reconnaît qu’il lui incombe de faire avancer l’action et si elle prend des mesures à cette fin ».

[24]  En l’espèce, les demandeurs n’ont pas reconnu leurs responsabilités. Ils se sont à maintes reprises soustraits à leurs obligations aux termes des Règles et à l’autorité de la Cour.

[25]  Vu le mépris des demandeurs à l’égard du processus de gestion de l’instance, je n’ai que peu d’options. Je pourrais autoriser la poursuite de l’instance et imposer des délais aux demandeurs pour l’achèvement des interrogatoires préalables. Cependant, je ne suis pas convaincu que les demandeurs soient disposés ou même en mesure d’entreprendre ou d’achever les interrogatoires préalables en temps opportun. La seule autre option est le rejet de l’action.

[26]  À mon avis, il s’agit de la réparation appropriée en l’espèce, car il n’existe aucune autre réparation raisonnable.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‑321‑19

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

L’action est rejetée avec dépens.

« Roger R. Lafrenière »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de septembre 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑321‑19

 

INTITULÉ :

SATINDER PAUL SINGH DHILLON ET EMMET TISDALE PIERCE, EN SA QUALITÉ D’AGENT PRINCIPAL c MAXIME BERNIER, CHRISTIAN ROY, EN SA QUALITÉ D’AGENT PRINCIPAL, ET LE PARTI POPULAIRE DU CANADA

 

CONFÉRENCE DE GESTION DE L’INSTANCE TENUE LE 9 SEPTEMBRE 2019

 

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 SEPTEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Rahma Saidi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Camille Aubin

Catherine Thall Dubé

Barry Gamache

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Saidi Law Corporation

Avocate

Surray (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

ROBIC, S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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