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Date : 20190919


Dossier : T‑2060‑17

Référence : 2019 CF 1190

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2019

En présence de madame la juge St‑Louis

ENTRE :

GABRIEL FONO

demandeur

et

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE D’HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  M. Gabriel Fono, le demandeur, interjette appel de la décision rendue le 5 septembre 2018 par la protonotaire Aylen relativement à deux requêtes présentées par la défenderesse, la Société canadienne d’hypothèques et de logement [la SCHL].

[2]  Dans une décision qui a été rendue à l’égard des deux requêtes, la protonotaire Aylen a radié quatre paragraphes de l’Avis de demande de contrôle judiciaire (la demande) de M. Fono — avec autorisation de modifier trois des paragraphes en question — et plusieurs paragraphes de l’affidavit que ce dernier avait déposé le 19 juin 2018 à l’appui de la demande.

[3]  La protonotaire Aylen a également ordonné la mise sous scellé des dossiers de requête des deux parties et de la demande initiale, ainsi que le dépôt de nouvelles versions publiques des documents au plus tard le 26 septembre 2018. Elle a également ordonné à M. Fono de déposer, dans le même délai, un nouvel affidavit expurgé des paragraphes contestés.

[4]  Par conséquent, en l’espèce, M. Fono conteste la décision de la protonotaire Aylen de radier les paragraphes 2 et 37k) de sa demande — tout en rejetant ses propositions de modifications aux paragraphes 2c) et 2d) — ainsi que les paragraphes 168, 169, 170, 186, 187, 188, 189, 190 et 211 et une phrase du paragraphe 101k) de l’affidavit qu’il a déposé à l’appui de sa demande. M. Fono conteste aussi l’ordonnance de la protonotaire Aylen de radier les paragraphes 5 et 6 de sa demande, avec autorisation de les modifier, et ce, malgré le fait que la SCHL et lui avaient consenti à l’ordonnance en question.

[5]  Enfin, M. Fono conteste l’ordonnance de mise sous scellé de la protonotaire Aylen, qu’il qualifie d’ordonnance générale de mise sous scellé de tout document faisant état d’offres de règlement faites dans le cadre du processus de médiation ou formulées en privé entre les parties, ainsi que les dépens de 1 500 $ qu’elle a adjugés, débours et taxes compris.

[6]  Pour les motifs exposés ci‑après, l’appel sera rejeté.

II.  CONTEXTE

[7]  De 2007 à 2014, M. Fono a travaillé pour la SCHL, d’abord comme vérificateur, puis comme vérificateur principal.

[8]  En 2014, la SCHL a congédié M. Fono sans motif. M. Fono a alors déposé une plainte concernant son licenciement en vertu du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2, et sa plainte a été renvoyée à une arbitre nommée en vertu de cette même loi.

[9]  Après le début de l’audience devant l’arbitre, les parties ont accepté de participer avec cette dernière à un processus de médiation. L’arbitre a expliqué aux parties (et ces dernières ont convenu) que toutes les offres formulées dans le cadre de la médiation étaient sous réserve de tous droits et qu’il s’agissait d’un processus confidentiel entre les parties (affidavit de Mme Michelle Marin, au paragraphe 7). Du 11 août au 14 septembre 2016, après la médiation, les parties ont chacune présenté deux offres assorties de la mention explicite [traduction] « sous réserve de tous droits ». Toutes les offres ont été rejetées.

[10]  L’affaire a donc été entendue par l’arbitre; celle-ci n’avait qu’à trancher quant au redressement, la SCHL ayant reconnu que le congédiement était injuste. Les parties ont confirmé que l’arbitre avait le pouvoir d’ordonner la réintégration de M. Fono ou de lui accorder des dommages‑intérêts.

[11]  Le 23 novembre 2017, l’arbitre a accordé à M. Fono une période de préavis de 12 mois et des dommages‑intérêts majorés, choisissant cependant de ne pas ordonner sa réintégration. Le 21 décembre 2017, M. Fono a présenté une demande pour contester la décision de l’arbitre et demander la prise de huit mesures de redressement.

[12]  Le 30 avril 2018, la SCHL a déposé une requête en radiation des paragraphes 2, 5, 6 et 37k) de la demande de M. Fono, ainsi qu’une requête de radiation des paragraphes 168, 169, 170, 186, 187, 188, 189, 190 et 211 et d’une phrase du paragraphe 101k) de l’affidavit déposé par M. Fono à l’appui de sa demande.

[13]  Les paragraphes 5 et 6 de la demande ont été radiés avec le consentement des parties, et M. Fono a obtenu l’autorisation de les modifier comme il proposait de le faire.

[14]  Dans ses observations écrites soumises à la protonotaire Aylen, M. Fono a proposé des modifications au paragraphe 2 de sa demande, dont le libellé initial était le suivant :

[traduction]

2. Casser et annuler la décision de la défenderesse de congédier le demandeur.

[15]  La protonotaire Aylen a radié le paragraphe 2 de la demande, mais elle a autorisé M. Fono à y apporter les modifications qu’il proposait, rejetant cependant ses propositions de modifications 2c) et 2d). Le libellé des paragraphes rejetés était le suivant :

[traduction]

c)  Ordonner la réintégration de M. Fono à son poste de vérificateur principal.

d)  Subsidiairement, ordonner au premier dirigeant de la SCHL de faire tout en son pouvoir pour réintégrer M. Fono à un poste différent, conformément à sa demande de mesures d’adaptation et à la loi.

[16]  La protonotaire Aylen a convenu avec la défenderesse que le libellé des paragraphes 2c) et 2d) posait problème, parce que M. Fono continuait d’y solliciter des mesures de redressement à l’encontre de la SCHL relativement à la décision de mettre fin à son emploi. Elle a souligné le fait que, dans le cadre de la procédure devant la Cour, M. Fono conteste non pas la décision de la SCHL de mettre fin à son emploi, mais plutôt la décision de l’arbitre (transcription de l’audience sur les requêtes tenue à Ottawa le 5 septembre 2018, à la page 96 [la transcription de l’audience]).

[17]  La protonotaire Aylen a appliqué le critère proposé par M. Fono et a conclu que les paragraphes contestés étaient « manifestement irrégulier[s] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[s] » et qu’il fallait les radier (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c Pharmacia Inc., [1995] 1 CF 588, à la page 600 (AD) [David Bull]).

[18]  La protonotaire Aylen a également radié le paragraphe 37k) de la demande et les paragraphes contestés de l’affidavit, en plus de conclure que les offres de règlement et les renseignements détaillés sur les discussions de règlement — avant, pendant et après la médiation — étaient assujettis au privilège relatif aux règlements, que ce privilège n’avait pas été suspendu et qu’aucune exception ne s’appliquait. Elle a également établi qu’il n’y avait tout simplement pas eu de règlement.

III.  LE REDRESSEMENT DEMANDÉ — PARAGRAPHES 2c), 2d), 5 ET 6 DE LA DEMANDE

[19]  M. Fono interjette appel de la décision de la protonotaire Aylen de rejeter les modifications proposées aux paragraphes 2c) et 2d) et, malgré son consentement à cet égard, de radier les paragraphes 5 et 6 de sa demande (transcription de l’audience, à la page 15). Essentiellement, M. Fono soutient que la protonotaire a commis une erreur en radiant les paragraphes contestés de la demande, alors qu’il subsistait une question litigieuse.

[20]  Faisant valoir que, pour radier un paragraphe, celui‑ci doit être « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli » (David Bull), M. Fono croit que les mesures de redressement demandées dans les paragraphes contestés méritent d’être débattues et qu’il est faux de dire qu’elles n’ont manifestement aucune chance d’être accueillies.

[21]  M. Fono ne conteste pas la compétence de la Cour de rejeter une demande en tout ou en partie, tout comme il ne conteste pas le critère applicable établi par la protonotaire Aylen pour radier une demande. Cependant, il fait valoir qu’il y avait toujours lieu de se demander si un demandeur a le droit d’obtenir un redressement de la Cour, par lequel cette dernière dicte une certaine issue, dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Reprenant l’argument qu’il avait formulé devant la protonotaire Aylen, il soutient que la Cour peut seulement radier une demande à une étape préliminaire lorsqu’elle est « manifestement irréguli[ère] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[e] » (David Bull).

[22]  Essentiellement, M. Fono soutient que la Cour a le pouvoir de dicter une certaine issue plutôt que de renvoyer le dossier en vue d’un réexamen, mentionnant à cet égard les arrêts Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Lebon, 2013 CAF 55, D’Errico c Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, et Giguère c Chambre des notaires du Québec, 2004 CSC 1. M. Fono ajoute que le juge de première instance a le droit de rendre la décision qui aurait dû l’être et s’appuie à cet égard sur les arrêts Trinity Western University c British Columbia College of Teachers, 2001 CSC 31, et Groia c Barreau du HautCanada, 2018 CSC 27, et sur les décisions Carroll c Canada (Procureur général), 2015 CF 287, et FisherTennant c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 151.

[23]  Après l’audition du présent appel, M. Fono soumis à l’attention de la Cour le récent arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tennant, 2019 CAF 206 (Tennant) de la Cour d’appel fédérale ainsi que des observations à l’appui de la proposition selon laquelle, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut — exceptionnellement — substituer son point de vue à celui du décideur administratif. M. Fono a également présenté une réponse à la réplique — ce que la Cour n’avait pas autorisé — dans laquelle il ne soulève aucun argument susceptible d’avoir une incidence quelconque sur mes motifs. De plus, le présent appel et la réponse à la réplique en question ne constituent pas le moyen approprié pour M. Fono de demander la modification de sa demande, et la Cour n’en tiendra donc pas compte.

[24]  La SCHL soutient que, en fait, dans les paragraphes 2c) et 2d) proposés, M. Fono demande à la Cour d’infirmer la décision de mettre fin à son emploi, plutôt que de lui demander un redressement relativement à la décision de l’arbitre. La SCHL soutient que deux options s’offrent à la Cour, et qu’aucune ne lui permet d’ordonner à la SCHL de réintégrer M. Fono dans ses fonctions. Elle souligne que l’arrêt Groia c Barreau du HautCanada, 2018 CSC 27, constitue un exemple de verdict imposé, dans la mesure où le refus de renvoyer l’affaire au décideur équivaut à une ordonnance de rejet de la procédure en question instruite devant ce dernier. Elle ajoute que l’arrêt D’Errico c Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, est un exemple d’un deuxième type de verdict imposé, dans lequel la Cour annule une décision et renvoie l’affaire, en l’assortissant de directives quant à l’issue. Elle fait valoir que, d’une façon ou d’une autre, une cour siégeant en révision ne peut pas contourner complètement une procédure administrative pour substituer son propre redressement à la décision du décideur administratif.

[25]  Après l’audience, en réplique à M. Fono, la SCHL a soutenu que l’arrêt Tennant ne s’applique pas, parce que la SCHL n’est pas un « office fédéral », ajoutant que, dans l’arrêt Tennant, le redressement demandé vise le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, tandis que, pour sa part, la SCHL est une entité privée créée en vertu de la Loi sur la Société canadienne d’hypothèques et de logement, LRC 1985, c C‑7. De plus, la SCHL soutient qu’une substitution directe est possible, soit le rejet de la demande, mais qu’il n’est pas possible d’accueillir une demande ni d’ordonner un redressement concret précis.

[26]  En ce qui concerne les paragraphes 5 et 6 de la demande, la SCHL soutient que M. Fono ne devrait pas avoir le droit d’interjeter appel de quelque chose qu’il a concédé devant la protonotaire. En outre, elle ajoute qu’il n’est pas possible d’accorder des dommages‑intérêts dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire et renvoie à cet égard aux arrêts Canada (Procureur général) c TeleZone Inc., 2010 CSC 62, au par. 26, et AlMhamad c Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 2003 CAF 45, aux par. 3 à 4, ce que M. Fono conteste en citant l’arrêt Canada (Procureur général) c Oshkosh Defense Canada Inc., 2018 CAF 102, aux par. 34 à 36.

[27]  Les deux parties conviennent que le critère applicable pour le contrôle des ordonnances discrétionnaires de juges saisis de requêtes est celui de la décision correcte dans le cas des questions de droit seulement, et celui de l’erreur manifeste et dominante dans le cas des questions de fait ou des questions mixtes.

[28]  L’application par la protonotaire Aylen du critère relativement à la radiation des paragraphes de la demande est une question mixte de fait et de droit, laquelle est susceptible de contrôle seulement si l’existence une erreur manifeste et dominante a été démontrée (Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, au par. 66).

[29]  En l’espèce, M. Fono doit donc établir que la protonotaire Aylen a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que les paragraphes 2c) et 2d) proposés sont « manifestement irrégulier[s] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[s] » et que leur radiation s’imposait.

[30]  Dans l’arrêt Manitoba c Canada, 2015 CAF 57, au par. 9, la Cour d’appel fédérale a cité le paragraphe 46 de l’arrêt Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165, et souligné qu’il faut satisfaire à un « critère très exigeant » pour démontrer l’existence d’une erreur « manifeste et dominante », car cette norme de contrôle appelle un degré élevé de retenue. Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

[31]  Le seuil à satisfaire pour radier une est extrêmement élevé, car il doit être clair et évident que la demande n’a aucune chance d’être accueillie (Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250).

[32]  En l’espèce, M. Fono n’a pas établi que la protonotaire Aylen avait commis une erreur en décidant de radier le paragraphe 2 et de rejeter les paragraphes 2c) et 2d) proposés. La Cour n’a pas à trancher la question de savoir si la SCHL est un « office fédéral », parce que cet argument n’a pas été soulevé devant la protonotaire et qu’il n’est pas non plus déterminant quant à l’issue de l’affaire. Je n’ai donc pas à tenir compte de la réponse à la réplique de M. Fono à cet égard, réponse que, de toute façon, je n’avais pas permise.

[33]  Il a été reconnu que, dans des situations exceptionnelles, les tribunaux ont compétence pour dicter certaines issues dans le cadre du contrôle judiciaire de décisions administratives. Dans l’arrêt Groia c Barreau du HautCanada, 2018 CSC 27, la Cour suprême du Canada a annulé une décision administrative sans renvoyer l’affaire. Dans l’arrêt Tennant, le juge Laskin a énuméré trois façons dont la Cour fédérale pouvait dicter certaines issues : une substitution indirecte (aux paragraphes 71 et 72), un jugement déclaratoire (au paragraphe 75) et une substitution directe (au paragraphe 79). En exigeant, dans sa demande, une ordonnance de réintégration ou une action du premier dirigeant de la SCHL, M. Fono demande en fait à la Cour fédérale de substituer directement son opinion à celle de l’arbitre.

[34]  Même s’il reconnaît que les tribunaux ont compétence pour procéder à une substitution, le juge Laskin a déclaré qu’on peut seulement le faire dans des circonstances exceptionnelles. La substitution directe est possible lorsqu’il y a [traduction] « un seul résultat raisonnable, de sorte qu’il serait inutile de renvoyer l’affaire au décideur administratif » (Tennant, au par. 82). Dans ses motifs dissidents, le juge Near était du même avis que les juges majoritaires en ce qui concerne le critère à savoir si la substitution est possible (Tennant, au par. 96).

[35]  En l’espèce, M. Fono ne fait, dans sa demande, aucune allégation selon laquelle la réintégration est le seul redressement raisonnable, tout comme il ne l’a pas fait devant la protonotaire. Au contraire, il reconnaît implicitement que la réintégration pourrait ne pas être appropriée (demande, aux par. 37a) à 37c)). Ses arguments reposent sur le fait que l’analyse par l’arbitre du caractère adéquat de sa réintégration était étroite et injuste (demande, au par. 39). L’analyse visant à établir s’il faut ordonner la réintégration reposant sur plusieurs facteurs et étant intrinsèquement discrétionnaire, M. Fono n’a pas fourni de raisons pour lesquelles l’arbitre ou un autre arbitre ne devrait pas avoir une deuxième occasion de réévaluer les facteurs après avoir corrigé les erreurs alléguées que M. Fono signale dans la demande. En outre, M. Fono n’a jamais expliqué les raisons pour lesquelles il serait inutile de renvoyer le dossier à l’arbitre, surtout à la lumière du fait que l’arbitre reste saisie de la question des frais d’arbitrage.

[36]  Il n’y a aucun élément de preuve selon lequel la protonotaire Aylen a commis une erreur en concluant que, à la lumière des allégations précises formulées par M. Fono, le redressement demandé n’avait aucune chance d’être accueilli.

[37]  Compte tenu du consentement des parties et de l’absence d’allégations donnant à penser que le consentement n’était pas valide, la protonotaire Aylen n’a pas commis d’erreur en radiant les paragraphes 5 et 6 de la demande avec autorisation de les modifier conformément à ses directives. La Cour n’a pas besoin d’analyser de façon plus poussée la question de savoir si des dommages‑intérêts peuvent être accordés dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

IV.  LE PRIVILÈGE RELATIF AUX RÈGLEMENTS

[38]  M. Fono fait valoir que la protonotaire Aylen a commis une erreur en radiant le paragraphe 37k) de la demande et les paragraphes contestés de son affidavit, qui étaient tous liés aux discussions entre les parties sur un possible règlement, alors que la question de savoir si ces paragraphes étaient assujettis au privilège relatif aux règlements ou visés par les exceptions connexes était encore sujette à débats. Selon lui, la procédure appropriée consistait à laisser au juge qui entend la demande sur le fond la tâche d’évaluer l’affidavit, comme dans la décision Armstrong c Canada (Procureur général), 2005 CF 1013.

[39]   M. Fono soutient : 1) que la SCHL ne peut pas réclamer le privilège relatif aux règlements concernant la communication; 2) que cette dernière a renoncé au privilège relatif aux règlements; et 3) que la décision d’autoriser ou d’exclure la communication aurait dû revenir au juge de première instance en raison des exceptions prévues à ce privilège.

[40]  M. Fono donne sept raisons pour lesquelles une exception au privilège relatif aux règlements pourrait s’appliquer. Ses principaux arguments sont que les parties sont parvenues à un règlement partiel sur les principales questions et que seules des questions non essentielles restaient à trancher par les arbitres, que la SCHL a divulgué les communications dans le cadre de ses observations relatives aux dépens et que le contenu des communications est nécessaire pour démontrer l’existence d’une possible crainte de partialité de l’arbitre.

[41]  En ce qui concerne plus précisément la lettre de réintégration, M. Fono soutient qu’il ne s’agit pas d’une offre de règlement, parce que la SCHL n’a fait aucun compromis, et que, pour ce motif, la lettre ne devrait pas être visée par le privilège.

[42]  Faisant valoir qu’un règlement avait été conclu, M. Fono soutient que les parties se sont entendues sur tous les aspects importants d’un règlement, ajoutant que les conditions sur lesquelles les parties ne s’étaient pas entendues explicitement pouvaient être implicites.

[43]  Dans un premier temps, la SCHL a répondu que la protonotaire Aylen n’avait pas agi de façon abusive ni déraisonnable en radiant des parties de l’affidavit et de l’avis à une étape préliminaire, ajoutant que, au moment d’évaluer la portée du privilège relatif aux règlements, Mme Aylen n’avait pas commis une erreur de droit ni une erreur de fait manifeste et dominante.

[44]  Selon la SCHL, les parties n’ont jamais convenu du montant des dommages‑intérêts, une condition essentielle sur laquelle les parties auraient dû s’entendre pour qu’il y ait un règlement. Elle soutient aussi qu’un contrôle judiciaire n’est pas une mesure d’exécution de la loi et que la preuve d’un règlement n’est pas nécessaire.

[45]  En ce qui concerne l’argument de M. Fono concernant la partialité de l’arbitre, la SCHL répond que la question n’a pas été soulevée en temps opportun sous forme d’une requête à l’arbitre afin qu’elle se récuse. La SCHL soutient que, comme dans le cas de la conclusion de la protonotaire Aylen sur la question (transcription de l’audience, à la page 103), le défaut de soulever la question équivaut à une renonciation. En outre, elle fait valoir que les offres ne sont pas des éléments de preuve nécessaires pour prouver la partialité.

[46]  M. Fono n’a pas établi que la protonotaire Aylen a commis une erreur, et la Cour convient avec la défenderesse que la protonotaire Aylen n’en a pas commis. La protonotaire Aylen a bien décrit les principes pertinents ainsi que les trois conditions devant être remplies pour justifier l’application du privilège relatif aux règlements. Elle a conclu à juste titre que le privilège relatif aux règlements s’appliquait. Elle a analysé attentivement les exceptions relatives à ce privilège en tenant compte de l’intérêt public à favoriser les règlements et des intérêts publics concurrents, comme la recherche de la vérité et le règlement approprié du litige.

[47]  Les éléments de preuve présentés en l’espèce étayent la conclusion de la protonotaire Aylen selon laquelle les parties n’ont pas conclu un règlement complet ou partiel. Si les négociations entre les parties s’étaient soldées par un règlement, l’arbitre n’aurait pas eu à trancher la question du redressement; ou encore, la portée de son arbitrage aurait été beaucoup plus limitée. Le montant des dommages‑intérêts était un facteur essentiel, et la Cour ne trouve aucune erreur dans cette affirmation.

[48]  M. Fono n’a pas convaincu la Cour que, en l’espèce, la protonotaire a commis une erreur de droit ou une erreur au moment d’appliquer le droit aux faits. La preuve appuie la conclusion de la protonotaire selon laquelle le privilège relatif aux règlements s’applique aux communications, et il n’y a aucun élément de preuve selon lequel la protonotaire a commis une erreur en radiant les paragraphes contestés de l’affidavit et de la demande.

[49]  La Cour est également convaincue que la protonotaire Aylen n’a pas commis d’erreur dans ses conclusions concernant l’argument selon lequel l’arbitre avait fait preuve de partialité, puisque M. Fono n’a pas soulevé cette question à la première occasion.

V.  L’ORDONNANCE DE MISE SOUS SCELLÉ

[50]  La SCHL demande la mise sous scellé des dossiers d’appel et la radiation de toutes les références visées par le privilège relatif aux règlements des versions publiques des dossiers que les deux parties doivent déposer conformément à l’ordonnance.

[51]  M. Fono est d’avis qu’aucune ordonnance de mise sous scellé n’est nécessaire. En outre, il interjette appel de l’ordonnance de mise sous scellé rendue le 5 septembre 2018 par la protonotaire Aylen, au motif que personne n’a demandé le prononcé d’une telle ordonnance et qu’il n’a pas eu le temps de préparer des arguments à ce sujet.

[52]  Dans sa décision du 5 septembre 2018, la protonotaire Aylen a ordonné la mise sous scellé temporaire des dossiers liés aux deux requêtes et donné aux parties jusqu’au 26 septembre 2018 pour déposer des versions publiques de leurs dossiers de requête respectifs. Elle a ordonné que les nouvelles versions publiques déposées ne contiennent aucun renseignement visé par le privilège relatif aux règlements.

[53]  Le 15 novembre 2018, M. Fono, avec le consentement de la SCHL, s’est également vu accorder une ordonnance de protection et de maintien de la confidentialité des renseignements médicaux. Les deux parties ont par la suite relevé des documents déposés en cour qui contenaient des renseignements médicaux et déposé des versions publiques des documents en question.

[54]  La SCHL soutient avoir demandé l’ordonnance de mise sous scellé pendant l’audience devant la protonotaire (transcription de l’audience, à la page 35), ajoutant que l’ordonnance était sous toutes réserves des droits de M. Fono.

[55]  Le dossier révèle que la SCHL a demandé l’ordonnance pendant l’audience, que la protonotaire Aylen a donné à M. Fono l’occasion de formuler des commentaires à ce sujet, mais que ce dernier n’a pas formulé de commentaires pertinents (transcription de l’audience, à la page 36). M. Fono n’a allégué aucun préjudice.

[56]  Aucune erreur de la part de la protonotaire Aylen n’a été démontrée.

[57]  L’ordonnance de mise sous scellé des dossiers d’appel demandée par la SCHL sera accordée. Il sera ordonné que les dossiers d’appel soient scellés et que, dans les 30 jours suivant le jugement, les parties déposent des versions publiques de leur dossier d’appel dont toutes les références aux discussions en vue d’un règlement auront été expurgées.

VI.  DÉPENS

[58]  M. Fono sollicite les dépens des requêtes présentées devant la protonotaire Aylen et de l’appel. Par ailleurs, il soutient qu’aucuns dépens ne devraient être ni n’auraient dû être adjugés à son encontre, parce que : 1) la pratique générale de la Cour consiste à permettre au juge de première instance d’établir les dépens globaux; et 2) la demande comporte un important élément d’intérêt public. En outre, si des dépens doivent être adjugés contre lui, M. Fono soutient qu’ils doivent être établis selon la valeur minimale de la fourchette de la colonne III du Tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles].

[59]  La SCHL demande à la Cour de maintenir l’ordonnance de la protonotaire Aylen concernant les dépens et réclame les dépens de l’appel.

[60]  La Cour convient avec la SCHL que : 1) les dépens étant intrinsèquement discrétionnaires, ceux-ci ne devraient être annulés que s’il y a une erreur de principe ou si leur adjudication est manifestement erronée; 2) le paragraphe 401(1) des Règles donne au juge saisi de la requête le pouvoir discrétionnaire d’adjuger les dépens; et 3) la présente demande ne constitue pas une instance d’intérêt public, parce que le demandeur a un intérêt personnel et pécuniaire important dans l’issue de l’affaire, contrairement à l’exigence établie dans la décision Arctos Holding Inc. c Canada (Procureur général), 2018 CF 365, au par. 34. L’ordonnance de la protonotaire Aylen concernant les dépens est donc maintenue.

[61]  Les dépens afférents au présent appel sont adjugés à la SCHL.


JUGEMENT dans le dossier T‑2060‑17

LA COUR STATUE que :

  1. L’appel est rejeté.

  2. La mise sous scellés des dossiers d’appel est ordonnée.

  3. Les parties sont tenues de déposer des versions publiques de leurs dossiers d’appel dans les 30 jours suivant le présent jugement.

  4. Des dépens sont adjugés à la SCHL.

« Martine St‑Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour d’octobre 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2060‑17

INTITULÉ :

GABRIEL FONO C SOCIÉTÉ CANADIENNE D’HYPOTHÈQUES ET DE LOGEMENT

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 MARS 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

La JUGE ST‑LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 19 SEPTEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Gabriel Fono

POUR SON PROPRE COMPTE

Chris Rootham

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NELLIGAN O’BRIEN PAYNE

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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