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Date : 20190923


Dossier : T‑1844‑18

Référence : 2019 CF 1198

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

CADOSTIN, MACKENZY

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Monsieur Mackenzy Cadostin, le demandeur, sollicite le contrôle judiciaire de la décision (la décision) par laquelle la Commission de la fonction publique du Canada (la Commission) a conclu qu’il avait commis une fraude au sens de l’article 69 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 2 (LEFP), en fournissant sciemment de faux renseignements concernant ses références professionnelles à l’occasion d’un processus de nomination de la fonction publique fédérale. M. Cadostin soutient que le processus d’enquête de la Commission a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale et que la décision et les mesures correctives prises contre lui sont déraisonnables.

[2]  La demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

[3]  J’ai examiné attentivement les observations de M. Cadostin, mais ce dernier ne m’a pas convaincue qu’une intervention de la Cour est justifiée. L’enquête réalisée par la Commission a été exhaustive et équitable sur le plan de la procédure. La décision rendue et les mesures correctives imposées par la Commission sont justifiées et intelligibles et, compte tenu de la preuve que l’enquêteuse a réunie et qui a été présentée à la Commission, la conclusion finale de fraude tirée par cette dernière est raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.  Le contexte

[4]  En février 2017, M. Cadostin a posé sa candidature à un poste de niveau AS‑04 auprès de Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC). À l’époque, il travaillait pour Agriculture et Agroalimentaire Canada, où il occupait un poste de niveau PM‑01. M. Cadostin a réussi un examen écrit et passé une entrevue avec succès relativement au poste. Il s’est ensuite vu demander de fournir les noms de trois personnes pouvant donner des références (les recommandataires), dont celui de son superviseur actuel. M. Cadostin a fourni les noms de quatre recommandataires avec qui il avait eu une expérience professionnelle, dont la plus récente remontait à 2013, mais il a refusé de fournir les coordonnées de son superviseur actuel, Mark De Luca, expliquant que ce dernier était en congé de maladie et qu’il ne voulait pas donner son nom à titre de recommandataire.

[5]  Les recommandataires devaient chacun remplir un formulaire de recommandation fourni par SPAC. Les formulaires de recommandation ont été remplis et présentés, et ont fait l’objet d’une vérification en juin et en juillet 2017. Mme Nancy Bernard était la gestionnaire chargée de vérifier les références de M. Cadostin. Elle a fait un certain nombre d’appels dans le but de communiquer avec les recommandataires, mais elle n’a pas été en mesure de joindre trois d’entre eux. Elle a ensuite envoyé des courriels, sans grand succès.

[6]  Le 3 août 2017, Mme Bernard a informé M. Cadostin que le Comité d’évaluation (le Comité) avait l’intention de communiquer avec M. De Luca non seulement pour obtenir une évaluation récente de son travail mais aussi par souci d’équité, puisque les superviseurs des autres candidats avaient été contactés. Mme Bernard a expliqué à M. Cadostin que le Comité avait le droit de communiquer avec M. De Luca, mais qu’il tenait tout de même à l’en informer par courtoisie. M. Cadostin a refusé la demande, déclarant que le Comité ne pouvait pas communiquer avec une personne qui ne figurait pas parmi ses recommandataires. Il s’est ensuite retiré du processus de nomination et M. De Luca n’a pas été contacté à titre de recommandataire.

[7]  M. Cadostin soutient qu’il n’a pas donné le nom de M. De Luca comme personne susceptible de donner des références à son sujet parce que, à l’époque, ce dernier le harcelait. Il affirme que M. De Luca lui aurait fait la vie dure s’il avait découvert qu’il postulait un autre emploi. M. Cadostin décrit l’intention déclarée de SPAC de communiquer avec M. De Luca comme un ultimatum selon lequel il devait se retirer du concours ou risquer d’aggraver sa situation au travail.

[8]  SPAC a remarqué un certain nombre de similitudes entre les formulaires remplis par trois des quatre recommandataires au sujet de M. Cadostin, ce qui a soulevé des préoccupations quant à leur authenticité. Le 30 octobre 2017, SPAC a transmis le dossier de M. Cadostin à la Commission pour qu’elle détermine si une enquête s’imposait.

[9]  Le 28 novembre 2017, la Commission a informé M. Cadostin qu’elle ouvrirait une enquête en vertu de l’article 69 de la LEFP concernant la possibilité qu’il ait fourni de fausses références dans le cadre du processus de nomination de SPAC.

[10]  Je souligne que, pendant la période en question, M. Cadostin a été embauché comme agent de programme par Relations Couronne‑Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAAN). La Commission a donc mené une deuxième enquête en vertu de l’article 69 de la LEFP concernant cet autre processus de nomination et a rendu une décision (la deuxième décision). M. Cadostin cherche à faire annuler la deuxième décision dans le cadre d’une demande distincte de contrôle judiciaire présentée à la Cour.

[11]  Dans son mémoire, M. Cadostin soutient qu’il ne peut pas faire l’objet de deux enquêtes et se voir imposer à deux reprises des mesures disciplinaires pour les mêmes gestes, s’appuyant sur la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant à l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 (la Charte) et les principes du droit du travail. Comme il est indiqué ci‑après, M. Cadostin a également tenté dans la présente demande de présenter des éléments de preuve concernant la deuxième enquête. J’ai expliqué à l’audience que la deuxième enquête et le rapport qui en découle ne sont pas en cause en l’espèce et que je ne tiendrais donc pas compte des éléments de preuve présentés par M. Cadostin au sujet de cette enquête ni de son allégation de double incrimination.

II.  L’enquête

[12]  L’enquête a été menée par Mme Stéphanie Poitras (l’enquêteuse). Cette dernière a examiné la preuve documentaire concernant les recommandataires en cause et elle a interrogé M. Cadostin et M. De Luca. M. Cadostin a été interrogé deux fois : une fois pendant l’enquête et une autre fois après qu’il eut formulé des commentaires sur le rapport d’enquête (le rapport) (dont il sera question plus loin). Pour sa part, M. De Luca a été interrogé dans le but d’obtenir son témoignage concernant sa capacité et sa volonté d’agir comme recommandataire pour M. Cadostin.

[13]  En avril 2018, l’enquêteuse a préparé un rapport factuel (le rapport factuel) qui résumait les faits colligés au cours de l’enquête. Le rapport factuel complet a été envoyé à M. Cadostin et une copie partielle du rapport a été transmise à M. De Luca aux fins de vérification et de rétroaction. L’enquêteuse a examiné les commentaires formulés par M. Cadostin puis elle a rédigé le rapport, le 11 juin 2018.

III.  Le rapport d’enquête

[14]  Les principales conclusions du rapport sont les suivantes :

  • Le superviseur de M. Cadostin. Le rapport résume les raisons pour lesquelles M. Cadostin a refusé de fournir le nom de M. De Luca à titre de recommandataire et souligne que M. Cadostin a modifié sa version des faits. En effet, durant sa première entrevue avec l’enquêteuse, M. Cadostin a déclaré qu’il avait une bonne relation avec M. De Luca, mais qu’il ne voulait pas donner son nom à titre de recommandataire parce que ce dernier était en congé de maladie et n’aurait pas voulu qu’il accepte un nouveau poste en raison de l’excellente qualité de son travail. Pour sa part, M. De Luca a déclaré qu’il n’avait pas pris de congé de maladie et qu’il n’aurait pas refusé de fournir une lettre de recommandation, même si cette dernière n’aurait pas été généralement favorable en raison de ses préoccupations quant au travail de M. Cadostin et à sa façon de réagir aux commentaires. Des renseignements tirés du système de congés de l’employeur ont permis de confirmer que M. De Luca n’avait pas pris de congé de maladie.

Après avoir reçu le rapport factuel, qui rendait compte du témoignage de M. De Luca, M. Cadostin a allégué qu’il n’avait pas donné le nom de M. De Luca à titre de recommandataire parce que ce dernier avait fait preuve de discrimination à son égard et le harcelait. Informé des allégations de M. Cadostin, M. De Luca a déclaré que M. Cadostin n’avait jamais déposé de plainte ni de grief contre lui.

L’enquêteuse a conclu que M. Cadostin n’avait probablement pas donné le nom de M. De Luca comme recommandataire parce qu’il ne voulait pas faire l’objet d’une recommandation défavorable. Elle a déclaré que le témoignage de M. Cadostin concernant M. De Luca était contradictoire et non crédible et a conclu que M. Cadostin savait que M. De Luca ne le considérait pas comme un employé exceptionnel. Elle a conclu que M. Cadostin avait fourni au Comité de faux renseignements concernant M. De Luca, et ce, afin d’obtenir un avantage dans le cadre du processus de nomination.

  • Les recommandataires. Le rapport présente en détail les conclusions de l’enquêteuse concernant les trois recommandataires en question :

  1. M. Cadostin a déclaré que les trois recommandataires étaient des personnes pour lesquelles il avait travaillé à Montréal pendant diverses périodes, ajoutant qu’il avait occupé de nombreux postes au fil des ans et qu’il n’avait eu aucun contact avec les recommandataires une fois la relation d’emploi terminée. Il n’a pas été en mesure de fournir les coordonnées actuelles des recommandataires, fournissant seulement, dans chaque cas, une adresse électronique publique.

  2. Les trois formulaires de recommandation remplis par les trois recommandataires apparemment indépendants contenaient des similitudes préoccupantes, notamment : l’omission du nom de l’organisation qu’ils représentaient, le poste de M. Cadostin et leurs coordonnées, y compris leurs numéros de téléphone. L’enquêteuse a souligné les préoccupations que le Comité avait au départ soulevées quant au libellé similaire des lettres de recommandation, qualifiant les formulaires de « fichiers », malgré le fait que les courriels de SPAC les décrivaient comme des « questionnaires » et des « documents ». Les lettres de recommandation contenaient également des renseignements et des commentaires similaires au sujet de M. Cadostin.

  3. En raison de l’absence des coordonnées des recommandataires, le Comité n’a pas pu communiquer avec eux à des fins de vérification. Mme Bernard a essayé de communiquer avec les trois personnes sans grand succès. L’enquêteuse a également tenté de communiquer avec elles, mais elles ont refusé de l’aider ou n’ont tout simplement pas répondu. Elle a conclu qu’il était peu probable que de véritables recommandataires n’auraient pas fourni leurs coordonnées actuelles dans un formulaire de recommandation et refusent d’aider non seulement le Comité dans le cadre du processus de nomination, mais aussi l’enquêteur dans le cadre de son enquête.

  4. Il y avait des incohérences importantes relativement aux dates auxquelles M. Cadostin avait travaillé pour chacun des recommandataires. L’enquêteuse a tenté en vain de confirmer indépendamment les liens entre les recommandataires et leurs entreprises respectives durant les périodes pertinentes.

  5. L’enquêteuse a conclu que le témoignage de M. Cadostin sur ses recommandataires était contradictoire. Durant son entrevue initiale, M. Cadostin a déclaré n’avoir ni rédigé ni révisé les formulaires de recommandation. Cependant, l’enquêteuse a demandé à M. Cadostin de remplir un modèle Word afin de lui fournir de plus amples renseignements sur ses recommandataires, et ce dernier a déclaré avoir utilisé son ordinateur personnel à cette fin. Les propriétés d’identification de l’ordinateur utilisé pour rédiger les lettres de recommandation et préparer le modèle Word de M. Cadostin révèlent que les quatre documents ont été modifiés pour la dernière fois par le même auteur, « Proprio ». Même si l’enquêteuse a accepté la déclaration de M. Cadostin selon laquelle il ne savait pas que son ordinateur était configuré avec ce nom, elle a conclu qu’il n’était pas raisonnable de croire que quatre personnes auraient donné le même nom à leur ordinateur.

  6. M. Cadostin a d’abord déclaré ne pas pouvoir fournir les coordonnées actuelles des recommandataires. Cependant, après avoir reçu le rapport, il a transmis des copies d’un certain nombre de courriels provenant prétendument des recommandataires en question selon lesquels ceux-ci lui avaient demandé de remplir les formulaires de recommandation, dont ils avaient par la suite approuvé le contenu. M. Cadostin a soutenu que ces éléments de preuve le mettaient à l’abri d’une conclusion de fraude. L’enquêteuse n’était pas d’accord et elle a déclaré que, en fait, les éléments de preuve subséquents contredisaient le témoignage initial de M. Cadostin selon lequel il n’avait pas participé à la rédaction des formulaires de recommandation.

  7. L’enquêteuse a souligné dans le rapport que les adresses de courriel fournies par les recommandataires provenaient toutes de fournisseurs de services de courriel en ligne gratuits (@outlook.fr, @caramail.com et @mail.com). Une recherche dans l’historique de navigation sur Internet de M. Cadostin a révélé que ce dernier avait visité le site @mail.com le jour même où l’un de ses recommandataires avait envoyé son formulaire rempli à SPAC à partir d’un compte @mail.com.

  • Conclusion de fraude. L’enquêteuse a conclu que M. Cadostin avait commis une fraude au sens de l’article 69 de la LEFP. Elle a cité la définition à deux volets de fraude énoncée par la Cour d’appel fédérale (CAF) dans l’arrêt Seck c Canada (Procureur général), 2012 CAF 314 (Seck) : 1) la malhonnêteté, qui peut comprendre la non‑divulgation de faits importants; et 2) la privation ou le risque de privation. L’enquêteuse a déclaré que le témoignage de M. Cadostin au sujet de M. De Luca et de ses recommandataires n’était pas crédible. Elle a conclu que M. Cadostin avait intentionnellement fourni de faux renseignements concernant ses recommandataires et sa relation avec M. De Luca, ce qui satisfaisait au premier volet du critère. Ces renseignements ont servi à évaluer la candidature de M. Cadostin, et, si SPAC n’avait rien fait pour vérifier l’authenticité des références, l’intégrité du processus de nomination aurait pu être compromise. C’est seulement lorsqu’il est devenu évident que le Comité allait communiquer avec M. De Luca que M. Cadostin s’est retiré du processus de nomination. Par conséquent, le deuxième volet du critère est respecté.

IV.  La décision faisant l’objet du contrôle

[15]  Le 19 juin 2018, le rapport a été présenté pour approbation à la Commission afin que M. Cadostin puisse être consulté au sujet du rapport et des mesures correctives proposées. La Commission a donné son approbation, et le rapport et les mesures correctives proposées ont été communiqués à M. Cadostin aux fins de rétroaction. Ce dernier a été informé que ses commentaires seraient communiqués à la Commission, qui les examinerait avant de rendre sa décision définitive. En août 2018, M. Cadostin a fourni de longs commentaires. Il a alors été interrogé une deuxième fois et au cours de cette entrevue il a eu l’occasion de fournir les originaux des courriels de confirmation de ses recommandataires dont une copie avait été jointe à ses commentaires sur le rapport.

[16]  La décision est datée du 18 septembre 2018. La Commission a accepté le rapport, soulignant que l’enquête avait permis de conclure que M. Cadostin avait commis une fraude dans le cadre d’un processus de nomination interne annoncé en donnant sciemment de faux renseignements concernant ses recommandataires. La Commission a déclaré avoir examiné tous les commentaires reçus, précisant cependant que ceux‑ci ne contenaient pas de nouveaux renseignements à même de justifier la modification du rapport ou des mesures correctives qui avaient été communiqués aux fins de consultation.

[17]  Conformément au pouvoir que lui confère l’article 69 de la LEFP en matière de mesures correctives, la Commission a ordonné ce qui suit :

[traduction]

1.  Pour une période de trois ans, M. Cadostin doit obtenir l’autorisation écrite de la Commission avant d’accepter tout poste ou tout travail au sein de la fonction publique fédérale. Si M. Cadostin accepte un poste pour une période déterminée, un poste intérimaire ou un poste pour une période indéterminée au sein de la fonction publique sans avoir d’abord obtenu ladite autorisation, sa nomination sera révoquée.

2.  Pour une période de trois ans, si M. Cadostin obtient du travail dans le cadre de programmes de nomination à des postes occasionnels ou de travail étudiant au sein de la fonction publique fédérale sans en avoir avisé au préalable la Commission, le Secteur de la surveillance et des enquêtes (SSE) de la Commission écrira à l’administrateur général pour l’informer de la fraude commise par M. Cadostin, et joindra à son envoi une copie du rapport et de la décision.

3.  Le SSE enverra une copie du rapport et de la décision au sous‑ministre de RCAAN afin de l’informer de la fraude commise par M. Cadostin.

4.  M. Cadostin doit suivre le cours Fondements des valeurs et de l’éthique pour les employés de l’École de la fonction publique du Canada dans les deux mois suivant la décision. Le cours doit être suivi d’une discussion entre M. Cadostin et son directeur ou son directeur général pour s’assurer qu’il en a compris la teneur. RCAAN informera le SSE lorsque M. Cadostin aura suivi le cours et participé à la discussion.

V.  Les questions en litige

[18]  Dans son mémoire, M. Cadostin soulève un certain nombre de questions au sujet de son innocence, du caractère injuste et insuffisant de l’enquête et des allégations de tromperie et de complot de la part de l’enquêteuse, de SPAC et de la Commission. Je vais analyser les observations de M. Cadostin en fonction des rubriques suivantes :

  1. La décision relevaitelle de la compétence de la Commission?

  2. Le processus de la Commission a‑til été équitable sur le plan de la procédure?

  3. La décision rendue et les mesures prises sont‑elles raisonnables et, dans la négative, quelle mesure de redressement convient‑il d’accorder à M. Cadostin?

VI.  La norme de contrôle applicable

[19]  Les questions d’équité procédurale soulevées par le demandeur sont assujetties à la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, par 43, et Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, par 34 à 56 (Canadien Pacifique)). Mon examen à cet égard est axé sur le processus qu’a suivi la Commission pour arriver à sa décision, et non sur le fond ou le bien‑fondé de l’affaire.

[20]  La norme de contrôle applicable à la décision sur le fond est celle de la décision raisonnable, puisque l’application et l’interprétation de l’article 69 de la LEFP relèvent de l’expertise de la Commission (MacAdam c Canada (Procureur général), 2014 CF 443, par 49 et 50 (MacAdam), et Dayfallah c Canada (Procureur général), 2018 CF 1120, par 34 (Dayfallah)). La Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision, compte tenu du caractère « distinct et particulier » du régime de la fonction publique et de la portée du pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission (MacAdam, par 50 et 77, et Dayfallah, par 35).

[21]  La norme de la décision raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit applicable en l’espèce (Dunsmuir c NouveauBrunswick, 2008 CSC 9, par 47). En d’autres termes, la cour de révision doit examiner à la fois le résultat et les motifs étayant ce résultat (Delta Air Lines Inc. c Lukács, 2018 CSC 2, par 27).

VII.  Les questions préliminaires

A.  Adjudication des dépens dans l’ordonnance du 13 décembre 2018 de la protonotaire Tabib

[22]  Le 13 décembre 2018, la protonotaire Tabib a rejeté avec dépens une requête présentée par M. Cadostin, en vertu de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98106 (les Règles), en vue d’obtenir des documents supplémentaires de la Commission. M. Cadostin demande à la Cour d’annuler l’adjudication des dépens pour des raisons qui concernent l’importance des documents demandés.

[23]  M. Cadostin n’a pas exercé son droit d’interjeter appel de l’ordonnance rendue le 13 décembre 2018 par la protonotaire Tabib dans le délai de 10 jours prévu au paragraphe 51(2) des Règles. La présente demande n’est pas la procédure appropriée pour présenter des arguments de fond au sujet de l’ordonnance, et la Cour n’examinera pas la demande de M. Cadostin d’annuler l’adjudication des dépens.

B.  Admissibilité de l’affidavit et des nouveaux éléments de preuve de M. Cadostin

[24]  L’admissibilité des éléments de preuve présentés par M. Cadostin à l’appui de ses arguments a fait l’objet d’une longue discussion au début de l’audition de la présente demande, le 29 avril 2019. Par conséquent, avant de passer à mon analyse sur le fond des questions soulevées par M. Cadostin, je me prononcerai sur l’admissibilité : a) de l’affidavit de M. Cadostin daté du 21 novembre 2018; b) des pièces et de la bande audio jointes au mémoire des faits et du droit de M. Cadostin ou mentionnées dans celui‑ci; et c) le témoignage que M. Cadostin a présenté à la Cour le 23 avril 2019.

(a)  Affidavit de M. Cadostin

[25]  Le défendeur soutient que de grandes parties de l’affidavit de M. Cadostin sont inadmissibles et qu’il convient de les radier parce qu’elles contiennent des opinions et des arguments juridiques, ce qui va à l’encontre du paragraphe 81(1) des Règles. Le défendeur renvoie à cet égard aux paragraphes 6 à 8, 12, 16, 18, 23, 24 et 26 à 46 de l’affidavit.

[26]  J’ai examiné l’affidavit de M. Cadostin et je souscris pour l’essentiel à la description que le défendeur a faite de son contenu. L’objet d’un affidavit est de présenter à la Cour les faits se rapportant au litige. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47 (par 18), la CAF a déclaré qu’un tribunal peut radier des affidavits ou des parties de ceux‑ci lorsqu’ils sont abusifs ou qu’ils n’ont clairement aucune pertinence ou « lorsqu’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit ». Les paragraphes relevés par le défendeur contiennent les opinions, les arguments et les conclusions de droit de M. Cadostin sur les questions dont je suis saisie et ils n’ont donc pas leur place dans l’affidavit. Étant donné que M. Cadostin n’est pas représenté par avocat, et afin d’assurer le déroulement efficace de l’instance, je ne vais pas supprimer les paragraphes en question, mais j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire et n’accorderai aucun poids aux arguments et aux opinions qu’ils contiennent (AbiMansour c Canada (Procureur général), 2015 CF 882, par 30).

[27]  Je souligne que M. Cadostin a présenté des arguments similaires dans son mémoire, et je suis certaine que sa position sur les points en litige a été adéquatement communiquée à la Cour.

(b)  Pièces jointes au mémoire de M. Cadostin et bande audio

[28]  M. Cadostin a joint plus de 80 pièces à son mémoire et a demandé l’admission d’une bande audio de ses entrevues avec l’enquêteuse. Le défendeur soutient que ces documents sont inadmissibles parce qu’ils n’ont pas été présentés à la Cour au moyen d’un affidavit. De plus, la Commission n’avait pas accès à la plupart des pièces en question au moment de rendre sa décision. Le défendeur soutient que l’admission des pièces serait préjudiciable, puisqu’il n’a pas eu la possibilité de contre‑interroger M. Cadostin relativement aux documents ni de confirmer l’authenticité de l’enregistrement audio.

[29]  À l’audience, le défendeur a présenté un tableau contenant une liste détaillée des pièces auxquelles il s’est opposé, des pièces figurant déjà au dossier du défendeur sous forme d’extraits du dossier certifié du tribunal (DCT) — qui, par conséquent, peuvent être examinées par la Cour — et des pièces (lois et règlements) auxquelles il ne s’est pas opposé. J’ai vérifié de façon indépendante l’exactitude de la liste du défendeur.

[30]  La preuve contenue dans les pièces que M. Cadostin a dûment présentées à la Cour et qui font partie du DCT sera examinée par la Cour. Je remarque qu’un certain nombre de pièces sont considérées par M. Cadostin comme étant essentielles pour sa preuve.

[31]  Les pièces contenant les lois et règlements sur lesquels s’appuie M. Cadostin sont admissibles et seront également examinées par la Cour, au besoin.

[32]  La preuve contenue dans les autres pièces n’est pas admissible et ne sera pas examinée par la Cour pour les motifs qui suivent. Premièrement, le fait que les documents en question n’ont pas été présentés à la Cour au moyen d’un affidavit pose un problème important puisque la capacité du défendeur de contre‑interroger M. Cadostin sur les documents s’en trouve atteinte (Kahnapace c Canada (Procureur général), 2010 CAF 70, par 4).

[33]  Deuxièmement, les pièces n’ont pas été présentées à la Commission et, dans certains cas, elles sont postérieures à la décision. La règle générale veut que le contrôle judiciaire soit uniquement fondé sur les documents dont disposait le décideur, sous réserve d’exceptions limitées (Association des collèges et universités du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, par 19 et 20, et Rahman c Canada (Procureur général), 2013 CF 1007, par 27). Ces exceptions s’appliquent aux documents supplémentaires qui : a) contiennent des informations générales; b) font état d’un manquement à l’équité procédurale; ou c) font ressortir l’insuffisance de la preuve présentée au décideur. Les pièces présentées par M. Cadostin ne sont pas visées par les exceptions à la règle générale. Même si, dans la présente demande, M. Cadostin a soulevé une question d’équité procédurale, les pièces ne lui sont pas d’une grande aide, car son argument procédural porte sur la conduite de l’enquête en tant que telle. Le préjudice causé au défendeur et le fait que la Commission ne disposait pas des éléments de preuve l’emportent sur tout autre avantage que la Cour pourrait tirer de l’admission des pièces.

[34]  Je vais maintenant passer à l’enregistrement audio. M. Cadostin affirme que la bande audio contient l’enregistrement fait par l’enquêteuse de ses entrevues avec lui dans le cadre de l’enquête. Il allègue que l’enregistrement audio lui a été envoyé bien après la fin de l’enquête. Il soutient que la superviseure de l’enquêteuse, Mme Geneviève Lacroix, a menti dans son affidavit au sujet de la date à laquelle la bande audio lui avait été promise et de la mesure dans laquelle le contenu de la bande sonore a servi au moment de rédiger le rapport.

[35]  J’estime que les arguments de M. Cadostin ne sont pas convaincants et je confirme la décision de ne pas admettre l’enregistrement audio qui a été rendue à l’audience. Outre que l’enregistrement audio n’a pas été présenté à la Cour au moyen d’un affidavit, je tire les conclusions qui suivent. Premièrement, la Commission n’avait pas accès à l’enregistrement audio au moment de rendre sa décision. Deuxièmement, l’information contenue dans l’affidavit de Mme Lacroix est conforme aux observations de M. Cadostin, ce dernier ayant reçu la bande audio complète (qui concerne la présente affaire) au terme de l’enquête, conformément à la pratique de la Commission. L’enquêteuse a utilisé l’enregistrement audio pour résumer ses conclusions en vue de produire le rapport, mais, comme je l’ai mentionné ci‑dessus, l’enregistrement audio lui‑même n’a pas été présenté à la Commission. Troisièmement, M. Cadostin n’a subi aucun préjudice en raison du fait qu’il a reçu l’enregistrement audio de ses entrevues une fois l’enquête terminée. Il a pu utiliser la bande audio pour se remémorer les entrevues et préparer ses observations à l’intention de la Cour, notamment que l’enquêteuse a déformé ses déclarations à l’entrevue. L’argument de M. Cadostin – que la communication tardive de l’enregistrement audio avait nui à sa capacité de réagir au rapport – n’a rien à voir avec l’admission de l’enregistrement audio en l’espèce.

[36]  Les arguments avancés par M. Cadostin en vue de faire admettre l’enregistrement audio tournaient autour de la question de savoir si on avait promis de lui remettre immédiatement une copie de l’enregistrement. J’ai examiné ces arguments au regard des allégations de M. Cadostin selon qui il y aurait eu manquement à l’équité procédurale dans le processus de la Commission.

(c)  Documents du 23 avril 2019

[37]  Le 23 avril 2019, M. Cadostin a comparu devant la Cour et a tenté de déposer plusieurs autres pièces à titre de nouveaux éléments de preuve. Il s’agit principalement de courriels relatifs aux deux processus de nomination de la fonction publique auxquels M. Cadostin a participé et à la deuxième décision, de courriels datés et non datés provenant des recommandataires de M. Cadostin et de documents de nature politique et législative.

[38]  Je conclus que les pièces déposées le 23 avril 2019 sont irrecevables. Ces pièces n’étaient pas accompagnées d’un affidavit et elles ont été déposées immédiatement avant l’audience, ce qui a accru le risque de préjudice du défendeur. Certaines pièces concernent l’enquête distincte de la Commission dont M. Cadostin a fait l’objet et la deuxième décision et elles sont irrecevables pour cette seule raison. De plus, il semble que la majorité des pièces n’aient pas été présentées à la Commission. Selon moi, aucune des exceptions à la règle générale selon laquelle la Cour doit s’appuyer uniquement sur les documents dont disposait le décideur ne s’applique aux pièces en question.

VIII.  La portée du contrôle judiciaire

[39]  Les observations formulées par M. Cadostin, dans son mémoire et en ma présence, étaient sincères. Il croit vraiment n’avoir commis aucune faute en fournissant des références à l’occasion du processus de nomination de SPAC et il estime que la Commission et son personnel ont fondamentalement et délibérément mal compris et déformé ses actions. Il soutient qu’aucune enquête n’aurait dû être menée. Il demande non seulement que la décision et les mesures correctives soient annulées, mais aussi que son nom soit inscrit au répertoire des candidats au poste AS‑04 de SPAC, que la Commission rétablisse sa réputation, que l’enquête sur son poste au sein de RCAAN soit abandonnée et qu’il soit indemnisé pour le stress qu’il a subi et le tort qui a été causé à sa carrière.

[40]  Au début de l’audience, j’ai bien expliqué à M. Cadostin la nature et la portée de mon rôle dans le contrôle judiciaire de la décision. La présente demande vise essentiellement à ce que la Cour examine la décision à la lumière des éléments de preuve dont disposait la Commission. Le présent jugement porte uniquement sur la première enquête de la Commission et sur la décision du 19 juin 2018, ne concerne aucunement la deuxième enquête et la deuxième décision et n’a aucune incidence sur celles‑ci. Dans le même ordre d’idées, les plaintes de M. Cadostin concernant le harcèlement et le défaut de prendre des mesures d’adaptation ne sont pas visées par la présente demande, et je n’en tiendrai compte que dans la mesure où elles sont pertinentes pour mon évaluation du caractère raisonnable des conclusions de fait de l’enquêteuse.

IX.  Les dispositions législatives

[41]  La Commission est chargée de protéger l’intégrité du processus de dotation et de veiller au respect du principe du mérite au sein de la fonction publique fédérale, conformément au préambule et au paragraphe 30(1) de la LEFP. L’article 69 de la LEFP permet à la Commission de mener une enquête sur une fraude qui pourrait avoir été commise dans un processus de nomination, de révoquer une nomination et de prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées lorsqu’elle est convaincue de l’existence de la fraude :

Fraude

Fraud

69 La Commission peut mener une enquête si elle a des motifs de croire qu’il pourrait y avoir eu fraude dans le processus de nomination; si elle est convaincue de l’existence de la fraude, elle peut :

69 If it has reason to believe that fraud may have occurred in an appointment process, the Commission may investigate the appointment process and, if it is satisfied that fraud has occurred, the Commission may

a) révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination, selon le cas;

(a) revoke the appointment or not make the appointment, as the case may be; and

b) prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

(b) take any corrective action that it considers appropriate.

X.  Analyse

A.  La décision relevait‑elle de la compétence de la Commission?

(1)  Observations des parties

[42]  M. Cadostin soutient que la Commission n’avait pas compétence pour mener l’enquête et qu’il a été pris de court par l’enquête après s’être retiré du concours, ce qu’il affirme avoir été forcé de faire lorsque SPAC l’a menacé de communiquer avec M. De Luca. M. Cadostin soutient que le processus de nomination a pris fin au moment où son retrait a été accepté, et que l’ouverture de l’enquête était inappropriée et constituait une forme de représailles. Dans son mémoire, M. Cadostin a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Comme cela a déjà été expliqué, une fois le retrait accepté, le processus est terminé. Ils ne peuvent donc pas demander la tenue d’une enquête après m’avoir forcé à me retirer et avoir accepté mon retrait. Par conséquent, il faut annuler la décision abusive qui a été prise contre moi, car le processus a été injuste et terriblement mal géré.

[43]  Le défendeur soutient que la Commission a compétence pour mener une enquête pour fraude lorsqu’un candidat se retire d’un concours ou qu’il n’est pas retenu (Seck, par 43 à 47). Le pouvoir d’enquête de la Commission vise à assurer l’intégrité globale du processus de nomination et non seulement du résultat du processus. Le fait que M. Cadostin n’a pas été nommé au poste AS‑04 n’a pas d’incidence sur le pouvoir d’enquête de la Commission.

(2)  Analyse

[44]  La CAF aborde directement cette question dans l’arrêt Seck, déclarant qu’il n’est pas nécessaire qu’une nomination découle des actes frauduleux allégués pour qu’il y ait fraude au sens de l’article 69 de la LEFP (Seck, par 43). L’article 69 est rédigé de façon générale afin de protéger l’intégrité du processus de nomination en tant que tel. La Cour a souligné l’importance des références en bonne et due forme dans le processus de nomination fédéral, déclarant que « [l]e fait de fournir de fausses recommandations met en péril le processus de nomination; même si l’auteur de la fraude n’obtient pas la nomination, les éléments constitutifs de la fraude sont néanmoins établis » (Seck, par 42).

[45]  La CAF a fait une distinction entre l’article 69 et les autres dispositions de la LEFP, qui, pour leur part, exigent une nomination — réelle ou proposée — pour que des mesures correctives puissent être prises, comme le paragraphe 15(3) et les articles 66, 67 et 68 de la LEFP. L’article 69 n’est pas assujetti à une telle exigence (Seck, par 45 et 46) :

[45]  En vertu de toutes ces dispositions, il doit y avoir une nomination, réelle ou proposée, en cause pour que l’administrateur ou la Commission puisse intervenir. Cependant, cette exigence n’a pas été ajoutée à l’article 69, qui porte sur la fraude. Il s’agit là manifestement d’un choix délibéré du législateur. Ainsi, en vertu de l’article 69, la Commission « peut mener une enquête si elle a des motifs de croire qu’il pourrait y avoir eu fraude dans le processus de nomination ». Contrairement au paragraphe 15(3) et aux articles 66, 67 et 68 de la Loi, l’article 69 n’exige pas qu’il y ait une nomination, réelle ou proposée, en cause pour qu’il y ait une enquête et des mesures correctives. Cet article vise le processus de nomination en soi, et non seulement le résultat qui en découle.

[46]  Le législateur cherche donc à assurer la probité du processus de nomination à la fonction publique fédérale. L’absence de fraude lors du processus de nomination est donc une valeur fondamentale que le législateur cherche à défendre par les articles 69 et 133 de la Loi. La Commission peut donc mener une enquête et prendre des mesures correctives lorsqu’il y a fraude dans le processus de nomination, que cette fraude ait mené ou non à une nomination frauduleuse.

[46]  Je conclus que, malgré le retrait de M. Cadostin du processus de nomination, la Commission avait toujours le pouvoir d’entreprendre et de conclure une enquête pour fraude en vertu de l’article 69 de la LEFP et d’imposer des mesures correctives. Je n’accepte pas les allégations d’abus de pouvoir et de représailles de M. Cadostin. La Commission a agi conformément à son mandat de surveillance, et rien au dossier ne permet de conclure que sa décision de mener l’enquête était motivée par un parti pris ou une vendetta contre M. Cadostin.

B.  Le processus de la Commission étaitil équitable sur le plan de la procédure?

(1)  Observations des parties

[47]  M. Cadostin soutient que ses droits à l’équité procédurale ont été violés au cours de l’enquête de la Commission. Il affirme qu’il était inapproprié pour l’enquêteuse de communiquer avec M. De Luca, ce qui a eu pour effet d’accroître le harcèlement dont il était victime. M. Cadostin soutient également que l’enquêteuse a refusé de lui fournir des renseignements sur l’enquête et qu’elle lui a seulement transmis l’enregistrement audio de ses entrevues une fois l’enquête terminée. M. Cadostin allègue que l’enquêteuse avait un parti pris en faveur de ses gestionnaires et qu’elle a caché leur inconduite tout en ne lui accordant aucun respect. De façon générale, il soutient que le processus d’enquête a été injuste et très mal géré.

[48]  Dans son mémoire, M. Cadostin allègue avoir été victime de racisme et de discrimination durant l’enquête, ce qui a joué dans la décision défavorable. Toutefois, à l’audience, M. Cadostin a déclaré que ses allégations liées à la Charte n’étaient pas fondées sur la race, mais plutôt sur la nature injuste de l’enquête.

[49]  Pour sa part, le défendeur soutient que le processus de la Commission était conforme à la jurisprudence concernant les enquêtes pour fraude, qui exigent un niveau assez élevé d’équité procédurale (Seck, précitée, Dayfallah, précitée, et Lemelin c Canada (Procureur général), 2018 CF 286 (Lemelin)). Il fait valoir que M. Cadostin a été informé des faits qui lui étaient reprochés et qu’il a participé équitablement à l’enquête : la Commission l’a informé de son intention de mener une enquête sur les allégations de fraude, il a été interrogé deux fois et il a eu l’occasion de fournir des commentaires et de présenter des observations sur le rapport factuel, le rapport et les mesures correctives proposées. Le défendeur affirme que [traduction] « ces mesures reflètent presque en tous points le processus dont la jurisprudence a confirmé à maintes reprises le caractère équitable sur le plan de la procédure ».

(2)  Analyse

[50]  J’estime que, dans le cadre de son enquête, la Commission n’a pas porté atteinte aux droits à l’équité procédurale de M. Cadostin. Le processus adopté par l’enquêteuse et la Commission était conforme aux exigences procédurales établies par la CAF et la Cour relativement aux enquêtes sur de possibles fraudes en vertu de l’article 69 de la LEFP.

[51]  Je reviens à l’arrêt Seck de la CAF, qui porte sur une allégation de fraude relevant de l’article 69 de la LEFP et reposant sur la présentation de lettres de recommandation frauduleuses. La Cour a expliqué le processus à suivre pour mener une enquête en vertu de l’article 69, affirmant que le devoir d’équité procédurale qui incombe à l’enquêteur qui enquête sur la conduite frauduleuse d’une personne est exigeant, et ce, même si les conclusions d’une telle enquête mènent à des mesures correctives qui ne peuvent être ni des mesures disciplinaires ni des mesures pénales (Seck, par 57). La CAF a souligné ce qui suit (Seck, par 60 à 62) :

  • - la personne doit être informée dès le début de la tenue de l’enquête et des raisons de l’enquête. Si la personne n’est pas en possession des éléments de preuve à l’origine de l’enquête, la Commission doit les lui fournir;

  • - la personne doit avoir l’occasion de présenter sa version des événements dans le cadre de l’enquête;

  • - la personne doit recevoir le rapport factuel provisoire et avoir l’occasion de le commenter, tout comme elle doit recevoir une copie du rapport d’enquête final et avoir l’occasion de le commenter et de commenter les mesures correctives proposées.

[52]  Dans la décision Dayfallah, mon collègue, le juge Brown, a déclaré ce qui suit (par 45) :

[45]  Je conviens avec le demandeur que cette affaire soulève une question d’équité procédurale. Par conséquent, la norme de contrôle est celle de la décision correcte et il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue dans ces circonstances. Je conviens également que le processus décisionnel visant à démettre un employé de ses fonctions, ou à révoquer sa nomination au poste qu’il occupe, requiert un degré élevé d’équité procédurale : Lemelin au paragraphe 43. Les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada, ont confirmé que l’équité procédurale exige : (1) que la Commission informe la personne qui fait l’objet de l’enquête de la teneur de la preuve recueillie par l’enquêteur et produite devant la Commission; (2) que la personne ait la possibilité de répondre à cette preuve et de formuler toutes les observations pertinentes relativement à celle‑ci.

[53]  En l’espèce, M. Cadostin a été informé, par lettre en date du 28 novembre 2017, qu’une enquête sur sa conduite dans le cadre du processus de nomination au poste AS‑04 serait menée, car il était soupçonné d’avoir fourni de fausses lettres de recommandation. Il était en possession des éléments de preuve pertinents dès le début, puisqu’il a admis au cours de l’enquête avoir rempli les formulaires de recommandation au nom des trois recommandataires. La lettre de la Commission précisait que l’enquête serait fondée sur l’article 69 de la LEFP, que l’enquêteuse communiquerait avec lui et qu’il avait le droit d’être accompagné par une personne de son choix tout au long de l’enquête. Par conséquent, M. Cadostin connaissait parfaitement les raisons de l’enquête. Il a été interrogé deux fois : une première fois au début de l’enquête et une autre après avoir formulé des commentaires sur le rapport. Cette dernière entrevue visait à évaluer les nouveaux éléments de preuve mentionnés dans ses commentaires. Il a également eu l’occasion de formuler des commentaires et des observations sur le rapport factuel et le rapport, et la Commission a examiné et pris en considération les commentaires et observations en question.

[54]  M. Cadostin s’appuie sur le fait que l’enquêteuse aurait tardé à lui fournir une copie de l’enregistrement audio de ses entrevues pour affirmer qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, et invoque notamment l’obligation de divulgation qui incombe à la Couronne dans les affaires criminelles (R c Stinchcombe, [1991] 3 RCS 326). La preuve présentée à la Cour — l’affidavit de Mme Lacroix — révèle que, à cet égard, l’enquêteuse a suivi le processus normalisé de la Commission. La Commission ne fournit aucun enregistrement d’entrevue au cours d’une enquête afin de prévenir les fuites et de protéger le processus d’enquête. M. Cadostin s’oppose à ce processus, déclarant qu’il aurait été utile pour lui d’avoir accès à l’enregistrement pendant qu’il préparait ses commentaires sur le rapport.

[55]  La Cour a déclaré qu’un enquêteur n’est pas tenu de fournir à la personne visée par une enquête le compte‑rendu des témoignages recueillis dans le cadre de l’enquête, et ce, même si la personne lui demande (Lemelin, par 46). En l’espèce, M. Cadostin a demandé le compte‑rendu de son propre témoignage. Il était présent aux deux entrevues et connaissait le contenu des déclarations qu’il avait fait à l’enquêteuse. Le fait que l’enregistrement aurait pu lui rafraîchir la mémoire ne suffit pas à établir un manquement à l’équité procédurale. M. Cadostin a reçu l’enregistrement à la fin de l’enquête, conformément à la pratique de la Commission, et il en a bénéficié pendant la préparation de ses observations à l’intention de la Cour.

[56]  M. Cadostin formule aussi des allégations de violation de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21 (LPRP), à l’appui de ses observations concernant le manquement à l’équité procédurale. Il allègue que l’enquêteuse a enfreint la LPRP en envoyant ses renseignements personnels à M. De Luca sous forme de rapport factuel partiel. Je ne suis pas d’accord. Le rapport factuel a été préparé dans le cadre d’un processus d’enquête prévu par la LEFP. La partie du rapport factuel qui a été transmise à M. De Luca contenait le résumé de l’entrevue de ce dernier, et c’est à juste titre que l’enquêteuse lui a envoyée en vue d’obtenir ses commentaires et de s’assurer de son exactitude. La LPRP n’interdit pas une telle pratique.

[57]  M. Cadostin fait également référence aux alinéas 12(2)a) et 12(2)b) de la LPRP et du défaut allégué de l’enquêteuse et de la Commission d’apporter des corrections à ses renseignements personnels, et ce, malgré ses nombreuses demandes en ce sens. Les alinéas 12(2)a) et 12(2)b) permettent à toute personne de demander la correction de ses renseignements personnels contenus dans les dossiers du gouvernement fédéral. Dans la mesure où M. Cadostin soutient qu’il y a des erreurs dans les dossiers du gouvernement concernant ses renseignements personnels, son recours se trouve dans la LPRP elle‑même. S’il soutient que l’enquêteuse et la Commission ont violé la LPRP en n’acceptant pas ses commentaires et en ne modifiant pas le rapport en conséquence, il a tort de s’appuyer sur la LPRP. La décision de ne pas accepter ses commentaires relevait du pouvoir discrétionnaire de la Commission, et le recours qui s’offre à M. Cadostin — grâce à la présente demande — consiste à contester le caractère raisonnable de la décision.

[58]  M. Cadostin s’appuie sur la décision Samatar c Canada (Procureur général), 2012 CF 1263 (Samatar) de la Cour. Mme Samatar avait agi à titre de recommandataire pour Mme Seck, l’appelante dans l’arrêt Seck de la CAF, et elle a elle‑même été accusée de fraude pour ensuite faire l’objet d’une enquête en vertu de l’article 69 de la LEFP. Mon collègue, le juge Martineau, a conclu que la façon dont la Commission avait mené l’enquête avait entraîné de graves violations des droits à l’équité procédurale de Mme Samatar. Il a souligné que, au début de l’enquête, Mme Samatar n’avait pas été informée de la nature des allégations ou de la preuve qui pesaient contre elle personnellement. Avant son entrevue, elle s’était seulement fait dire que l’entrevue allait porter sur la candidature de Mme Seck. De plus, Mme Samatar n’a pas eu l’occasion de formuler des commentaires sur les nouveaux éléments de preuve présentés tardivement pendant l’enquête ni sur le rapport final présenté à la Commission.

[59]  La décision Samatar confirme l’importance de l’équité procédurale dans les enquêtes pour fraude menées par la Commission en vertu de l’article 69 de la LEFP. En l’espèce, le traitement réservé à M. Cadostin a été très différent de celui accordé à Mme Samatar. Le processus de la Commission ne présente pas les graves lacunes procédurales relevées par le juge Martineau dans la décision Samatar. Par conséquent, cette décision ne change en rien ma conclusion que l’enquêteuse et la Commission n’ont pas porté atteinte au droit de M. Cadostin à une enquête équitable sur le plan de la procédure.

C.  La décision rendue et les mesures prises sont‑elles raisonnables et, dans la négative, quelle mesure de redressement convient‑il d’accorder à M. Cadostin?

(1)  Observations des parties

[60]  M. Cadostin soutient que la décision de la Commission d’accepter le rapport et d’ordonner la prise des mesures correctives était déraisonnable. Il affirme que l’enquêteuse et la Commission n’ont pas tenu compte des éléments de preuve qui prouvaient son innocence et qu’elles ont déformé les faits. En outre, il affirme que l’enquêteuse a caché des faits et dit des choses mensongères dans le rapport. M. Cadostin soutient que, tout au long du processus d’enquête, ses droits ont été bafoués et que ses plaintes de harcèlement, de racisme et d’abus de pouvoir ont été ignorées. Plus précisément, M. Cadostin a déclaré ce qui suit :

[traduction]

  • La Commission et l’enquêteuse n’ont pas tenu compte des éléments de preuve qui démontraient que ses lettres de recommandation n’étaient pas frauduleuses et qu’il avait été un bon employé tout au long de sa carrière. M. Cadostin s’appuie sur les courriels de confirmation que ses recommandataires lui ont fournis et qu’il a transmis à l’enquêteuse. Il soutient qu’il est évident que les lettres de recommandation n’étaient pas fausses et que les recommandataires en question ont approuvé le contenu de chacun des documents de recommandation qu’il a fournis.
  • La Commission et l’enquêteuse n’ont pas tenu compte des éléments de preuve selon lesquels M. De Luca le harcelait. M. Cadostin affirme que SPAC a fait fi du harcèlement et n’a pas pris de mesures d’adaptation à son égard. En outre, il soutient que l’enquêteuse n’aurait pas dû communiquer avec M. De Luca. Une telle décision constituait un abus de pouvoir, car, selon lui, il n’était pas tenu de donner le nom de son superviseur à titre de recommandataire dans le cadre du processus de nomination.
  • La Commission n’a pas tenu compte des commentaires détaillés qu’il a formulés après l’examen du rapport.

[61]  Le défendeur soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle M. Cadostin a commis une fraude était justifiée, transparente et intelligible et que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. La Commission a examiné le rapport et les commentaires de M. Cadostin pour ensuite prendre ses propres décisions quant à la crédibilité et tirer ses propres conclusions de fait, le tout commandant une grande retenue lors d’un contrôle judiciaire. Le défendeur affirme que, pour les besoins de l’article 69 de la LEFP, la fraude comporte deux éléments : la malhonnêteté et la privation. Il soutient que la décision de l’enquêteuse quant au comportement malhonnête de M. Cadostin était fondée. La décision en question a été rendue au terme d’une enquête rigoureuse et après la prise en considération des commentaires de M. Cadostin en réponse au rapport factuel. En ce qui concerne la privation, la conclusion de l’enquêteuse était également raisonnable, car le processus de nomination aurait pu être compromis si SPAC s’était fié aux lettres de recommandation frauduleuses.

(2)  Analyse

[62]  J’estime que la décision est raisonnable. L’enquêteuse a mené une enquête approfondie, a interviewé M. Cadostin à deux reprises et a dans son rapport expliqué en détail les raisons pour lesquelles elle a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité, s’agissant de la malhonnêteté dont M. Cadostin a fait preuve en fournissant ses références. L’enquêteuse a formulé des conclusions intelligibles et transparentes, qu’elle a tirées en fonction du critère à deux volets de la CAF permettant de déterminer s’il y a fraude au sens de l’article 69 de la LEFP. Le rapport présenté à la Commission était accompagné des commentaires de M. Cadostin. La Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en acceptant le rapport sans modification et en concluant, selon la prépondérance des probabilités, que M. Cadostin avait commis une fraude au sens de l’article 69 dans le cadre du processus de nomination de SPAC. De plus, j’ai examiné le DCT et le rapport, et je n’y ai trouvé aucune preuve de comportement malveillant ou de dissimulation de faits par l’enquêteuse, ni aucune preuve que la Commission aurait écarté des documents susceptibles d’exonérer M. Cadostin.

[63]  Dans l’arrêt Seck, la CAF a examiné de manière exhaustive la portée de l’article 69 de la LEFP. Elle a adopté la définition de fraude applicable en droit criminel, soulignant cependant que la norme de preuve qui s’impose dans le contexte de l’article 69 est celle de la prépondérance des probabilités (Seck, par 38). Elle a déclaré que la fraude comporte deux éléments essentiels : 1) la malhonnêteté, qui peut comprendre la non‑divulgation de faits importants; et 2) la privation (Seck, par 39). La CAF a décrit la malhonnêteté comme suit (Seck, par 40) :

[40] La malhonnêteté est établie lorsqu’on a sciemment employé la supercherie, le mensonge ou un autre moyen dolosif dans le cadre d’une procédure de nomination, ce qui peut également comprendre la non‑divulgation ou la dissimulation de faits importants dans des circonstances où elle serait considérée comme malhonnête par une personne raisonnable.

[64]  En ce qui concerne la privation, la CAF a déclaré qu’il suffit d’établir que le processus de nomination aurait pu être compromis. La Commission n’est pas tenue de prouver que le processus a réellement été compromis ou que l’on y a porté atteinte (Seck, par 41).

(a)  Malhonnêteté

[65]  La conclusion de l’enquêteuse selon laquelle M. Cadostin a agi de façon malhonnête dans le cadre du processus de nomination de SPAC reposait sur deux conclusions de conduite malhonnête : 1) des conclusions défavorables quant à la crédibilité des explications de M. Cadostin concernant son refus de donner le nom de M. De Luca à titre de recommandataire; et 2) une série de conclusions de fait défavorables concernant les trois recommandataires indépendants.

[66]  Le témoignage de M. Cadostin concernant M. De Luca a changé au cours de l’enquête. Durant la première entrevue, M. Cadostin a déclaré qu’il entretenait une bonne relation avec M. De Luca, mais que ce dernier était en congé de maladie et ne voulait pas qu’il quitte son poste actuel. Confronté au témoignage différent de M. De Luca, M. Cadostin a changé son récit et formulé des allégations de discrimination et de harcèlement contre M. De Luca. L’enquêteuse a examiné les allégations de harcèlement de M. Cadostin, mais a conclu que la nouvelle explication de sa réticence à nommer M. De Luca comme recommandataire n’était pas crédible. Elle a conclu que, en fait, M. Cadostin n’avait pas inclus M. De Luca parmi ses recommandataires par crainte que ce dernier fournisse une recommandation défavorable, et qu’il avait donné au Comité de faux renseignements concernant son superviseur dans le cadre du processus de nomination. Je conclus que la conclusion de l’enquêteuse est étayée par la preuve.

[67]  M. Cadostin soutient que l’entrevue de l’enquêteuse avec M. De Luca constituait un abus de pouvoir et était déraisonnable, mais je ne suis pas d’accord. L’enquêteuse a communiqué avec M. De Luca pour s’assurer de sa capacité et de sa volonté d’agir comme recommandataire pour M. Cadostin. Le témoignage de M. De Luca était directement lié à l’enquête et à l’évaluation par l’enquêteuse de la conduite de M. Cadostin pendant le processus de nomination. Le dossier ne contient aucun élément de preuve selon lequel l’enquêteuse aurait communiqué avec M. De Luca pour une raison autre que la tenue d’une enquête approfondie.

[68]  L’enquêteuse a tiré un certain nombre de conclusions de fait qui remettaient en question l’authenticité des trois lettres de recommandation présentées par M. Cadostin. J’ai énoncé ces conclusions en détail au paragraphe 14 du présent jugement. Brièvement, les formulaires de recommandation contenaient des similitudes préoccupantes malgré le fait que les professionnels les ayant remplis étaient prétendument des recommandataires indépendants. En outre, les trois recommandataires n’avaient pas fourni leurs coordonnées, une information essentielle qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à trouver dans une lettre de recommandation. Les trois personnes en question ont ensuite refusé de collaborer avec l’enquêteuse qui tentait d’obtenir de plus amples renseignements, un comportement incompatible avec la conduite de recommandataires volontaires. De plus, M. Cadostin a d’abord déclaré n’avoir pas participé à la rédaction ni à la révision des formulaires de recommandation, mais les propriétés d’identification informatique des formulaires remplis et du document Word que M. Cadostin avait préparé pour l’enquêteuse révélaient que ces documents avaient tous été modifiés pour la dernière fois par la même personne. M. Cadostin a ensuite reconnu avoir rempli les formulaires, précisant cependant que ses recommandataires en avaient approuvé le contenu. Enfin, même si M. Cadostin a fourni des copies des courriels que les recommandataires auraient envoyés pour confirmer qu’ils avaient approuvé les lettres de recommandation, il n’a pas été en mesure de fournir à l’enquêteuse les courriels originaux.

[69]  L’enquêteuse a tenu compte de l’ensemble de la preuve concernant les recommandataires, y compris le témoignage incohérent de M. Cadostin quant à sa participation à la rédaction des formulaires et les éléments de preuve documentaire qui laissent croire qu’il était l’auteur des lettres de recommandation. La conclusion tirée par l’enquêteuse dans le rapport, à savoir que M. Cadostin a agi de façon malhonnête en fournissant ses lettres de recommandation, était justifiée.

[70]  M. Cadostin affirme que les copies des courriels de confirmation qu’il a fournies à l’enquêteuse ont prouvé son innocence et que l’enquêteuse et la Commission n’en ont pas tenu compte. Je conclus que cette allégation n’est pas compatible avec la preuve au dossier. De toute évidence, la Commission a eu accès aux courriels et aux observations de M. Cadostin quant à leur importance.

[71]  Les courriels sont problématiques pour deux raisons : premièrement, ils contredisent le témoignage initial de M. Cadostin selon lequel il n’a pas participé à la préparation des formulaires de recommandation; et deuxièmement, les documents qu’il a fournis n’étaient pas des courriels originaux, et l’enquêteuse n’a pas pu en confirmer l’authenticité. Compte tenu de ces préoccupations et des autres éléments de preuve dont disposait l’enquêteuse, il n’était pas déraisonnable pour elle de conclure que les courriels n’étaient pas suffisants pour établir l’innocence de M. Cadostin.

[72]  M. Cadostin soutient que la Commission n’a pas tenu compte des nombreux commentaires qu’il a formulés après avoir examiné le rapport. Cependant, dans sa décision, la Commission a déclaré avoir tenu compte de tous les commentaires reçus, concluant tout de même que les nouveaux renseignements ne justifiaient pas de modifier le rapport. M. Cadostin rejette la conclusion de la Commission, mais cela ne signifie pas que la Commission n’a pas tenu compte de ses commentaires.

[73]  Pour les besoins de l’article 69 de la LEFP, la malhonnêteté peut s’entendre de la non‑divulgation ou de la dissimulation de faits importants. L’enquêteuse a conclu que M. Cadostin a agi de façon malhonnête en dissimulant la raison pour laquelle il refusait que M. De Luca fasse partie de ses recommandataires. Il a également induit le Comité et l’enquêteuse en erreur quant au fait qu’il avait rempli les trois formulaires de recommandation. J’estime que la conclusion de l’enquêteuse selon laquelle la preuve a établi, selon la prépondérance des probabilités, la malhonnêteté de M. Cadostin était transparente et justifiable et appartenait aux issues possibles de l’espèce.

[74]  M. Cadostin demande essentiellement à la Cour d’évaluer de nouveau les éléments de preuve examinés par la Commission et de substituer ses propres constatations de fait et conclusions à celles de la Commission. Ce n’est pas là le rôle de la Cour dans un contrôle judiciaire (Seck, par 66) :

[66]  L’appelante invite la Cour à analyser à nouveau ces courriels afin d’en tirer ses propres conclusions sur les faits. Ce n’est pas le rôle d’une cour de révision. Dans ce cas‑ci, le rôle de la juge sur cette question se limitait à déterminer si les conclusions que la Commission a tirées de la preuve appartenaient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits constatés au cours de l’enquête. Vu la preuve au dossier et le caractère sensé des conclusions qu’en a tirées la Commission, la juge n’a pas commis d’erreur révisable en décidant que ces conclusions étaient raisonnables.

[75]  M. Cadostin s’appuie sur l’arrêt Canada (Procureur général) c Shakov, 2017 CAF 250 de la CAF. Cet arrêt est d’une pertinence limitée relativement à la position de M. Cadostin puisque, dans l’affaire en question, l’enquête portait sur l’article 66 de la LEFP, et non sur l’article 69. La CAF s’est concentrée non pas sur les allégations de fraude, mais plutôt sur le déroulement d’un processus de nomination externe et le profil linguistique associé au poste en question.

(b)  Privation

[76]  Le deuxième élément d’une fraude dans le contexte de l’article 69 de la LEFP est la privation ou le risque de privation. L’enquêteuse a conclu que le processus de nomination de SPAC aurait pu être compromis par les fausses lettres de recommandation de M. Cadostin. Si SPAC n’avait pas examiné rigoureusement ces lettres de recommandation et demandé à la Commission de mener une enquête, le résultat du processus aurait pu être compromis (Seck, par 41). J’estime que la conclusion de l’enquêteuse était raisonnable puisque l’évaluation des lettres de recommandation d’un candidat est une composante importante d’un processus de nomination.

(c)  Résumé

[77]  En résumé, je conclus que la décision était raisonnable. Les éléments de preuve obtenus durant l’enquête appuient la conclusion que M. Cadostin a agi de façon malhonnête au moment de donner des références lors du processus de nomination de SPAC. Durant l’enquête, M. Cadostin a présenté des éléments de preuve contradictoires, et les conclusions défavorables de l’enquêteuse en matière de crédibilité étaient justifiées. L’enquêteuse a raisonnablement conclu que l’explication la plus probable de la conduite de M. Cadostin était qu’il avait menti au sujet de sa relation avec M. De Luca et qu’il avait présenté des lettres de recommandation qu’il avait lui‑même rédigées. Il a agi de la sorte pour améliorer ses chances de succès dans le cadre du processus de nomination. La dissimulation de faits défavorables par M. Cadostin suffit à établir que le processus de nomination de SPAC aurait pu être compromis (Nur c Canada (Procureur général), 2013 CF 978, conf. par 2015 CAF 69). L’enquêteuse a résumé et présenté la preuve à la Commission de façon équitable, en appliquant le bon critère à deux volets pour déterminer s’il y avait fraude au sens de l’article 69 de la LEFP. La Commission n’a pas commis d’erreur en s’appuyant sur le rapport pour s’acquitter de son rôle décisionnel et en tenant compte des commentaires formulés par M. Cadostin en réponse au rapport.

[78]  J’ai fait référence à l’arrêt Seck de la CAF à de nombreuses reprises dans le présent jugement et je me permets de citer un dernier paragraphe qui cadre avec l’affaire de M. Cadostin (Seck, par 42) :

[42]  Si on applique ces principes à l’espèce, on conclura qu’il y a eu fraude au sens de l’article 69 de la Loi si la preuve établit selon la prépondérance des probabilités que l’appelante a sciemment fourni de fausses recommandations dans le but de tromper les responsables du processus de nomination afin d’accroître ses chances d’être nommée. Le fait de fournir de fausses recommandations met en péril le processus de nomination; même si l’auteur de la fraude n’obtient pas la nomination, les éléments constitutifs de la fraude sont néanmoins établis.

(d)  Mesures correctives

[79]  Je conclus que, vu les circonstances de l’affaire, les mesures correctives imposées par la Commission étaient raisonnables (Dayfallah, par 101). L’alinéa 69b) de la LEFP autorise la Commission à prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées une fois que la fraude a été constatée. Il convient de faire preuve de retenue à l’égard de la décision de la Commission concernant les mesures correctives compte tenu de son expertise et du mandat qui lui incombe de protéger l’intégrité du processus de nomination de la fonction publique fédérale.

[80]  Les trois mesures correctives imposées à M. Cadostin ne sont pas de nature disciplinaire et n’empêchent pas ce dernier de travailler et de postuler des emplois au sein de la fonction publique (Seck, par 48 et 49). Elles font en sorte que les employeurs éventuels de la fonction publique connaîtront les conclusions de la Commission, ce qui les incitera sans aucun doute à examiner très attentivement la candidature de M. Cadostin en vue d’une nomination. Cependant, les mesures correctives sont raisonnables et limitées dans le temps et elles protègent de façon raisonnable les principes du mérite et de l’intégrité, qui sont essentiels au processus de nomination de la fonction publique, et ce, conformément au mandat de la Commission (Dayfallah, par 103 et 105).

XI.  Conclusion

[81]  La demande est rejetée.

[82]  Compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire et de la situation des parties, et à la lumière des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, aucuns dépens ne seront adjugés.

[83]  J’accueille la demande présentée par le défendeur en vertu du paragraphe 303(2) des Règles et visant à faire modifier l’intitulé de manière à ce que le procureur général du Canada soit désigné comme défendeur.


JUGEMENT dans le dossier T‑1844‑18

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  3. L’intitulé est par la présente modifié, avec effet immédiat, de manière à ce que le procureur général du Canada soit désigné à titre de défendeur.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour d’octobre 2019.

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1844‑18

 

INTITULÉ :

CADOSTIN, MACKENZY c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AVRIL 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 SEPTEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Mackenzy Cadostin

POUR LE DEMANDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Fraser Harland

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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