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                                                                                                                     Date : 20050524

                                                                                                                           Dossier : T-1413-04

                                                                                                                  Référence : 2005 CF 733

ENTRE :

                                         GLENN CURRIE, DOUGLAS FILLMORE,

                                      ANDREW MCAULEY ET VINCENT O'NEILL

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                   SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

             représentée par l'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

INTRODUCTION


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un commissaire à temps partiel de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP) agissant à titre d'arbitre en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. chap. P-35 (la LRTPF). La décision datée du 29 juin 2004 rejetait la demande de renvoi à l'arbitrage du grief des demandeurs à l'encontre du refus de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC), leur employeur, de donner suite à leur demande et de leur fournir un « énoncé complet et courant des fonctions et responsabilités » de leurs postes.

LES FAITS

[2]                Chacun des demandeurs travaille pour l'ADRC comme enquêteur-vérificateur, poste de niveau PM-03. Les demandeurs font essentiellement valoir que leur travail est plus difficile ou complexe que celui qui est décrit dans leur description de travail, qui à l'époque pertinente, portait le numéro PM-0286. Cette description a été révisée et elle porte désormais le numéro PM-0286-20004171.

[3]                L'article 56.01 de la convention collective est rédigé de la façon suivante :

56.01 Sur demande écrite, l'employé-e reçoit un exposécomplet et courant de ses fonctions et responsabilités, y compris le niveau de classification du poste et, le cas échéant, la cote numérique attribuée par facteur à son poste, ainsi qu'un organigramme décrivant le classement de son poste dans l'organisation.

Les demandeurs ont déposé des griefs dans lesquels ils prétendaient que les droits qui leur sont conférés par l'article 56.01 avaient été violés parce que leurs descriptions de travail ne décrivaient pas exactement leurs fonctions et responsabilités. Les griefs ont été déposés en avril 2000. Les décisions au dernier palier rejetant leurs griefs ont été rendues en janvier 2003, et ces décisions ont été renvoyées à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la LRTFP.


[4]                Dans une décision plutôt longue et décousue, l'arbitre a conclu que la description de travail PM-0286 constituait effectivement un énoncé complet et courant des fonctions et responsabilités des demandeurs. Malgré les éléments de preuve à l'effet contraire fournis par les demandeurs, l'arbitre n'était pas convaincu que les termes employés dans la description de travail étaient insuffisants pour couvrir leur travail.

[5]                Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ont tenté d'établir que l'arbitre a commis une erreur en droit dans son interprétation de la convention collective et de l'article 7 de la LRTFP qui prévoit ce qui suit :


7. La présente loi n'a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l'autorité de l'employeur quant à l'organisation de la fonction publique, à l'attribution des fonctions aux postes et à la classification de ces derniers.

7. Nothing in this Act shall be construed to affect the right or authority of the employer to determine the organization of the Public Service and to assign duties to and classify positions therein.


[6]                En ce qui a trait au premier point, les demandeurs ont attiré particulièrement notre attention sur le passage suivant de la décision de l'arbitre :

... Étant donnéque les éléments de preuve qui m'ont étésoumis se rapportent uniquement aux postes particuliers occupés par les fonctionnaires s'estimant lésés, ces derniers ne peuvent que parler des fonctions qu'ils exécutent et des responsabilités dont ils s'acquittent. Sans l'accord de la part de l'employeur que leur témoignage doit être considéré comme représentant chaque poste d'enquêteur-vérificateur PM-03 dans l'ensemble de l'entreprise, l'effet de tout redressement accordéne pourrait être que l'élaboration d'une description de travail propre à un poste qui comprend « un énoncé complet et courant des fonctions et des responsabilités » de chaque poste de fonctionnaire s'estimant lésé : bref, il s'agit de la balkanisation des descriptions de travail génériques de l'employeur.


D'après les demandeurs, ce passage indique que l'arbitre a mal interprété l'article 56.01 de la convention collective en introduisant une considération non pertinente en ce qui concerne l'effet qu'une description correcte et à jour de leur travail aurait sur le système de classification de l'employeur dans tout le pays. Il s'agissait, selon eux, d'une erreur de droit dans l'interprétation de la convention collective.

[7]                En ce qui a trait à l'importance de l'article 7 de la LRTFP, les demandeurs signalent diverses allusions dans la décision de l'arbitre à l'article 7 et au droit de gérance de la direction, qui donnent l'impression que l'article 7 l'empêchait d'accéder à leur demande d'une description exacte et courante de leur travail.

[8]                Pour ce qui est du fond de l'affaire, c'est-à-dire la question de savoir si les descriptions de travail actuelles décrivent exactement leurs fonctions et leurs responsabilités, les demandeurs font valoir que l'arbitre a répondu affirmativement à cette question sans tenir compte des documents déposés devant lui : autrement dit, cette conclusion était manifestement déraisonnable.

ANALYSE

                                                               Norme de contrôle


[9]                Les demandeurs font valoir que l'interprétation de la convention collective et de l'article 7 de la LRTFP soulève des questions de compétence, et que ces décisions devraient être examinées en utilisant la norme de la décision correcte. Quant au fond du litige, il s'ensuit que, même si la norme d'examen est celle de la décision manifestement déraisonnable, la décision sur le fond devrait être annulée.

[10]            La défenderesse prétend que, suivant la jurisprudence de longue date de la Cour et de la Cour d'appel fédérale en matière d'interprétation des conventions collectives, ce dont il est question en l'espèce, la norme de contrôle de la décision d'un arbitre nommé en vertu de la LRTFP est celle de la décision manifestement déraisonnable. La défenderesse soutient que la décision en cause n'est pas manifestement déraisonnable.


[11]            La norme de contrôle applicable en l'espèce est directement liée à l'interprétation de ce que l'arbitre a effectivement décidé et aux motifs de sa décision. Malheureusement, l'arbitre a analysé l'article 7 comme s'il était pertinent. Il a également analysé les répercussions pour le système de classification de l'employeur d'une révision forcée de ce qui constitue une description de travail générique applicable à l'échelle nationale pour qu'elle décrive plus exactement le travail effectué par les demandeurs en particulier. Il a mentionné à plusieurs reprises qu'il s'agissait en fin de compte, en l'espèce, d'une manoeuvre des demandeurs pour obtenir le reclassement de leurs postes, ce qui voudrait dire qu'il ne pouvait examiner l'application de l'article 56.01 de la convention collective sans perdre de vue l'effet qu'un exposé exact des fonctions et responsabilités aurait sur la classification de ces postes. Si je concluais que l'arbitre n'a donc pas interprété et appliqué l'article 56.01 suivant son contexte, ce qui pourrait probablement susciter des questions de droit ou de compétence, je devrais peut-être envisager d'appliquer une norme de contrôle qui commande une moins grande retenue. Je ne suis toutefois pas convaincu que ces considérations ont effectivement été déterminantes pour la décision de l'arbitre. Malgré plusieurs renvois à des griefs relatifs à la classification et plusieurs extraits tirés de tels griefs, l'arbitre a reconnu expressément au paragraphe 17 de sa décision qu'il ne s'agissait pas de griefs relatifs à la classification, des questions dont la Commission ne serait pas habilitée à s'occuper. Il a conclu pour le même motif que l'article 7 ne s'appliquait pas (voir également l'extrait de sa « Décision rendue oralement » au paragraphe 2 de sa décision). Il confirme que dans un cas comme celui dont il avait été saisi :

. . . on se concentre sur la description de travail de la classification dans laquelle travaille le fonctionnaire s'estimant lésé, afin de déterminer si elle a une capacité suffisante pour englober les fonctions et les responsabilités particulières que le fonctionnaire s'estimant lésé aimerait y voir. (par. 19).

Il fait une affirmation similaire au paragraphe 20 de ses motifs et, mis à part son commentaire plutôt discutable concernant la « balkanisation » dont il a été question précédemment, il analyse dans les paragraphes 21 à 25 les éléments de preuve et les motifs qui l'ont amené à conclure que la description de travail PM-0286 comprend « un exposé complet et courant des fonctions et responsabilités » des fonctionnaires s'estimant lésés.



[12]            J'estime, par conséquent, que l'essentiel de sa décision concernait l'interprétation de l'article 56.01 de la convention collective appliquée aux faits des griefs en cause. Suivant les nombreuses décisions de notre Cour et de la Cour d'appel fédérale, la norme de contrôle de telles décisions est celle de la décision manifestement déraisonnable : voir, par exemple, Barry c. Canada, [1997] A.C.F. no 1404 (C.A.); Connors c. Canada, [2000] A.C.F. no 477 (C.A.); Canada c. King, [2003] 4 C.F. 543 (1re inst.); White c. Canada, [2004] A.C.F. no 1231 (1re inst.), et Ryan c. Canada, [2005] A.C.F. no 110 (1re inst.). Les demandeurs ont soutenu que cette jurisprudence avait été supplantée par les arrêts de la Cour suprême dans Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers' Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609, et Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, [2004] 1 R.C.S. 727. Dans ces deux arrêts, la Cour suprême a appliqué la norme de la décision raisonnable. J'estime que ces cas sont différents de la présente espèce. Il convient d'abord de souligner qu'aucun de ces deux arrêts ne mettait en cause des employés fédéraux ou la LRTFP. Dans Voice, la Cour a examiné la décision rendue par un arbitre sous le régime d'une convention collective dans le secteur privé. Elle a fait remarquer que les instances dont un arbitre est saisi ne demandent pas l'examen de vastes questions de politique générale. Elle a conclu que l'interprétation de la convention collective soulevait une question de droit qui supposait l'application de la norme de la décision correcte, mais elle a jugé que, compte tenu de l'expertise de l'arbitre, la norme de la décision raisonnable, qui commande une plus grande déférence, s'appliquait. Dans Lethbridge, il était également question d'une convention collective du secteur privé, mais l'une des questions en litige portait sur l'interprétation par le conseil d'arbitrage d'un article de l'Alberta Labour Relations Code. En ce qui concerne l'interprétation de cet article par le conseil, la Cour a estimé eu égard à cet aspect de la décision qu' « il y [avait] davantage de chances que sa solution ait valeur de précédent » , situation qui appelait à moins de déférence. Même si une question de droit était soulevée, ce qui commandait une plus grande déférence, il s'agissait d'une question mixte de fait et de droit, et, compte tenu des chances que la solution ait valeur de précédent, la Cour a conclu que la norme de contrôle adéquate était celle de la décision raisonnable.

[13]            En l'espèce, la décision examinée est celle d'un commissaire de la CRTFP, un organisme permanent qui se prononce sur des questions d'emploi dans la fonction publique fédérale. Selon mon interprétation, la décision de l'arbitre en l'espèce consistait essentiellement à appliquer la convention collective aux faits. Il s'agissait avant tout d'une conclusion portant sur les faits et dont les chances d'avoir valeur de précédent étaient limitées. Je souscris aux observations qu'a faites récemment le juge Von Finckenstein dans Ryan c. Canada, précitée, savoir que l'arrêt Voice « n'impose pas la décision raisonnable comme norme, mais confirme simplement une jurisprudence de longue date qui requiert d'effectuer dans chaque cas une analyse pragmatique et fonctionnelle. »

[14]            Les autres facteurs de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, tels que l'absence de clause privative, l'expertise du tribunal, l'objet de la Loi et la nature de la question, ont été examinés en profondeur dans les décisions susmentionnées concernant des arbitrages en vertu de la LRTFP et il ne m'est pas nécessaire de les répéter.

[15]            Par conséquent, je conclus que, suivant mon interprétation de la décision, la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans l'arrêt Voice, précité, le juge Major a dit au paragraphe 18 :


. . . Il est difficile de définir l'expression « décision manifestement déraisonnable » , mais on peut affirmer qu'il doit s'agir d'une décision frôlant l'absurde.

Il m'est impossible d'affirmer qu'en l'espèce, la décision de l'arbitre frôle l'absurde. Par contre, dans les paragraphes de la décision qui, selon moi, sont pertinents, l'arbitre analyse correctement la preuve et énonce le fondement rationnel de la décision.

DISPOSITIF

[16]            La demande est rejetée avec dépens.

                                                                                                 (signé) « B.L. Strayer »          

Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1413-04

INTITULÉ :                                                    GLENN CURRIE, DOUGLAS FILLMORE, ANDREW MCAULEY ET VINCENT O'NEILL c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA représentée par l'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 5 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 24 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Andrew Raven                                      POUR LES DEMANDEURS

Neil McGraw                                                    POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron,                                    POUR LES DEMANDEURS

Ballantyne & Yazbeck

Ottawa (Ontario)                                                                                                                                  

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                               POUR LA DÉFENDERESSE


                                                                                                                           Dossier : T-1413-04

OTTAWA (ONTARIO), le 24 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE STRAYER

ENTRE :

                                         GLENN CURRIE, DOUGLAS FILLMORE,

                                      ANDREW MCAULEY ET VINCENT O'NEILL

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                   SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

             représentée par l'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                      défenderesse

                                                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

                                                                                                                               (s) « B.L. Strayer »          

Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

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