Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20040916

Dossier: IMM-6792-03

Référence: 2004 CF 1256

Montréal (Québec), le 16 septembre 2004

Présent :          Monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

                                                    SUKHMAN SINGH SAHOTA

                                                                                                                                            Applicant

                                                                           and

                                               THE MINISTER OF CITIZENSHIP

AND IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                        Respondent

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c.27 (Loi), porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (tribunal) rendue le 21 août 2003. Dans cette décision, le tribunal a conclu que le demandeur ne satisfait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 de la Loi ni à celle de « personne à protéger » au paragraphe 97(1) de la Loi.


QUESTION EN LITIGE

[2]                Le tribunal a-t-il commis une erreur en minant injustement la crédibilité du demandeur sans égard à la preuve et à son témoignage?

[3]                Pour les motifs suivants, je réponds par la négative à cette question et la demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

LES FAITS

[4]                Le demandeur, ressortissant de l'Inde, déclare avoir quitté son pays parce qu'il était accusé de collusion avec les militants du groupe Babar Khalsa Jathebandi, la raison pour laquelle les autorités policières l'auraient sévèrement torturé. Il allègue avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions et actions politiques. De plus, il allègue être une

« personne à protéger » parce qu'il risquerait d'être soumis à la torture s'il devait retourner dans son pays.


[5]                Le demandeur est issu d'une famille sikh et hindoue travaillant comme cultivateurs et il oeuvrait comme chauffeur de camion de transport. Il allègue que les événements sur lesquels il fonde sa demande se seraient déroulés principalement au Punjab entre le 17 juin 1999 et le 30 juillet 2002, date à laquelle il quitta son pays. Il a déclaré avoir été arrêté à trois reprises, soit le 17 juin 1999, le 15 août 2001 et le 31 janvier 2002 et que ces arrestations furent suivies de périodes de détention au cours desquelles il aurait été très sérieusement torturé. Après chacune de ses arrestations et tortures, dont la plus cruelle aurait été la troisième, celle du 31 janvier 2002, la condition physique du demandeur aurait été telle qu'il a reçu des soins médicaux. De plus, les autorités locales auraient pris ses empreintes digitales, sa photo, lui auraient fait signer un

« blanc-seing » et l'auraient obligé à verser des pots-de-vin afin qu'il obtienne sa libération.

  

DÉCISION CONTESTÉE    

[6]                Le tribunal, bien que satisfait de l'identité du demandeur, a conclu sur la base


des différences notées entre les déclarations qu'il a faites dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et celles retrouvées dans les documents d'immigration complétés au point d'entrée, que son témoignage n'était pas crédible. Le tribunal s'est déclaré étonné que jamais le demandeur n'ait fait quelque allusion que ce soit dans les documents au point d'entrée aux cruels sévices allégués lors de chacune de ses arrestations (pages 2 à 4 des motifs de la décision). Le tribunal a jugé invraisemblable que, si le demandeur avait réellement été torturé comme il le décrit dans son FRP, il ait omis de l'indiquer dans le document intitulé « Schedule 1 - Background Information » , complété le lendemain de son arrivée au Canada (page 4, paragraphes 3 et 4 des motifs).    Le tribunal a également jugé qu'il n'était pas plausible qu'une personne qui aurait subi la torture, telle que l'applique la police du Punjab (connue pour sa brutalité et férocité), serait restée sur place pour se faire arrêter à deux autres occasions (pages 4 et 5 des motifs).

[7]                De plus, le tribunal n'a accordé aucune valeur probante aux documents déposés en preuve par le demandeur (page 5, paragraphes 5 et 6; page 6, paragraphes 1 et 2) et n'a pas cru qu'il avait quitté son pays le 30 juillet 2002 car il n'a présenté aucune preuve établissant la date de son départ de l'Inde. Quant à l'application de l'article 97 de la Loi au motif que le demandeur serait « une personne à protéger » car s'il retournait en Inde après avoir formulé sa demande d'asile au Canada, il serait interrogé et conséquemment torturé, le tribunal, après une analyse de la preuve documentaire au dossier, a conclu:

En fait, les personnes qui peuvent avoir des problèmes sont celles qui ont quitté le pays et qui y sont revenues en contravention des lois indiennes peuvent faire l'objet de poursuites judiciaires, mais là il s'agit d'une Loi d'application générale, ce qui ne peut constituer ni de la persécution ni de la torture.   

PRÉTENTIONS DES PARTIES


[8]                Le demandeur conteste la présentation et l'utilisation des informations contenues dans les documents au point d'entrée pour conclure à son absence de crédibilité. Il allègue qu'il était déraisonnable pour le tribunal de conclure que son histoire était inventée du seul fait qu'il n'ait pas fait mention, dans les documents au point d'entrée, de la torture dont il aurait été l'objet suite à ses arrestations par la police du Punjab, et que le tribunal ne pouvait conclure qu'il était invraisemblable qu'il n'ait pas fait mention de torture dans ces documents, car le formulaire ne contenait pas l'espace nécessaire pour fournir tous les détails.

[9]                Le demandeur souligne également que les questions qu'on lui a posées étaient pour savoir s'il avait été arrêté, détenu ou mis en prison et qu'il s'est fié aux explications de son interprète pour remplir le formulaire. Aux paragraphes 28 et 29 de son mémoire, le demandeur allègue que le tribunal n'aurait pas dû lui opposer le fait qu'il aurait pu assigner par subpoena les interprètes à l'audience puisque « la CISR ne semble pas partager ce point de vue » . Le demandeur prétend également qu'il a donné des explications et des détails à l'agent au point d'entrée concernant sa détention et qu'il a spécifié avoir été détenu illégalement dans le formulaire qu'il a complété le lendemain de son arrivée au Canada.

[10]            La défenderesse se fonde sur l'arrêt Ilunga c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2003 FC 1289, [2003] F.C.J. No. 1653 (QL), au paragraphe 4 pour soumettre que la norme de contrôle qui s'applique aux questions de faits tranchées par le tribunal consiste à déterminer si le tribunal a pris sa décision de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait. Selon la défenderesse, le demandeur ne se décharge manifestement pas de son fardeau d'établir que la décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments mis en preuve.   

[11]            La défenderesse, se basant sur les décisions rendues dans les arrêts Ilunga, précité, Kandot c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2003 FC 1275, [2003] F.C.J. No. 1600 (QL) et Ndlovu c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2003 FC 851, [2003] F.C.J. No. 1091 (QL), prétend qu'il est bien reconnu par la jurisprudence que l'omission du demandeur de mentionner dans les documents qu'il a remplis au point d'entrée la torture qu'il alléguait avoir subie peut être considérée par le tribunal dans l'évaluation de la crédibilité d'un demandeur d'asile. Elle soutient qu'il appartient au tribunal spécialisé d'apprécier la vraisemblance de la preuve présentée par le demandeur, d'en tirer les conclusions nécessaires et, comme a été le cas en l'espèce, de valablement indiquer dans ses motifs que les questions posées dans les documents au point d'entrée constituaient des questions ouvertes regroupées dans un formulaire avec l'espace nécessaire pour que le demandeur mentionne à tout le moins qu'il avait été sévèrement torturé à plusieurs reprises par la police du Punjab. De plus, le tribunal a considéré l'explication que le demandeur a fournie pour justifier ces omissions dans les documents au point d'entrée incluant celles relevant de la traduction, mais ne l'a pas jugée satisfaisante.


[12]            La défenderesse soutient également que rien ne peut être reproché au tribunal car la conclusion d'absence de crédibilité est aussi fondée sur l'appréciation faite par le tribunal du comportement du demandeur qu'il a jugé incompatible avec celui d'une personne qui dit avoir été arrêtée et torturée dans son pays puisqu'il n'était pas plausible qu'une personne qui aurait subi de la torture de la part de la police du Punjab, serait restée sur place pour se faire arrêter en deux autres occasions. Selon la défenderesse, la preuve prise dans son ensemble pouvait raisonnablement porter le tribunal à conclure à l'absence de crédibilité du demandeur parce que les omissions dans les documents au point d'entrée étaient importantes et les invraisemblances tirées n'étaient pas déraisonnables.

ANALYSE

[13]            Il est bien établi qu'en ce qui a trait à des questions de crédibilité, comme en l'espèce, le tribunal est le mieux placé pour « jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent » . Tel que décidé dans l'arrêt Aguebor c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'immigration ), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) les conclusions du tribunal spécialisé, dans la mesure où les inférences qu'il tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer l'intervention de la Cour, sont à l'abri du contrôle judiciaire.


[14]            À mon avis, tous les arguments concernant la crédibilité du demandeur tiennent à l'appréciation de la preuve et des faits. La conclusion du tribunal que la preuve du demandeur n'était pas digne de foi est fondée sur le comportement de ce dernier, l'incompatibilité entre le FRP et les autres documents ainsi que sur un ensemble d'invraisemblances dans son témoignage. Le tribunal a fondé sa décision sur la preuve au dossier et l'a interprétée comme il l'entendait. Contrairement aux prétentions du demandeur, le tribunal n'a pas omis de considérer les explications que celui-ci lui a données, mais n'a simplement pas été convaincu ou satisfait de celles-ci.

[15]            En l'espèce, le demandeur a le fardeau de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. Basé sur mon évaluation de la preuve présentée, le demandeur ne s'est pas déchargé de ce fardeau. Le tribunal a bien motivé sa décision en énonçant, en termes clairs et non équivoques, les raisons pour lesquelles il a douté de la véracité des allégations du demandeur et de la crédibilité de ce dernier. Le tribunal pouvait tenir compte des nombreuses disparités entre le témoignage du demandeur, la déclaration au point d'entrée et son FRP. Je considère parfaitement raisonnable le reproche fait à l'égard du demandeur de ne pas avoir parlé, décrit la torture qu'il aurait subi lors des arrestations lors de l'entrevue avec l'officier d'immigration (en date du 18 septembre 2002) et d'en tirer une conclusion de non crédibilité. Il est impensable que celui-ci, ayant subi de tels sévices, ne l'ait pas indiqué lorsqu'il fut invité à le faire, surtout en tenant compte qu'il a cru bon le faire dans son FRP en date du 10 octobre. 2002.

[16]            J'ai aussi porté une attention particulière aux autres conclusions de la décision du tribunal (la question des interprètes, l'absence de crainte subjective, etc.) et je les considère adéquates et justifiées par les faits du dossier. Dans l'ensemble, cette décision ne mérite pas l'intervention du soussigné et je considère que le demandeur n'a pas rencontré le fardeau qu'il devait.

[17]            Les parties furent invitées à me soumettre une question pour fin de certification mais aucune question ne fut soumise.

ORDONNANCE

Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question ne sera certifiée.

                      « Simon Noël »                       

                                   juge                              


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6792-03

INTITULÉ :                                        SUKHMAN SINGH SAHOTA

                                                                                            Applicant

and

THE MINISTER OF CITIZENSHIP AND IMMIGRATION

                                                                                        Respondent

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 14 septembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE SIMON NOËL

DATE:                                                 le 16 septembre 2004

COMPARUTIONS:

Me Jean-François Bertrand                               POUR LE DEMANDEUR

Me Lucie St-Pierre                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Bertrand, Deslauriers                             POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)


Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.