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Date : 20190919


Dossier : T‑1945‑18

Référence : 2019 CF 1189

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2019

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

DONALD LEE

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Donald Lee, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada [TSS] a rejeté la demande de permission d’en appeler qu’il avait présentée à l’égard d’une décision de la division générale du TSS. La demande de permission d’en appeler de M. Lee a été rejetée au motif que l’appel ne présentait aucune chance raisonnable de succès.

[2]  M. Lee a demandé au TSS de conclure que le ministre de l’Emploi et du Développement social devrait l’exonérer du remboursement des prestations d’invalidité qui lui ont été versées en vertu du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C‑8 [RPC]. La division générale a jugé que les dispositions du RPC ne conféraient pas au TSS compétence pour répondre à cette demande. La division d’appel a conclu que la division générale n’avait pas le pouvoir d’intervenir dans la décision du ministre de refuser la demande d’exonération de M. Lee en raison d’une prétendue erreur administrative.

[3]  M. Lee se représente lui-même. Il demande à la Cour de rendre divers jugements déclaratoires et d’octroyer d’autres mesures de réparation, notamment d’annuler la conclusion du ministre selon laquelle il était inadmissible à des prestations d’invalidité après la fin d’avril 2002 parce qu’il était retourné travailler en janvier 2002.

I.  Le contexte

[4]  M. Lee a cessé de travailler en juillet 1999 en raison de problèmes de santé liés au VIH‑SIDA. Il a présenté une demande de pension d’invalidité sous le régime du RPC en juin 2000. Le ministre a approuvé sa demande en novembre 2001.

[5]  M. Lee est retourné travailler en janvier 2002, d’abord pour une période d’essai de trois mois, mais il n’en a pas informé le ministre. Il a reçu des prestations d’invalidité pendant plus de dix ans avant que le ministre ne suspende sa pension en décembre 2012 et entame un examen de son dossier.

[6]  Dans le cadre de cet examen, M. Lee a expliqué, dans une lettre datée du 18 janvier 2013, qu’il ne savait pas que le paiement mensuel du RPC comprenait deux pensions : une pension de survivant, qu’il a commencé à recevoir en 1999 après le décès de son conjoint, et une pension d’invalidité. Dans sa lettre, M. Lee a indiqué qu’il croyait qu’il touchait uniquement des prestations de survivant. Il a également mentionné qu’il ne comprenait pas pourquoi l’Agence du revenu du Canada et Service Canada n’avaient pas signalé son dossier pour qu’il fasse l’objet d’un examen alors que plusieurs de ses déclarations de revenus ont fait l’objet d’une nouvelle cotisation après qu’il a commencé à recevoir une pension d’invalidité.

[7]  Après avoir examiné le dossier de M. Lee, Service Canada l’a informé dans une lettre datée du 7 août 2014 qu’il n’était pas admissible à des prestations d’invalidité après la fin d’avril 2002, parce qu’il était retourné travailler en janvier 2002, et qu’il devait donc au Régime de pension du Canda quelque 92 000 $. M. Lee a demandé un nouvel examen de cette décision; il demandait une réparation sur le fondement d’une erreur administrative au titre de l’alinéa 66(3)d) du RPC. Service Canada a répondu à la demande de réparation de M. Lee dans une lettre datée du 6 juillet 2016, dans laquelle il a nié l’erreur administrative alléguée par M. Lee et a indiqué que si ce dernier n’était pas en accord avec la décision, il pouvait présenter une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. (Bien que M. Lee ait déposé une telle demande en août 2016, il l’a par la suite abandonnée.)

[8]  En janvier 2017, M. Lee a interjeté appel de la décision de mettre fin à sa pension d’invalidité auprès de la division générale du TSS. La division générale a rejeté l’appel en juin 2018, parce que le ministre avait établi que M. Lee n’était plus invalide au sens du RPC. Elle a pris acte de l’erreur administrative alléguée par M. Lee, mais a jugé qu’elle n’avait pas le pouvoir de remédier à la situation en sa faveur ni de réduire le fardeau que représente pour lui le remboursement du paiement excédentaire, compte tenu de sa santé en déclin.

[9]  M. Lee a demandé la permission d’interjeter appel de la décision de la division générale auprès de la division d’appel du TSS en septembre 2018. Dans cette demande, il a fait valoir que la division générale avait commis une erreur de droit en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour corriger les erreurs administratives.

II.  La décision de la division d’appel

[10]  Dans une décision datée du 10 octobre 2018, la division d’appel a rejeté la demande de permission d’en appeler présentée par M. Lee à l’égard de la décision de la division générale.

[11]  La division d’appel s’est penchée sur deux questions : (1) s’il existait une cause défendable selon laquelle la division générale avait commis une erreur de droit en concluant qu’elle n’avait pas le pouvoir de corriger les erreurs administratives; et (2) si la division générale a négligé ou mal interprété les éléments de preuve pertinents.

[12]  La division d’appel a constaté qu’elle devait déterminer si la division générale avait commis une ou plusieurs des erreurs énoncées au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34. Ce paragraphe prévoit que les seuls moyens d’appel sont les suivants :

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[13]  La division d’appel a par ailleurs constaté que le critère applicable, à l’étape de la demande de permission, était de savoir s’il existait un motif défendable sur le fondement duquel l’appel pourrait être accueilli. 

[14]  La division d’appel a jugé qu’il n’y avait pas de cause défendable selon laquelle la division générale avait commis une erreur de droit en concluant qu’elle n’avait pas le pouvoir de corriger les erreurs administratives. Bien que la division générale ait eu tort de faire référence au paragraphe 66(4) plutôt qu’à l’alinéa 66(3)d) du RPC pour en arriver à sa conclusion, la division d’appel s’est fondée sur l’affaire Canada (Procureur général) c Leer, 2012 CF 932, aux par. 18 et 19, pour déterminer que cette erreur n’était pas importante, car la division générale en serait arrivée à la même conclusion, peu importe qu’elle ait fait référence à l’une ou l’autre des dispositions.

[15]  La division d’appel a constaté que ce ne sont pas toutes les décisions prises par le ministre en vertu du RPC qui peuvent faire l’objet d’un appel devant le TSS et que les décisions liées à un avis erroné ou à une erreur administrative aux termes de l’alinéa 66(3)d) et du paragraphe 66(4) du RPC relèvent de la catégorie des décisions que le TSS n’a pas le pouvoir de contrôler. La division d’appel a fait remarquer que Service Canada avait informé M. Lee qu’il pouvait présenter une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale dans sa lettre du 6 juillet 2016 par laquelle il lui a communiqué sa conclusion selon laquelle il n’y avait pas eu d’erreur administrative.

[16]  La division d’appel a par ailleurs indiqué que les décisions de la Cour fédérale invitent le TSS non seulement à examiner les documents du demandeur, mais aussi à évaluer si la division générale pourrait avoir négligé ou mal interprété la preuve. La division d’appel a conclu que la division générale n’avait ni négligé ni mal interprété les éléments de preuve pertinents. Pour la division d’appel, la question qui relevait de la division générale était celle de savoir si le ministre avait démontré que M. Lee avait cessé d’être invalide au sens du RPC à la fin d’avril 2002. D’après la division d’appel, ce point ne soulevait pas de controverse.

[17]  La division d’appel a conclu ses motifs en mentionnant que, tout comme M. Lee, elle avait de la difficulté à comprendre comment la situation avait pu durer si longtemps sans que le dossier de celui-ci ne soit signalé à des fins d’examen. Néanmoins, elle a conclu que son appel n’avait pas de chance raisonnable de succès et a rejeté la demande de permission d’en appeler.

III.  Analyse

[18]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève une question principale : était-il raisonnable pour la division d’appel de rejeter la demande de permission d’en appeler de M. Lee parce qu’elle n’avait pas de chance raisonnable de succès?

A.  La norme de contrôle

[19]  La norme de contrôle applicable à la décision de la division d’appel de rejeter une demande de permission d’en appeler est celle de la décision raisonnable (Andrews c Canada (Procureur général), 2018 CF 606, au par. 17).

[20]  Selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner une décision administrative afin de déterminer si le processus décisionnel est justifiable, transparent et intelligible et si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47). Ces critères sont remplis si les motifs permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 16).

B.  La décision était raisonnable

[21]  Dans son mémoire des faits et du droit, M. Lee ne relève aucune erreur dans la décision de la division d’appel; il ne l’a pas fait non plus lors de l’audition de la présente affaire. Il soutient que Service Canada a commis une erreur administrative et qu’il devrait être exonéré, en vertu de l’alinéa 66(3)d) du RPC, d’une partie du paiement dû. Ses arguments sont axés sur la lettre de Service Canada datée du 6 juillet 2016 plutôt que sur la décision de la division d’appel. Cela est mis en évidence dans sa demande de contrôle judiciaire, où les mesures de réparation suivantes sont demandées :

[traduction]

a.  Un jugement déclaratoire portant que la décision contestée était déraisonnable et incorrecte et découlait d’une erreur administrative du RPC;

b.  Un jugement déclaratoire portant que la somme totale (92 083,04 $) à rembourser étant donné qu’il s’agit d’une somme importante et que la situation n’aurait pas dû continuer aussi longtemps (12 ans) sans que le dossier ne soit signalé pour qu’il fasse l’objet d’un examen;

c.  Un jugement déclaratoire portant qu’il serait probablement déraisonnable et irréaliste d’exiger le remboursement de la somme totale (92 083,04 $) étant donné la durée de vie réduite du demandeur la diminution de son revenu (car le demandeur est en invalidité de longue durée), et qu’il serait plus raisonnable de parvenir à un règlement;

d.  Pour des raisons de compassion et de clémence étant donné la détérioration de l’état de santé attribuable au VIH, le fait que le demandeur se représente lui-même dans le cadre du présent contrôle judiciaire et de l’appel, et la diminution de son espérance de vie et de son revenu (le demandeur est en invalidité de longue durée), qu’un règlement plus raisonnable soit accordé.

[sic]

[22]  Aux termes du paragraphe 58(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, la division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler « si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ». Dans l’affaire Osaj c Canada (Procureur général), 2016 CF 115, au par. 12, la Cour a conclu que « dans le contexte actuel, le fait d’avoir une “chance raisonnable de succès” consiste à disposer de certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait [être accueilli] ». Il incombe au demandeur de montrer à la division d’appel que son appel a une chance raisonnable de succès (Tracey c Canada (Procureur général), 2015 CF 1300, au par. 31). La division d’appel a fait référence à ces deux affaires et a appliqué de manière raisonnable le critère approprié pour déterminer si une permission devait être accordée.

[23]  La décision de la division d’appel était raisonnable, car le RPC ne confère pas à la division générale le pouvoir de contrôler les décisions du ministre concernant des erreurs administratives ou l’abandon d’une créance (Canada (Ministre du développement des ressources humaines) c Tucker, 2003 CAF 278, aux par. 10 à 13). La division d’appel s’est explicitement fondée sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Pincombe c Canada (Procureur général), [1995] ACF no 1320, pour conclure que le TSS n’avait pas compétence pour contrôler les décisions du ministre fondées sur un avis erroné ou une erreur administrative et prises en vertu des paragraphes 66(3) et 66(4) du RPC.

[24]  Il était également raisonnable pour la division d’appel d’examiner la preuve documentaire pour s’assurer que la division générale n’avait ni négligé ni mal interprété les éléments de preuve pertinents lorsqu’elle a déterminé que M. Lee n’était plus invalide au sens du RPC depuis la fin d’avril 2002.

[25]  Bien que M. Lee ait constamment fait valoir qu’il devrait obtenir une réparation au titre de l’alinéa 66(3)d) du RPC en raison d’une erreur administrative, il a été mentionné durant l’audience que, compte tenu de sa situation, le remboursement des prestations d’invalidité pourrait lui causer un préjudice abusif aux termes de l’alinéa 66(3)c). Toutefois, cette question ne relève pas de la portée de la présente demande de contrôle judiciaire, qui porte sur les questions que le TSS est habilité à examiner.

IV.  Conclusion

[26]  En bref, les motifs fournis par la division d’appel pour justifier son rejet de la demande de permission d’en appeler présentée par M. Lee à l’égard de la décision de la division générale sont intelligibles, transparents et justifiables, et la décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquente rejetée.

[27]  Au titre du paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, le défendeur a demandé à la Cour de modifier l’intitulé de la cause dans sa décision et de désigner le procureur général du Canada comme défendeur dans cette affaire. L’intitulé sera modifié avec effet immédiat.

[28]  Le défendeur a confirmé lors de l’audition de la présente affaire qu’il ne demandait pas de dépens. Par conséquent, aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T‑1945‑18

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée; l’intitulé est modifié avec effet immédiat afin de désigner le procureur général du Canada comme défendeur au lieu du ministre de l’Emploi et du Développement social; et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30jour de septembre 2019

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1945‑18

 

INTITULÉ :

DONALD LEE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 SEPTEMBRE 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 SEPTEMBRE 2019

 

COMPATURATIONS :

Donald Lee

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Marcus Dirnberger

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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